P. F. Fauche et compagnie (Tome IIIp. 36-38).


LETTRE LXXXVII.

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La Duchesse de Montjustin
au
Marquis de St. Alban.


Il faut, mon cher cousin, que je vous donne un avis dont vous me saurez gré, si vous êtes raisonnable, comme je le crois. La Baronne de ****, dont vous connoissez les prétentions au bel esprit, s’est mis dans la tête de jouer la comédie, et je sais qu’elle compte sur vous et la Comtesse pour les rôles de Zaïre et d’Orosmane. Le Commandeur ne manquera pas d’adopter cette idée et d’user de tout son ascendant sur sa nièce pour se procurer le plaisir de la voir applaudir. Si cette proposition est faite, la Comtesse éprouvera un grand embarras, d’avoir, ou à contrarier son oncle, ou à se trouver en scène avec vous. Comme vous êtes l’acteur sur lequel on compte le plus, le projet n’aura pas lieu si vous refusez. Vous avez un motif bien légitime comme Français. Il ne serait pas besoin de vous rappeler ce que ce nom impose dans les circonstances actuelles ; mais le plaisir de pouvoir exprimer ses véritables sentimens, en n’ayant que l’air de jouer un rôle, l’intimité que donnent les répétitions, la douce nécessité de se voir souvent ; tout cela peut faire oublier quelque temps à un homme amoureux, ce que la bienséance exige. Prévenez donc d’avance la Baronne, ou permettez-moi de lui dire qu’il est impossible, quelque peu nombreuse que soit l’assemblée, qu’un Français, dans les tristes conjonctures où nous sommes, paraisse sur un théâtre. Adieu, mon cher cousin, répondez-moi au plutôt je vous prie, et aimez toujours votre cousine, qui le mérite bien par son tendre attachement.

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