L’Émigré/Lettre 138
LETTRE CXXXVIII.

à
Melle Émilie de Wergentheim.
J’ai écrit, Mademoiselle, ainsi que
mon cousin, à madame de Loewenstein,
pour lui faire mon compliment
de condoléance sur la perte qu’elle
vient de faire ; elle doit être importunée
des visites de cérémonie, et
j’attendrai que le cours en soit fini,
pour tenter de la voir. Ce n’est pas un
compliment banal que j’ai à lui faire,
et par cette raison je n’ai pas voulu
être confondue avec les indifférens. Mon tendre attachement pour notre
intéressante amie, fait que je me mets
à sa place, et que je sens comme
elle ; il en est de même de vous, Mademoiselle,
et je crois que sans nous
parler, nous savons ce que nous pensons,
dans une circonstance plus triste
qu’affligeante. Je ne crois pas qu’il
y ait d’inconvénient à ce que mon
cousin m’accompagne ; cependant je
vous laisse maîtresse de décider de son
voyage. Il est inutile que je vous
dise combien il désire de voir la Comtesse,
et toute la part qu’il prend à
la perte qu’elle fait. Le comte de
Longueil est bien fâché de ce que
les circonstances actuelles ne lui permettent
pas de rendre ses hommages à
notre amie ; il attend impatiemment le
moment de lui être présenté. Ce ne
sera pas pour lui une nouvelle connaissance,
ni pour elle, ni pour vous, Mademoiselle. Tout ce que nous lui
avons dit des habitans de Lœwenstein
et de vous ; tout ce que nous vous
avons dit du Président, fait qu’il sera
établi dans votre société, une heure
après y avoir été présenté, comme
s’il y était depuis long-temps admis.
C’est ainsi que l’amitié embrassant tous
les rapports des gens qu’on aime,
étend son cercle par des adoptions qui
lui donnent de nouveaux alimens.
Mais, je m’arrête, Mademoiselle, car on ne peut rien apprendre en amitié, à l’amie de la comtesse de Loewenstein. Je suis obligée de vous quitter pour une malheureuse Émigrée qui a besoin de moi. Adieu, Mademoiselle, je vous renouvelle avec un plaisir extrême, l’assurance de la tendre amitié que je vous ai consacrée pour ma vie.
Permettez qu’en faveur de l’ancienne connaissance, le comte de Longueil vous offre l’hommage de son profond respect.
