L’Église libre dans l’Europe libre/01

L’Église libre dans l’Europe libre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 52 (p. 5-36).
L’ÉGLISE LIBRE
DANS L’EUROPE LIBRE

I
LES PRÉLUDES DES LIBERTÉS NOUVELLES

L’AUTRICHE ET ROME


Elle aussi, la vieille Église, elle bénéficiera de la libération de l’Europe. Les Empires écroulés pesaient sur elle d’un poids très lourd. Ils se donnaient l’air, parfois, de vouloir la protéger ; mais leurs gestes enveloppants lui présentaient des chaînes, et leurs avances expiraient en menaces. Ils eussent aimé qu’elle les aidât à sceller d’autres servitudes, et qu’elle consentît tout d’abord à la sienne. Ayant inhumé, vivante, la catholique Pologne, ils montaient bonne garde, de génération en génération, pour qu’aucun soubresaut de vie ne disjoignit les pierres du sépulcre ; et leurs diplomates fronçaient le sourcil lorsqu’ils voyaient la Papauté pleurer sur la Pologne, se rappelant que devant la tombe de Lazare quelques larmes, jadis, avaient vaincu la mort. C’est pour l’Eglise une consigne divine d’aller et d’enseigner toutes les nations ; mais lorsqu’elle voulait, conformément à cet ordre, s’en aller vers des millions d’âmes slaves, et les enseigner, son chemin s’encombrait d’obstacles, avoués ou déguisés, dont les uns s’opposaient à ses méthodes d’apostolat, et les autres à sa mission même d’apôtre. De ces omnipotences gênantes, il reste aujourd’hui des décombres. On les déblaie : au delà, les routes sont ouvertes ; et les seules barrières avec lesquelles l’Église doive désormais compter sont celles que pourra toujours lui opposer la liberté des âmes individuelles, barrières que Dieu respecte comme il respecte cette liberté.

Les bonnes fortunes politiques surviennent rarement comme une grâce : on ne les recueille en général qu’après les avoir méritées ; elles sanctionnent la patience de l’effort et la ténacité des vœux. L’Eglise romaine n’échappe pas à cette loi. C’est après avoir d’elle-même, par des initiatives lointaines ou récentes, commencé de secouer certains jougs, qu’elle a vu la grande guerre achever de les briser. Les victoires du monde latin et du monde anglo-saxon, la prépondérance du droit et les aspirations vers une paix organisée, ont soudainement rapproché de nous certains horizons vers lesquels de longue date l’Eglise s’acheminait : elle travaillait, lentement, patiemment, pour de lointains surlendemains, qui, tout d’un coup, vont devenir le présent. Un coup d’œil sur ces discrets préludes nous montrera dans l’Eglise la première ouvrière de ses propres destinées, et nous éclairera ce qui demeure encore obscur dans les prochaines aurores.


I. — CE QUE L’AUTRICHE AURAIT DÛ ÊTRE : CE QU’ELLE ÉTAIT

Au delà d’Austerlitz, au delà des ruines du vieux Saint-Empire romain germanique, l’Empire des Habsbourg traînait une existence qu’il eût voulue stationnaire, et qu’agitait et qu’ébranlait la marche même de l’histoire. Les archaïques décors dont jusqu’au bout s’enveloppèrent ses destinées perpétuaient l’image pâlie d’un beau rêve : le rêve de la « chrétienté, » le rêve d’un Imperator pacificus, planant sur la diversité des peuples, les harmonisant, les unissant.

Une dernière fois, en 1849, peu de temps après l’avènement de François-Joseph, des lèvres ecclésiastiques formulèrent le beau rêve : les évêques réunis à Vienne, dans une lettre solennelle, définissaient au souverain sa haute mission « de fortifier, de rajeunir, de réunir en une véritable ligue fraternelle les divers peuples groupés autour du trône[1]. » Tel était le programme tracé par l’Eglise ; et voici tout de suite, à rencontre, la maxime de gouvernement des Habsbourg, telle que l’avait énoncée l’empereur François II :

« Mes peuples, disait-il, sont étrangers les uns aux autres, et c’est tant mieux. Ils ne prennent pas les mêmes maladies en même temps. Je mets des Hongrois en Italie et des Italiens en Hongrie, chacun garde son voisin. Ils ne se comprennent pas et se délestent. De leurs antipathies naît l’ordre, et de leurs haines réciproques la paix générale. »

C’était sa façon, à lui, d’être l’Imperator pacificus, et de réaliser dans les faits la resplendissante parole du pape Urbain IV, invitant les empereurs de jadis à « faire asseoir le peuple chrétien dans la beauté de la paix. » Pour que l’Autriche soit bien gouvernée, reprenait sous François-Joseph le comte Taaffe, « il faut que personne ne soit content. » C’est en organisant et en régularisant la guerre intestine entre ses diverses populations, en acceptant le bras du Croate contre la révolte du Magyar et puis en imposant le joug magyar aux épaules croates, en excitant l’Italien contre le Slave et le Slave contre l’Italien, et même, parmi les Slaves, le Croate catholique contre le Serbe orthodoxe ; c’est en cultivant savamment et méthodiquement les haines, que la dynastie des Habsbourg prétendait vivre. Montalembert la qualifiait, dès 1832, de » grande prêtresse de l’oppression[2]. » Silence aux principes du vieux droit public chrétien, à la notion thomiste de l’ordre, — cette « tranquillité dans la justice, » — à l’aspiration franciscaine vers la paix, cette « unité dans l’amour ! » Sous les auspices du sceptre impérial, l’ordre et la paix, tels qu’on les concevait à Vienne, avaient pour base la haine. Avec ses diverses nationalités longuement et fidèlement éprises du même prince l’Autriche pouvait être le champ d’expériences où les antiques maximes de la chrétienté eussent repris une vertu nouvelle : de cette vieille Europe chrétienne, une et diverse, elle était tout ce qui subsistait ; mais, grâce aux procédés gouvernementaux des Habsbourg, cette survivance avait l’aspect d’une caricature.

L’Eglise est patiente, et ses liturgies continuaient de recommander aux prières cet empereur François-Joseph à qui jadis les évêques de son Empire avaient si vainement formulé la devise d’un grand règne, mais l’Eglise constatait qu’héritière infidèle de la défunte chrétienté, l’Autriche avait cessé de défendre le nom chrétien. On avait en juin 1861 porté la croix devant le Habsbourg, dans les rues de Budapest ; et lorsque le jeune souverain qui venait ceindre la couronne de Saint Étienne, s’élançant à cheval sur le monticule où cinquante mottes de terre symbolisaient les cinquante comitats du royaume, avait fendu l’air de son épée dans la direction du Nord et du Sud, de l’Orient et du couchant, ce geste fringant et solennel avait évoqué les gloires d’une Hongrie bientôt millénaire, rempart de l’Europe contre l’Islam. Mais dix ans plus tard ces mêmes Magyars, qui avaient environné de cette pompe quasi sacerdotale cette façon de renouvellement des vœux de la Hongrie, se déchaînaient en faveur du Turc contre les chrétientés slaves des Balkans, et l’année 1877 voyait d’étranges souscriptions s’organiser dans Budapest pour armer d’une épée d’honneur le général de l’Islam qui avait vaincu le prince Milan. Moins de quarante ans se passaient, et l’un des buts de guerre imposés à François-Joseph par Guillaume II était de confirmer l’échec des croisades en maintenant le Grand Turc en possession des Lieux Saints.


Je te retrouve, Autriche ! — oui, la voilà, c’est elle ! —
Non pas ici, mais là, dans la flotte infidèle.
Parmi les rangs chrétiens en vain on te chercha.
Nous surprenons, honteuse et la tête penchée,
Ton aigle au double front cachée
Sous les crinières d’un pacha.


Ainsi Victor Hugo stigmatisait-il la politique autrichienne, au moment de Navarin. L’aigle au double front, en 1914, avait même cessé d’être honteuse.

Dans les sphères d’Eglise, où la fidélité des imaginations répond à la longue stabilité des horizons, et où l’on a le temps d’attendre, d’espérer et de durer, certains rêvaient encore d’une Autriche idéale, qui était tout le contraire de l’Autriche réelle ; et l’Autriche de François-Joseph bénéficiait encore de l’attachement longanime qu’ils vouaient à cette construction de leur esprit, baptisée du nom d’Autriche. Le gouvernement de Vienne savait profiter de cette équivoque : par de petites habiletés, par des complaisances extérieures, il essayait de mériter à bon marché les compliments officiels de l’Eglise, et parfois il les obtenait. Il lui faisait une place étincelante sur la façade de l’État ; il l’associait à ses pompes, mais beaucoup moins à ses œuvres. Cardans ses œuvres, l’État autrichien, malgré les efforts sincères de Metternich pour amener une résipiscence, s’inspirait toujours des principes du joséphisme : il était plus religieux dans sa toilette, si l’on ose ainsi dire, que dans sa politique. Mais non plus que l’habit ne fait l’homme, la toilette ne fait l’État.

Joseph II crut autrefois duper ses sujets et duper les catholiques du dehors, lorsqu’il contraignit le pape Pie VI à glisser après coup, dans le texte d’un discours pontifical, une phrase qui célébrait l’insigne dévotion de l’Empereur à l’endroit de Dieu, et lorsque bien vite il fit traduire ce discours en plusieurs langues[3]. Dans le secret du tête à tête, il signifiait au Pape qu’on avait trouvé le secret de bien manger et de bien boire malgré les excommunications. Il parlait de supprimer le pouvoir temporel, ou de faire un schisme en Lombardie, ou de convaincre ses peuples qu’on pouvait demeurer catholique sans être romain ; et Bernis constatait qu’il ne restait au Pape d’autre ressource que celle d’ « obéir avec le moins d’humiliation possible à la loi du plus fort et du plus habile[4]. » Mais Joseph II voulait, tout philosophe qu’il fût, que le Pape le célébrât comme un empereur dévot. Il lui fallait, autour de son trône, les prestigieuses fumées d’un encens pontifical : politiquement il en avait besoin, et s’abriterait ensuite derrière elles, comme derrière le voile d’un tabernacle, pour mener à son gré son Église respectueuse et ses peuples respectueux. Ainsi voulait-il emprunter à l’Eglise elle-même l’ascendant dont il se servirait pour la combattre.

