L’Église des anciens-catholiques de Hollande, son origine et son rôle dans la catholicité contemporaine

L’Église des anciens-catholiques de Hollande, son origine et son rôle dans la catholicité contemporaine
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 99 (p. 304-331).
L'EGLISE
DES ANCIENS-CATHOLIQUES
DE HOLLANDE

I. Dupac de Bellegarde, Histoire abrégée de l’église métropolitaine d’Utrecht. Utrecht 1852. — II. C. H. van Vlooten, Esquisse historique sur l’ancienne église catholique dans les Pays-Bas. Paris 1861. — III. Dr R. Benninck Janssonius, Geschiedeniss der Oud-Roomsch katholieke kerk in Nederland (Histoire de l’église ancienne-catholique dans les Pays-Bas). La Haye 1870. — IV. Verhandlungen des Katholiken-Congresses in München (Actes du congres catholique de Munich). Munich 1871.

Il y a quelques années, M. Renan prédisait que l’ère des dissensions et des schismes allait se rouvrir pour l’église catholique. Deux grands faits déterminaient en lui cette conviction : en premier lieu, le mouvement accéléré de centralisation qui entraîne le catholicisme vers cette forme absolue que nous nommons en France l’ultramontanisme ; en second lieu, la disparition imminente du royaume temporel de la papauté, conséquence tardive, mais rigoureuse, du nouveau droit politique inauguré par la révolution. Ces deux faits, en apparence étrangers l’un à l’autre, se relient cependant par une étroite solidarité. En même temps que la papauté devenait plus absolue dans l’ordre religieux, elle se heurtait plus violemment que jamais contre les conditions d’existence des sociétés modernes, et l’ambition de l’Italie, en quête de sa capitale naturelle, se trouvait dès lors soutenue par les défiances et les antipathies d’innombrables alliés répandus dans le monde entier. D’autre part, la nouvelle position faite à la papauté par les événemens et par ses propres efforts devait, au sein des masses catholiques, rendre la vie aux anciens fermens d’indépendance relative, gallicanisme, jansénisme, épiscopalisme, dont elle se croyait à jamais-délivrée. Ces tendances, que nous appellerons constitutionnelles pour les distinguer de l’absolutisme ultramontain, semblaient, il est vrai, devoir se briser contre le fanatisme des uns et l’indifférence des autres ; mais elles n’allaient pas tarder à se voir appuyées par le sentiment désormais très vif de l’incompatibilité entre le catholicisme défini par le Syllabus, décrété par le dernier concile, et les nécessités les plus impérieuses de la société contemporaine.

On ne saurait assister sans intérêt aux premières manifestations du mouvement, — dirons-nous réformiste ou réactionnaire, il mériterait à la fois les deux épithètes, — qui agite l’église catholique, et qui, sans rejeter le catholicisme en principe, vise à le rendre supportable aux peuples modernes en le purifiant des exagérations ultramontaines ; mais jusqu’à quel point cette réforme intérieure est-elle possible ? Le principe du catholicisme, c’est l’autorité souveraine de l’église, plus spécialement celle du clergé, son seul organe légitime, plus spécialement encore celle de la collectivité des évêques, dépositaires des traditions et des pouvoirs sacerdotaux, seuls habiles à les transmettre par voie d’ordination régulière. La papauté a si bien fait que le corps épiscopal n’est plus que l’ensemble des délégués ou des préfets du pape ; il a échangé son ancienne indépendance contre cette position subalterne en vertu d’un décret rendu par lui-même et ratifié plus tard par la soumission de la minorité récalcitrante. Sur quoi donc s’appuyer pour tenter la réforme désirée sans tomber dans l’hérésie ? Où trouver en dehors de l’épiscopat régulier cette transmission de l’autorité divine qui seule fait le prêtre capable d’enseigner et d’absoudre de jure ? Et si l’on prétend s’en passer, n’est-on pas dès lors entraîné fatalement vers un nouveau protestantisme ? Peut-être la nécessité fera-t-elle surgir des ressources que l’on ne saurait définir d’avance ; peut-être, certaines éventualités venant à se réaliser, — par exemple l’avènement d’un autre pape, — l’épiscopat se retrouverait-il moins unanime dans son abdication volontaire ou forcée. Les mouvemens religieux ne se piquent pas toujours d’une logique parfaite, on serait même tenté parfois de penser que c’est ce dont ils se soucient le moins ; mais de nos jours, où l’enthousiasme religieux est rare, il est désirable qu’une certaine correction préside aux essais de réforme. Au moins accordera-t-on que les chances d’avortement de l’agitation actuelle seraient bien moindres, si elle pouvait se rattacher à tout le passé catholique par une filiation dont l’opinion ultramontaine pourrait seule contester la légitimité. Voilà ce qui rend une importance toute spéciale à une petite église catholique tenue à Rome pour schismatique, mais reconnue autrefois comme parfaitement régulière par les premières autorités épiscopales de France et d’Allemagne, une église à peu près oubliée depuis une centaine d’années après avoir fait beaucoup parler d’elle, fondée par des saints, ayant donné le jour à des théologiens illustres et même à un pape, et qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours comme un témoin vivant de l’ancienne constitution catholique-épiscopale, anéantie aujourd’hui par l’absolutisme ultramontain. La petite église des a anciens-catholiques » des Pays-Bas pourrait bien être appelée à un rôle éminemment libérateur au sein de la catholicité.


I

A côté de l’église catholique romaine, à laquelle se rattachent les deux cinquièmes de la population de la Hollande, existe un petit groupe de fidèles qu’on désigne souvent, mais à tort, du nom de jansénistes. Eux-mêmes s’appellent « anciens-catholiques » (Oud-Katkolieken) ; tel est aussi le nom que l’état leur reconnaît officiellement. Ils ont un archevêque siégeant à Utrecht, deux évêques, résidant l’un à Deventer, l’autre à Harlem, un séminaire et un clergé relativement nombreux desservant les vingt-cinq paroisses disséminées dans le pays. Cependant leur nombre n’est pas grand : c’est tout au plus s’il dépasse 6,000 âmes, et, bien que généralement respectés, ils tiennent si peu de place dans la vie religieuse du pays qu’on les oublie aisément.

Il est certain qu’une secte protestante de 6,000 âmes réparties en vingt-cinq communautés serait fort insignifiante. Il en est tout autrement quand il s’agit d’une société catholique énonçant la prétention de se rattacher par son épiscopat et sa doctrine à la tradition de l’ancienne église. C’est sa hiérarchie, c’est son épiscopat qui importe, bien plus que le nombre de ses membres. D’où vient donc ce phénomène, si étrange à nos yeux, d’une société religieuse professant le catholicisme et pourtant en état de schisme de facto avec la grande église de même nom ? A cette question, les anciens-catholiques de Hollande répondent qu’ils ne sont pas du tout en opposition avec l’église catholique dans son ensemble, qu’ils sont dans toute la rigueur du terme les continuateurs du catholicisme national des Pays-Bas, tel qu’il était avant et depuis la réforme, — que, n’ayant jamais reconnu la souveraineté absolue du siège romain au temps où rien ne les séparait du reste de la catholicité, ils ne pouvaient courber la tête devant un décret pontifical, à leur avis arbitraire, qui supprimait purement et simplement leur église nationale, — que, victimes de l’ultramontanisme jésuitique, mais forts de leur vieux droit épiscopal, ils attendent avec confiance le jour où justice enfin leur sera rendue, et que les maux qui affligent à cette heure l’église catholique n’ont pas d’autre cause que cette déviation des vrais principes, dont les premiers ils ont eu beaucoup à souffrir. Quant à leur hiérarchie épiscopale, ils la tiennent pour parfaitement régulière, canonique, irréprochable en droit ecclésiastique, et les autorités théologiques ne manquent pas à l’appui de ces prétentions.

Utrecht fut le berceau du christianisme dans les Pays-Bas, où il fut apporté vers la fin du VIIe siècle par saint Willebrord, qui reçut les titres d’évêque d’Utrecht et d’archevêque des Frisons. Toutefois la religion nouvelle ne fit que peu de progrès jusqu’à l’arrivée de saint Boniface (vers 725), qui lui gagna de nombreux prosélytes. L’évêché d’Utrecht, depuis lors, fut constitué d’une manière définitive et assez fortement pour résister aux prétentions des évêques de Cologne, qui auraient voulu le réunir à leur diocèse. Les évêques d’Utrecht étaient, comme à peu près partout en ce temps-là, nommés par le clergé du diocèse et le peuple, du moins les notables, et avant Grégoire VII (XIe siècle) il n’est pas question d’approbation pontificale nécessaire pour que l’élection sortisse son effet. L’évêque nouveau notifiait son avènement à ses collègues, entre autres à l’évêque romain ; il entrait dans le concert de la catholicité après avoir été reconnu par eux, mais il tenait ses droits de l’élection diocésaine et nullement d’une délégation du pontife romain. On peut même ajouter que la tradition constante du diocèse d’Utrecht fut de maintenir l’autonomie épiscopale contre les tentatives centralisatrices de la papauté. Ainsi l’évêque Guillaume Ier et son successeur Conrad prirent le parti de l’empereur Henri IV contre Grégoire VII. Lorsque la grande querelle des investitures fut vidée, les empereurs allemands avaient renoncé à leur droit de confirmer les évêques par la crosse et l’anneau. Depuis lors aussi, la nomination des évêques se fit simplement par le vote des chapitres diocésains, leur installation en était la conséquence immédiate. On se bornait encore à notifier l’élection à Rome ; mais bientôt on sollicite l’approbation pontificale, et quelques évêques la croient nécessaire, tandis que d’autres, plus nombreux, déclarent que, comme leurs prédécesseurs, ils auraient pu s’en passer.

