L’Éducation en Angleterre/Chapitre VII

Librairie Hachette (p. 111-120).

MARLBOROUGH



Le collège de Marlborough, fondé en 1843 et placé sous la direction honoraire de l’archevêque de Cantorbéry, diffère assez sensiblement des autres ; il est, après Eton, le plus peuplé ; les élèves sont au nombre de 575, les plus jeunes dans une sorte de petit collège séparé, d’autres (135 environ) dans trois boarding houses, et tout le reste dans le collège lui-même. C’est là que se trouvent réunis autour d’une vaste cour la bibliothèque, les salles d’étude, la chapelle, le gymnase. Il y a six corps de logis, dont la direction est confiée à six professeurs ; les repas sont pris en commun ; l’étude aussi a lieu en commun, excepté pour les jeunes gens les plus âgés, qui travaillent à part. Tous couchent dans des dortoirs de 12 lits chacun, et les autorités du collège semblent considérer ce système comme le meilleur.

Ce qui me frappe à Marlborough, c’est de trouver une tendance à la réglementation. Jamais on n’admettra en Angleterre l’uniforme scolaire ; mais en fait les enfants sont tous vêtus de même, ce qui prouve le peu d’importance qu’ils attachent à leur toilette : il n’y a d’uniforme que pour les jeux ; ces habillements-là sont les seuls dont ils aient souci, dans lesquels ils se sentent « comfortable » et pour lesquels ils montrent quelque coquetterie. Ici, dans le prospectus, je relève avec stupéfaction, à côté d’une recommandation relative aux vêtements, la défense de porter autre chose que des cravates en soie noire ou bleue très foncée. Autre mesure restrictive : les élèves ne peuvent pas se cotiser à leur guise pour les jeux. On fait disparaître ainsi un puissant élément d’éducation sociale.

Par contre, la liberté des mouvements est plus franche que partout ailleurs : la ville la plus proche est à onze milles, et les enfants, dès qu’ils sont dehors, échappent complètement à l’œil du maître ; aussi j’imagine qu’à plusieurs kilomètres à la ronde le district n’a plus de secrets pour eux. En été même, plus de 150 élèves sont trois fois par semaine dispensés de l’appel, de sorte que de 2 heures 10 à 6 heures 30 rien ne vient restreindre leur complète indépendance, et, s’ils ne prennent pas part aux jeux, ils peuvent courir dans la campagne aussi loin qu’ils veulent. « Nous n’avons jamais eu à nous repentir de les avoir mis à ce régime, » constate avec une légitime satisfaction un des maîtres.

Ceux-ci sont au nombre de 34. Je remarque ici, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’observer ailleurs, qu’ils aiment à circonscrire leurs programmes d’étude, par exemple à faire leur classe d’après un auteur ou même d’après un livre déterminé : je serais tenté de croire cette méthode fructueuse pour l’élève, qui doit apprendre ainsi plus facilement et retenir mieux, mais inférieure pour le professeur, qu’elle empêche de composer d’avance son cours d’après différents auteurs. Cela est vrai surtout pour l’histoire : pour les langues vivantes au contraire, le procédé semble excellent à tous points de vue. Voici les ouvrages français qu’on a étudiés à Marlborough pendant le terme d’été de 1887 : Guizot, Civilisation et Europe ; Tissot, De Paris à Berlin ; Molière le Bourgeois Gentilhomme ; E. Souvestre, Au coin du feu ; Paul Féval, Chouans et Bleus ; George Sand, Nanon ; Fezensac, Campagne en Russie.

Je me rappelle, moi, des classes d’anglais où l’on palissait sur le Paradis perdu de Milton ou sur quelqu’une de ces tragédies de Shakespeare que ceux qui parlent la langue très couramment ont encore peine à bien comprendre : cela n’avait aucun intérêt. N’eût-il pas mieux valu prendre un de ces romans modernes, où l’on trouve des expressions usuelles en même temps que des descriptions et des études de caractère, plus aptes à faire connaître l’Angleterre et ses habitants à des jeunes gens que tous les Paradis perdus et toutes les tragédies de Shakespeare ?