Ces mœurs lui survécurent ; la bureaucratie joséphiste prolongea Joseph II. Aux Fêtes-Dieu, chaque année, l’ombre du dais qui abritait l’Eucharistie se projetait sur la silhouette de l’Empereur, qui pieusement suivait ; mais en un jour de franchise, — c’était en 1844, — Metternich écrivait à son souverain que tandis que l’Autriche « se trouvait en état de guerre contre la Révolution, » elle était « engagée dans une guerre secrète contre l’Eglise et son siège central[5]. » Les étincelantes Fêtes-Dieu qui couvraient aux regards des peuples et parfois de l’Eglise elle-même, cette guerre secrète, n’avaient même point la vertu d’une trêve de Dieu.

Un laïque, en 1849, à la faveur des souffles révolutionnaires qui rendaient enfin à la pensée catholique, dans les États des Habsbourg, quelque liberté de parole, publia des Recherches sur la situation religieuse : c’était la première fois depuis cent ans que paraissait en terre autrichienne une revendication formelle de l’autonomie de l’Eglise[6]. « Dans mon pays je veux être Pape, archevêque, évêque et doyen, » avait dit l’empereur Rodolphe dès le XVIe siècle. — « Il faut considérer le prêtre, avait en mars 1792 décrété l’empereur Léopold II, non seulement comme un piètre et un citoyen, mais aussi comme un fonctionnaire de l’État dans l’Eglise. » L’esprit joséphiste, au jour le jour, sanctionnait et systématisait ces maximes augustes. Ses résistances occultes, puis ses manifestations publiques, paralysaient l’effet du Concordat qu’en 1855 François-Joseph signait avec Pie IX, et finalement en obtenaient la brutale abrogation.

L’Eglise d’Autriche se plaignait : un de ses évêques, Rudigier, dont Rome a plus tard instruit le procès de sainteté, fut même condamné pour s’être plaint trop haut, et puis gracié. Le joséphisme avait des griffes, qui pouvaient même caresser.

Il semblait parfois que l’État des Habsbourg, convoquant son Eglise sur les cimes mêmes du haut desquelles un département ministériel la gouvernait, lui montrât, d’un geste tentateur, les richesses qu’il lui laissait, les honneurs qu’il lui concédait : ces richesses servaient à sa charité, ces honneurs glorifiaient son Credo : que demandait-elle de plus ? Être libre, peut-être ? Mais c’était là un mot que la bureaucratie joséphiste ne comprenait point.

Là-bas, à Rome, la diplomatie autrichienne, s’empressant auprès du Saint-Siège, murmurait aux oreilles d’un Grégoire XVI ou bien à celles d’un Pie IX, en leur montrant, proche d’eux, la frémissante Italie : « Nous sommes solidaires. Très Saint-Père ; c’est moi qui vous protège. » Si Rome eût laissé faire, la protection fût bientôt devenue protectorat. Ouvrons la dépêche que recevait de Metternich, en 1831, son représentant auprès de Grégoire XVI :


Plus les intentions de l’Empereur à l’égard du gouvernement pontifical sont bienveillantes, sincères et décidées, plus nous avons le droit de nous faire écouter à Rome sur des mesures pour lesquelles on compte sur notre concours, et qui touchent à des intérêts de la nature la plus délicate et de la portée la plus étendue[7].


Metternich exigeait beaucoup. On ne le sentait qu’à demi content, en 1832, de l’encyclique Mirari vos : il aurait voulu « une condamnation plus directe de Lamennais, qu’il appelait un radical politique, et une consécration authentique et formelle des principes de la légitimité[8]. » Grégoire XVI, pour lui complaire pleinement, aurait dû modeler la théologie romaine à l’image de la philosophie politique de la Sainte Alliance.

Les débuts de Pie IX réservaient au chancelier de Vienne de bien autres déceptions. « Pas de concessions ! criait-il au Pape : vous n’en avez pas le droit ; cela ne vous conduirait qu’à une diminution des droits de l’autorité souveraine. » Et voici qu’il apprenait que Pie IX, comme le dira plus tard Lacordaire, « ressuscitait du tombeau de Paul IV, après trois cents ans, les étincelles ensevelies de la liberté italienne, et rallumait d’un bout à l’autre de la péninsule l’espérance et l’ardeur. » Un Pape, donc, » faisait du libéralisme ! » Avec rage, Metternich répétait ce mot. « Le Pape et tout ce qui l’entoure, gémissait-il, est aux ordres de la faction. C’est l’élément démocratique qui se fait jour et qui proclame Pie IX comme son génie… Les holocaustes à Pie IX sont une mode qui passera comme toutes les modes. L’enthousiasme du jour salit tout ce qu’il touche, à commencer par le nom qu’il a pris comme drapeau et enseigne[9]. »

La Révolution italienne, — pour reprendre un autre mot de Lacordaire, — devait » ne plus vouloir, bientôt, de ce Washington que la Providence avait donné à l’Italie. » Alors l’habile Autriche, exploitant cette tragique répudiation, allait persister quelque temps encore, — c’est toujours Lacordaire qui parle, — à « peser sur l’Italie d’un poids injuste et oppressif, et à peser, aussi, sur l’Eglise, en empêchant la papauté de conserver en Italie le caractère qu’elle avait toujours eu et qui la rendait chère à ses habitants[10]. » Un mot terrible de Joseph de Maistre : « Cette maison d’Autriche est une grande ennemie du genre humain, et surtout de ses alliés[11], » hantait la pensée de Lacordaire, et mettait à l’angoisse son amour pour la Papauté.

Mais la Papauté que, sous couleur de la traiter en alliée, Vienne eût volontiers dominée comme une cliente, soustrayait aux ingérences autrichiennes son gouvernement spirituel. Aux yeux d’un Metternich, ce n’était pas seulement Pie IX qui « faisait du libéralisme ; » c’étaient tous les catholiques qui, en Belgique, en France, et postérieurement en Allemagne, avaient l’idée de s’associer pour mieux défendre l’Eglise : cette mode des Vereine lui déplaisait souverainement. Prenez garde, disait-il, « ces associations ne sont qu’une copie du gouvernement de la foule par elle-même ; elles représentent les fidèles comme des corporations délibérantes… Les associations poursuivent la plupart du temps un but contraire à la vie de la société politique, et de réunions utiles elles n’ont que la forme…[12]. » Rome laissait parler, et puis elle bénissait les associations nouvelles ; et lorsque plus tard, en Prusse rhénane, en Westphalie, en Silésie, ces associations infligeront à Bismarck, au nom de l’Eglise, la seule défaite que de son vivant Bismarck ait connue, Rome put se réjouir d’avoir autrefois éconduit les suspicions réactionnaires qui se formulaient à Vienne, et qui périodiquement exprimaient à Sa Sainteté les alarmes de l’Apostolique Majesté.

Car « apostolique » elle était : ainsi l’avait, au XVIIIe siècle, décrété Clément XIII, en hommage aux temps épiques, combien lointains ! où le royaume de Hongrie était l’un des fronts de la chrétienté. Mais l’Eglise à laquelle son fondateur fit une loi d’un apostolat universel, ne trouvait en réalité, dans cette souveraineté si glorieusement qualifiée, qu’une bien médiocre auxiliaire. L’apostolat, c’est une flamme ; l’apostolat, c’est une vie ; c’est une idée qui circule, et qui s’adapte, et qui se fait toute à tous, une idée qui se dévoue, qui se propose, qui se présente, respectueuse et libre, à l’adhésion des âmes, libres elles-mêmes. Cette flamme pouvait-elle s’allumer, cette vie s’éveiller, cette idée, même, pouvait-elle prendre essor, parmi la stagnation majestueuse, assoupie, que l’État des Habsbourg prétendait imposer à l’Eglise ? Une expansion lui était permise, celle des processions ; et c’était à peu près la seule. Pie IX, en 1830, sanctionne en Grande-Bretagne, par le rétablissement d’une hiérarchie épiscopale, les magnifiques progrès du Credo catholique ; il se trouve en Europe un homme d’État pour se refuser à comprendre, pour regretter, pour voir là, peut-être, une « démarche risquée » : c’est Metternich. Aujourd’hui, écrivait en une autre circonstance une plume qui reflétait sa pensée, celle de Mélanie de Metternich, « il faut plutôt songera susciter à l’Église de nouveaux défenseurs ; quant à convertir les incrédules, c’est à mon avis une tâche inutile et même dangereuse[13]. » La vie de l’Eglise, dans cette conception, n’est qu’un perpétuel statu quo. L’apostolat est réputé « inutile ; » il est réputé « dangereux. » Et de fait, si le règne de Dieu s’envisage surtout comme une parure somptueuse, hiératique, pour le règne même des Habsbourg, et si les Habsbourg, par une peur naturelle des révolutions, sont surtout désireux d’immobilité, qu’est-il besoin de conversions, de missions, de conquêtes ?

L’État autrichien, tout doucement, berçait « son » Eglise, et parfois l’engourdissait ; et l’on s’aperçoit aujourd’hui qu’il y a un grand pays catholique dans lequel la vie des âmes ne s’est jamais épanouie en une sérieuse activité missionnaire, et que ce pays, c’est l’Autriche. Elle laissait à la France, à cette France dont Metternich redoutait si fort le mauvais exemple, le soin d’expédier aux quatre coins du monde des messagers du nom chrétien.


