De l’éducation du genre humain



Gotthold Ephraim Lessing
L’éducation du genre humain
Texte Intégral
Première traduction de l’allemand sur l’édition de Berlin de 1785.

« Toutes ces choses doivent à une seule et même source et ce qu’elles ont de vrai et ce qu’elles ont de faux.  » St. Augustin.


L’ÉDUCATION
DU
GENRE HUMAIN.


1. La révélation est au genre humain ce que l’éducation est à l’individu.

2. L’éducation est une révélation qui a lieu chez l’individu, et la révélation est une éducation qui a eu lieu, et qui a lieu encore chez le genre humain.

3. Je ne veux pas examiner ici s’il peut être utile pour la pédagogique d’envisager l’éducation de ce point de vue. Mais certes il peut être très-utile, pour la solution d’un grand nombre de difficultés en théologie, de se représenter la révélation comme l’éducation du genre humain.

4. L’éducation ne donne à l’homme rien qu’il ne pût aussi bien avoir de lui-même ; seulement elle le lui donne plus vite et plus facilement. Pareillement, la révélation ne donne au genre humain rien à quoi la raison humaine ne pût parvenir aussi, abandonnée à elle-même ; mais seulement la révélation a donné et donne plus tôt les choses importantes.

5. De même que l’ordre dans lequel l’éducation développe les facultés de l’homme n’est pas indifférent, de même qu’elle ne peut pas donner à l’homme tout à la fois, de même aussi Dieu a dû garder un certain ordre, une certaine mesure dans la révélation.

6. Quoique le premier homme eût été doté immédiatement de l’idée d’un Dieu unique, cependant cette idée communiquée et non acquise ne pouvait subsister long-temps dans sa pureté. Dès que la raison humaine, abandonnée à elle-même, se mit à l’élaborer, elle morcela l’Etre unique, immense ; et, plus à même d’en mesurer les parties, elle leur donna à chacune un signe distinctif.

7. Telle est l’origine naturelle du polythéisme et de l’idolâtrie. Et qui sait combien de millions d’années la raison humaine aurait tourné dans cette fausse voie, malgré les hommes isolés qui, partout et en tout temps, reconnurent que c’était une fausse voie, s’il n’avait pas plu à Dieu de donner à l’homme, par une nouvelle impulsion, une direction meilleure !

8. Mais ne pouvant et ne voulant plus se révéler à chaque homme en particulier, il se choisit un peuple particulier pour en faire l’éducation spéciale, et justement le peuple le plus grossier, le plus abruti, afin de pouvoir le recommencer complètement.

9. Tel était le peuple israélite. On ne sait même pas quel était son culte en Égypte. Certes des esclaves aussi méprisés ne participaient pas au culte des Egyptiens ; et quant au Dieu de leurs pères, ils en avaient totalement perdu la connaissance.

10. Peut-être les Égyptiens avaient-ils interdit expressément aux Juifs tout Dieu, unique ou non, en les plongeant dans la croyance que la nation juive n’avait ni un ni plusieurs dieux, la faculté d’avoir un ou plusieurs dieux étant le privilège exclusif d’hommes plus dignes, tels que les Egyptiens. Et cela pour donner plus d’apparence de justice à la tyrannie qui pesait sur ces malheureux. — La conduite des chrétiens envers leurs esclaves est-elle aujourd’hui encore bien éloignée de celle-là?

11. Dieu se fit annoncer d’abord à ce peuple farouche seulement comme le Dieu de ses pères, voulant uniquement, pour commencer, lui apprendre et lui rendre familière cette idée que lui aussi avait un Dieu protecteur.

12. Immédiatement après, Dieu, par les miracles qui tirèrent les Juifs d’Egypte et les établirent dans Canaan, se témoigna comme un Dieu plus puissant qu’aucun autre.

13. Et en continuant à se témoigner le plus puissant de tous les dieux (mérite qui ne peut appartenir qu’à un seul), il habitua insensiblement les Juifs à l’idée d’un Dieu unique.

