P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 126-129).


LETTRE CXLIV.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Je ne puis différer un instant, ma chère amie, de vous faire part de ce qui m’est arrivé ce matin. Mon oncle, après avoir déjeuné avec nous, c’est-à-dire avec mon père, ma mère et moi, m’a dit en tenant un verre de vin du Rhin à la main : « Il faut que je boive à la santé de son Altesse madame la princesse de ***. » Nous avons gardé le silence. « Eh bien ! vous ne dites rien ma nièce ? — Je dis, mon oncle, que vous avez envie de vous amuser. — Non, rien n’est plus sérieux ; un gentilhomme du Prince, est venu hier me faire part de son désir de s’allier avec moi, mais j’ai répondu, que ma nièce était encore dans la douleur d’une perte bien récente, et que je ne pouvais prendre aucun engagement sans l’avoir consultée ; j’ai ajouté, qu’elle avait fait notre volonté en se mariant, et qu’il était juste que dorénavant elle disposât d’elle ; enfin, j’ai fini par dire que je ferais part à ma nièce dans quelque temps, des propositions qui m’étaient faites, et dont toute ma famille serait infiniment flattée. » Il s’est arrêté pour nous regarder, et ensuite attachant ses yeux sur moi : « n’ai-je pas bien répondu ma nièce ? — Tout ce que vous faites, mon cher oncle, est très-bien. — Voilà comme sont les princes, ils croient que les bienséances ne sont pas pour eux, et qu’on n’a rien à leur refuser. Les Loewenstein ont épousé des princesses, et ne sont pas enthousiasmés d’alliances qui leur sont familières. Je trouve que le Prince se presse beaucoup. J’ai voulu vous donner, a-t-il ajouté, de la marge, et que ma chère nièce eût le temps de réfléchir. Ce prince nous est arrivé en vérité comme une bombe. Réfléchissez, mon enfant, sur votre état présent et à venir et sur vos sentimens. C’est beau d’être princesse souveraine, mais on peut être heureuse sans être si grande Dame. Moi, par exemple, je préférerais une femme que j’aimerais, à toutes les grandeurs que pourrait m’offrir une princesse. Adieu, je vais me promener. » Nous avons gardé pendant quelque temps le silence, ensuite mon père a dit : « cela mérite grande réflexion ; le Prince est un parti tel qu’il est rare d’en trouver, et mon frère aurait pu montrer un peu plus d’empressement. Vous y songerez sans doute à deux fois, ma fille, avant de refuser une alliance aussi honorable, n’êtes-vous pas de mon avis Madame, en s’adressant à ma mère ? Je pense comme le Commandeur, a-t-elle dit, et c’est à ma fille à en décider. » Mon père semblait chercher à lire dans mes yeux. J’ai répondu que je ferais mes réflexions, et que j’étais charmée qu’on voulût bien me laisser maîtresse de mon fort. Adieu, ma chère Émilie, je vous embrasse de tout mon cœur, qui est bien agité.

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