II. — L’ÉGLISE ET LES VIEILLES NATIONALITÉS DANUBIENNES

Mais l’Esprit, qui souffle où il veut, soufflait même en Autriche : trois siècles d’oppression germanique, fortifiée de nos jours par l’alliance de l’oppression magyare, n’avaient pu étouffer, en un certain nombre d’âmes catholiques, le sentiment des libertés nationales et l’aspiration vers le rayonnement de l’Eglise. Il y avait de tout parmi elles : des Franciscains et des Jésuites, des chanoines rentés, de pauvres jeunes clercs, quelques évêques.

Valachie, Moldavie, Transylvanie, au début du XVIIIe siècle, étaient en passe d’oublier les ancêtres latins qui, par leur sang, par leurs socs, par leurs tombes, avaient fait de ces terres des terres de « Romanie. » Dans la plaine transylvaine, que les traités de Carlowitz avaient mise sous la domination de Vienne, Saxons, luthériens et Magyars calvinistes étaient les maîtres : la timide Eglise orthodoxe ne les gênait point. Mais en face de ces oppresseurs une voix s’éleva, pour rappeler l’ancienneté des Roumains, et ce que ce sol leur devait, et leur supériorité de nombre, et leurs dons de gouvernement ; cette voix, qui réclamait qu’ils fussent reconnus, en Transylvanie, comme « nation politique, » était celle de l’évêque catholique Jean-Innocent Micu, — l’évêque Klein, comme l’on disait dans les bureaux de Vienne, où l’on germanisait son nom, faute de pouvoir germaniser son esprit. Il se dressa devant la Diète transylvaine ; au nom même du droit naturel, il plaida pour la nation roumaine. Allons donc ! l’interrompait-on, il n’y a pas de nation roumaine, il y a des Roumains, une plèbe roumaine ! On parlait d’eux comme d’une propriété ; on les proclamait « superstitieux, méchants, fauteurs de désordres, prolifiques, indignes de privilèges nationaux. » On niait qu’ils fussent un peuple : Micu, solennellement, un jour de l’année 1744, les groupant en un meeting immense, les baptisa peuple. Vienne se fâcha, le nonce s’interposa pour lui. Quand même, on fit à Micu son procès. Il s’en fut à Rome, où il mourut ; et longtemps les Transylvains qui visitaient la ville des Papes montèrent à l’église d’Ara Cœli pour invoquer dans sa sépulture ce tribun mitre[14].

Rome d’ailleurs devenait pour eux un foyer de réveil national. Quand le gouvernement de Vienne envoyait au Collège de la Propagande des clercs de Transylvanie, il les destinait, uniquement, à faire de la théologie. Mais ces clercs trouvaient à Rome d’autres leçons : ils y rencontraient un docteur dont Vienne avait tort de ne point s’inquiéter, docteur du passé et docteur de l’avenir, aux pieds duquel ils aimaient à s’asseoir : c’était l’empereur Trajan, bataillant et trônant sur les bas-reliefs d’une colonne. « Que de fois ne l’ai-je pas regardée, cette colonne merveilleuse ! » s’écriera plus tard un de ces clercs, devenu l’un des premiers historiens roumains, Georges Sincai[15].

Ces écoliers du grand empereur, rentrés chez eux, murmuraient jusqu’au delà des Carpathes, jusqu’aux oreilles des Valaques et des Moldaves, l’éclat du nom de Trajan, et les leçons qui se dégageaient de cette lointaine épopée de pierre. Ils parlaient de ce trophée du nom romain comme d’un trophée du nom roumain. Ils aidaient ainsi la personnalité roumaine à se mieux connaître et à se mieux défendre, et préparaient de longue date la déclaration que l’évêque Sulut, premier métropolitain « catholique uni » de Transylvanie entre 1851 et 1867, devait un jour faire entendre sous le joug même de Budapest. « Dans notre cœur, proclamera Sulut, ainsi que dans le cœur de toute nation envers tous les membres de leur nation, on trouve cette impulsion, ce sens surnaturel, par lequel nous aimons nos frères roumains qui habitent dans les principautés danubiennes ou dans n’importe quelle région du monde[16]. »


Durant ces dix-septième et dix-huitième siècles où le latinisme, en Transylvanie, commençait à lutter pour renaître, le slavisme, en Bohême, luttait pour ne point mourir. Le germanisme, en face de lui, faisait parade de force et parade de foi : il se flattait d’avoir vaincu Jean Huss, et s’appuyait sur cette histoire pour inculper d’hérésie le patriotisme bohème. Mais par d’émouvantes fondations, le patriotisme bohème appelait Dieu à la rescousse : il y eut à la cathédrale de Saint-Vit, à Prague, à partir de 1680, deux prêtres officiellement chargés d’implorer de Dieu « le maintien du peuple tchèque ; » et pour que leurs prières fussent ferventes et sûres, ces prêtres devaient être des Tchèques, ou bien des Polonais, ou bien des Croates, ou bien des Slovaques. Ainsi l’avait décidé le bon chanoine Péchina de Tchéchorad, dont la générosité testamentaire avait créé leurs deux prébendes.

C’était un grand savant en histoire morave que ce chanoine, qui vaillamment écrivait, au milieu du dix-septième siècle : (‘Nous autres Bohèmes, Moraves, Polonais, Croates, Russes, Vendes et autres frères du même sang, nous avouons tous unanimement pour notre commune origine l’illustre race slave. » Vers la même date, un autre prêtre prophétisait : « L’heure de joie luira après l’heure de tristesse, et la langue tchèque reconquerra la place qui lui appartient. » Celui-là était un jésuite, il s’appelait Bohuslas Balbin. La censure l’espionnait, s’interposait entre ses manuscrits et l’imprimeur. Il regardait le germanisme s’infiltrer en Bohème :


Aucun peuple, notait-il, n’émigre en aussi grand nombre que les Allemands ; ils arrivent en bandes, et il paraîtrait naturel qu’ils apprissent notre langue. Pas du tout, ils prétendent nous imposer la leur, ils sont coutumiers du fait. Leurs chances de succès seraient nulles, sans la complicité imprévue de beaucoup de Tchèques, qui les favorisent par ambition, par cupidité ou par vanité et sottise, oubliant la parole de Tacite, que c’est une part de la liberté d’être gouverné par les siens.


Vous trouvez résumées, dans ces lignes fiévreuses, toute l’histoire de la germanisation de la Bohême, telle qu’elle se prolongea pendant deux siècles après Balbin, et jusque sous François-Joseph. À ses oreilles, un de ces enragés Allemands clamait que, si l’on pouvait réunir tous les anciens Tchèques dans un sac, il faudrait les noyer. « Quels admirables pasteurs de peuples vous êtes ! ripostait le jésuite. Quel compte n’avez-vous pas à rendre à la patrie et au roi ? Des villes, vous avez fait des bourgs ; des bourgs, des hameaux ; et des villages, un amas de huttes ruinées, où végètent dans la misère des paysans à moitié nus et mourants de faim. » Et son âme se rassérénait en écrivant une apologie de la langue slave, « la seule, en dehors des langues sacrées, qu’emploie le prêtre à l’autel. »

À côté des Jésuites qui traquaient comme des porteurs d’hérésie les livres tchèques du seizième siècle, d’autres Jésuites répandaient par milliers des livres catholiques écrits en tchèque, et préparaient des traductions tchèques des Livres Saints, « Pour nos voisins et même pour beaucoup de nos compatriotes, insistait le prêtre Belskowsky, nous sommes du sel dans les yeux et une épine éternelle dans le cœur ; mais j’ai confiance dans les saints patrons, qui si souvent sont venus au secours des Tchèques contre leurs ennemis ; » et lorsque en 1725 ce prêtre mourut, il laissait une œuvre historique dans laquelle le dix-huitième siècle tchèque put se familiariser avec le passé national[17]. Avant que le siècle n’expirât, un autre prêtre, Dobrovsky, ouvrait aux Tchèques d’autres perspectives, non plus dans le temps, mais dans l’espace, en nouant avec les frères slaves de Russie des rapports scientifiques d’où sortit la philologie slave[18].


Que tous les Slaves se connussent et qu’ils se reconnussent, et que peut-être, même, ils ne formassent qu’un peuple, et que ce peuple n’eût plus qu’une seule foi, celle de Rome, voilà la pensée dont se laissait obséder, au milieu du XVIIe siècle, l’imagination laborieuse et tourmentée d’un prêtre croate résidant à Rome, Georges Krijanitch. Il sentait que sa langue était avilie, et s’imposait des « travaux herculéens » pour la réhabiliter, la rajeunir, l’enrichir, et faire du croate un instrument de science. L’œuvre se révélait malaisée. Alors Krijanitch, s’enfonçant en Russie, y promenait un double songe : le songe d’union des Eglises, qu’à Rome même il avait ébauche par un docte résumé des controverses orthodoxes ; et puis le songe d’un idiome panslave, qui emprunterait au russe, au croate, au slavon, toutes leurs richesses, grandes ou menues. En Russie, il connut les tracasseries, l’exil ; mais il ne se découragea ni d’écrire ni de forger une langue pour mieux écrire ; et le livre qui s’intitulait la Politique, et dans lequel s’essayait cette improvisation linguistique, semblait corroborer par ses lointains échos l’offensive du Tchèque Balbin contre les infiltrations des Allemands. « Ils envahissent nos pays, disait à son tour Krijanitch, sous prétexte d’y apporter les arts de la paix et de la guerre, et ils ne trouvent plus le chemin du retour. » Oui, certes, ils envahissaient, et même ils submergeaient. Krijanitch avait demandé que l’hôpital Saint-Jérôme des Illyriens, qui accueillait à Rome Croates, Dalmates, Bosniaques et Slavons, reçût aussi les Slovènes de la Carniole et de la Styrie : il n’avait pu l’obtenir. Le flot germanique dont Vienne dirigeait les courants s’étendait en incoercibles nappes sur le pays Slovène : et ce fut sans doute l’un des nombreux chagrins de Krijanitch, de redouter qu’un jour la personnalité slovène, à force d’être oubliée, ne perdît elle-même son propre souvenir[19].