14. Mais combien cette idée n’était-elle pas encore inférieure à la véritable notion transcendantale de l’unité que la raison conçut si tard, et qui ne put être déduite avec certitude que de l’idée de l’infini !

15. Le peuple juif, cependant, était loin de pouvoir s’élever à la vraie conception de l’unité, quoique les hommes supérieurs de la nation s’en fussent plus ou moins approchés ; et c’était la vraie, la seule cause pour laquelle les Juifs abandonnaient si souvent leur Dieu unique, croyant trouver le Dieu unique, c’est-à-dire le Dieu le plus puissant, dans le premier Dieu venu d’un autre peuple.

16. Mais un peuple si grossier, si inhabile aux idées abstraites, si complètement en état d’enfance, quelle éducation morale pouvait-on lui donner ? Aucune, que celle qui convient à celle de l’enfance : l’éducation par les châtiments, et les récompenses immédiates et matérielles.

17. Ici encore nous voyons l’éducation et la révélation se rencontrer. Dieu ne pouvait donner à son peuple une religion, une loi, sans attacher à l’observation ou à la non observation de cette loi l’espoir ou la crainte du bonheur ou du malheur dans ce monde ; car les regards des Juifs ne s’étendaient pas encore au-delà de cette vie : ils ne savaient rien sur l’immortalité de l’âme, et ne désiraient point de vie future. Leur révéler ces choses lorsque leur raison était encore si fort en arrière, n’eût-ce pas été de la part de Dieu faire la faute d’un pédagogue vaniteux, qui aime mieux excéder les forces de son élève pour en faire parade, que de l’instruire d’une manière solide ?

18. Mais à quoi bon, demandera- t-on, faire l’éducation d’un peuple si grossier, d’un peuple que Dieu était obligé de recommencer si complètement ? Je réponds : afin de pouvoir, dans la suite des temps, employer d’autant plus sûrement des membres isolés de ce peuple à faire l’éducation de tous les autres peuples. Dieu éleva dans ce peuple les futurs instituteurs de l’humanité : ce fut en effet des Juifs, et ce ne pouvait être que des Juifs, que des hommes pris au sein d’un peuple ainsi élevé.

19. Reprenant notre comparaison : l’enfant grandit au milieu des coups et des caresses, et, venu à l’âge de raison, il est forcé de quitter tout d’un coup la demeure de son père ; alors, il apprécie aussi tout d’un coup les douceurs qu’il avait goûtées et méconnues dans la maison paternelle.

20. Pendant que Dieu faisait passer son peuple élu par tous les degrés de l’éducation de l’enfance, les autres peuples de la terre avaient marché à la lumière de la raison. La majeure partie était restée fort en arrière du peuple élu : quelques-uns seulement l’avaient devancé. C’est aussi ce qui a lieu chez les enfants qu’on abandonne à leurs propres forces : la plupart restent tout-à-fait grossiers, quelques-uns se forment même jusqu’à étonner.

21. Mais de même que ce petit nombre plus favorisé ne prouve rien contre l’utilité et la nécessité de l’éducation, de même le peu de nations païennes qui semblaient avoir pris l’avance sur le peuple d’élit, même dans la connaissance de Dieu, ne prouve rien contre la révélation. L’enfant de l’éducation commence à pas lents, mais sûrs ; il rattrape tardivement maint enfant de la nature plus heureusement organisé que lui ; mais cependant il le rattrape, et sans que ce dernier puisse jamais à son tour le rattraper.