Du reste, l’histoire du diocèse d’Utrecht n’est ni plus ni moins édifiante que celle de tant d’autres évêchés du moyen âge. Ce diocèse formait une sorte de théocratie, comme ceux de Cologne, de Mayence ou de Trêves, nominalement soumise au saint-empire, en réalité très indépendante. Les évêques étaient princes au temporel comme au spirituel. Souvent en lutte avec les bourgeois, qui tenaient ferme à leurs franchises, ils étaient aussi souvent en guerre avec les comtes de Hollande et de Gueldre, ou bien ceux-ci tâchaient de promouvoir au siège épiscopal leurs parens ou leurs favoris. De là des dissensions, parfois très violentes, où les papes intervinrent pour l’amour de la paix et aussi pour faire acte d’autorité.

Cette autorité toutefois n’était reconnue que dans de certaines limites. Ainsi, lorsque le pape Martin V (1423-1431) lança l’anathème sur l’évêque d’Utrecht et son diocèse tout entier, l’évêque, le clergé, les fidèles bravèrent l’excommunication et n’en tinrent pas le moindre compte. La messe fut dite, les sacremens administrés, les morts enterrés absolument comme si de rien n’était. L’événement leur donna raison. Le successeur de Martin, Eugène IV, animé de dispositions contraires, retira l’anathème, qui fut ainsi une arme sans force, telum imbelle sine ictu. Lorsqu’on suit l’histoire intérieure de ce diocèse, on n’est donc pas étonné d’en voir sortir des hommes qui joignent à un profond attachement pour la grande tradition catholique une foi assez médiocre dans les prérogatives de la papauté. Le plus remarquable fut l’Utrechtois Adrien Booijens, plus connu sous le nom du pape Adrien VI (1532-1533). Il avait professé la théologie scolastique avant de monter si haut, et nous lisons dans un de ses traités cette déclaration carrément énoncée : « il est certain que le pape peut errer aussi dans les choses qui concernent la foi… Plus d’un pontife romain en effet a été hérétique[1]. »

Ce même esprit d’indépendance en face des exigences pontificales se retrouve dans deux ordres de faits également caractéristiques de l’ancien catholicisme néerlandais. C’est d’abord la résistance des évêques d’Utrecht à l’influence des ordres mendians, ces armées du saint-siège, relevant directement de lui et toujours disposées à miner partout où elles venaient camper l’autorité de l’ordinaire. C’est ensuite, depuis le XIVe siècle, la grande extension de l’ordre mystique connu sous le nom de Frères de la vie commune, ces pieuses corporations très attachées à l’orthodoxie, mais qui réagissaient contre la scolastique régnante et le formalisme des pratiques dévotes. Une piété onctueuse, pénétrante, presque voluptueuse, beaucoup d’ardeur pour les œuvres de bienfaisance, une tendance prononcée à saisir l’enseignement de l’église par son côté consolant et régénérateur plutôt que par le côté dogmatique, une préférence très visible pour la doctrine de la grâce telle que Paul et Augustin l’ont comprise, tels sont les traits principaux de cette société peu bruyante, dont l’influence fut très grande au sein des populations flamandes et hollandaises. C’est de là par exemple que sortit l’Imitation de Jésus-Christ, non qu’elle y ait été composée, car on sait aujourd’hui qu’elle remonte au XIIIe siècle et qu’elle est due aux méditations solitaires d’un moine de l’Italie septentrionale nommé Gersen ; mais ce précieux livre, longtemps oublié et pour ainsi dire perdu, fut retrouvé, transcrit, propagé par Thomas A-Kempis, qui faisait partie des frères. Rien de plus orthodoxe assurément que ce dialogue perpétuel entre une âme pénitente et le Christ consolateur. À la fin du livre pourtant, lorsqu’on a vu tout ce que le fidèle seul, en tête-à-tête avec le divin Maître, a reçu directement de lumières et de grâces, on en vient à se demander à quoi sert encore l’intervention du prêtre. Une telle conséquence, il est vrai, ne pouvait être sentie qu’à la longue, et les frères de la vie commune ne songeaient guère à la tirer. Nous voyons seulement que, dans le catholicisme néerlandais antérieur à la réforme, le mysticisme donnait la main à l’épiscopat dans sa résistance tantôt sourde, tantôt déclarée, aux impulsions et aux prétentions romaines.

Cependant les grands jours du XVIe siècle étaient venus. Les idées protestantes pénétrèrent de bonne heure dans les Pays-Bas, sans y faire dès l’abord des progrès aussi rapides qu’ailleurs. Charles-Quint et surtout Philippe II y mettaient bon ordre. Un changement important s’opéra dans la constitution du diocèse d’Utrecht. Il était devenu trop considérable, eu égard surtout aux circonstances nouvelles, pour qu’un seul évêque pût surveiller efficacement les infiltrations continuelles de l’hérésie. L’évêché d’Utrecht fut érigé en archevêché, et cinq évêques furent adjoints à l’archevêque, avec les villes de Groningue, Leeuwarde, Deventer, Harlem et Middelbourg pour résidences. En même temps le pape conférait à Charles-Quint le droit de nommer les évêques, sous la réserve de l’approbation pontificale. Ces arrangemens, pour ainsi dire extérieurs, n’affectèrent pas encore la constitution intérieure du diocèse ; le chapitre désignait toujours le nouveau dignitaire au choix impérial, et la tradition du catholicisme néerlandais continuait de prévaloir. Par exemple les évêques et leurs prêtres recommandaient beaucoup la lecture de la Bible malgré les objurgations des moines mendians, qui se signaient d’effroi à la vue d’une Bible imprimée ; ils encourageaient l’usage de la langue vulgaire dans les offices de l’église, et dès les premières années de sa formation l’ordre des jésuites rencontra chez ce clergé plus que du mauvais vouloir. Les formes nouvelles de la piété ultramontaine, l’emploi du rosaire, le culte exalté de Marie, les pompes théâtrales, étaient combattues par l’épiscopat national comme autant d’innovations pernicieuses ; mais, notons-le bien, c’est surtout comme innovations qu’elles étaient repoussées. Au fond, ce clergé était éminemment conservateur. Il luttait avec une extrême énergie contre le protestantisme envahissant, et il avait accepté avec une entière soumission les décrets du concile de Trente.

Les événemens se précipitaient. En dépit de persécutions atroces, le protestantisme levait toujours plus la tête. Les provinces, exaspérées par la tyrannie politique et religieuse du roi d’Espagne, avaient pris les armes au nom de leurs droits méconnus. Guillaume le Taciturne commençait sa grande épopée. Quelque temps réduit à l’impuissance par les succès militaires du duc d’Albe, il avait vu la fortune sourire de nouveau à son indomptable persévérance. Les gueux de mer, ces derniers défenseurs de la cause nationale, à l’heure où tout semblait perdu, avaient surpris le petit port de la Brille (1er avril 1572), et de là l’insurrection s’était. réveillée sur toute la surface du pays. Une guerre acharnée s’ensuivit, marquée par des combats sans nombre, des sièges qui font époque dans l’histoire, des cruautés qui font frémir, mais aussi par la consolidation croissante de l’œuvre qu’avaient entreprise Guillaume et l’énergique population rangée sous sa bannière libératrice. En 1579, l’Union d’Utrecht constitua définitivement la république des Provinces-Unies en lui donnant une charte fondamentale. La lutte était pourtant loin d’être finie. Elle a duré, à vrai dire, jusqu’en 1648, mais avec des interruptions et des trêves dont la jeune république sortait toujours plus affermie.