Mais cent cinquante ans plus tard, Napoléon, grand éveilleur d’âmes nationales, secoua les Slaves du Sud comme il secouait le reste du monde ; et l’un d’entre eux, s’enflammant, célébra dans un même poème le magicien qui venait d’ouvrir une tombe et le peuple qui lentement en sortait.


« Napoléon a dit : Réveille-toi, Illyrie ! Elle s’éveille, elle soupire : Qui me rappelle à la lumière ?

O grand héros, est-ce toi qui me réveilles ? Tu me donnes ta main puissante, tu me relèves.

Notre race sera glorifiée, j’ose l’espérer. Un miracle se prépare, je le prédis.

Chez les Slovènes pénètre Napoléon, une génération tout entière s’élance de la terre.

Appuyé d’une main sur la Gaule, je donne l’autre à la Grèce pour la sauver. À la tête de la Grèce est Corinthe, au centre de l’Europe est l’Illyrie. On appelait Corinthe l’œil de la Grèce, l’Illyrie sera le joyau du monde »[20].

Dans cette Ode à l’Illyrie ressuscitée, le Habsbourg et le Grand Turc purent lire de futures destinées : elle préparait la Yougo-Slavie, et elle pressentait Navarin. Ce prophète, cet ouvrier d’histoire, était un moine slovène, Vodnik, fondateur depuis 1797 du premier journal populaire qu’eussent connu les Slaves du Sud.

L’Autriche apprit bientôt que le frôlement de nos armes et le lyrisme du moine avaient pour toujours réveillé les Slovènes. En 1814, un petit campagnard qui s’appelait Antoine Slomsek entrait au gymnase de Cilli : il devenait tout de suite un glorieux écolier, et lorsque l’heure fut venue de faire au professeur des compliments de gratitude, le petit garçon parla Slovène. C’était, dans le gymnase, une demi-révolution : les autres enfants lui demandèrent de devenir leur maître. Et plus tard comme prêtre, et puis comme inspecteur scolaire, et enfin comme évêque de Lavant, Slomsek demeura toujours un précieux instituteur de la langue maternelle. Poésies pour enfants et prédications pour adultes, grammaires et cantiques, se succédant sous la signature de Slomsek, attestaient son désir d’alimenter et de revivifier l’âme de tout un peuple. « Personne n’achète des livres Slovènes, » lui disaient au début les imprimeurs ; et des ordres de Vienne prohibaient l’association qu’il voulait fonder pour propager les bonnes lettres slovènes. Mais il tenait bon, créait en 1846 une grande revue annuelle, écrite en slovène, que modestement il dénommait les Miettes, — miettes de pain quotidien, de bon pain bien indigène, présentées à ses diocésains pour leurs lectures de l’année. Il devenait un auteur à la mode, un auteur à succès : les éditeurs se disputaient sa plume. Certains bureaucrates, à Vienne, souhaitaient que sur les bords de la Drave et de la Save le prêtre, en son catéchisme, employât l’allemand ; et des Slovènes se rencontraient, prompts à toutes les concessions. Un article sévère les visa, sous le titre : Blâme aux Slovènes germanisants ; il portait la signature de l’évêque. Ayant lancé cette suprême flèche aux déserteurs de la nation, Slomsek, en 1862, se reposa dans sa tombe[21].

Et bientôt, dans le clergé slovène, sous la physionomie d’un autre prêtre, un barde surgissait : Gregoriec, — c’était son nom, — commémorait, dans une de ses poésies, un certain mercredi des Cendres. Tour à tour, devant l’officiant, les fidèles avaient défilé, présentant au stigmate morose leurs fronts humiliés. Mais un personnage survenait, c’était le peuple slovène, qui ne devait plus, lui, être humilié. Et l’officiant, rejetant soudainement la soucoupe de cendres, s’écriait : « Lève-toi, mon pauvre peuple, jusqu’ici foulé aux pieds dans la poussière : ce n’est pas le jour des cendres qui est ton jour, c’est le jour de la résurrection[22]. » Vienne continuait de germaniser, mais ces voix d’Eglise donnaient l’impression, qu’à certaines heures fatidiques les pierres sépulcrales se lèvent pour les peuples, comme autrefois pour leur Dieu.

L’Autriche de 1860, qui venait de reculer, en Italie, devant la fraternité latine, vit se dresser, en plein Reichsrath, un interprète magnifique de la fraternité slave, Strossmayer : une bourgade croate, Diakovo, l’avait pour évêque. D’une voix haute, et qui portait, il réclamait l’application du principe fédératif. Il y aurait encore, sans doute, un Empire danubien, si François-Joseph avait écouté… L’âpreté des frottements avec les Magyars, que Strossmayer considéra jusqu’à son dernier jour comme une « race fière, égoïste, et tyrannique au plus haut degré[23], » ne soulevait en son âme aucune idée de vengeance, aucun désir d’installer à son tour une tyrannie : ses lettres pastorales s’inspirèrent toujours de cette pensée, que « nous ne pouvons devenir dignes de la liberté et de la culture qu’en étendant la même liberté à tous ceux avec lesquels nous sommes en contact, à quelque foi ou à quelque race qu’ils appartiennent, et en les laissant partager avec nous le bénéfice de la liberté et de la civilisation. » Il ajoutait avec son autorité d’évêque : « C’est là l’enseignement de la Croix, et la loi de tout groupement humain qui désire être digne des fruits de la Rédemption[24]. » Jamais les gouvernants de Vienne et de Bude, dans les plaies du Crucifié saignant pour tous les hommes, n’avaient su déchiffrer cet enseignement-là ; mais Strossmayer avait une âme d’apôtre, qui ne désespérait de convertir personne, pas même eux.

En lui s’incarnait l’idéalisme de 1848 : il ne voulait pas la mort de l’Autriche, mais qu’elle se convertit et qu’elle vécût, — qu’elle vécût en permettant à chacun de ses peuples de vivre sa vie. Il la concevait comme « un grand État neutre, fondé sur la vérité, sur la justice, qui préviendrait la collision entre Germains et Slaves, et qui assisterait sincèrement et efficacement les peuples des Balkans dans leurs justes aspirations. » « Je donnerais ma vie, écrira-t-il plus tard à Gladstone, pour sauver ce grand pays, qui a une tâche magnifique à jouer dans la nouvelle situation du monde. » La monarchie dualiste ne comprenait pas ; à la diète croate, l’élément magyar, par des procédés factices, s’assurait une prépondérance injuste. Strossmayer, alors, secoua sur ces parodies d’assemblées parlementaires la poussière de ses mules épiscopales. On lui marchandait la possibilité d’être l’avocat politique des Croates : il allait exercer, au milieu d’eux, une sorte de souveraineté intellectuelle, qui s’étendrait jusque chez les frères serbes, et qui propagerait au loin, comme un gage d’avenir, les splendeurs de la vieille culture croate.

Né de parents modestes, il avait connu, dans sa jeunesse, la difficulté de s’instruire : il voulait aplanir aux générations nouvelles l’accès de la science. Lentement victorieuse des malveillances impériales, l’Académie de Zagreb s’ouvrait définitivement en 1867, et puis, en 1874, l’Université de Zagreb. Strossmayer aimait ces deux créations ; il leur dévouait son éloquence, ses revenus, son cœur. Auprès de lui, des équipes de savants besognaient : il y avait là le prêtre Matkovitch, géographe et statisticien, et puis, surtout, l’historien Racki, un chanoine qui piochait comme un bénédictin.

François Racki, jeune prêtre, avait, en 1848, par fraternité de race, compati de loin au martyre de la ville de Prague, œuvre douloureuse de la brutalité germanique : l’acuité de son émoi mit en branle sa vocation. Vocation toute pacifique, d’ailleurs, et qui, non plus que celle de Strossmayer, n’avait rien de systématiquement séditieux. « L’Autriche, demandait un jour Racki, veut-elle déserter le rôle qui lui convient, trahir les Slaves qui la maintiennent, pour la plus grande gloire des Allemands, qui guettent sa ruine ? Une semblable politique ne correspond ni aux traditions de la dynastie des Habsbourg ni à ses vrais intérêts, et elle compromet son avenir[25]. » Incompris à Vienne, il se retournait vers ses frères ; et partout où il y avait des Slaves, sa science faisait œuvre de patriotisme. Il se fit l’historien des populations yougo-slaves, le défenseur des prétentions croates sur la Dalmatie, l’exégète du droit constitutionnel dont jouissait la Croatie du moyen âge ; et l’on trouvait sur sa table, au soir de sa mort, le brouillon d’un pacte d’alliance, qui devait unir Croatie et Dalmatie, Istrie et Carniole, Herzégovine et Bosnie, en un seul et même peuple. L’histoire yougo-slave, avant lui, était « moins connue des Yougoslaves eux-mêmes que celle de l’Allemagne, de la France et de l’Angleterre[26] : entre les mains de ce prêtre, elle était devenue, pour la géographie politique elle-même, un puissant agent de transformation ; et les publications de l’Académie de Zagreb, qui devaient à la fin du siècle dépasser trois cents volumes, attestaient à l’univers savant que dans ce coin du bassin danubien une science nouvelle était née, éducatrice d’une conscience.