22. Pareillement encore, et en mettant de côté le dogme de l’unité de Dieu, qui se trouve et ne se trouve pas dans les livres de l’Ancien Testament, il n’y a rien à conclure contre leur origine divine de ce que le dogme de l’immortalité de l’âme, celui-là au moins, et celui qui s’y rattache, des peines et des récompenses futures, y sont entièrement passés sous silence. Il n’y a là rien qui empêche les miracles et les prophéties de l’Ancien Testament d’être très authentiques. Mettons en effet que ces dogmes, non-seulement y soient omis, mais encore qu’ils soient dépourvus de vérité ; mettons que dans cette vie tout fût réellement fini pour l’homme, l’existence de Dieu en serait-elle moins prouvée ? en serait-il moins libre à Dieu, lui en siérait-il moins bien de s’intéresser en personne au sort temporel d’un peuple quelconque pris au sein de cette race périssable ? Les miracles que Dieu fit pour les Juifs, les prophéties qu’il les chargea d’écrire n’étaient pas seulement destinées au petit nombre des mortels juifs qui en furent contemporains : Dieu avait en vue tout le peuple juif, toute l’humanité, dont la durée sur la terre sera peut-être éternelle, quand bien même chaque juif, chaque homme en particulier mourrait pour toujours.

23. Encore une fois, l’absence de ces dogmes dans les écrits de l’Ancien Testament ne prouve rien contre leur divinité. Moïse était envoyé de Dieu, quoique la sanction de sa loi ne s’étendît qu’à cette vie. Et pourquoi se serait-elle étendue au-delà ? Il n’était envoyé qu’au peuple israélite, qu’au peuple israélite d’alors, et sa mission était parfaitement en rapport, et avec les connaissances, les capacités, les penchants de ce peuple israélite d’alors, et avec la destination du peuple israélite futur. — En voilà assez.

24. C’est jusque là seulement que Warburton aurait dû aller, et pas plus loin. Mais ce savant homme tendit l’arc outre mesure. Non content que l’absence de ces dogmes n’ébranle en rien le caractère divin de la mission de Moïse, cette absence en serait, selon lui, la preuve. Passe encore s’il eût basé sa déduction sur la convenance d’une telle loi pour un tel peuple. Mais il a eu recours à un miracle continu de Moïse à Jésus, et consistant en ce que Dieu aurait attribué à chaque Juif individuellement le degré de bonheur ou de malheur que méritait son obéissance ou sa désobéissance à la loi. Ce miracle aurait suppléé à l’absence de dogmes sans lesquels nul état ne peut subsister ; et cette espèce de remplacement établirait précisément, selon lui, ce que cette même absence, au premier coup-d’œil, semble renverser.

25. Il a été fort à propos que Warburton n’ait rien trouvé pour corroborer et pour rendre vraisemblable le miracle continu dont il a fait l’essence de la théocratie israélite. S’il en eût été autrement, vraiment, dès ce jour il aurait rendu la difficulté insoluble, pour moi du moins ; car ce qui aurait constaté la mission divine de Moïse ferait en même temps douter de la chose que Dieu voulait bien, il est vrai, ne pas communiquer alors, mais qu’il ne voulait certainement pas non plus rendre plus obscure.

26. Je vais m’expliquer par la contre-épreuve de la révélation. Un livre élémentaire d’enfants peut bien passer sous silence tel ou tel point important dans la science ou dans l’art que ce livre enseigne, si le pédagogue a jugé ce point au-dessus de l’intelligence des enfants pour qui il écrivait. Mais il serait absurde que ce livre contînt de quoi obstruer ou embarrasser, pour les enfant, la route de ces points importants, quoique écartés. Tous les accès doivent au contraire en être soigneusement tenus ouverts ; et détourner les enfants d’un seul de ces accès, ou même simplement leur en retarder l’abord suffirait pour changer un livre incomplet en un livre essentiellement défectueux.

27. Pareillement, l’Ancien Testament devant servir de livre élémentaire à un peuple grossier et novice dans l’art de penser, comme le peuple juif, pouvait ne pas parler de l’immortalité de l’âme et des récompenses de la vie future ; mais, à aucun prix aussi, il ne devait contenir rien de propre à retarder le peuple pour qui il était écrit, sur le chemin de ces grandes vérités. Et quoi de plus propre à retarder (et c’est peu dire) les Juifs, que cette prétendue rémunération miraculeuse promise ici-bas, et promise par celui qui ne promet jamais rien qu’il ne tienne ?