Ce fut un temps de rudes épreuves pour le catholicisme néerlandais. A l’origine de ce grand conflit, il importe de le remarquer, les griefs politiques contre l’Espagne étaient au moins aussi forts que les antipathies religieuses. La preuve en est que les provinces du sud, où le protestantisme resta toujours en minorité, furent les premières à donner le signal de la résistance. Plus tard encore, les odieuses mesures fiscales du duc d’Albe furent, nous ne dirons pas la cause, mais l’occasion déterminante de l’insurrection générale. Catholiques et protestans joignirent alors leurs efforts contre la tyrannie qui violait les droits jurés. Dans un moment de fanatisme délirant, d’aberration colossale, Philippe II n’avait-il pas condamné à mort tous les habitans des provinces sans distinction de rang, d’âge ou de religion ! Le parti national ne faisait pas la guerre au nom d’une église, il avait inscrit simplement la liberté de conscience sur son programme religieux, et ce sera l’éternel honneur du Taciturne d’avoir, autant qu’il dépendait de lui, préservé ce grand principe des atteintes que ses partisans victorieux étaient toujours tentés de lui porter. C’est ainsi que l’Union d’Utrecht assurait aux catholiques néerlandais le libre exercice de leur religion. Cependant il y avait dans la situation nouvelle des élémens de commotions religieuses que toute la prudence humaine ne pouvait conjurer. D’abord il était visible que la liberté de conscience profitait en premier lieu à l’église protestante, qui se recrutait désormais parmi ces timides, toujours nombreux dans les temps de crise, qui attendent que la victoire se décide dans le sens de leurs préférences pour oser les avouer. Ensuite on ne pouvait se soustraire à l’évidence que, si la lutte avec l’Espagne avait été dans son principe essentiellement politique, la prolongation de la lutte, les énormes sacrifices qu’elle avait entraînés, le pouvoir de fait dont elle avait investi la bourgeoisie des villes, très favorable aux idées républicaines et protestantes, avaient de plus en plus fait passer la prépondérance morale du côté de l’église réformée. Cette église était ainsi devenue l’âme de l’insurrection, elle en avait entretenu la flamme, elle avait confondu sa cause avec celle du patriotisme. La victoire nationale était donc aussi la sienne ; mais alors il fallait compter avec la soif des représailles, avec la haine amoncelée au cœur d’hommes qui avaient vu périr sur les échafauds leurs amis, leurs parens, leurs enfans, leurs femmes, et qui portaient souvent eux-mêmes sur leurs têtes sans nez ou sans oreilles les marquas des cruautés monstrueuses commises par les tribunaux de l’inquisition. Enfin il ne faut pas s’étonner si les catholiques, surtout les prêtres, toujours très attachés à la vieille foi, sentaient leur patriotisme se refroidir à la vue des pertes que la victoire du parti national infligeait fatalement à leur église. Les preuves de ce changement de dispositions frappaient les yeux de tous. De là des soupçons, des défiances, des mesures de précaution de la part des victorieux, qui voyaient dans le maintien de l’église catholique une porte toujours ouverte à la réaction espagnole. C’est ainsi que les états, sans entendre par là porter atteinte aux clauses libérales de l’Union d’Utrecht, bannirent de la république les moines et les jésuites, considérés comme autant d’agens secrets du roi d’Espagne. Les grands temples furent enlevés aux catholiques et donnés ad ? réformés, dont l’église devint celle de l’état, et qui seuls furent reconnus aptes aux emplois publics. Dès 1580, le chapitre d’Utrecht se vit privé de tout droit politique, et ses biens furent réunis au domaine national. Plus d’une fois même le culte catholique fut interdit, bien que le nombre des catholiques atteignît encore la moitié au moins du chiure total de la population ; mais c’était une moitié pauvre, ignorante, pliant humblement sous les ordonnances tant qu’elles ne la forçaient pas à faire acte positif de protestantisme, et se contentant assez bien de pouvoir reprendre l’exercice de son culte à huis-clos, dans des chapelles soustraites aux regards de la foule. Toutes les forces vives du pays avaient successivement passé du côté de la réforme.

Dans un tel état de choses, la position des évêques et du clergé catholique néerlandais était devenue fort épineuse, hérissée de difficultés inextricables. Si par patriotisme ils consentaient à prêter les mains aux mesures dictées par l’intérêt de la défense du pays, ils couraient risque de trahir leur église et leur conscience. Si au contraire ils revendiquaient au nom de l’Union d’Utrecht la pleine et entière liberté du culte catholique, ils éveillaient les soupçons du parti vainqueur. Approuvaient-ils les lois d’exception rendues contre les moines et les jésuites, ceux-ci ne manquaient pas de les accuser partout de connivence avec l’hérésie. Réclamaient-ils la-liberté pour eux comme pour tous les autres, non-seulement les soupçons se réveillaient de plus belle, mais de plus ils étaient convaincus par de pénibles expériences que les intrigues des jésuites et les formes spéciales de leur piété n’avaient pas peu contribué à dégoûter beaucoup d’esprits du catholicisme et de l’église catholique. Ne soyons donc pas trop sévères pour des hommes placés dans une situation fausse qui les condamnait à se contredire à chaque instant. Il y aurait même souvent lieu d’admirer le zèle et le savoir-faire qu’ils déployèrent pour sauver de ce grand naufrage le peu qui pouvait encore échapper. Les archevêques Sasbold Vosmaer (1583-1614) et Rovenius (1614-1637) eurent à porter le fardeau des plus mauvais jours. Parfois, de guerre lasse, ils se rallièrent au parti espagnol de manière à justifier les accusations des protestans ; le plus souvent ils tâchèrent de séparer nettement leur cause de celle de l’ennemi national, et l’on peut dire qu’en fin de compte ils y réussirent.

La suite prouva en effet que leurs pires adversaires n’étaient pas les états. Ceux-ci, lorsque la victoire sur l’Espagne fut devenue irrévocable, se relâchèrent bientôt de leurs rigueurs, et, à la seule condition de se résigner à la perte des droits politiques, les catholiques furent de nouveau tolérés. Un épiscopat indigène, indépendant de l’Espagne et même jusqu’à un certain point de Rome, semblait donner toute garantie aux défiances des hommes politiques et protéger le catholicisme national contre l’intolérance des protestans exaltés ; mais déjà s’élevait contre cette hiérarchie nationale l’ennemi qui avait juré sa perte. Les jésuites s’étaient glissés de nouveau dans les diocèses néerlandais à la faveur du désarroi général. Un certain nombre de prêtres avait passé au protestantisme, beaucoup de communautés catholiques qui subsistaient au sein de la majorité réformée n’avaient point de prêtres. Les jésuites offrirent ou imposèrent alors des services qu’il eût été bien difficile de refuser ; les évêques néerlandais consentirent à les utiliser temporairement. Ils ne tardèrent pas à se repentir de leur condescendance. Les jésuites furent épiés, reconnus, pris en flagrant délit de conspiration espagnole ; de plus les évêques s’aperçurent bientôt que leur autorité épiscopale était minée par les cheminemens souterrains de ces alliés compromettans qui les dépeignaient à leurs ouailles comme des calvinistes déguisés. Les choses allèrent si loin que l’archevêque Rovenius se vit forcé de faire le voyage de Rome et de les dénoncer comme les plus dangereux ennemis de l’église catholique aux Pays-Bas. De leur côté, les jésuites avaient aussi dressé leurs batteries. Déjà ils avaient tâché de démontrer à Rome que, dans l’état où se trouvait l’église néerlandaise, il était inutile d’y maintenir des évêques, que dans l’intérêt de la cause catholique en général. il vaudrait mieux instituer dans la contrée, comme en terre païenne, une mission que le saint-père confierait à ses délégués immédiats ; ces délégués, dans leur esprit, ne pouvaient être qu’eux-mêmes.

Ainsi se déclara une lutte à outrance entre l’épiscopat néerlandais, sorti bien affaibli, mais encore debout, de la grande crise réformatrice, et la puissante congrégation. Vainement Urbain VIII, sous le coup des énergiques remontrances de Rovenius, ordonna aux jésuites plus de modération. Ces ordres n’eurent que peu d’effet. De plus la mauvaise étoile de l’épiscopat d’Utrecht voulut qu’une arme des plus dangereuses fût fournie par Rovenius lui-même aux ennemis jurés de son siège. Nous avons dit qu’antérieurement à la réforme la doctrine de la grâce avait été particulièrement goûtée par le clergé et les fidèles des Pays-Bas. C’était le temps où les théories relatives à ce dogme partageaient, passionnaient même les théologiens de profession, mais où l’église autorisait, au moins par son silence, de grandes diversités de vues sur ce problème obscur. Il n’en fut pas toujours ainsi. A Rome, où l’augustinisme fut rarement en faveur, on n’avait pas tardé à s’apercevoir que le mysticisme, quand il se nourrit de cette doctrine augustinienne, peut bien rester catholique d’intention, mais en fait dérive insensiblement vers les régions qui confinent au calvinisme. Telle est la raison qui depuis la réforme empêcha la papauté de laisser les idées jansénistes ou, pour mieux dire, augustiniennes se répandre librement dans l’église. Or l’archevêque Rovenius, ami d’études de Jansénius, demeuré fort attaché à cet homme excellent, n’avait vu que du bien dans le fameux Augustinus du pieux professeur de Louvain. Il l’avait recommandé, patronné, comme un ouvrage de haute édification. Quelle bonne fortune pour ses adversaires, qui ne manquèrent pas de dépeindre en cour de Rome l’archevêque d’Utrecht comme un hérétique, son diocèse comme un foyer de pestilence ! C’est depuis lors que dans le camp jésuite l’épiscopat néerlandais fut traité de janséniste. On vit là le moyen sûr d’indisposer toujours plus contre lui la cour de Rome. Le parti fut tellement pris qu’en 1670 les jésuites firent mettre à l’index un autre livre mystique, intitulé Amor pœnitens, d’un successeur de Rovenius, l’archevêque Neercassel, un livre que notre Bossuet, peu suspect de jansénisme pourtant et qui flairait de loin l’hérésie, avait proclamé excellent. Les évêques mis en cause protestaient de leur mieux contre cette accusation de jansénisme, condamnaient les mêmes thèses que l’on condamnait à Rome sous ce nom ; rien n’y faisait. La simple circonstance qu’ils ne consentaient pas à chasser de. l’église ceux qui sympathisaient plus complètement avec la tendance augustinienne suffisait pour qu’on les confondît avec eux. Le séjour d’Arnaud, de Nicole, de Quesnel en Hollande, où les reléguait l’intolérance de Louis XIV, l’accueil honorable et mérité fait à leurs malheurs et à leurs vertus, servirent encore d’argument aux ennemis jurés du diocèse d’Utrecht.