Je n’ai pas encore parlé des prix, dont la distribution occasionne annuellement chez nous des cérémonies panachées de discours, de musique et de poussière ; il y a aussi des prix dans les écoles anglaises, et, puisque nous sommes à Marlborough, je vais exposer brièvement ce que les élèves y ont à faire pour les conquérir. Tantôt il leur faut passer un examen, tantôt faire une composition, mais dans ce dernier cas on se garde de les enfermer entre quatre murs pour y rédiger leur chef-d’œuvre ; on veut au contraire qu’un temps assez long s’écoule entre le moment où le sujet du concours est annoncé et le moment où les compositions doivent être remises ; de la sorte le travail peut revêtir un caractère d’individualité ; il faut faire acte d’initiative pour le compléter, l’appuyer, le documenter. Les vacances de Noël durent un mois : les plus diligents ont la facilité de gagner plusieurs prix en faisant une composition qui, indiquée la veille du départ, est examinée le lendemain de la rentrée de janvier. Le dernier lundi de février, a lieu un examen de littérature et d’histoire ayant pour but de déterminer les heureux possesseurs de deux prix de la valeur de £ 3 (75 francs) chacun. « De l’argent ! allez-vous dire ; voilà qui est trop fort ! » Eh ! mon Dieu oui ! de l’argent ; dans certains cas, la somme doit être employée à acheter des livres, mais, dans d’autres, le lauréat l’empoche sans en rendre compte à ses maîtres. C’est aux parents à y veiller ; parfois le prix a assez de valeur pour fournir, un peu arrondi par la famille, aux frais d’une petite tournée de vacances, pendant laquelle le jeune citoyen s’essaye au « self-government ». Avez-vous peur qu’il gaspille son magot en route ? Pas de danger ! Il est bien trop content de s’en aller ainsi tout seul et il fera plutôt des économies pour pouvoir allonger son voyage.

Voilà ce qui me paraît caractériser les prix en Angleterre : quand j’aurai ajouté que le concours est libre et non imposé, que le même prix ne peut être remporté deux années de suite par le même élève et qu’enfin, au lieu d’être toutes réunies à la fin de l’année, les compositions sont échelonnées depuis novembre jusqu’à juin, j’aurai suffisamment montré, je pense, la différence qui existe entre la France et la Grande-Bretagne sur ce chapitre-là. — Encore un mot pourtant ! Le prospectus de Marlborough me rappelle une idée originale qu’il ne faut pas laisser passer. Le fondateur d’un prix d’histoire naturelle a voulu que la pratique fût jointe à la théorie et qu’on apportât une collection en même temps qu’un travail écrit. Pour cette année, on a demandé une collection de coléoptères recueillis dans le voisinage, et une de larves, ainsi qu’un journal d’observations quotidiennes sur les mœurs des oiseaux, avec la description illustrée des nids, des œufs et la classification des types observés Voilà un but pour les longues excursions campagnardes que facilite, à Marlborough, la situation isolée du collège.

Le mode d’admission ou plutôt le tarif varie selon qu’on entre avec ou sans « nomination ». J’imagine que Marlborough a été fondé par des souscriptions. Tout donateur d’une somme de £ 20 (500 francs) obtient une nomination, c’est-à-dire le droit de désigner un élève qui sera reçu de préférence aux autres et payera un peu moins cher. Celui qui a souscrit pour £ 50 (1 250 francs) ou plus est apte à devenir « life governor » et son droit de nomination ne s’éteindra plus qu’à sa mort. La pension est en général £ 82 (2 050 francs) par an ; il y a 70 places à £ 50 (1 250 francs) pour les fils de clergymen.

Une disposition analogue a été appliquée au Dover College, qui a été fondé en 1871 par une société à capital fixe. Les actionnaires ont une nomination par £ 40 (1 000 francs) engagées dans l’établissement ; les parents de l’élève payent à celui qui l’a nommé une rente de £ 2 (50 francs), qui en représente l’intérêt à 5 p. 100. Bien entendu, l’actionnaire ne peut imposer au head master un enfant que celui-ci a de légitimes raisons pour refuser. Quelque étrange que puisse paraître cette combinaison, il est certain qu’elle a produit de bons résultats. On ne peut nier qu’elle ne soit ingénieuse À Dover College, les prix de pension sont à peu près les mêmes qu’ici.

Savez-vous ce que c’est que le cahier de chansons ? — Cette interrogation n’est peut-être pas très motivée par ce qui précède, mais je vous la pose pour vous faire oublier les détails fastidieux que j’ai cru devoir donner Et puis, comme dit le proverbe, tout finit par des chansons ! Le cahier qui contient celles dont je parle est plus qu’un cahier, c’est une institution ! Souvenir de quelque ancien (some departed hero), dont les exploits au cricket sont devenus légendaires et qui a transcrit sur ces feuilles vénérées toutes les pièces de son répertoire, il apparaît dans les grandes circonstances. Toutes les écoles ont leur cahier et souvent même elles en ont plusieurs : heureux alors ceux qui possèdent une si précieuse relique. Les soirs de fête, dans le hall, on répète ensemble les joyeux refrains que tout le monde sait par cœur, mais qu’on lit dans les cahiers par respect pour ceux qui les rédigèrent ; et c’est ainsi que se transmettent de génération en génération les vieux airs d’autrefois — « Chantez, mes enfants, chantez l’old England que bien des bons Anglais ont chantée avant vous et chanteront après, dit un vieux professeur d’un ton très bienveillant ; quand vous serez comme moi, au bout du voyage, ces refrains vous reviendront dans l’oreille comme un écho lointain tout chargé de bons souvenirs. » On n’a pas besoin de cette assurance pour activer le concert ; au-dessus de 80 bocks de bière s’ouvrent 80 gosiers, qui proclament de toutes leurs forces que

Jack and Gill went up the hill
To fetch a pail of water