P. F. Fauche et compagnie (Tome Ip. 229-232).


LETTRE XXV.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


La marchande de fleurs est, ma chère Émilie, l’intime amie de ce Président, dont nous parle si souvent le Marquis ; il me l’avait peint comme un des sept sages de la Grèce ; mais les sages sont donc aussi sensibles à l’amour ; car je crois que le Président a été plus que l’ami de la Duchesse, et que leur liaison a pris avec le temps la couleur de l’amitié ; ne pourrait-on pas appliquer à un tel sentiment ce que dit le célébre fabuliste des Français. C’est le soir d’un beau jour. Cette comparaison ne serait pas moins juste que l’autre ; car les belles soirées succèdent à des chaleurs brûlantes. Il y a long-temps que la Duchesse a perdu son mari, ainsi je ne lui fais pas de tort en supposant qu’elle ait aimé un homme estimable. La Duchesse a montré une grande satisfaction en apprenant que le Président avait échappé aux fureurs démocratiques, et qu’il était dans une situation supportable du côté de la fortune. Le Parlement a été presque entièrement immolé, et le Président, à ce qu’elle m’a dit, était un homme trop marquant par sa naissance, ses talens, et enfin par son zèle, pour n’avoir pas été une des premières victimes. Je n’ai pu m’empêcher de dire à madame de Montjustin que je voudrais être à sa place, pour jouir d’un bonheur aussi vif. Elle m’a répondu en m’embrassant, et a eu l’air de s’attendrir sur moi. Je ne saurais vous exprimer ce qui était dans ses regards, peut-être lui en demanderai-je quelque jour l’explication. Le Marquis est heureux dans les personnes de son ami et de sa cousine. Je crois qu’il les regarde aussi avec la même envie que moi ; car son ame est sensible et je vous avouerai que je n’ai trouvé que lui qui m’ait parlé sentiment d’une manière attachante et vraie. La plupart des hommes cherchent à montrer de l’esprit lorsqu’ils en parlent, ou bien s’expriment avec une chaleur exagérée. On voit que ce que dit le Marquis part de l’ame, et on le croirait profondément sensible au seul son de sa voix, à la manière dont il prononce le mot d’aimer. Adieu, ma chère amie, raisonnez sur tout cela à votre charmante manière, votre Victorine vous embrasse mille et mille fois.

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