Strossmayer, inaugurant en 1867 cette Académie qui était vraiment la fille de son âme, avait voulu tenir un crucifix dans sa main : c’est à l’ombre de la Croix que la science croate naissait, que la conscience croate renaissait. En vertu même de sa dignité d’homme d’Eglise, il se réputait préposé à une façon de service national. Il existe de lui une lettre à Gladstone, où le prélat souhaite une place, même modeste, à la table du Congrès de Berlin : « défenseur divinement désigné[27] » de la Bosnie, de l’Herzégovine, il eût voulu parler là, pour elles, au milieu des puissants du monde. Ainsi l’Eglise réapparaissait, maternellement ambitieuse, auprès de la seconde jeunesse de ces peuples, comme elle avait, dans le haut moyen-âge, veillé sur la première.

N’était-elle pas demeurée, dans les siècles les plus ingrats, la diligente dépositaire de leurs traditions, de leurs chansons, de leurs poèmes ? Jusque chez les Dalmates, jusque chez les Bosniaques, des moines avaient surgi, un Kacic au XVIIIe siècle, un Matas au XIXe, d’autres encore[28], pour confier à l’impression ces précieuses reliques orales ; et le gouvernement de Vienne, du temps où Schmerling était ministre, avait failli faire aux Franciscains de Dalmatie un fort mauvais parti, parce que leur Père Matas montrait trop de piété pour le passé, et que les élections dalmates s’en ressentaient. Somptueux héritier de tout ce discret labeur, et conscient de ce que son peuple devait à son Église, Strossmayer unifiait en lui l’évêque et le patriote croate, sous le panache de sa devise : « Tout pour la foi et la patrie. »


III. — LIBERTÉ DES PEUPLES ET UNION DES ÉGLISES

« C’est dans les séminaires, résumait en 1867 Émile de Laveleye, que le mouvement des nationalités a puisé cette force d’expansion qui le répand partout dans le bassin du Danube[29]. » Tous ces êtres rayonnants, apôtres de l’idée roumaine, de l’idée slovène, de l’idée croate, offraient ce trait commun, qu’au delà même des frontières de leur Eglise, ils cherchaient, dans les Eglises détachées de Rome, des frères de race, auxquels pût s’étendre leur patriotique apostolat. Mais puisque la dislocation des nationalités, puisque leur éparpillement en tronçons dissociés, devait tôt ou tard avoir un terme, pourquoi donc la division des Eglises n’aurait-elle pas un terme, elle aussi ? Les pensées d’union, parfois, ont une vertu contagieuse. Et l’on voyait ces artisans des futures unités nationales s’acheminer vers l’idée de l’union des Eglises et frayer ainsi les voies, au nom même de leur nationalisme, aux progrès de la confession religieuse qui, de par son essence, dépasse et enveloppe toutes les nations.

Slomsek, en 1851, faisait approuver par Pie IX l’association de prières qu’il avait fondée, sous le patronage des saints Cyrille et Méthode, pour obtenir de Dieu l’unité religieuse du monde slave : il invitait « tous les frères et sœurs séparés, et voulant le bien, » à prier avec ses propres ouailles. Quant à Strossmayer, il n’était pas homme à laisser une prérogative en souffrance ; et comme il joignait à son diocèse de Diakovo une juridiction d’évêque sur la Bosnie et de vicaire apostolique sur la Serbie, il lui semblait voir, dans ces titres mêmes, un appel à jeter des ponts, au nom de l’Eglise Romaine, vers d’autres Slaves, vers d’autres chrétiens.

De bonne heure, ce plan le hanta. Il discernait qu’un premier pas serait fait vers l’unité religieuse si les Eglises slaves unies à Rome obtenaient de Rome le droit d’adopter la liturgie slave. Racki, venu sur les bords du Tibre, en 1857, pour réorganiser l’Institut de Saint-Jérôme, avait l’impression que ce renouveau liturgique serait un jour accepté par le Saint-Siège : deux ans plus tard, d’après les instructions de Strossmayer, il rédigeait pour les congrégations compétentes un mémoire sur la question. L’Académie de Zagreb, encore qu’elle n’eut rien de confessionnel, pouvait, dans la pensée de Racki, aider au rapprochement religieux entre Slaves : il pressentait en elle une intermédiaire providentielle entre l’Orient et l’Occident, entre l’Eglise grecque et l’Église romaine, entre Byzance et le Saint-Empire ; elle saurait « reconnaître, et puis atténuer les conséquences lamentables d’une telle dualité, et réunir en un même amour les fils trop longtemps désunis[30]. »

N’avaient-il pas, d’ailleurs, commencé de s’aimer ? Dans les années qui suivirent Sadowa, la popularité de Strossmayer en Serbie était immense ; son effigie décorait les chaumières, et les paysans disaient : « Ah ! si l’Évêque savait, il donnerait de bons conseils à notre prince qui les écouterait ! »[31] Ne relevant pas de sa crosse, séparés de Rome, ils mettaient pourtant je ne sais quoi de filial dans ce mot : l’Evêque. Sans céder aux vertiges de l’illusion, sans méconnaître les prodigieuses difficultés de l’action, Strossmayer et Racki concluaient qu’il fallait que les Eglises se rapprochassent, et qu’elles se connussent mieux, pour que la notion divine de l’humanité, un seul troupeau sous un seul pasteur, fût un jour réalisée. La souveraineté même qui, dans un discours de Palestine, avait ainsi défini l’humanité, saurait aider, au jour venu, le bon vouloir des Eglises, si les Eglises s’aidaient elles-mêmes.

Mais ici s’interposait une autre souveraineté, celle de la Majesté apostolique. Dans ces rêves d’union, dans ces visées d’apostolat, tout devait déplaire aux gouvernements de Vienne et de Bude. Les divisions confessionnelles étaient pour eux un avantage politique. « Spéculer sur l’existence de la frontière religieuse, écrivait excellemment M. Charles Loiseau, et la marquer d’un trait plus fort chaque fois qu’ils en trouvaient l’occasion[32] : » telle était leur tactique constante, inflexible. Cela leur agréait et cela les servait, que la diversité des confessions créât un divorce entre les Roumains unis de Transylvanie et les Roumains d’au delà des Carpathes, entre Croates unis et Serbes orthodoxes, entre Slaves d’Autriche et le slavisme russe. Ils aimaient cette perpétuité des barrières, qui pouvait opposer à certains mouvements d’attraction fraternelle un sérieux contrepoids. Telle photographie, sur laquelle le fondateur du parti croate en Dalmatie, Pavlinovic, était représenté les mains dans les mains d’un pope, inquiétait les bureaucrates par son éloquente diffusion : en cette image, on était prompt à voir un symbole de ce que l’État des Habsbourg haïssait le plus, un symbole d’union.

De par la doctrine joséphiste qu’on avait cessé d’arborer en principe, mais qu’en fait on pratiquait toujours, un Strossmayer ne devait être rien de plus qu’un fonctionnaire de l’État dans l’Église : que pouvait penser Vienne, dès lors, de ces aspirations missionnaires, qui se refusaient à capituler devant les suspicions conservatrices de l’État ? Strossmayer se permit un jour une affable dépêche à l’adresse d’un comité orthodoxe de Kief, qui fêtait le millénaire des saints Cyrille et Méthode : François-Joseph se fâcha, et fit au prélat la plus violente des algarades ; peu s’en fallut que ce geste de fraternité chrétienne ne fût interprété par les exégètes du Ballplatz comme une demi-trahison au profit du panslavisme russe. La destinée qui accumula sur François-Joseph tant de tristesses tragiques eut pour lui, semble-t-il, un raffinement de cruauté, en l’acculant à cette politique soupçonneuse, anxieuse, qui volontiers considérait comme une ébauche de sédition l’élan des âmes vers l’entr’aide, vers l’amour, vers l’union. Mais François-Joseph ne se rendit sans doute jamais compte qu’il y avait là, pour lui, quelque chose de cruel.

Strossmayer impénitent ne croyait pas, lui, que ce fût une attitude délinquante, de souhaiter l’union et de prêcher l’amour. « Slaves, mes frères, écrivait-il en 1880, vous êtes évidemment appelés à accomplir de grandes choses en Asie et en Europe. Mais vous ne parviendrez à remplir votre mission à l’avantage des autres peuples et de vous-mêmes, vous ne mettrez fin aux dissentiments qui vous divisent, que si vous vous réconciliez avec l’Église occidentale en concluant un accord avec elle. » Justement Léon XIII, dans son encyclique sur les saints Cyrille et Méthode, frappait à la porte des âmes slaves ; dans son mandement de carême de 1881, Strossmayer commentait :


Nous vivons côte à côte avec des frères du rite oriental. Soyons donc pour eux pleins de charité et de bonté, et souvenons-nous que la preuve la plus éclatante de la vraie foi, c’est la charité pure et bienfaisante, souvenons-nous que la charité est cette force qui domine tout, à laquelle personne ne peut résister. Aimons sincèrement les frères avec lesquels nous vivons, non pas seulement parce qu’ils sont de notre sang et de notre nation, et qu’ils ont le même avenir que nous, mais parce que leur liturgie est belle et majestueuse et qu’elle a été introduite dans l’Église par saint Basile et saint Chrysostome ; parce que sur leurs autels comme sur les nôtres apparaît le Dieu vivant. N’écoutons jamais ceux qui voudraient nous diviser en quelque façon, ceux-là évidemment sont nos ennemis communs. Que les deux saints Cyrille et Méthode nous unissent dans une amitié fraternelle !


Ceux qui « voulaient diviser, » c’était la bureaucratie germanique de Vienne, et c’était le magyarisme germanisé : la politique générale de la monarchie dualiste, sous les dehors édifiants et dévotieux qu’affectait aux jours de fête Sa Majesté, allait faire obstacle aux apostoliques efforts de Léon XIII pour propager à travers l’Orient slave l’idée morne de catholicité.