28. Car si l’inégale distribution des biens de ce monde, où la vertu et le vice semblent si peu avoir été mis en ligne de compte, n’est pas elle-même la plus forte preuve de l’immortalité de l’âme, et d’une vie future dans la quelle est le nœud de l’énigme, au moins est-il certain que, sans cette énigme, l’esprit humain n’eût trouvé de long-temps, peut-être jamais, des preuves meilleures et plus fortes. Par quel motif en effet en aurait-il cherché ? Par simple curiosité ?

29. Tel ou tel Israélite pouvait sans aucun doute appliquer à chaque membre isolé de la nation les promesses et les menaces divines relatives à l’ensemble du peuple juif ; il pouvait croire fermement que l’homme pieux doit aussi être heureux, et que celui qui est ou qui de vient malheureux porte la peine de ses méfaits, peine qui se change en récompense dès qu’il cesse de se mal conduire. Ainsi pensait, il nous semble, l’auteur du livre de Job ; car le plan en est tout entier dans cet esprit.

30. Mais il était impossible que l’expérience journalière fortifiât cette croyance, ou, dans ce cas, le peuple juif eût été pour toujours privé de connaître et d’adopter les vérités qui étaient encore au-dessus de sa portée. Car si l’homme pieux possédait toujours le bonheur, et il fallait pour cela qu’aucune terreur de la mort n’interrompît ses jouissances, et qu’il mourût vieux et rassasié de jours, comment pouvait-il désirer une autre vie ? comment pouvait-il méditer sur une chose qu’il ne désirait pas ? Mais si l’homme pieux ne songeait pas à l’autre vie, qui donc y aurait songé ? Le scélérat ? sous le poids du châtiment de ses méfaits, maudissant cette vie, n’eût-il pas renoncé volontiers à l’autre ?

31. Il y avait moins d’inconvénients encore à ce que tel ou tel Israélite se mît à nier formellement l’immortalité de l’âme et les récompenses de l’autre vie, par suite du silence de la loi sur ces dogmes. La négation dans la bouche d’un seul, fût-ce même un Salomon, n’arrêtait pas le progrès de la raison générale, et c’était déjà en soi-même une preuve que le peuple avait fait un grand pas de plus vers la vérité. Car quelques-uns ne nient que ce qu’un plus grand nombre médite, et méditer, lorsqu’auparavant on ne s’en inquiétait pas du tout, c’est déjà connaître à moitié.

32. Avouons aussi qu’il y a de l’héroïsme dans l’obéissance qui fait observer les lois de Dieu, simplement parce que ce sont les lois de Dieu, et non à cause des récompenses promises ici-bas ou ailleurs ; qui les fait observer, disons-nous, alors même qu’on désespère d’une récompense à venir, sans être sûr pour cela d’en avoir une ici-bas.

33. Un peuple élevé dans cette obéissance héroïque pour Dieu n’avait-il pas vocation, capacité spéciale pour accomplir les plus grandes vues divines ? Prenez le soldat habitué à l’obéissance aveugle pour son chef, persuadez-lui que c’est un chef habile, et dites s’il y a rien que ce chef ne puisse désormais entre prendre et exécuter avec lui ?

34. C’était encore le plus puissant et non le plus sage de tous les dieux que le peuple juif adorait dans Jéhovah, c’était encore un Dieu jaloux plus craint qu’aimé : nouvelle preuve que les idées de ce peuple sur son Dieu unique, le Très-Haut, n’étaient pas précisément celles que nous devons avoir sur Dieu. Cependant arriva le temps où Dieu, pour agrandir, pour ennoblir et rectifier les idées des Juifs à ce sujet, employa un moyen tout naturel, celui de leur présenter une mesure meilleure et plus juste qui leur fournît l’occasion d’apprécier sa véritable grandeur.

35. Au lieu de mesurer leur Dieu aux misérables idoles des petites peuplades grossières qui les entouraient, et avec qui ils vivaient en état de rivalité constante, ils le mesurèrent, dans leur captivité chez les Perses amollis, à l’Etre des êtres, tel qu’il était connu et adoré par une raison plus cultivée.

36. La révélation avait dirigé la raison du peuple juif, et maintenant la raison jeta une clarté subite sur sa révélation.