Ici se pose une question d’une importance majeure pour la claire intelligence de l’histoire du catholicisme dans les deux derniers siècles : quel est donc le motif secret de cet acharnement prolongé des jésuites contre la hiérarchie épiscopale de Hollande ? Comment ne craignirent-ils pas d’affaiblir encore le catholicisme dans un pays où il avait déjà subi tant de pertes irréparables ? Des blessures d’amour-propre, le désir de dominer partout, quelques nuances doctrinales n’expliqueraient pas suffisamment cette série de manœuvres, longtemps déjouées, toujours reprises, qui aboutirent enfin à une solution conforme à leurs vœux. En faisant toute la part qu’on voudra aux mobiles d’animosité personnelle, il faut probablement en chercher la raison profonde dans l’effroi que le mouvement janséniste inspira aux chefs de l’ultramontanisme pendant tout le XVIIe siècle et une grande partie du XVIIIe. Le jansénisme, ou la doctrine qui insistait sur la régénération intérieure par l’effet de la grâce divine comme condition essentielle de salut, était un protestantisme latent. S’il ne niait pas le pouvoir sacerdotal, il tendait à l’éliminer, tout au moins à le diminuer beaucoup. En réalité, le jansénisme, qui a compté dans ses rangs presque tous les beaux noms de la France catholique, n’a pas donné la mesure de ce qu’il aurait pu devenir, s’il s’était développé en liberté. Ce qu’il fit lorsque ses derniers représentans eurent un instant le pouvoir dans la constituante montre suffisamment avec quelle facilité, tout en croyant rester catholique, il glissait dans la réforme intérieure, presque dans le schisme. Son heure vint trop tard, mais il ne faut pas s’étonner si la cour de Rome et les jésuites discernèrent longtemps d’avance, avec la sagacité des partis attaqués dans leur principe même, l’extrême danger dont ce réveil des idées augustiniennes menaçait le catholicisme tel qu’ils l’entendaient maintenir. C’est pour la même raison que Rome et les jésuites unirent leurs efforts contre tout ce qui de près ou de loin se rattachait au gallicanisme, c’est-à-dire au principe des églises nationales jouissant d’une certaine autonomie, possédant des traditions particulières, et le plus souvent très disposées à laisser sur la questionne la grâce la liberté d’opinion permise par les anciens conciles. Supposons un instant que l’indépendance de l’épiscopat néerlandais, le jansénisme belge et parisien, le gallicanisme français, ces trois causes distinctes, mais solidaires, eussent triomphé ensemble : quel poids nouveau jeté dans la balance des destinées du catholicisme ! et qui pourrait dire les transformations ultérieures qui en seraient résultées pour la plus nombreuse des églises chrétiennes !

Si donc il est permis de regretter à bien des points de vue que l’ultramontanisme ait vaincu l’un après l’autre ses ennemis de l’intérieur, on ne peut contester à ses chefs du XVIIe et du XVIIIe siècle d’avoir vu très nettement ce qu’ils avaient à faire pour établir leur domination absolue dans l’église, et identifier leur tendance particulière avec le catholicisme lui-même. Ils firent la guerre à la fois et avec le même acharnement au jansénisme, au gallicanisme et à l’autonomie de l’épiscopat néerlandais, parce qu’au fond c’était le même adversaire qu’ils retrouvaient sous ces trois formes. Ils usèrent de leur position centrale et de leur permanence pour frapper des coups continus sur l’hydre à trois têtes, pas toujours très conscientes de leur solidarité. Ils mirent tout à profit, circonstances locales, intérêts politiques, défaillances des rois et des peuples, indifférence des hommes d’état, timidité des populations croyantes. S’ils réussirent plus tôt et plus complètement en Hollande, c’est qu’ils avaient affaire à moins forte partie ; mais, il ne faut pas s’y tromper, la raison de leur acharnement contre cette église particulière est identiquement la même que celle qui a dicté leur violente opposition à notre Port-Royal, à nos jansénistes, à Bossuet, à notre gallicanisme enfin, si cruellement condamné par le dernier concile.

Après la mort de l’archevêque Neercassal, la cour de Rome et le chapitre d’Utrecht eurent de longs démêlés relatifs au choix de son successeur. Enfin une transaction intervint, et l’on fit choix d’un homme très pacifique, très modéré, Pierre Codde. On pouvait croire la lutte assoupie pour longtemps, lorsqu’un jésuite français la ranima. Ce jésuite, Louis Doucin, accompagnait l’un des diplomates français qui concoururent à la paix de Ryswyk (1697). Le jansénisme était sa bête noire, il en voyait, il en mettait partout, et, comme les catholiques néerlandais ne partageaient point son horreur pour cette tendance, il crut que l’église néerlandaise était empoisonnée, gangrenée, absolument perdue par la faute de ses évêques. Il écrivit tout un livre pour dévoiler ce mystère d’iniquité, et ce livre fit à Rome un effet désastreux pour la cause épiscopale en Hollande. En vain Codde voulut se justifier et envoya au saint-siège une réfutation détaillée. Une commission de cardinaux, constituée ad hoc, le déclara suspens. La suppression du diocèse était même imminente, et Codde ne vit de chance de salut que dans un voyage à Rome, où il plaiderait lui-même sa cause auprès du saint-père.

Alors se déroula l’une de ces tragi-comédies que l’histoire sacrée connaît, hélas ! aussi bien que la profane. Codde croyait s’adresser à des juges prévenus, mais impartiaux d’intention et disposés à se rendre à de bonnes raisons. L’idée qu’on oserait, sans motifs de la plus haute gravité, usurper sur les droits de l’épiscopat au point de supprimer d’un trait de plume un diocèse constitué par saint Willebrord et saint Boniface, un diocèse qui, malgré les malheurs récens, comptait encore 300,000 diocésains, une telle idée ne pouvait lui entrer dans l’esprit. Tout d’ailleurs ne commandait-il pas de laisser l’église catholique des Pays-Bas en possession de son clergé séculier, désormais reconnu, respecté par les pouvoirs politiques, très désireux de rester dans l’unité catholique, et toutefois ne donnant plus de prise aux soupçons des patriotes ? Ne serait-ce pas combler les vœux des ennemis déclarés de cette église que de l’enlever à ses chefs naturels pour la livrer à des moines étrangers, suspects par cela même, et qui ressusciteraient par leur intrusion les défiances dont elle avait eu tant de peine à triompher ? Les jésuites avaient accusé Codde en cour papale d’être méprisé de son propre clergé : Codde arrivait avec des attestations d’estime et d’affection chaleureuse signées par plus de 300 ecclésiastiques de son diocèse. Que lui parlait-on de son jansénisme ? Il désavouait en son nom et au nom de tous les siens la doctrine janséniste condamnée à Rome, lors même qu’il persistait à penser qu’on n’avait pas bien compris Jansénius lui-même ni ses intentions réelles. Enfin les états lui prêtaient leur appui indirect, en ce sens que le saint-père était averti du fâcheux effet que produiraient en Hollande la suppression de l’épiscopat national et son remplacement par des moines. Le résultat fut que Codde se vit accueilli à Rome de la manière la plus gracieuse. Le pape Clément XI déclara qu’il était enchanté des entretiens qu’il avait eus avec lui. Sa sainteté prit même hautement sa défense au sein du conclave, et en témoignage de son estime particulière elle voulut qu’une des premières places fût assignée à l’archevêque d’Utrecht lors des grandes fêtes célébrées à l’occasion du jubilé de l’an 1700. Le brave Codde fut littéralement enguirlandé, se reprocha d’avoir été trop vite effrayé, et écrivit en Hollande qu’il fallait se rassurer, que la cause de l’épiscopat était gagnée.

En réalité, cette cause était perdue. Tandis qu’on l’accablait à Rome de marques de bienveillance, le bref pontifical qui le suspendait arrivait en Hollande, et un pro-vicaire nommé par le pape pour le remplacer se présentait inopinément devant le chapitre. Codde s’aperçut qu’on l’avait joué, et voulut repartir sans délai pour les Pays-Bas. Nouvelle déception ! l’ordre était donné de ne pas le laisser partir, et il dut ronger son frein pendant que là-bas on bouleversait son cher diocèse.

Dans les Provinces-Unies, le chapitre d’Utrecht, ne reconnaissant pas à la cour de Rome le droit de déposer ainsi sans autre forme de procès un archevêque nommé canoniquement, refusa de se soumettre au pro-vicaire envoyé par le pape. L’internonce n’attendait que ce moment. Il répondit à la résistance prévue du chapitre en publiant le décret qui supprimait les chapitres d’Utrecht et de Harlem. Nouvelles protestations, nouveaux refus de soumission, répliques et dupliques ; en attendant, Codde était toujours retenu à Rome. Les états à la fin se fâchèrent, et, bien que protestans et par conséquent très indifférens à la question théologique débattue entre Rome et Utrecht, ils firent réclamer en termes énergiques la mise en liberté de leur compatriote. Il y avait déjà quatre ans qu’il était captif de fait. En ce temps-là, il n’était pas prudent de s’attirer le courroux de leurs hautes puissances les états. Rome comprit qu’elle devait capituler, mais elle prit ses précautions. Elle fit signera Codde, qu’on avait laissé soigneusement dans l’ignorance des démarches faites en sa faveur, des engagemens qui, sans lui ôter précisément sa dignité d’archevêque, lui liaient les mains dans son propre diocèse et ne lui permettaient plus d’exercer réellement les fonctions inhérentes à son titre. Le vieillard inquiet, abattu, désireux avant tout de revoir son pays, souscrivit ce qu’on voulut, et revint désespéré à Utrecht. La situation en effet était devenue très critique. Il y avait un archevêque, un chapitre, un diocèse ; mais ce diocèse était supprimé en principe, ce chapitre était annulé, cet archevêque ne pouvait plus se donner des coadjuteurs. Jusqu’à la mort de Codde, qui, tant qu’il vivait, maintenait encore une forme de diocèse, il y eut une sorte d’ajournement forcé de la solution finale. Le parti jésuitique en profita pour se consolider et se mettre en mesure de dominer la situation lorsque l’heure décisive aurait sonné. Codde ne pouvant plus ordonner de prêtres, la mort éclaircissait lentement les rangs de son clergé, et, sous peine de laisser les âmes catholiques à l’abandon, il fallait bien tolérer le ministère des affiliés de l’ordre d’Ignace ou de ses partisans. Un certain nombre de prêtres effrayés croyaient qu’il était sage de conserver à tout prix l’unité parfaite avec Rome, et se détachaient de leur archevêque. C’est surtout au sein des communautés que la propagande ultramontaine était active. Les prêtres fidèles à la constitution épiscopale étaient stigmatisés comme hérétiques et excommuniés. Les mariages célébrés par eux, les sacre-mens administrés par leurs mains, les absolutions qu’ils prononçaient, étaient déclarés de nulle valeur, et l’on comprend l’effet de terreur que ces dénonciations, appuyées par de continuelles lettres venant de Rome, produisaient sur les consciences ignorantes et timorées qui formaient la grande majorité des catholiques néerlandais.

