P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 91-95).


LETTRE XLVI.

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la Cesse de Loewenstein
au
Marquis de St. Alban.


Quel siècle que celui où nous vivons, monsieur le Marquis, et combien il rassemble d’infortunés et de scélérats, de crimes et d’actes héroïques. La situation du malheureux général que vous avez si généreusement secouru, et celle de sa petite-fille, dévouée si jeune à ce que l’adversité a de plus cruel et de plus humiliant, m’ont vivement touchée, et je vous remercie d’avoir songé à moi pour contribuer à adoucir leur sort. Mon oncle partage l’intérêt qu’inspire une aussi déplorable situation ; mais il s’est récrié avec une sorte d’indignation, sur l’idée de mettre en service la fille d’un homme de qualité. Le Commandeur de Lœwenstein, a-t-il dit, rougirait de dégrader une infortunée en voulant la secourir. Il entre en colère au mot de femme de chambre : elle sera, si je le puis, dit-il, fille d’honneur de quelque princesse ; et en attendant, il aura soin de la placer convenablement dans un couvent de Mayence. Que diraient les Démocrates, a-t-il ajouté, en voyant ces Aristocrates, si fiers suivant eux, borner leur générosité pour leurs semblables à l’offre d’une infâme servitude. Je viens d’écrire par ses ordres à une de mes amies, de retenir une place pour une pensionnaire dans un couvent où j’ai habité pendant un voyage de ma mère en Westphalie. Mon oncle, monsieur le Marquis, se charge de tous les frais nécessaires pour l’installer, et de pourvoir au payement de la pension qui est peu considérable ; ainsi, au moment où elle perdra son malheureux aïeul, envoyez-moi cette pauvre orpheline, et ayez la bonté pour satisfaire mon oncle, de me faire remettre en même temps tous les renseignemens, titres, brevets qui peuvent servir à constater sa naissance, et son rang. Mon oncle vous prie de permettre qu’il s’associe à vous pour procurer au malade tous les secours qu’exige son état. Je joins donc ici, par ses ordres, trente ducats et vingt autres que nous désirons, ma mère et moi, être employés à habiller la jeune personne. Madame la duchesse de Montjustin voudra bien se charger de ce soin ; mais pour le moment nous pensons qu’il faut se borner à ce qui est exactement nécessaire, parce qu’il paraît qu’elle est menacée d’avoir bientôt besoin d’un habit de deuil. Mon oncle vous prie d’excuser, s’il ne vous envoie pas une plus forte somme en ce moment ; mais vous pouvez compter sur lui pour pourvoir à tout ce qui sera nécessaire à la jeune personne. Je sens que vous devez, monsieur le Marquis, éprouver un grand regret d’être obligé de recourir aux autres pour secourir des malheureux, et que ce n’est pas ce que votre situation a de moins sensible pour un cœur comme le vôtre. J’espère que nous aurons bientôt le plaisir de vous revoir, et nous pourrons alors arranger tout ce qui concerne votre petite protégée à qui ses malheurs, et l’intérêt que vous y prenez assurent tous les services qui peuvent dépendre de nous. J’ai l’honneur d’être etc.

P. S. Vous trouverez quatre ducats de plus, que j’ose vous prier de remettre à ce bon nègre pour s’habiller, et je suis persuadée que vous ne trouverez pas ce soin au-dessous de vous.

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