IV. — LE SAINT-SIÈGE ET LE PROTECTORAT BALKANIQUE DE L’AUTRICHE : LÉON XIII ET PIE X

Chez ces peuples avec lesquels voisinait l’imagination de Strossmayer et vers lesquels s’évadait l’imagination de Léon XIII, deux traits apparaissaient ineffaçables, et ces deux traits étaient deux susceptibilités. Ils étaient jalousement attachés à leur liturgie traditionnelle ; et jalousement, aussi, à leur fierté nationale. Le catholicisme, c’est moi, disait l’Autriche. Elle affichait la prétention politique de se présenter aux populations serbes, bosniaques, monténégrines, comme la protectrice, et la fourrière de la foi romaine ; et elle voulait amener l’Église de Rome, dans le bassin du Danube, à ne plus parler à Dieu qu’en latin. Cette Église apparaissait ainsi solidaire d’une puissance étrangère, d’une puissance que le Balkan slave détestait comme une servile satellite du germanisme. Ce fut l’une des idées maîtresses de Léon XIII, de briser cette solidarité. Il estimait, et dès 1881 il disait aux pèlerins slaves amenés par Strossmayer, que Dieu réservait leur race pour de grandes destinées : il semblait que l’Église, d’un geste émancipateur, voulût écarter les obstacles auxquels ces destinées se heurtaient.

Strossmayer eût désiré, au lendemain de l’encyclique sur les saints Cyrille et Méthode, qu’une fois au moins, dans les églises catholiques de Croatie, on célébrât la messe en slavon, pour témoigner aux frères séparés le respect et l’affection de Rome à l’égard de leur vieille langue liturgique[33]. Halte-là ! dit la Hongrie, et Strossmayer dut renoncer à cette joie. Mais en Dalmatie, l’agitation pour la liturgie slave allait croissant : ce « paléoslave, » monument auguste de l’antique culture religieuse et nationale, causait grande peur aux préfets de l’Autriche. Eux et les diplomates multiplièrent les intrigues, mirent les évêques aux prises les uns avec les autres, et les curés aux prises avec les évêques s’appuyèrent sur le nonce Galimberti contre la secrétairerie d’État, pour retarder dans les congrégations romaines les solutions larges et nettes que la politique de Léon XIII eût comportées[34].

Contre les tendances du Pape, l’Autriche se faisait une arme du péril russe. Prenez garde, disait-elle : ces populations chez lesquelles vous laisseriez se réacclimater les rites de l’Orient perdraient le sentiment des diversités qui les séparent des Eglises russes ; en les faisant parler à Dieu comme lui parlent les schismatiques, vous les laisseriez s’habituer à penser comme ils pensent. Les colis de missels paléoslaves, que Léon XIII faisait imprimer à ses frais dans les ateliers de la Propagande, et qu’il destinait à certains évêchés de l’autre versant de l’Adriatique, montraient que le Pape demeurait inaccessible aux objections de l’Autriche. Mais sur le trajet même de ces colis, l’Autriche savait mettre des obstacles ; elle avait des artifices pour qu’ils se perdissent, ou bien pour qu’ils ne partissent point ; elle créait des complications épineuses ; elle était, depuis le joséphisme, trop maîtresse de la prière, trop maîtresse du culte, pour permettre que la vieille liturgie slave, même théoriquement protégée par Léon XIII, eût en terre des Habsbourg une vie facile. Elle essayait d’éteindre les sourires de l’Eglise romaine à l’endroit du monde slave, ou tout au moins d’en obscurcir l’éclat : elle voulait un fossé, là où Léon XIII voulait un pont. Mais la glorieuse lettre Præclara, que le Pape, en 1894, adressait aux princes et aux peuples, retentissait à travers l’Europe comme une invite à l’union : entre les maximes de l’Empire apostolique et celles de l’apostolat romain, le contraste prenait rapidement une allure de conflit.

Rome, à l’écart de l’Autriche et par-dessus l’Autriche, avait commencé de prendre contact, personnellement, directement, avec les États slaves séparés d’elle. Un Concordat se signait dès 1886 entre elle et le Monténégro : Rome, à l’avenir, n’aurait plus besoin de l’Autriche pour défendre vis-à-vis de cette principauté slave les intérêts de la petite communauté catholique. On sentait Vienne en méchante humeur : le Franciscain qui, sous le nouveau régime concordataire, avait accepté l’archevêché d’Antivari, était privé par l’Autriche de la retraite dont il jouissait comme ancien professeur de séminaire en Dalmatie. Mais les Slaves retenaient qu’il y avait désormais, dans un angle du Balkan slave, une Eglise unie à Rome, et tout en même temps indépendante de l’influence autrichienne, une Eglise qui, se passant de François-Joseph, ferait ses affaires toutes seules, farà da se ! Etrange petit archidiocèse ! Il n’avait pas de cathédrale, et très peu de sanctuaires : c’est avec un appareil bien pauvre, bien débile, que l’Eglise romaine faisait sa rentrée dans le monde des États slaves, sans plus souhaiter d’autre protection que le prestige de Léon XIII.

Cette indigence n’effrayait pas le pontife ; et depuis longtemps ses regards se tournaient du côté de la Serbie, pour l’ébauche d’une politique concordataire. En 1883, de nombreux ouvriers italiens travaillaient, entre Belgrade et Nisch, à la construction d’une voie ferrée : un Barnabite, Tondini, leur fut envoyé par Strossmayer, pour s’occuper d’eux. On n’entre pas, signifia Khevenhüller, ministre de François-Joseph à Belgrade : en vertu même de son office de représentante des intérêts catholiques, l’Autriche éconduisait ce prêtre et sevrait de Dieu les pauvres âmes italiennes, en terre de Serbie. — Je suis vicaire apostolique de Serbie, ripostait Strossmayer : il exigeait que ce prêtre eût accès auprès de ces humbles. Tondini, finalement, franchissait la frontière serbe, et le roi Milan lui disait : « Un concordat est une nécessité pour la Serbie. Sa dignité exige, depuis qu’elle est érigée en royaume, que le chef spirituel de quinze mille catholiques ne réside pas à l’étranger. » Un an plus tard. Milan tenait le même langage à Strossmayer.

Attention ! objectait Khevenhuller à Tondini : « c’est un principe de notre politique, hérité de Schwarzenberg et de Metternich, que nous exercions, du fait de la juridiction d’un évêque autrichien, une sorte de contrôle sur les catholiques de Serbie, » Et Kalnoky, moitié hautain, moitié plaisant, affirmait à Strossmayer : « Si j’avais entretenu Milan de ce sujet si grave, il eût certainement changé d’avis. »[35]. L’idée du concordat serbe demeurait dans l’air : « Je veux nationaliser le catholicisme en Serbie, » confiait Léon XIII au marquis de Reverseaux, qui s’en allait occuper le poste de ministre de France à Belgrade. Plus tard, sous le roi Alexandre, l’idée se précisa, prit corps ; elle se fixa même sur le papier ; mais, un jour, le dossier des pourparlers que M. Vesnitch avait ébauchés avec le cardinal Rampolla disparut de la table royale… Les ennemis du concordat serbe avaient le bras long, et la main preste.

Vienne détestait le cardinal Rampolla ; dès lors que cet homme d’Eglise poursuivait une politique de libération, Vienne se sentait lésée. Il eût aimé une combinaison diplomatique dans laquelle la France, la Russie et l’Autriche, — une Autriche autrement gouvernée, autrement orientée, — auraient fait contrepoids à la prépondérance de Berlin ; mais la vaincue de Sadowa n’était plus qu’une captive entre les mains de son vainqueur. On eut en 1892 ce spectacle piquant : la chancellerie de François-Joseph polémiquant contre la secrétairerie d’État par l’intermédiaire du juriste allemand Geffcken et d’un anonyme de la Contemporary Review, et le Vatican ripostant par une brochure d’un jésuite, le P. Brandi. Geffcken et l’article anglais célébraient l’Autriche comme une sorte d’Eldorado du catholicisme. Mais Léon XIII savait à quoi s’en tenir : les façades ne lui en imposaient point.

Il avait de bons rapports avec François-Joseph : il sentait une immense pitié pour la douleur paternelle qui, dans un télégramme affolé, l’avait pris pour confident de ce mystère lugubre, la mort de l’archiduc Rodolphe ; mais ce pauvre successeur de Charles-Quint ne fit jamais à Léon XIII l’effet d’une « moitié de Dieu. » Les documents successifs par lesquels le Pape invitait les évêques d’Autriche à se réunir périodiquement, les Bénédictins autrichiens à s’unifier, les Franciscains autrichiens à se réformer, sanctionnaient de longues études qui lui avaient révélé certaines tares. À la fin du siècle, sans beaucoup se gêner à l’endroit de cet Empire qui se piquait d’être catholique, le luthéranisme germanique y poussa tout d’un coup des pointes insolentes ; le mot d’ordre : Los von Rom ! enleva à l’Eglise de Léon XIII plus de vingt mille sujets de François-Joseph. De Saxe et de Prusse, des pasteurs survenaient, jaloux d’achever la germanisation de l’Autriche en y portant l’Evangile des Hohenzollern ; contre ce qui venait de Berlin, l’Autriche n’avait plus le droit de se protéger[36].

Léon XIII et son secrétaire d’État notaient ces misères de l’Eldorado ; l’Autriche avait cessé d’éblouir Rome et cessé, aussi, de l’intimider.