De son côté, le chapitre ne restait pas inactif. Il faisait retentir la catholicité de ses protestations et de ses plaintes. Il avait pour principaux avocats van Erkel et Heussen, l’auteur de la Batavia sacra. Nombre d’évêques, ceux entre autres de Bayeux, de Blois, de Senez, partisans déclarés du vieux droit épiscopal, s’étaient prononcés en sa faveur et se disaient disposés à consacrer des prêtres pour desservir les paroisses catholiques des Pays-Bas. Des facultés de théologie renommées, celles notamment de Paris et de Louvain, avaient émis sur sa demande des avis formellement contraires aux décrets du saint-siège ; mais la fatalité voulait que la grosse affaire du jansénisme vînt compliquer la position du chapitre. L’interminable querelle à propos de la bulle Unigenitus passionnait alors les esprits. On sait que cette bulle pontificale, contenant la condamnation d’un certain nombre de thèses extraites des écrits de Jansénius et de Quesnel, était imposée par la cour de Rome à la signature de tous ceux qui réclamaient le titre de catholiques. On sait aussi que la prétention des gallicans, appuyés par le parlement de Paris, était que cette bulle énonçait de graves erreurs de fait, qu’en réalité les thèses attribuées à Jansénius n’étaient pas les siennes ou ne se trouvaient pas dans son livre. Le chapitre d’Utrecht voulut rester sur le terrain que ses évêques avaient adopté depuis l’origine de la querelle. Il refusa sa signature. Il ne pouvait faire autrement, mais ce refus acheva de le perdre aux yeux de la curie romaine et de le compromettre dans l’esprit des catholiques, terrifiés à l’idée d’encourir une dénomination tenue désormais à Rome pour hérétique.

Enfin Codde mourut. Que faire ? Les dispositions à Rome étaient moins conciliantes que jamais. Le chapitre, aux yeux du pape, était frappé d’une sentence de suppression. Cette sentence, qui dans l’opinion du chapitre était sans aucune espèce de valeur, devait-elle l’exempter de son devoir impérieux, de l’obligation de nommer selon les canons un successeur à l’archevêque défunt ? Un diocèse qui a vu au XVe siècle l’erreur d’un pape à son égard redressée par son successeur a le droit d’espérer qu’il en pourra être de même au XVIIIe. Après mainte hésitation, après s’être entouré de toutes les lumières possibles, après avoir reçu l’avis favorable de beaucoup d’évêques et des plus célèbres facultés de théologie, le chapitre fit le pas décisif. Se conformant minutieusement aux canons et coutumes ecclésiastiques en vigueur dans le diocèse, il nomma un archevêque (1723) et notifia respectueusement son choix à Innocent XIII. Ni lui ni son successeur Benoît XIII ne se montrèrent disposés à un rapprochement quelconque, ou plutôt le dernier répondit à la notification réitérée en prononçant l’excommunication sur le chapitre et le nouvel évêque. Le schisme était fait.


II

Quel jugement, au point de vue catholique, faut-il porter sur la légitimité de la conduite adoptée par le chapitre ? La question n’est rien moins que simple. La solution dépend entièrement de la manière dont on conçoit le catholicisme. Il est clair que, si l’on part du principe ultramontain, qui fait du pape le souverain absolu, le dictateur infaillible de l’église, la conduite du chapitre d’Utrecht est condamnable. La question de savoir si le saint-siège en cette occurrence a bien ou mal jugé ne se pose même pas. Roma locuta, causa audita est. Si au contraire on adopte le principe épiscopal ou gallican, il n’est pas permis de trancher ainsi les choses. Sans doute le catholique gallican redoute le schisme et professe la déférence la plus respectueuse pour le saint-père et son autorité ; mais cette autorité qu’il reconnaît au saint-siège n’est pas l’infaillibilité. Il est arrivé quelquefois que le pape a mal jugé, que, mal renseigné, il a pris des décisions regrettables. En pareil cas, on peut, on doit en appeler de ses décisions, et, si la discipline de l’église suppose que le pape peut être amené à des résolutions molu proprio réclamées par l’urgence du mal à combattre, le consentement, au moins tacite, du corps épiscopal demeure en droit la sanction des mesures décrétées ; s’il s’agit surtout de questions intéressant gravement la doctrine ou la constitution de l’église, le recours au concile œcuménique reste toujours ouvert. C’est qu’au fond le gallicanisme est un système aristocratique représentatif plutôt que monarchique. C’est l’épiscopat collectif qui est l’autorité fondamentale, le roc immuable sur lequel l’église est bâtie, et les droits de la papauté sont très inférieurs aux siens. « Nobles comme le roi, » disaient d’eux-mêmes les anciens gentilshommes de Bretagne les plus dévoués à la couronne de France ; cependant, tout disposés qu’ils fussent à se faire tuer au service « dudit seigneur roi, » ils n’admettaient pas que le pouvoir royal pût aller jusqu’à supprimer leurs privilèges de naissance ni leurs franchises provinciales. De même un évêque gallican, tout en reconnaissant le pape comme son supérieur, se considère comme aussi inviolable, aussi sacré que lui dans l’exercice du ministère local qui lui est dévolu. Cette même inviolabilité s’attache à la personnalité morale du diocèse et du chapitre qui lui confèrent la dignité épiscopale en vertu des anciens canons. Il a fallu la révolution, le concordat napoléonien et les bouleversemens qui en sont résultés dans les conditions d’existence de l’église catholique en France pour obscurcir ces notions qui, sous l’ancien régime, avaient pour ainsi dire force d’axiomes au sein de l’épiscopat français.

Il suit de là que, si la cour de Rome peut sous sa responsabilité blâmer, censurer, excommunier même tel ou tel membre de l’épiscopat qu’elle juge indigne ou hérétique, celui-ci peut à son tour invoquer une juridiction supérieure, et surtout que, sous peine de léser le principe vital de l’église, cette cour ne saurait de sa propre autorité supprimer des diocèses existans, ni par conséquent empêcher les diocèses vacans de donner des successeurs à leurs évêques défunts. Au point de vue épiscopal, c’est-à-dire au point de vue de l’ancienne église de France comme au sien, le chapitre d’Utrecht était donc entièrement dans son droit. Il ne voulait pas se séparer de Rome, il le prouvait en notifiant au pape le choix qu’il avait fait avec toutes les formalités requises ; il aurait pu, le cas échéant, modifier ce premier choix sur les représentations du saint-siège, mais il ne pouvait absolument pas consentir à la suppression de son diocèse ni laisser indéfiniment le diocèse sans pasteur. En résumé, ce conflit local ne faisait que mettre en lumière la contradiction, longtemps adoucie ou voilée dans la pratique, qui est inhérente à la théorie de l’autorité catholique. Là où l’ultramontain reconnaissait l’exercice d’une souveraineté absolue, primant tous les droits et tous les devoirs, l’épiscopaliste se sentait lié par un devoir absolu dont rien ni personne ne pouvait l’exempter, dût-il même en résulter une rupture, non pas avec l’église catholique, mais avec le pape mal éclairé.

Le chapitre d’Utrecht prit soin du reste que toutes les formalités canoniques fussent ponctuellement observées pour l’installation de l’archevêque Steenoven. D’après les canons de l’église, il faut ordinairement la coopération d’autres évêques pour qu’un nouveau membre de l’épiscopat soit installé dans ses fonctions ! Toutefois les mêmes canons ont prévu les cas, dits de nécessité, où la présence d’un seul évêque suffit pour la consécration du nouveau dignitaire. Or il y avait en ce moment même en Hollande un évêque français du nom de Varlet, évêque missionnaire de Babylone, qui, lui aussi, s’était vu privé de son siège épiscopal, grâce aux manœuvres des jésuites, mais dont la position canonique était intacte. Il prêta son ministère au chapitre pour la circonstance, et Steenoven fut régulièrement installé.

Un seul archevêque ne pouvait remplacer l’ancienne hiérarchie épiscopale néerlandaise. Le chapitre local de Harlem, qui aurait dû pourvoir à la vacance ouverte par la mort du dernier titulaire, n’osait lui nommer un successeur. Le chapitre métropolitain fit ce que les canons commandaient lors des cas prévus où un chapitre inférieur est négligent ou récalcitrant ; il nomma un évêque de Harlem. La même marche fut suivie à Deventer. L’archevêque ancien-catholique d’Utrecht se vit donc à la tête d’un corps épiscopal, très réduit sans doute, mais complet et habile à se perpétuer.