37. Ce fut le premier service mutuel qu’elles se rendirent ; et loin que cette influence réciproque soit malséante à l’auteur de la raison et de la révélation, l’une de ces deux choses serait superflue si cette influence n’avait pas lieu.

38. L’enfant, sorti de la maison paternelle, en vit d’autres qui en savaient plus et qui se comportaient mieux que lui. Pourquoi n’en sais-je pas autant, se demanda-t-il tout confus ? pourquoi ne fais-je pas de même ? mon père n’aurait-il pas dû m’enseigner ceci, m’engager à cela ? Puis il va chercher ses livres élémentaires, dont il était depuis long-temps dégoûté, afin de jeter la faute sur ses livres ; mais voici qu’il reconnaît que la faute n’en est pas à ses livres ; que c’est la sienne, si depuis longues années il n’en sait pas autant et ne se comporte pas aussi bien.

39. Par suite du contact avec les doctrines plus pures des Perses, les Juifs ne virent plus dans leur Jéhovah seulement le plus grand de tous les dieux des nations, mais bien Dieu lui- même ; et en cherchant Dieu dans leurs anciens livres sacrés, ils purent d’autant mieux l’y trouver et le montrer de là aux autres peuples, que Dieu y était réellement. Leur horreur pour des représentations sensibles de la Divinité était aussi grande, du moins selon les défenses contenues dans leurs livres, que celle que pouvaient avoir les Perses. Faut-il donc s’étonner s’ils trouvèrent grâce devant Cyrus pour un culte qu’il plaçait, il est vrai, encore fort au-dessous du sabéisme pur, mais aussi fort au-dessus des idolâtries grossières auxquelles était en proie la Judée depuis le départ des Juifs ?

40. Ils y rentrèrent, éclairés sur leurs trésors jusque là méconnus d’eux, et devinrent un tout autre peuple, dont le premier soin fut de rendre les lumières durables dans son sein. Bientôt il ne fut plus question, chez les Juifs, de défection et d’idolâtrie. On peut bien en effet devenir infidèle à un dieu national ; mais à Dieu, jamais, une fois qu’on l’a connu.

41. Les théologiens ont cherché à expliquer de diverses manières ce changement complet du peuple juif ; et l’un d’eux, après avoir très bien montré l’insuffisance de ces diverses explications, finit par en donner pour véritable cause, selon lui, l’accomplissement manifeste des prophéties orales et écrites relatives à la captivité de Babylone et au rétablissement postérieur des Juifs en Judée. Mais cette cause elle-même ne peut être la véritable qu’au tant qu’elle suppose l’épuration, et l’épuration toute récente des idées juives sur la Divinité. Les Juifs avaient dû reconnaître seulement alors que les miracles et les prophéties n’appartiennent qu’à Dieu, tandis qu’auparavant ils accordaient également aux faux dieux ce pouvoir ; et aussi les miracles et les prédictions ne faisaient sur eux qu’une impression faible et passagère.

42. Sans aucun doute, les Juifs apprirent chez les Chaldéens et chez les Perses à mieux connaître l’immortalité de l’âme. Elle leur devint plus familière dans les écoles des philosophes grecs en Égypte.

43. Néanmoins, comme ce dogme, relativement à leurs livres sacrés, n’avait pas l’importance du dogme de l’unité de Dieu et de ses attributs, celui-ci, ayant été grossièrement aperçu par cette nation charnelle, et celui-là demandant à être cherché, et exigeant par conséquent encore des préparations accompagnées de l’emploi d’allusions et d’indications, jamais la croyance à l’immortalité de l’âme ne put devenir la croyance du peuple entier : elle fut et demeura le partage d’une simple secte.

44. J’appelle préparation au dogme de l’immortalité de l’âme la menace divine, par exemple, de punir les méfaits du père dans la personne de ses enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération. Les pères s’habituaient ainsi à vivre par la pensée avec leurs rejetons les plus éloignés, et à ressentir d’avance les malheurs qu’ils attiraient sur ces têtes innocentes.

