Éditions La Belle Cordière (p. 21-36).

II


Mme Bompel était de ces mères, qui estimaient que la religion devait s’imposer dans la vie de l’enfant, comme une nourriture essentielle, et non enseignée à un âge déterminé, comme il eût pris un aliment accidentel. La logique émanait de cette mère. Du moment qu’elle voulait faire de son fils un chrétien, elle en prenait les moyens, pour ne pas avoir plus tard un reproche à entendre : « Pourquoi n’ai-je pas su plus tôt que telle chose était un péché ? »

Aussi, dès que Nil eut trois ans, sa mère lui apprit-elle les principes fondamentaux du catéchisme.

À cet âge, il ne posait pas encore beaucoup de questions, et se contentait d’enregistrer, mais à mesure que le temps passait, ses idées s’exprimaient.

Un jour, il demanda :

— Un chrétien est un petit garçon qui ne doit pas faire de péchés… mais un péché, qu’est-ce que c’est ?

— C’est faire le mal.

— Et le mal… qu’est-ce que c’est ?

— Être gourmand, désobéir à ses parents, dire un mensonge, être méchant.

Nil réfléchit un moment, puis dit :

— Et le petit Jésus voit tout cela ?

— Mais oui… quand tu me désobéis, il l’inscrit dans un grand livre et plus tard, il te le racontera…

— Oh !…

Nil parut assez décontenancé devant cette perspective et, après un moment de silence, il murmura :

— Il y a beaucoup d’enfants dans la ville, et sûrement il oubliera quelques péchés…

— Jésus voit tout, trancha sévèrement Mme Bompel, et puis il y a ton ange gardien qui ne te quitte pas. Il a une mémoire excellente et il fera son rapport au Bon Dieu…

— Ce n’est pas beau de rapporter.

— Quand il s’agit d’un ange qui veille sur vous, pour votre bien, ce n’est plus rapporter, mais conduire.

Nil n’insista plus. Il dit à sa mère :

— Il faut que j’aille à mes affaires…

Phrase entendue et répétée à propos.

Ce jour-là, « ses affaires » représentaient un jeu de patience dont il reconstituait les morceaux. Quand il voulait rester en repos, il n’aimait rien autant que cette occupation. Cependant, cette fois, il était assez distrait par la pensée de son ange gardien, et il regardait souvent à droite et à gauche pour essayer de l’apercevoir.

Un jeune ami survint, qui, turbulent et volontiers taquin, bouscula les pièces laborieusement placées. Nil eut un réflexe fâcheux : il gifla son camarade qui hurla comme un fauve.

— Tais-toi donc, dit Nil, mon ange gardien va te faire une scène…

L’autre s’arrêta net. Sa mère ne lui avait pas encore infusé la science que possédait Nil.

— Qui c’est ? questionna-t-il.

Et Nil, qui avait près de cinq ans à l’époque, s’improvisa professeur.

— C’est un ange… tu sais ce que c’est ?

— Oui… à l’église, on en voit qui ont des ailes…

— Eh ! bien, tous les petits garçons en ont un qui ne les quitte pas. On ne le voit pas et on ne l’entend pas. On se dit : « Tu peux tremper ton doigt dans la confiture, personne n’est là pour le raconter. » Ah ! ouiche ! mon vieux. Ton ange est là qui marque sur son calepin pour le montrer au petit Jésus.

L’autre écarquilla des yeux énormes et il bégaya, épouvanté :

— Comment sais-tu ça ?

Nil répliqua d’un air supérieur :

— Tout le monde sait ces choses… Tu ne causes donc jamais avec ta mère ?

Le jeune ami n’était pas au niveau de l’intelligence de Nil et il ne sut que répondre.

Quand il fut parti, Nil confia à sa maman :

— Je crois que je n’ai pas été chrétien, cet après-midi.

— Pourquoi donc, mon chéri ?

— J’ai giflé Robert.

— Oh ! c’est très laid.

— Il a commencé. Il a bousculé mon puzzle que j’avais bien avancé. Un bon chrétien, qu’aurait-il fait ?

— Il aurait eu de la patience et aurait continué son jeu un peu plus tard…

— C’est bien ennuyeux, maman, d’être chrétien…

— Mais, tu gagnes une bonne place au Ciel…

— Une bonne place… une bonne place… c’est vite dit.

Mme Bompel, prévoyant que les questions allaient se succéder, crut prudent de brusquer l’entretien.