Ainsi se passa le reste du XVIIIe siècle. Plusieurs archevêques se succédèrent sur le siège d’Utrecht, Barchman Wuytiers, mort en 1733, van der Kroon, mort en 1739, Meindaerts, qui mourut en 1768. Un moment, la pauvre église, schismatique sans le vouloir, put croire que l’ère de la justice allait se rouvrir pour elle. Régulièrement, chaque fois, qu’un nouvel évêque était nommé, la notification en était faite à Rome dans les termes les plus soumis ; non moins régulièrement, Rome répondait à la notification par un anathème en due forme. Cet anathème était lu par déférence dans les églises épiscopales, et cette lecture était suivie d’une protestation du clergé. Vint enfin un pape très différent de ses prédécesseurs. Clément XIV, qui n’aimait pas les jésuites et qui prononça la dissolution de l’ordre, les soupçonnait d’avoir par leurs intrigues envenimé un différend qu’avec un peu de condescendance il eût été facile d’apaiser. L’épiscopat néerlandais, informé de ses dispositions, redoubla d’efforts pour plaider la justice de sa cause. A la fin, plusieurs hauts personnages, Charles III, roi d’Espagne, Marie-Thérèse, le comte Colloredo, primat d’Allemagne, se prononcèrent en sa faveur, et réclamèrent du pape la révision de toute cette procédure. Les évêques néerlandais et leur clergé voulurent faciliter de leur mieux le rapprochement qu’on allait tenter. Ils se réunirent en concile provincial à Utrecht (1763), et ; sang pour cela se soumettre à la bulle Unigenitus, ils condamnèrent officiellement et expressément les erreurs jansénistes telles qu’on les définissait à Rome. Clément XIV fut touché de ces preuves de bonne volonté et demanda au chapitre de lui envoyer un fondé de pouvoirs. Le chapitre d’Utrecht s’empressa de députer à Rome le savant Dupac de Bellegarde ; mais il était à peine arrivé dans la ville pontificale, que Clément XIV mourut d’une manière aussi mystérieuse que subite. Son successeur Pie VI ne lui ressemblait en rien ; lorsqu’on lui parla de renouer la négociation, il coupa court à tout en prononçant sur l’épiscopat et l’église d’Utrecht la grande excommunication coram populo. Ainsi s’évanouit l’espoir des anciens-catholiques néerlandais.

Leur position n’était favorable d’aucun côté. En Hollande même, les états avaient continué de les traiter avec des égards marqués ; ils ne pouvaient pourtant forcer la multitude catholique de rester dans leurs cadres. Le plan des jésuites, même en dépit de leur suppression officielle, avait réussi. L’ancienne église nationale des Pays-Bas n’était plus en fait qu’une mission desservie par des moines. Ceux-ci, complètement soumis à leurs supérieurs ou généraux résidant à Rome, étaient parvenus à détacher la masse catholique de ses évêques légitimes. Ils avaient tiré grand parti des excommunications pontificales, du jansénisme dont ils disaient l’épiscopat rebelle infecté, de l’opposition du clergé épiscopal aux formes de la dévotion italienne, enfin de sa sévérité en matière d’absolution. Ce clergé en effet avait conservé l’ancienne discipline, qui ne badinait pas avec des infractions que l’esprit du siècle jugeait désormais avec plus d’indulgence. Par exemple, il refusait l’absolution à quiconque retirait un intérêt élevé de l’argent qu’il avait prêté. Une pareille clause était bien dure à observer dans un pays qui s’enrichissait en prêtant à gros intérêts au monde entier. Toutes ces circonstances firent que, les uns par dévotion superstitieuse, les autres pour mettre leur conscience au large, beaucoup enfin parce qu’ils ne pouvaient supporter longtemps l’idée d’être brouillés avec Rome, la grande majorité des catholiques abandonnèrent leurs évêques pour se ranger sous la direction des moines. Quand se déchaînèrent les tempêtes politiques de la révolution, le petit troupeau des anciens-catholiques de Hollande ne se montait plus qu’à 6 ou 7,000 âmes ; c’est à ce chiffre qu’il a pu se maintenir jusqu’à nos jours. Toutefois il persévéra, luttant, avec une indomptable ténacité contre le dissolvant peut-être le plus actif qui puisse miner une société de ce genre, l’indifférence du monde entier, l’invraisemblance d’un espoir quelconque de réhabilitation. De temps à autre seulement, à de longs intervalles, quelques vagues lueurs bien vite éteintes. Ainsi le roi Louis Bonaparte, fut surpris d’apprendre que cette petite église existait encore ; son esprit curieux fit même qu’il lui donna quelques marques d’intérêt, ce qui ne l’empêcha point, vers la fin de son règne, de refuser au chapitre l’autorisation, exigée par la loi, de nommer un nouvel archevêque. Le refus n’eut pas longue suite, car Louis Bonaparte fut détrôné peu de temps après par son puissant frère. Celui-ci qui n’avait guère songé jusque-là aux anciens-catholiques de Hollande, vit passer comme un éclair devant son esprit l’idée du service éminent qu’ils pouvaient lui rendre dans certaines éventualités. Il était alors au plus fort de ses démêlés avec le saint-siège. Quand il vint à Breda, il fit une terrible algarade aux prêtres-catholiques romains, convoqués pour le saluer au passage ; il n’était pas fâché d’avoir pour ainsi dire sous la main un épiscopat de rechange : Il se montra donc fort gracieux pour la clérésie épiscopale (c’est le nom officiel et ne préjugeant rien que l’on donnait désormais ai l’église ancienne-catholique, des Pays-Bas), et, fit même des promesses positives ; les grands événemens où l’empire sombra ne lut laissèrent ni le temps ni le pouvoir de les remplir.

Vint la restauration, puis la constitution du nouveau royaume des Pays-Bas, comprenant l’ancienne république néerlandaise et la Belgique. On aurait pu croire que le gouvernement de la maison d’Orange se montrerait plus favorable ; que tout autre à une église qui pouvait se vanter d’avoir souffert si longtemps de sa fidélité aux traditions nationales. C’est le contraire qui eut lieu. Sans-doute les anciens-catholiques demeurèrent libres ; mais ; bien loin de plaider leur cause auprès du saint-siège, le nouveau gouvernement, qui aurait eu plus de crédit que ses prédécesseurs, puisqu’il n’était plus exclusivement protestant, dirigea sa politique dans un sens presque hostile à leurs intérêts. Toutes les fois qu’il fallait nommer un évêque, l’autorité néerlandaise suscitait mille difficultés. C’est seulement en 1826 que, sous la pression de l’opinion, le gouvernement reconnut officiellement les évêques titulaires d’Utrecht, de Harlem et de Deventer.

Hélas ! il arrivait à la pauvre petite église hollandaise ce qui arrive si souvent de nos jours, dans d’autres pays, aux minorités religieuses trop faibles par le nombre pour peser d’un poids sérieux angles ; intérêts et le jeu des partis politiques. Il est rare qu’un gouvernement moderne les néglige, ou surtout les combatte par antipathie religieuse proprement dite. Cependant elles sont faibles, leurs adversaires sont forts, et ce sont elles qui doivent le plus souvent payer le prix du concours que l’on demande aux autres. La maison d’Orange avait de graves soucis à l’endroit de ses nouveaux sujets catholiques. Ceux-ci obéissaient aveuglément à leur clergé, qui, de son côté, ne respectait que les ordres émanés du saint-siège. Or, si la catholicité à peu près tout entière avait perdu de vue l’église catholique épiscopale de Hollande, si dans son pays même cette église ne pouvait plus compter que sur l’estime, d’ailleurs froide et peu utile, de la majorité réformée, il y avait une puissance qui n’avait cessé de diriger des yeux très grands ouverts sur ce débris de l’ancien catholicisme national, et qui pressentait les graves embarras que cet épiscopat régulier, resté debout à travers tant d’orages meurtriers et d’accalmies peut-être plus mortelles encore, pourrait un jour susciter à sa politique envahissante. Les nonces accrédités à La Haye ou à Bruxelles ne cessaient de manœuvrer auprès du gouvernement néerlandais pour obtenir de lui des mesures qui, directement ou indirectement, missent un terme à ce schisme désormais insignifiant, qui du moins ne pouvait plus servir qu’à scandaliser inutilement les âmes catholiques. Quand la cour de Rome vit enfin qu’elle ne parviendrait pas à son but par cette voie détournée, elle s’avisa d’un autre moyen. En 1828, le nonce Capaccini reçut pour instructions d’inviter les évêques récalcitrans à prêter les mains à un arrangement dont la base serait qu’ils fissent volontairement abdication de leurs titres. L’entrevue qui eut lieu à La Haye entre ce nonce et l’archevêque van Santen, et dont la teneur a été soigneusement consignée, est trop caractéristique de tout ce débat pour que nous n’en reproduisions pas les traits essentiels.

Capaccini, en voyant venir l’archevêque, commença par le combler d’éloges personnels et par protester du désir qui animait le saint-père de voir le schisme apaisé d’une manière qui pût contenter les deux partis, et surtout ne rien coûter à la dignité ni aux convictions d’hommes aussi éclairés, aussi respectables que les titulaires de l’épiscopat séparé. Puis, comme l’archevêque demeurait passablement interdit à l’ouïe de tant de complimens, qui contrastaient étrangement avec le langage auquel ses collègues et lui étaient habitués de la part des représentans du siège romain, il ajouta que, dans sa bonté paternelle, le pape consentait à réduire tout le différend à un point vraiment insignifiant, à une simple signature qu’il l’invitait à mettre au-dessous d’une bulle faisant désormais partie de la tradition catholique et sans application actuelle, la bulle Unigenitus. Le nonce se gardait bien de porter la discussion dès l’abord sur le véritable terrain débattu entre Rome et Utrecht. Le refus que, d’accord avec tant de prélats, de prêtres, de docteurs catholiques, l’épiscopat et le clergé néerlandais avaient opposé jadis à l’injonction de signer la fameuse formule, n’était qu’un incident parmi tant d’autres de la querelle bien plus importante qui roulait sur les prétentions opposées de la cour de Rome et du catholicisme national. L’adroit Italien pouvait espérer que son interlocuteur ne verrait pas de difficulté majeure à souscrire un document dont, à dire vrai, la valeur n’était plus qu’historique, et dont personne ne s’occupait plus. S’il réussissait à obtenir cette concession de l’archevêque, sa cause, à lui, était gagnée, car cette concession équivalait au désaveu de tout le passé, à la reconnaissance des droits supérieurs du saint-siège, à une véritable capitulation, et, cela posé, rien n’empêche de croire que le nonce et la cour romaine ne fussent parfaitement sincères dans les promesses séduisantes qu’ils faisaient briller aux yeux de ces pauvres évêques, depuis si longtemps mis au ban de l’église, dénoncés, méprisés, traités en vrais parias. On leur eût bien accordé des titres, des honneurs, des fonctions même, qui eussent largement compensé la perte de leur position épiscopale contestée.