Les rancunes viennoises, au conclave de 1903, éloignèrent la tiare de la tête du cardinal Rampolla ; ce fut la dernière victoire remportée par la dynastie des Habsbourg sur l’indépendance de l’Eglise, quinze ans avant que cette dynastie ne tombât dans le néant. Victoire odieuse, et victoire stérile. Au moment de la mort de Pie VII, Metternich, qui ne raisonnait pas toujours mal, avait écrit au comte Appony, son ministre à Rome : « Une expérience constante a prouvé que l’exclusion formelle et patente que les cours qui sont en possession d’envoyer des ambassadeurs au conclave ont droit de donner à un cardinal déterminé, présente des inconvénients réels, et que presque toujours les dites cours, lorsqu’elles ont usé de ce droit, s’en sont mal trouvées[37]. » L’Autriche se trouva mal de l’exclusive de 1903.

Elle vit Pie X, en 1904, soulager la conscience chrétienne par d’énergiques et décisives mesures destinées à protéger les futurs conclaves contre toute récidive du prétendu droit de veto. Elle sentit, en 1906, que les résistances passives de l’épiscopat dalmate annulaient certains succès qu’un instant elle avait pu se flatter d’avoir remportés sur la liturgie slave[38]. Elle apprit enfin, à la fin de juin 1914, que le cardinal Merry del Val venait de signer avec M. Vesnitch le concordat serbe.

C’était là, pour l’Autriche, un désastre diplomatique ; religieusement parlant, elle n’avait plus rien à faire dans les Balkans ; Rome lui signifiait son congé. Pour le Drang nach Osten, pour cette poussée qu’à travers la trouée balkanique le germanisme voulait exercer vers l’Orient, l’Autriche avait reçu de Berlin des instructions, une feuille de route, des subsides ; elle prétendait associer à cette équipée toute germanique, dont l’oppression du Balkan slave devait résulter, l’Eglise romaine elle-même. La foi de Rome, arborée dans cet équipage, risquait d’apparaître comme l’ennemie des Slaves ; mais qu’importait à l’Autriche ? Les heureux pourparlers du cardinal Merry del Val avec M. Vesnitch honorèrent l’Église en marquant la fin d’une grande équivoque ; les Balkans respirèrent, Rome aussi[39].

D’aucuns songeaient avec mélancolie qu’en 1912, sous les regards d’un légat pontifical, l’Autriche avait déroulé, dans les rues de Vienne, les éclatantes manifestations du Congrès eucharistique international ; ils se rappelaient ces étincelants cortèges, le contraste entre l’humilité eucharistique et les pompes d’hommage qui saluaient cette humilité ; Dieu cheminant, et derrière lui l’Empereur, et puis l’État tout entier ; et la vie entière d’une capitale suspendue dans une pause recueillie, pour encadrer un grand acte religieux dans lequel le souverain faisait acte de fidèle. Rome, murmuraient-ils, a-t-elle donc oublié tout cela ?

Mais non, Rome se souvenait, d’une mémoire très exacte, qui n’exagérait pas l’importance de ces édifiants événements, et qui ne la dépréciait pas non plus. Elle savait, aussi, que l’urgence de certains problèmes, qui intéressaient la vie spirituelle profonde de toute une partie de la chrétienté, survivait à ces pompes grandioses ; puisque l’Autriche, par un mélange de débilité et de sénilité, avait laissé ces problèmes s’exacerber, puisque l’heure était mûre pour les trancher, Rome n’admettait plus qu’aucun d’entre eux demeurât en suspens, pas même celui de la liturgie. Le Concordat stipula que, « dans les paroisses du royaume serbe qui, eu égard à la langue parlée par leurs fidèles, seraient nommément désignées par le Saint-Siège, les catholiques de rite latin pourraient, dans la liturgie sacrée, se servir de la langue paléoslave[40]. » L’avenir commençait de sourire aux liturgies du passé. Strossmayer était mort, Rampolla était mort ; mais leur pensée planait.

Cinq semaines plus tard, l’Europe était en feu. « Brillante seconde » de la formidable Allemagne, l’Autriche paraissait encore redoutable. Pour se libérer et libérer les âmes, la force spirituelle du Vatican n’avait pas attendu que cette force temporelle fût à bas.


V. — LE SAINT-SIÈGE ET LA PHILOSOPHIE POLITIQUE DE L’AUTRICHE : BENOÎT XV

On eût pu croire que cinquante et un mois de canonnades, et puis un fracas de trônes qui lourdement et confusément s’ébranlaient, dussent fermer à tout autre bruit les oreilles humaines. On les sentit pourtant, de 1914 à 1918, s’abstraire souvent de ces tragiques vacarmes pour écouter si le Pape parlait, et comment il parlait ; et l’attention même avec laquelle elles épiaient les échos du Vatican ressembla parfois à un appel. L’immense fraction de l’humanité que le pangermanisme voulait asservir rendit au Pape cet hommage suprême, de souhaiter entendre sa voix. L’hommage, sur bien des lèvres, avait presque l’air d’une résipiscence.

Lorsque, à Munster et Osnabrück, entre 1645 et 1648, on avait, sur les décombres de la chrétienté, maçonné tant bien que mal une Europe moderne, les représentants d’Innocent X, auxquels déplaisaient certains détails d’architecture, avaient constaté qu’on ne les écoutait point, et qu’à peine acceptait-on qu’ils parlassent. Lorsque, à La Haye, en 1899, on avait consciencieusement travaillé pour faire du XXe siècle un siècle de paix, la collaboration de Léon XIII avait été refusée, et la Papauté mise en quarantaine fut ainsi déchargée de toute responsabilité dans l’un des plus prodigieux avortements qu’ait enregistrés l’histoire. Même représentée par Léon XIII, on affectait de l’exiler des affaires humaines ; et, comme avait dit le Psalmiste. « Dieu livrait le monde aux disputes des hommes. » Mais lorsque, en 1914, l’iniquité germanique jeta dans la plus sanglante des « disputes » plus des deux tiers de l’Europe, les questions et les regards dont Rome recommençait d’être l’objet attestaient que certaines préventions séculaires contre l’immixtion du pouvoir romain dans les affaires humaines passaient lentement au rang d’archaïsmes.

L’esprit public, parmi les nations de l’Entente, inclinait plutôt à penser que ce pouvoir était devenu trop lointain, trop distant, qu’il planait de trop haut sur les divisions terrestres, et que, sous peine d’apparaître défaillante, la voix justicière de Dieu devait se rapprocher des hommes, opportunément et importunément, parler haut, parler clair, parler rude, dans le gigantesque conflit qui mettait la force aux prises avec le droit. « Je suis près de vous, répondait en substance le Saint-Siège, et tout près de vous ; je m’efforce de faire le plus de bien possible, sans acception de personnes, sans distinction de nationalités ou de religion. »

Condamnés à mort, graciés, prisonniers grands blessés rendus à leurs familles, prisonniers malades transférés en Suisse, déportés civils arrachés à leurs geôles, témoignaient qu’au jour le jour le Saint-Siège voulait être bienfaisant, et qu’il y réussissait. Le désir même qu’il avait de multiplier ces menus services, dont le total devenait imposant, apparaissait à Benoît XV comme l’épanouissement normal de son universelle paternité. L’opinion laïque allait-elle se plaindre que la puissance spirituelle fit acte de philanthropie ? Bien des fois on avait dit, depuis deux siècles, que la théocratie avait fait son temps. Mais, par une volte-face singulièrement curieuse, une partie de l’opinion laïque, cessant de prendre ombrage des « ingérences » de l’Eglise, se montrait émue, maintenant, de ce qu’on appelait ses effacements, et semblait attendre, avec une fièvre chagrine, que les lèvres de Benoit XV ressuscitassent le langage d’un Grégoire VIII. Et d’aucuns, qui se réjouissaient peut-être, la veille encore, que Luther eût jadis émoussé les foudres de l’Eglise romaine, demandaient ce qu’attendait le Pape, pour excommunier les violateurs du droit.

Il aspirait, lui, — sa note du 1er  août 1917 en donna la preuve, — à pouvoir un jour être médiateur, pour abréger l’effusion du sang ; et la feuille officielle des palais apostoliques, répondant aux impatiences qui souhaitaient qu’il fit dans le détail acte de juge, objectait que, pour concilier deux parties, le meilleur moyen n’est peut-être pas de condamner tout d’abord l’une d’entre elles…[41]. Au surplus, celle des deux parties contre laquelle la conscience humaine réclamait, en plein XXe siècle, une sorte de verdict théocratique, paraissait fort mécontente elle-même de certaines démarches du Saint-Siège.

Il déplaisait à l’Autriche qu’en mai 1915, au moment où elle se targuait d’avoir aboli par le succès de ses armes le nom même de la Serbie, le gouvernement de Benoit XV ratifiât, avec le cabinet Serbe déraciné, ce Concordat que la chancellerie de Vienne avait considéré comme une catastrophe : la pauvre Serbie, expropriée de son sol, mais non de son âme, faisait encore figure d’État, pour le Vatican.

Il déplaisait à l’Allemagne qu’en juillet 1915, au moment même où quelques kilomètres autour de la Panne marquaient les limites de la souveraineté belge, le cardinal Gasparri écrivît officiellement au ministre de Belgique que Benoit XV, réprouvant devant le consistoire du 22 janvier précédent toutes les violations du droit, avait compris sous ce terme l’attentat germanique contre la neutralité belge.

Il déplaisait à l’Allemagne d’apprendre, le 10 septembre 1917, par une autre lettre du même cardinal, que dans la note pontificale du 1er  août, l’alinéa où le Pape prévoyait, pour raisons de justice et d’équité, l’éventualité de certaines indemnisations, visait, entre autres cas, celui de la malheureuse Belgique.