— Ton papa va rentrer pour diner, va te laver les mains et te donner un coup de brosse…

— Un mot encore, maman… Pourquoi mon ange gardien n’a-t-il pas empêché Robert de me taquiner ?

— Parce qu’un ange gardien doit laisser un petit garçon choisir entre le bien et le mal. Robert, j’en suis sûre, ne s’est pas vanté de sa gifle, parce qu’il a compris qu’il avait mal agi envers toi.

Cette pensée tranquillisa Nil, et il dit :

— Je suis bien content que Robert sache qu’il a été méchant… et je ne le veux pas à côté de moi au Ciel… Ah ! voici papa !…

Naturellement, Nil raconta cet épisode à son père, puis il termina son récit en ajoutant :

— Le Bon Dieu n’aurait pas dû fabriquer des méchants… on serait bien plus tranquilles…

— C’est pourquoi il faut prier pour que chacun devienne gentil, répondit son papa.

— Tu verras alors comme je ferai des prières, à la messe, dimanche… le Bon Dieu en sera tout… comment as-tu dit hier soir, en parlant du frotteur ?

— Tout sidéré ?

— C’est ça !

— On ne parle pas ainsi du Bon Dieu, observa Mme Bompel. Avant tout, il faut le respecter et user de mots plus conformes à sa dignité.

Nil ne répondit rien et se contenta de regarder sa mère fixement, comme s’il voulait se rendre compte de l’importance de ses paroles.

Son esprit emmagasinait beaucoup de choses, et quand il désobéissait, il analysait son péché.

Il dit un jour à sa mère :

— Tu m’avais défendu d’ouvrir le placard aux confitures, mais je l’ai ouvert…

— Que c’est mal !

— Non, maman… parce que je n’ai rien pris… Je voulais voir les couleurs simplement, et savoir ce qui pourrait me servir pour une peinture que je fais… Je crois que ce sera le cassis… Mon ange gardien ne m’a pas averti, et il a fallu que je crève un peu le papier, pour passer mon doigt dans le pot… Cela marquera bien… La groseille est trop pâle et ne donne rien… Alors, maman, veux-tu me donner un pot de cassis ?… Ce que je n’userai pas, servira pour mon dessert… Tu vois que je suis gentil !

Mme Bompel essaya d’une réprimande, mais elle comprit rapidement qu’elle ne la faisait pas avec conviction. Ce que Nil présentait avec tant de sincérité prouvait sa bonne foi. Cependant, il ne fallait pas lui laisser autant d’indépendance.

— Je te donnerai une demi-cuillerée de cassis pour ta peinture, mais tu n’auras pas le restant du pot. Il faut que tu sois puni, pour être allé dans le placard sans permission.

— Tu étais sortie, maman !

— Il fallait attendre mon retour…

— Et je n’aurais rien fait, durant toute la journée ?

— Tu aurais trouvé une autre occupation… enfin tu m’as désobéi… et tu sais ce qui arrive ? je t’ai raconté la lamentable histoire d’Adam et d’Ève…

— Oui, mes arrière-grands-parents…

— Justement… tu te souviens de leur désobéissance ?

— Oui, ils ont mangé un arbre, et le Bon Dieu les a chassés du paradis.

— Ils ont mangé du fruit de cet arbre que le Bon Dieu avait défendu de toucher…

— Oui, ils n’ont pas réfléchi, murmura Nil.

— Et toi, as-tu réfléchi, en allant au placard pour glisser ton doigt dans un pot de confitures ? Je suis sûre que tu l’as léché !

— Ça, non !… je n’ai rien mangé.

— Aussi, je ne te chasse pas du paradis.

— Où est-il ton paradis ?

— Pour le moment, c’est notre maison, où nous vous gâtons, ton frère et toi…

— Ah !…

Cette nouvelle méritait quelque réflexion et le petit Nil se tut pendant au moins deux minutes. Assis sur un petit tabouret, il méditait, quand il reprit l’entretien :

— Je voudrais que tu me racontes encore pourquoi les deux frères Ecob et Jasu se sont bourrés de lentilles.

— Tu veux parler d’Esaü et de Jacob ? Comme tu écorches les noms, mon pauvre mignon !… Esaü avait très faim et quand il a vu que Jacob mangeait un plat de lentilles, il a dit à son frère : « Donne-moi ton plat et je te laisserai mon droit d’aînesse »…

— Qu’est-ce que ça veut dire : droit d’aînesse ?

— Dans ce temps-là, le frère aîné, c’est-à-dire le plus âgé, avait des droits que le plus jeune ne possédait pas…

— Je ne comprends pas.