45. J’appelle allusion ce qui avait pour but d’exciter seulement la curiosité, et de faire faire une question ; comme, par exemple, la locution si fréquente : Être réuni à ses pères, pour mourir.

46. J’appelle indications ce qui contient un germe quelconque susceptible, en se développant, de faire voir une partie de la vérité qu’on tient encore secrète. Telle était la conclusion tirée par le Christ de la dénomination Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il me semble possible de transformer cette indication en une forte preuve.

47. Ce sont des préparations, des allusions et des indications de ce genre qui font la perfection positive d’un livre d’éléments ; tout comme la qualité, ci-dessus mentionnée, de ne point embarrasser ni obstruer le chemin des vérités ultérieures, en fait la perfection négative.

48. Ajoutez encore l’enveloppement et le style : l’enveloppement des vérités abstraites, lorsqu’il faut que l’esprit s’y arrête, dans des allégories et des faits isolés et instructifs racontés comme réels. La création, par exemple, figurée par la naissance de la lumière, la source du mal moral représentée par le fruit défendu, ainsi que l’origine de la diversité des langues par la tour de Babel, etc.

49. Le style, tantôt naturel et simple, tantôt poétique, nourri de tautologies, mais de tautologies propres à exercer la pénétration, en ce que tantôt elles semblent dire autre chose en ne faisant que répéter ce qui a été dit ; et tantôt elles semblent répéter ce qui a été dit, tout en signifiant ou en pouvant signifier par le fait autre chose.

50. Cela fait, vous avez réuni toutes les qualités d’un bon livre élémentaire, tant pour des enfants que pour un peuple enfant.

51. Mais un livre élémentaire n’est fait que pour un âge : y arrêter l’enfant qui a dépassé cet âge plus que le but du livre ne le comporte, c’est lui porter tort. En effet, pour atteindre de la sorte un résultat utile, et à quelques égards seulement, il faut mettre dans le livre plus qu’il n’y a, y faire entrer plus que le livre ne peut tenir ; il faut chercher et faire soi-même un excès d’allusions et d’indications, répandre à foison les allégories, donner des exemples très circonstanciés, presser trop les mots les uns des autres. Cela donne à l’enfant un esprit petit, raide, argutieux ; l’enfant devient mystérieux, superstitieux, dédaigneux enfin pour tout ce qui est facile et intelligible.

52. Tel fut le travail des rabbins sur leurs livres, tel fut le caractère qu’ils donnèrent par là à l’esprit de leur nation.

53. Il faut qu’un meilleur pédagogue vienne arracher des mains de l’enfant le livre élémentaire épuisé. — Le Christ arriva.

54. La portion du genre humain que Dieu avait voulu comprendre dans un plan d’éducation (mais Dieu n’avait voulu prendre pour cela qu’un peuple déjà intérieurement uni par la langue, le commerce, le gouvernement, et d’autres rapports naturels et politiques), cette portion, disons-nous, était mûre pour un second grand pas dans son éducation.

55. En d’autres termes, cette portion du genre humain était arrivée assez loin dans l’exercice de sa raison pour pouvoir désirer et réclamer, quant à ses actes moraux, des motifs plus nobles et plus dignes que les récompenses et les punitions temporelles qui l’avaient conduit jusque-là. L’enfant devient adolescent : les friandises et les jouets font place au désir qui germe en lui d’acquérir la liberté, la considération et le bonheur dont il voit son aîné en possession.

56. Depuis long-temps déjà l’élite du genre humain avait l’habitude de se laisser conduire par l’ombre, en quelque sorte, de ces motifs d’une nature plus noble : les Grecs et les Romains faisaient tout pour se survivre dans la mémoire de leurs concitoyens.

57. Il était temps que l’espoir d’une vie future vînt diriger leurs actes.

58. C’est ainsi que le Christ fut le premier professeur d’immortalité de l’âme qui méritât la confiance, et comme professeur et comme praticien.