Van Santen aurait pu refuser de déplacer ainsi la question et la reporter immédiatement sur le véritable point en litige ; il préféra rester sur le terrain choisi par son interlocuteur, et ce fut pour lui déclarer qu’il lui était impossible de faire ce qu’on lui demandait sans se parjurer. « J’ai lu plus d’une fois l’Augustinus de Jansenius, lui dit-il ; je sais, à n’en pouvoir douter, que les cinq thèses condamnées par la bulle ne sont pas dans ce livre. Comment donc pourrais-je, en honnête homme et en chrétien, signer une déclaration qui affirme un fait que je sais faux ? »

Le nonce alors s’efforça de lui démontrer que son devoir était de se soumettre sans aucune réserve aux décisions du saint-siège. « Voyez, lui dit-il, la table près de laquelle nous sommes assis est recouverte d’un tapis vert. Supposons qu’elle appartienne à un père de famille, et que ce père ait formellement défendu à ses enfans d’entrer dans cette chambre et même d’y regarder. Un jour, et malgré la défense, l’un des enfans regarde par le trou de la serrure et arrive à savoir, grâce à sa désobéissance, que ce tapis est vert. Un peu plus tard, le père dresse un inventaire de ce que cette chambre contient, et soit par inadvertance, soit avec intention, — cette distinction n’importe pas ici, — ce père désigne le tapis comme rouge. Si maintenant, au nom de son autorité paternelle, il ordonne à chacun de ses enfans de signer l’inventaire comme parfaitement exact, le fils qui a vu le tapis sera-t-il en droit de faire valoir cette connaissance qu’il n’a acquise qu’en désobéissant, et devra-t-il refuser de signer que le tapis est rouge ? Le père avait le droit de défendre à ses enfans de regarder dans la chambre, il avait aussi le droit de prescrire à ses enfans de signer ce qu’on leur donnait à signer, et ce n’est pas l’acte de désobéissance antérieure commis par l’un des enfans qui pouvait exempter celui-ci de l’obligation d’obéir à l’ordre paternel. »

On voit où le nonce voulait en venir. Le pape est le père des catholiques, il a interdit d’abord la lecture de l’Augustinus, puis il a condamné certaines propositions qu’il prétend contenues dans ce livre. Ceux qui refusent de souscrire la condamnation sous prétexte que les propositions condamnées ne sont pas dans le livre doivent avouer qu’ils ont lu un ouvrage défendu. Comment cette faute pourrait-elle leur donner un droit de résistance que la soumission complète ne leur eût pas conféré ? Et pourquoi l’archevêque d’Utrecht ne mettait-il pas sa conscience à l’aise en se disant qu’après tout, s’il plaît au saint-père de déclarer rouge le tapis qu’il sait vert, cela regarde le saint-père, non pas lui, et qu’il peut signer les yeux fermés ce qu’on lui présente ?

L’archevêque se défendit de son mieux contre ce sophisme captieux ; rien n’est plus curieux que de suivre le long de cet entretien le duel acharné que se livrent sous des formes courtoises la diplomatie subtile de l’Italien et la bonne grosse probité hollandaise, qui ne peut se persuader qu’un faux en écriture soit susceptible de se transformer en œuvre pie. Si l’archevêque eût été, comme le nonce croyait peut-être qu’il était fatigué de sa position et simplement désireux de trouver un biais qui lui permit d’en sortir avec honneur, peut-être eût-il prêté l’oreille à des propositions d’arrangement qui eussent sauvé les apparences. Pour d’honneur de sa réputation et de son église, il demeura sourd aux offres, aux cajoleries et même aux menaces du nonce, qui, furieux à la fin, le congédia en confirmant l’anathème lancéê par les pontifes romains contre l’épiscopat schismatique.

Depuis lors l’église catholique-épiscopale ou ancienne catholique des Pays-Bas continua de végéter, se maintenant, mais ne pouvant s’étendre, de plus en plus oubliée, beaucoup trop dédaignée de ceux même qui, dans le sein du catholicisme, commençaient à s’alarmer de la tournure que la politique religieuse prenait à Rome. Chaque fois qu’un nouveau pape montait sur le trône pontifical, la petite église le saluait humblement, demandant une enquête nouvelle et son rétablissement dans ses droits ; on lui répondait par l’anathème. Chaque fois qu’un nouvel évêque était intronisé dans un de ses Diocèses conformément à sa tradition constante, elle persistait à en donner avis, au pape régnant ; nouvel anathème, nouvelle protestation de l’église excommuniée. Cela finissait par devenir un de ses offices spéciaux. Du reste aucun changement, ou plutôt l’année 1853 vit diminuer encore la position de l’épiscopat ancien-catholique.

Jusqu’alors la grande majorité des catholiques de Hollande avait dû se contenter de son organisation en église de mission. Le pape pie IX crut le moment venu de rétablir de son chef les sièges épiscopaux supprimés par ses prédécesseurs, et nomma directement un archevêque d’Utrecht, des évêques de Bois-le-Duc, de Harlem et de Ruremonde. La manière, fort injurieuse pour la nation néerlandaise, dont eut lieu cette réorganisation suscita au sein de la majorité protestante un mouvement de colère qu’on eut quelque peine à calmer. Au fond cependant il n’y avait rien de réellement changé par là dans ses rapports avec la minorité catholique ; mais la plus directement frappée fut l’église catholique épiscopale. Jusqu’en 1853, ses évêques étaient restés seuls en possession du titre officiel de leurs diocèses. Ils pouvaient encore se dire que, seuls, ils représentaient la tradition épiscopale nationale, que de meilleurs jours pourraient enfin luire où leurs ouailles naturelles les reconnaîtraient pour leurs légitimes pasteurs, que l’état anormal où se trouvait encore la masse des catholiques néerlandais était la confirmation indirecte de leur bon droit en tant que seuls continuateurs de la vieille église du pays. Désormais ils devaient voir à côté d’eux des compétiteurs qu’ils ne pouvaient regarder autrement que comme des usurpateurs, et ces compétiteurs avaient l’avantage d’être seuls reconnus par la majorité catholique, d’être en communion avec le saint-siège et avec tous les évêques de la catholicité. Leur protestation fut énergique, et touchante. Elle ne fut pas sans influence sur certaines dispositions de la loi votée par les chambres néerlandaises, qui astreignait les nouveaux évêques à des conditions de résidence peu conformes à leur titre officiel. Cette mince satisfaction ne changeait rien à tout ce que la réalité avait de décourageant, et l’opinion générale fut que le décret de Pie IX avait porté le coup de grâce à l’église des évêques nationaux en lui enlevant jusqu’à l’apparence de légitimité, qu’elle avait pu conserver jusqu’alors.


III.

Tout semblait donc fini pour les anciens-catholiques de Hollande. Leur église persistait à vivre avec sa hiérarchie, mais forcée de renoncer à toute expansion, de plus en plus enfoncée dans la masse indifférente ou hostile, condamnée à s’teindre au bout d’un temps donné. Un mélancolique rayon de soleil couchant se reflétait sur les derniers jours de cette vieille église qui s’en allait mourante. Quelques prêtres étrangers avaient continué de s’intéresser à la pauvre agonisante. On en rencontrait encore quelques-uns à Milan, ce vieux centre d’autonomie ecclésiastique, et dans le clergé de Paris, où quelques élémens jansénistes, très adoucis, mais toujours fidèles aux souvenirs de Port-Royal, se sont longtemps maintenus. En 1859, deux prêtres italiens, Nicolini Thomas, de Milan, et Emmanuel Johannes, de Pavie, faisaient parvenir à l’archevêque H. Loos, récemment élevé au siège d’Utrecht, une lettre pleine de sympathies chaleureuses. Un curé de Paris, M. P. -J. Jobart, mort il y a quelques années, resta jusqu’à la fin de sa vie en relations avec les anciens catholiques néerlandais. Lorsqu’on pénétrait dans leurs modestes sanctuaires, notamment à Utrecht, à Oudewater, à Delft, à Enkuyzen, on était tout surpris d’y découvrir des ornemens d’église d’une beauté rare ou d’un grand intérêt historique, des chasubles byzantines, des vêtemens sacerdotaux du moyen âge, de vieilles remontrances, des coupes, des dentelles d’une valeur considérable et d’un travail exquis, la croix pectorale de l’évêque Jansénius, l’anneau épiscopal de l’archevêque Neercassel, etc. A Utrecht, on pouvait examiner les belles archives de la petite église et parcourir toute une série d’autographes provenant des anciens évêques de la ville métropolitaine. C’étaient autant de témoins muets de la connexion de l’ancien diocèse avec l’église actuelle, seule propriétaire légitime de ces débris des richesses appartenant jadis à l’église catholique des Pays-Bas ; on pouvait même y trouver de curieuses reliques. Hélas ! l’église elle-même semblait passée à l’état de relique, de débris fossile d’un temps et d’un état d’esprit à jamais disparus. En pénétrant dans ces humbles chapelles, on croyait entrer dans le caveau de famille où dormaient ensemble les vieux gallicans, Port-Royal-des-Champs et l’ancien épiscopat de la Néerlande. C’est donc là tout ce qui restait de tant d’efforts, de tant de sacrifices, de tant de grandeurs !