— Eh ! bien, si les parents avaient des troupeaux, c’était à l’aîné que les parents les donnaient.

— Oh ! Et si le père avait une automobile ?

— Eh ! bien, le frère aîné la prenait.

— Oh !

Nil était indigné.

Le dîner fut servi. Le père, la mère et les deux garçons prirent leurs places. On apporta le potage, puis un plat de lentilles. Or, Nil ne les aimait pas. Tendant son assiette à son frère, il dit :

— Tiens… mange mes lentilles et tu me donneras ton droit d’aînesse…

M. Bompel fut interloqué, mais Mme Bompel ne put s’empêcher de rire de cette leçon si vite appliquée. Elle donna des explications à son mari qui, tout en se doutant de l’histoire, voulait en entendre les détails. Quand Mme Bompel eut fini de parler, il dit à ses fils :

— Nous ne sommes plus sous le régime de ces temps lointains. Maintenant, les parents partagent leurs biens en parties égales entre leurs enfants.

— Une automobile ne peut pas se couper en deux… comment feras-tu ? demanda Nil.

— Nous avons le temps, je l’espère, de résoudre ce problème… En ce moment, nous sommes à table pour nous alimenter, et n’oublie pas de manger ce que l’on te sert…

Ainsi rappelé à l’ordre, Nil se tut.

Cependant, les leçons de catéchisme et d’Histoire Sainte se continuaient, variées, à des distances raisonnables pour ne pas fatiguer le cerveau de l’élève. Les moments étaient saisis au vol, quand le petit garçon, câlin, s’approchait de sa mère pour solliciter une « histoire ».

Elle lui raconta celle d’Abel et de Caïn et il en fut terrifié.

— Mais ce Caïn était vraiment très méchant !

— Oui… très méchant.

Le soir, Nil regarda son frère avec un visage si scrutateur que son aîné lui dit :

— Tu me trouves donc tellement changé que tu ne me quittes pas des yeux ?

— Oh ! non… je me demande seulement si tu voudrais me tuer ?

— Oh ! par exemple ! quelle idée ! et pourquoi ?

— Parce que maman est bien gentille avec moi et que tu pourrais devenir jaloux… et si tu savais ce que peuvent faire les jaloux…

À cette déclaration si franche, Jean éclata de rire, en s’écriant :

— Je ne suis pas un Caïn et il n’y en a pas beaucoup sur terre, rassure-toi !

Jean avait tout de suite deviné qu’une leçon d’histoire sainte avait marqué son empreinte sur l’esprit de Nil.

Cependant les mois passaient et vers l’âge de six ans, Nil fut prévenu qu’il ferait sa communion privée l’année suivante. Sa mère avait eu un peu de mal à lui faire comprendre ce qu’était Dieu. Pourtant, il fallait approfondir les premières données et instruire ce jeune cerveau du grand acte auquel il participerait.

— Tu recevras le petit Jésus dans ton cœur… Tu sais qu’il est venu sur terre parce que les hommes avaient désobéi au Bon Dieu… Il s’est laissé attacher à une croix pour y mourir, pour réparer les fautes des méchants… Tu sais que le bon Jésus est le fils du Bon Dieu et que la Sainte Vierge est sa maman… Quand on est un petit garçon sans péchés, on reçoit le petit Jésus à l’église, agenouillé à la table de communion…

Nil ne comprenait pas bien ces choses, étranges pour un enfant de six ans, aussi averti qu’il fût déjà des questions religieuses.

— Mais, maman, comment veux-tu que j’avale le petit Jésus… Tu m’as montré des personnes devant la balustrade, mais je n’ai vu que M. le Curé qui passait devant elles, avec une coupe et un petit rond blanc…

— Ce que tu appelles sans respect un rond blanc est une hostie consacrée qui représente le corps de Jésus.

— Ah ! bon… murmura Nil. Jésus devient invisible aussi, comme le Bon Dieu ?

— C’est bien cela. Quelquefois, il se trouve des personnes très pieuses à qui Il se montre.

— À moi, Il se montre ! s’écria Nil. Je le vois à Noël ! Il reviendra peut-être un autre jour. Je serai si sage qu’Il dira : « Je vais aller voir ce garçon ».

Mme Bompel ne répondit pas, parce que Nil reprit tout aussitôt :

— Je comprends très bien que Jésus ne peut se montrer à tout le monde, ni se faire manger, alors, Il envoie des hosties… C’est comme papa quand il est en voyage : il envoie des lettres… C’est lui et pas son corps. Eh ! bien, maman, je serai très sage.