59. Qui méritât la confiance ! — Par les prophéties dont l’accomplissement semblait avoir lieu en lui, par les miracles qu’il faisait, par sa résurrection après une mort qui avait mis le cachet à sa doctrine. Pouvons-nous aujourd’hui prouver cette résurrection, ces miracles ? C’est là ce dont je me soucie peu, ainsi que de savoir ce qu’était la personne du Christ. Toutes ces choses peuvent avoir eu de l’importance à l’époque de l’acceptation de sa doctrine : elles en ont beaucoup moins aujourd’hui pour apprécier la vérité de cette doctrine.

60. Et comme praticien ! — Autre chose est en effet de présumer, de souhaiter, de croire l’immortalité de l’âme comme spéculation philosophique, autre chose de régler sa conduite intérieure et extérieure en conséquence.

61. Voilà au moins ce qu’enseigna le Christ. Car quoique maintes nations crussent avant lui à la punition des mauvaises actions dans l’autre vie, cependant il ne s’agissait que d’actions qui, portant préjudice à la société civile, étaient déjà punies par elle dès ce monde. A lui seul était réservé de recommander la pureté intérieure du cœur, en considération d’une autre vie.

62. Ses élèves ont fidèlement propagé cette doctrine. Et n’eussent-ils d’autre mérite que d’avoir fait circuler plus généralement, et chez un plus grand nombre de peuples, une vérité que le Christ semblait n’avoir destinée qu’aux Juifs, cela suffirait pour les ranger parmi les instituteurs et les bienfaiteurs du genre humain.

63. Qu’ils aient mêlé, du reste, cette grande doctrine avec d’autres dogmes d’une vérité moins lumineuse, et d’une utilité moins considérable : pouvait-il en être autrement ? Ne le leur reprochons pas, mais cherchons plutôt sérieusement si ces dogmes-là mêmes, surajoutés par eux, n’ont pas donné une nouvelle impulsion à la raison humaine.

64. L’expérience du moins démontre clairement que les nouvelles Ecritures ont été et sont encore le meilleur livre élémentaire pour le second âge du genre humain.

65. Les nouvelles Ecritures ont, depuis dix-sept cents ans, occupé l’esprit humain plus que tous autres livres ; plus que tous autres livres elles l’ont éclairé, ne fût-ce même que par la lumière que l’esprit humain y a portée pour les contempler.

66. Il était de toute impossibilité qu’un autre livre quelconque devînt aussi généralement connu chez des peuples si divers ; et il a incontestablement mieux valu pour les progrès de l’esprit humain que ce livre, et ce livre seul, occupât des têtes si différemment organisées, que si chaque peuple avait eu pour lui son livre élémentaire particulier.

67. Il était aussi indispensable que tous les peuples considérassent ce livre pendant un temps comme le non plus ultra des connaissances humaines ; car il faut aussi que l’adolescent envisage d’abord ainsi son livre élémentaire, sans quoi l’impatience de finir l’entraînerait à des choses dont le fondement ne serait pas encore posé.

68. Et ce qui est de la plus haute importance, gardes-toi, toi, individu plus capable, qui frappes du pied et brûles d’impatience à la dernière page de ce livre élémentaire, gardes-toi de laisser apercevoir à tes camarades plus faibles ce que tu pressens ou ce que tu commences déjà à voir.

69. Tant qu’ils ne t’auront pas rejoint, ces camarades plus faibles, remets-toi à feuilleter ce livre, et cherche si ce que tu prends pour des artifices de méthode, pour des remplissages de didactique, n’est pas par hasard quelque chose de plus.

70. Tu as vu dans l’enfance du genre humain, par le dogme de l’unité de Dieu, que Dieu révèle quelquefois immédiatement de simples vérités rationnelles, ou du moins qu’il donne son consentement et son approbation à l’enseignement, pendant un temps donné, de semblables vérités, sous la forme de vérités immédiatement révélées, afin de les répandre plus vite et de les fonder plus solidement.

71. Tu fais la même expérience dans l’adolescence du genre humain sur le dogme de l’immortalité de l’âme. Elle est prêchée comme révélation dans le second livre élémentaire, et non enseignée comme résultat de déductions humaines.