Mais ne voilà-t-il pas qu’en très peu d’années, en peu de mois, la scène change, que des circonstances imprévues rendent un nouveau lustre à l’église qui s’affaissait lentement sur les tombeaux sacrés confiés à sa garde ! Et à qui doit-elle cette renaissance inespérée ? A cet ultramontanisme même qui avait déjà entonné plus d’un chant de triomphe sur ses ruines. Le pontificat de Pie IX ouvre en effet une ère nouvelle à l’ancien épiscopat néerlandais. Déjà la proclamation du dogme de l’immaculée conception avait provoqué une vigoureuse protestation de l’archevêque d’Utrecht contre cette doctrine inconnue de l’antiquité catholique et imposée à l’église malgré les profondes répugnances d’une multitude de prêtres et de laïques. Cette protestation, qui parut en latin et en hollandais, fut traduite dans toutes les langues, et apprit à bien des gens qui l’avaient oublié qu’il existait encore une église catholique refusant d’accepter la dictature pontificale. Le concile du Vatican vint lui rendre un bien plus grand service. Tout le monde sait aujourd’hui que le procès n’est pas fini, que les protestations augmentent tous les jours de nombre et d’énergie, que l’avenir du catholicisme est impliqué dans le puissant mouvement de réaction suscité par des décrets dont en bien des lieux les catholiques les plus éclairés et les plus fervens contestent la validité.

Toutefois une circonstance grave, à laquelle nous avons déjà fait allusion, pourrait enrayer le mouvement et ne laisser aux anciens-catholiques que l’alternative d’une rupture formelle avec le catholicisme ou d’une soumission contraire à leur conscience : c’est que le corps épiscopal tout entier paraît décidé ou résigné à soutenir la doctrine de l’infaillibilité papale. La fière église gallicane elle-même n’a plus de voix attitrée pour revendiquer ses traditions d’indépendance. Bossuet n’a pas trouvé un seul défenseur hardi et persévérant parmi ses successeurs. On a vu les chefs eux-mêmes de l’opposition dans le dernier concile donner l’un après l’autre l’exemple de capituler. A quoi sert-il, dira-t-on, que des voix éloquentes, comme celles de l’abbé Loyson en France, des professeurs Dœllinger et Friederich en Allemagne, s’élèvent pour affirmer le bon droit de l’ancien catholicisme contre les innovations décrétées au Vatican ? La religion catholique ne se compose pas seulement d’une somme de doctrines ; elle est aussi, elle est surtout, peut-on dire, une manière de constituer la communion de l’homme avec Dieu par l’intermédiaire d’un sacerdoce organisé, dont les membres se transmettent successivement, sans interruption, les pouvoirs divins qu’ils tiennent originairement du Christ lui-même. Que peuvent des voix isolées de prêtres ou de savans, quelle que soit leur valeur personnelle, contre les impérieuses exigences de la vie catholique ? Ne faut-il pas que des évêques confirment les jeunes fidèles, consacrent les saintes huiles, ordonnent les jeunes prêtres ? Peut-on les suppléer canoniquement dans l’exercice de ces fonctions nécessaires au salut des âmes ? Les anti-infaillibilistes auront beau faire, leur protestation se brisera impuissante contre le fait inéluctable qu’on ne peut pas se passer de l’épiscopat pour vivre catholiquement, et que l’épiscopat tout entier est désormais rangé sous la bannière de l’infaillibilité.

Ce raisonnement, tout fort qu’il paraisse, pourrait bien être détruit par un simple détail au premier abord très insignifiant, savoir l’existence de l’ancienne église catholique d’Utrecht avec sa hiérarchie épiscopale régulière et légataire canonique de tous les pouvoirs inhérens à l’épiscopat. Lui contester la légitimité de son épiscopat uniquement parce qu’elle n’est pas reconnue au Vatican, ce serait faire profession pure et simple d’ultramontanisme, et par conséquent, résoudre la question elle-même. C’est pour cela que les anciens-catholiques des Pays-Bas et les catholiques opposés aux décrets du dernier concile n’ont pas tardé à se rapprocher et à faire cause commune. Dès que le mouvement des anciens-catholiques se fut prononcé, en Allemagne, l’église d’Utrecht comprit qu’elle avait vis-à-vis d’elle-même et de la catholicité tout entière des obligations de premier ordre. L’archevêque Loos se mit en rapport avec les principaux, organes de la protestation allemande. Lorsque le congrès ancien-catholique de 1871 fut convoqué, à Munich, l’église épiscopale de Hollande se fit représenter dans ses rangs par trois délégués, MM. van Vlooten, van Beek et van Thiel. Ce dernier parlait assez bien l’allemand pour faire devant l’assemblée un exposé éloquent et lucide du passé de son église et de sa signification présente. Sa parole fut saluée par d’unanimes applaudissemens et pour la première fois depuis cent cinquante ans une nombreuse réunion de prêtres, de théologiens, de notables catholiques, rendit un éclatant hommage au bon droit de l’église, excommuniée. Parmi les résolutions votées par le congrès se trouve celle-ci ; « nous déclarons que le reproche de jansénisme fait à l’église d’Utrecht n’est pas fondé, et qu’en, conséquence il n’y a pas de différence dogmatique entre, elle et nous. »

Cette déclaration du congrès de Munich, fait aux évêques anciens-catholiques de Hollande une position. très considérable. Si, d’après un calcul récent et très circonspect, on évalue à 300,000 le. nombre des catholiques allemands et autrichiens qui ont adhéré aux protestations soulevées par les décrets du Vatican, l’archevêque Loos est le premier dignitaire, ecclésiastique de l’association, et son diocèse, est redevenu en fait aussi important par le nombre des âmes que l’était celui de son prédécesseur Codde, lorsqu’il fut supprimé par le pape. Il n’est donc pas surprenant que les relations inaugurées l’an dernier à Munich commencent à porter leurs fruits. Ainsi le curé Benftle, de Mering en Bavière, suivi dans sa résistance par sa paroisse entière, a demandé à l’archevêque d’Utrecht de venir avec les saintes huiles pour administrer le sacrement de la confirmation, Le curé Aloysius Anton, de Vienne, qui a organisé toute une communauté ancienne-catholique, lui a fait parvenir une requête toute semblable, et de plus lui propose de consacrer trois évêques. D’autre demandes du même genre vont lui arriver d’Allemagne, de Bohême et d’Autriche. Nul ne peut savoir où s’arrêtera ce mouvement.

Ici pourtant se présente une difficulté de jurisprudence ecclésiastique : jusqu’à quel point, en droit canonique, un évêque peut-il remplir des fonctions épiscopales dans un autre diocèse que le sien et sans la permission de l’évêque du lieu ? La question, paraît-il, est quelque peu embarrassante. Cependant cette fois encore les évêques de Hollande, pourraient invoquer la loi suprême de la nécessité. Au point de vue catholique en général, il ne peut être permis de laisser périr les âmes par un respect outré des règlemens disciplinaires, et il y a dans l’histoire de l’église des précédens qui pourraient servir à justifier leur intervention. Par exemple, au temps où, selon l’énergique expression d’un père de l’église, le monde s’étonnait d’être arien, lorsque la majorité des évêques, soit par faiblesse, soit par conviction, pactisait avec l’hérésie, il y eut des évêques orthodoxes qui ne craignirent pas de se rendre dans des diocèses autres que les leurs pour porter le secours de leur ministère aux âmes fidèles qui gémissaient sous le joug de pasteurs indignes. Aujourd’hui, peuvent dire les évêques hollandais, la catholicité n’est pas moins étonnée de se trouver ultramontaine.

Pour nous qui assistons en témoins sympathiques, mais du dehors et avec un complet désintéressement, à cette crise intérieure du catholicisme, nous n’ayons qu’un vœu à émettre, c’est que la religion pure, le spiritualisme chrétien, la liberté des consciences, les idées de largeur et de progrès dans la connaissance de la vérité, remportent une éclatante victoire dont la civilisation tout entière recueillerait les précieux fruits. Nous devons avouer que les difficultés tirées du droit canon, ainsi que les moyens d’y parer, nous laissent très froids en comparaison des grands intérêts qui dominent de si haut tout ce conflit ; mais en matière religieuse plus qu’en toute autre il faut savoir respecter les scrupules et ne pas se formaliser de ce que le progrès suit des routes très bizarres ou très étroites à notre sens. Parfois les plus grands fleures se voient resserrés entre des rochers ; ils n’y perdent rien, ni en impétuosité, ni en profondeur, au contraire. Si cette image peut s’appliquer au mouvement des anciens-catholiques, et si l’église d’Utrecht est appelée à lui fournir l’issue dont il a besoin pour ne pas tourbillonner dans l’impuissance, on pourra dire de cette église ce qu’un prophète juif dit un jour de Bethlehem : « Tu es la plus petite des villes de Juda, pourtant de toi sortira le salut. »


ALBERT RÉVILLE.

  1. Certum est quod papa possit errare etiam in rebus quæ tangunt fidem… Plures enim fuerunt pontiflces romani hæretici. — Quœstiones in quartum sententiarum magistri Hadriani Florentii Trajectensis, fol. XXIII.