Nil tint parole. Pendant une année, il essaya de réfréner ses malices et d’être obéissant. Cela n’alla pas sans quelque révolte due à son caractère indépendant. Pourtant, on n’avait qu’à lui rappeler sa communion prochaine pour qu’il s’arrêtât dans quelque entreprise hasardeuse.

Un jour, il voulut descendre de la maison par la fenêtre, parce qu’il voyait des pierres saillantes qui lui semblaient aussi commodes qu’un escalier. Il enjamba l’appui, et d’un pied, il tâtonnait déjà au dehors, cherchant une saillie, quand sa mère le surprit.

— Malheureux, que fais-tu ?

— Je descends…

Rapide, sa mère l’avait saisi tout en parlant, et tremblant de frayeur, le déposait à terre.

— Tu n’as donc pas pensé que tu pouvais tomber et te tuer ?

— Eh ! bien… eh ! bien, et Jésus ? Et mon ange gardien ? Ils ne m’auraient pas aidé ?

— Mais tu étais en état de péché de désobéissance !

— Tu m’as donc défendu de descendre par la fenêtre ?

Mme Bompel se mordit la langue, mais elle eut la présence d’esprit de répondre :

— Ne t’ai-je pas interdit de sortir sans ma permission ?

— C’est vrai, convint Nil, baissant la tête, je n’y ai plus pensé…

Durant quelques minutes, il resta muet de confusion, puis il demanda :

— Et alors… le Petit Jésus, que va-t-il se figurer sur moi ?

— C’est ce qui me tourmente.

— Tu conviendras, maman, que c’est tout de même un peu gênant qu’il sache tout !

— Ce n’est gênant que pour les petits garçons qui agissent mal, répondit Mme Bompel sévèrement.

— Je suis pourtant bien gentil, murmura Nil pensivement, mais de temps à autre, j’ai une idée qui est mauvaise. Crois-tu que je serai pardonné ?

— Si tu dis un acte de contrition bien sincère…

— Oh ! tout de suite !

Ainsi se terminaient les incartades de Nil.

Un jour, sa maman lui dit :

— Tu sais que tu dois te confesser avant de recevoir le petit Jésus. Je t’ai expliqué ce qu’était la confession.

— Oui… et je trouve que c’est bien ennuyeux !

— Assurément, c’est une mortification, mais il faut en passer par là, pour que notre orgueil soit abaissé…

— Jamais je n’oserai tout dire à M. l’abbé.

— Tu as donc commis de grosses fautes ?

— Je ne sais pas si elles sont grosses, mais il y en a que je n’aime pas.

— Oh ! oh ! tu les diras en premier.

— J’ai souvent pensé que M. l’abbé n’était pas beau et que son nez bourré de tabac me donnait mal au cœur… Comment avouer ce péché-là ? Tu le dirais, toi ?

Mme Bompel était assez embarrassée et elle cherchait un biais, quand Nil reprit :

— Un jour, j’ai pincé Jean parce qu’il ne voulait pas me prêter son crayon… Il a eu un bleu, un grand ! Une autre fois, je voulais absolument que papa soit mort pour que j’aie davantage de crème à la vanille, je trouvais qu’il en prenait trop.

— Oh ! mais c’est horrible ! Tu es un affreux enfant ! Jamais je n’aurais cru cela de toi ! Ce sont des péchés terribles, une pensée de Caïn, gourmandise en plus !

— Non, maman, tu te trompes : papa n’est pas mon frère et je ne voulais pas le tuer, oh ! non, mais seulement qu’il ne soit plus là, le jour de la crême.

— Je vois que tu as grand besoin de blanchir ton âme. Tu écriras tous ces péchés et j’espère qu’avec un sincère repentir, tu auras l’absolution.

— C’est pénible d’avoir à dire tout !

— Mais tu seras soulagé, parce que tu dois être ennuyé d’avoir eu ces idées ?

— Oh ! oui, je sentais que ce n’était pas beau.

Le jour solennel arriva et le bon petit en était fort ému. La veille, il avait dit :

— Alors, c’est demain, maman ?

— Oui, mon enfant.

— Tu seras près de moi et tu me passeras le plateau.

— Oui… et tu n’oublieras pas de le passer à la personne qui sera à côté de toi.

— Ce sera mon papa… ce qui sera bien commode.

— Oui, et Jean sera de l’autre côté.