Il déplaisait à l’Allemagne, encore, que, dans son allocution consistoriale de Noël 1917, Benoît XV célébrât solennellement la prise de Jérusalem par les armées de l’Entente, qu’il saluât ce fait de guerre comme une rencontre des desseins humains avec le plan divin, qu’il discernât dans les événements de Jérusalem « un langage singulièrement éloquent, » et qu’il parût y lire, — c’est ce qui mettait en courroux la Gazette de Cologne, — « une sorte de jugement de Dieu en faveur de l’Angleterre et de la France[42]. »

Cependant les diverses opinions nationales, en terres d’Entente, persistaient à réclamer du Vatican qu’il donnât au « Jugement de Dieu » une expression plus décisive et plus tranchante, plus dégagée des complexités coutumières au langage de chancellerie, plus directement accessible aux oreilles profanes, plus susceptible, en un mot, de se passer d’interprétations. Leurs exigences à l’endroit du vicaire de Dieu, chef spirituel de l’humanité chrétienne, demeuraient tenaces et se faisaient sévères ; et comme il les décevait en ne prenant pas lui-même l’accent d’un belligérant, le parallélisme qui existait entre les conceptions politiques de l’Entente et celles du Vatican demeurait malencontreusement voilé.

Léon XIII et Pie X avaient empêché que l’Autriche n’exploitât le catholicisme pour les intérêts du germanisme : deux concordats avaient mis bon ordre. Benoit XV survint et certaines de ses suggestions, — faites avec sa manière propre, à laquelle souvent l’on fut inattentif, — furent une secousse pour les maximes d’oppression qui étaient devenues l’assise même de l’Autriche. À l’encontre du germanisme prussien maître de Strasbourg et de Posen, à l’encontre du germanisme autrichien maître de Trieste, de Prague et de Zagreb, l’Entente luttait pour que les peuples asservis fussent affranchis. De son côté, Benoit XV demandait, dès le 28 juillet 1913 : « Pourquoi ne pas peser dès maintenant, avec une sereine conscience, les droits et les justes aspirations des peuples ? Pourquoi ne pas entamer de bonne volonté un échange direct ou indirect de vues ayant pour but de tenir compte, dans la mesure du possible[43], de ces droits et aspirations ? »

Imaginez, en cet été de 1915, Lamennais ressuscitant, regardant l’Europe, constatant que les Puissances qui ont pour elles la justice ne sont encore assurées d’aucune prépondérance de force, et puis écoutant le Pape, et relevant sous la plume papale ces mots chers à son génie : « droits des peuples, aspirations des peuples : » il eût conclu qu’il y avait quelque chose de changé depuis l’heure où il accusait rapidement Grégoire XVI d’être le captif de Metternich ; et quant à Metternich, il eût, une fois de plus, inculpé de libéralisme le Vicariat spirituel du Christ. Le temps n’est plus où, suivant le mot de Montalembert, « l’impitoyable diplomatie distribuait les hommes comme de vils bestiaux et vendait la foi des nations au plus offrant[44]. » La philosophie politique sur laquelle reposait l’État des Habsbourg s’accommodait de ces marchés ; mais les « aspirations » des peuples ont fait prévaloir leurs « droits. » On a dit que l’empereur Charles était prêt à comprendre, à se faire l’architecte d’une Autriche plus fraternelle, plus chrétienne, plus humaine ; c’était trop tard : la monarchie dualiste appartenait à cette catégorie d’agonisants dont la mort précède la conversion.

En octobre 1918, au moment même où allait succomber cette ennemie séculaire des autonomies nationales, Benoît XV acclamait la résurrection de la Pologne, et dans une lettre publique il ajoutait ce vœu, « qu’il fut accordé à toutes les nationalités même non catholiques, précédemment soumises à la Russie, de décider elles-mêmes de leur propre sort, de se développer et de prospérer selon leur génie propre et leurs ressources particulières . » Derechef, encore, on eût aimé que Lamennais fut là, — le Lamennais d’avant la révolte : pressentez-vous avec quelle flamme d’allégresse il eût su répercuter ce message du Père commun pour les nationalités non catholiques, message d’amour, message d’émancipation ? À l’heure où l’humanité du XXe siècle, en gestation d’innombrables libertés, tournait un regard pressant, — et très pressé, — vers une dernière souveraineté, celle du Pape, n’aurait-il manqué à Benoît XV, pour être plus pleinement compris, que d’avoir un Lamennais comme interprète, et d’orienter son verbe émancipateur !

Ballanche écrivait jadis à l’auteur des Paroles d’un croyant : « Vous avez mis le feu à la cité du présent, avant de vous informer si la cité de l’avenir était prêle à recevoir ses nouveaux habitants[45]. » Des millions de vies humaines viennent d’édifier, cette cité de l’avenir sur des assises de douleur et de sang ; elle se dessine, elle s’essaie ; tant bien que mal, elle s’agence ; le Pape, par son appel au droit des peuples, s’y est naturalisé. Elle ménage à l’Eglise des conditions de vie nouvelles et des perspectives nouvelles : essayons de voir, et peut-être de prévoir.


GEORGES GOYAU.

  1. Collectio Lacensis, V, p. 1334.
  2. Préface au Livre des Pèlerins Polonais, p. LXI.
  3. Schlitter, Die Reise des Papstes Pius Vl nach Wien, p. 70-75 et 194.
  4. Schlitter, Pius VI und Joseph II bis zum Abschlusse des Concordats, p. 79, 80 et 210.
  5. Metternich, Mémoires, VII, p. 34.
  6. Sur ce livre d’Ignaz Beidtel, voir la préface d’Alfons Huber à la Geschichte der oesterreichischen Staatsverwallung, du même auteur, I, p. XLIV ; — et Clair, Études religieuses, . juillet 1860, p. 101.
  7. Metternich, Mémoires, V, p. 213.
  8. Dudon, Lamennais et le Saint-Siège, p. 208.
  9. Metternich, Mémoires, VII, p. 435 et 436.
  10. Lacordaire, De la liberté de l’Italie et de l’Église, p. 34 et 35 : — Lacordaire, lettre à Perreyve, 23 avril 1859 (dans Lecanuet, Montalembert, III, p. 205).
  11. J. de Maistre à Vignet des Étoles, 15 août 1794. (Lettres et opuscules, I, p. 31.)
  12. Metternich, Mémoires, VII, p. 141, et VIII, p. 392 et 593.
  13. Metternich, Mémoires, VIII, p. 51 et 323.
  14. Jorg, Histoire des Roumains de Transylvanie et de Hongrie, II, p. 78 et suiv.
  15. Pompiliu Eliade, De l’influence française sur l’esprit public en Roumanie p. 293.
  16. Jorga, op. cit., II, p. 368.
  17. Nous devons beaucoup à l’ouvrage de M. Ernest Denis : La Bohême depuis la Montagne blanche, I, p. 361-376.
  18. Louis Léger, La renaissance tchèque au 19e siècle, p. 23.
  19. Voir l’étude de M. Louis Léger sur Krijanitch, dans Nouvelles études slaves.
  20. Louis Léger, Histoire de l’Autriche-Hongrie, p. 429.
  21. Kosar, Anton Martin Slomsek, Fürstbischof von Lavant (Marbourg, 1863).
  22. Léger, Serbes, Croates et Bulgares, p. 40.
  23. Strossmayer à Gladstone, 25 juillet 1892 (Selon Watson, The South Slav question and the Habsbutg monarchy, p. 444).
  24. Strossmayer à Gladstone, 13 mars 1819 (loc. cit., p. 438).
  25. Vladimir Zagorsky, François Racki et la renaissance scientifique et politique de la Croatie, p. 158.
  26. Zagorsky, op. cit., p. 110.
  27. Strossmayer à Gladstone, 13 février 1878 (loc. cit., p. 433-436).
  28. Léger, Serbes, Croates et Bulgares, p. 47 et 65-71. — Schemastismus provinciae Sanctissimi Redemption in Dalmatia, ordinis Fralrum, pro anno 1898, p. 36-37 et 46-49.
  29. Laveleye, La Prusse et l’Autriche depuis Sadowa, II, p. 124.
  30. Zagorsky, op. cit., p. 124.
  31. Léger, Le monde slave, I, p. 133.
  32. Loiseau, Le Balkan slave et la crise autrichienne, p. 208.
  33. Léger, La Save, le Danube et le Balkan, p. 17.
  34. Documents dans Crispolto Crispolli et Guido Aureli, La politica di Leone XIII da Luigi Galimberti a Mariano Rampolla, p. 295 et 475-330.
  35. Loiseau, Le Balkan slave et la crise autrichienne, p. 215-219.
  36. Voir dans la Revue du 15 mars 1903 notre article : L’Allemagne en Autriche.
  37. Metternich, Mémoires, TV, p. 60.
  38. Voyez l’article de M. Jacques Zeiller : Chez les Slaves de l’Illyrie, dans la Revue catholique des Églises, 1908, p. 18-32.
  39. Le cardinal Marini, dès la fin de 1913, publiait dans le Bessarione, p. 523-528, un article qui s’intitulait d’une façon bien suggestive : « L’union des Églises orientales et la formation des nouveaux États balkaniques. »
  40. Sur le Concordat serbe, voyez les Nouvelles religieuses, 15 mars 191S, p. 163-167, et Bessarione, 1914, p. 260-272.
  41. Mgr Touchet, La Paix pontificale, p. 33.
  42. Nouvelles religieuses, 1er  décembre 1918, p. 708.
  43. On insinuerait à tort, croyons-nous, que ces mots : dans la mesure du possible, pouvaient marquer une atténuation savantes de la pensée pontificale. Ces mots prévoyaient, bien plutôt, les impossibilités effectives auxquelles tôt ou tard on devait se heurter, dans certaines zones mitoyennes, pour régler l’attribution des populations, et qui devaient une fois de plus démontrer que le principe des nationalités, poussé jusqu’à l’extrême, n’est plus qu’une « fausse idée claire, » suivant l’heureuse expression de M. Hauser.
  44. Montalembert, Œuvres polémiques, I, p. 123.
  45. Dudon, Lamennais Et le Saint-Siège, p. 316.