— Il faudra que je tire un peu la langue, comme ça ?

— Oui…

— Il y aura assez de place pour y déposer le Petit Jésus ?

— Certainement, mon chéri… Maintenant, dors bien parce que tu te lèveras un peu plus tôt demain.

— Oui, maman.

Nil, cependant, ne s’endormit pas aussi vite que les autres soirs. Il était très surexcité par l’acte qu’il accomplirait le lendemain. Il n’était pas certain d’être dans d’assez bonnes dispositions pour recevoir son Dieu. Il répétait son acte de contrition et il tomba dans le sommeil en en murmurant les paroles.

Il se réveilla, dispos. Sa mère était auprès de son lit, et avant même de lui dire bonjour, il s’écria :

— C’est aujourd’hui !

— Oui, mon chéri…

— J’ai un peu peur, maman… Si j’allais ne pas pouvoir ouvrir la bouche ?

— Mais si… tu pourras…

— Et si je commettais un péché mortel avant d’arriver à la table de communion ?

— Ce sera impossible, mon mignon…

— Pourquoi impossible ? Je puis dire un gros mensonge…

— Il ne faut pas penser à tout cela, mais t’habiller rapidement.

— Et déjeuner !

— Déjeuner ! À quoi songes-tu ?

— Oh ! pardon, maman ! Tu vois, j’allais commettre un gros péché ! Tu n’aurais pas été là, je mangeais mon chocolat !

— Oh ! non… il n’était pas prêt… et puis tu aurais réfléchi… Avant de toucher ta cuillère, ton ange gardien t’aurait averti…

Nil accepta ces paroles pleines de réconfort, mais il s’en voulait de cette malencontreuse étourderie, et il en était mortifié. Il se croyait indigne de la cérémonie à laquelle il s’était préparé avant tant de zèle. Il reconquit cependant sa tranquillité et il marcha silencieusement jusqu’à l’église entre son père et sa mère.

Quelque vingt minutes après, ce fut un petit garçon à l’aspect séraphique qui vint se rasseoir à sa place.

Et quand il rentra dans l’appartement, ce fut à peine s’il osa bouger.

Il resta un bon moment devant sa tasse de chocolat sans y toucher.

Sa mère lui dit :

— Tu as été bien recueilli, mon mignon…

— Je voudrais rester toujours comme aujourd’hui…

— Il ne tient qu’à toi…

— J’ai peur que non… Je crois que chez les garçons, il y a toujours un petit diable qui se bat avec l’ange gardien.

— Il faut le chasser en pensant à Jésus. Maintenant, mon chéri, mange, tu dois avoir faim.

— J’ai très faim… mais j’ai peur de brûler le cher petit Jésus qui est dans mon cœur. Je le sens encore là… et s’il avait mal ?

Mme Bompel essaya de persuader son fils de n’avoir aucune crainte.

Timidement, il porta la cuillère à ses lèvres. Il agissait avec précaution et un soin touchant. Tout en mangeant, il décrivait les sensations éprouvées.

— Quand je suis allée à la table de communion, je tremblais un peu et j’aurais voulu dire mes péchés tout haut. Et puis, j’ai pensé que le Bon Dieu me pardonnerait… puis je ne sais plus… ma tête était toute brouillée. Je t’ai suivie, maman, et je ne pouvais plus penser. Quand M. le Curé s’est approché de moi, j’ai senti du froid dans mon dos. Heureusement, j’ai pu tirer la langue à temps.

Le chocolat disparaissait petit à petit. Quand il fut terminé, Nil demanda doucement :

— Je voudrais t’aider à quelque chose, maman…

— Je n’ai rien à faire qui soit de ton ressort.

— Et toi, papa ?

— Veux-tu mettre mes lacets neufs à mes chaussures ?

— Bien sûr !

Nil effectua cette besogne avec la conscience qu’il apportait à toutes choses.

Ensuite, il s’occupa de son mieux, se retenant de chanter comme il en avait l’habitude, de façon à faire un sacrifice.

La journée se passa dans des distractions austères. Il apprit ses leçons pour le lendemain, recopia ses devoirs et ne taquina pas son frère.

Ses parents n’eurent que des compliments à lui faire, le soir, quand il les embrassa en se couchant.

— Je suis aussi assez content, répondit-il, mais cela a été dur. Je vous avouerai que la vie n’a pas été amusante pour moi, aujourd’hui, mais j’ai été soutenu par l’espoir d’avoir une meilleure place Là-Haut…