72. S’il est vrai que l’Ancien Testament ne nous est plus indispensable pour le dogme de l’unité de Dieu ; s’il est vrai que le Nouveau Testament cesse également peu à peu de nous être indispensable pour le dogme de l’immortalité de l’âme, n’est-il pas possible aussi que les nouvelles Écritures réfléchissent encore d’autres vérités de cette nature, que nous devons contempler comme des révélations, tant que la raison ne sera pas parvenue à les rattacher par voie de déduction aux vérités déjà reconnues par elle ?

73. Prenons par exemple le dogme de la trinité. — Supposé que ce dogme dût, après des aberrations infinies de droite et de gauche, n’avoir d’autre fin que de mettre l’esprit humain sur la voie de reconnaître que Dieu ne peut pas être un, dans le sens où des choses finies sont unes ; que son unité aussi doit être une unité transcendantale qui n’exclut pas une sorte de multiplicité ; — Dieu ne doit-il pas avoir au moins la représentation la plus complète de lui-même, c’est-à-dire une représentation où se trouve tout ce qui est en lui ? Mais tout ce qui est en lui se trouverait-il dans cette représentation, si la réalité nécessaire de Dieu, à l’égal de ses autres qualités, ne s’y trouvait que comme représentation, que comme possibilité ? Cette possibilité épuise l’essence des autres qualités de Dieu , mais non pas, il me semble, celle de sa réalité nécessaire. — Conséquemment, ou bien Dieu ne peut pas avoir une représentation complète de lui-même, ou bien cette représentation complète est aussi nécessairement réelle qu’il l’est luimême, etc. — Il est vrai que mon image, reproduite dans un miroir, n’est qu’une représentation vide de moi, parce que cette image ne reproduit de moi que ce dont les rayons tombent à la surface du miroir. Mais maintenant si cette image renfermait tout ce que je renferme, tout sans exception, ne serait-ce alors qu’une représentation vide, ou plutôt ne serait-ce pas une véritable duplication de moi- même ? — Si je crois reconnaître une duplication semblable en Dieu, peut-être n’y a-t-il pas tant erreur de ma part qu’imperfection dans la langue, qui succombe à ma pensée ; et toujours demeure-t-il incontestable que, pour rendre une telle idée populaire, on aurait eu grand-peine à s’exprimer d’une manière plus compréhensible et plus convenable que par la dénomination d’un fils que Dieu engendre de toute éternité.

74. Et le dogme du péché originel. — Supposé que tout finît par nous convaincre que l’homme, au premier et au plus bas échelon de son humanité, n’est pas si absolument maître de ses actes qu’il puisse suivre les lois morales ?

75. Et le dogme de la satisfaction du fils. — Supposé que tout nous obligeât enfin à admettre que Dieu, malgré cette impuissance originelle de l’homme, a mieux aimé cependant lui donner des lois morales, et qu’en considération de son fils, c’est-à-dire en considération de l’ensemble personnifié de toutes ses perfections, vis-à-vis duquel et dans lequel chaque imperfection de détail disparaît, Dieu a mieux aimé remettre à l’homme toutes ses transgressions que de le laisser sans lois morales, et de lui interdire ainsi le bonheur, qui ne peut se concevoir sans la conscience ?

76. Qu’on ne m’objecte point la défense qui nous est faite de subtiliser sur les mystères de la religion. — Le mot mystère signifiait, dans les premiers temps du christianisme, toute autre chose que ce que l’on entend aujourd’hui par là ; et la transformation des vérités révélées en vérités rationnelles est absolument nécessaire quand le genre humain doit en profiter. A l’époque de leur révélation elles n’étaient certes pas encore vérités rationnelles, mais elles furent révélées pour devenir telles. Telle est, en quelque sorte, la table de multiplication que le maître d’arithmétique donne à ses élèves pour leur servir de régulateur en calculant. Que si les élèves s’obstinaient à s’en tenir à leur table, ils n’apprendraient jamais à calculer, et ils rempliraient mal le but dans lequel leur bon maître leur a donné un guide pour travailler.

77. Et pourquoi une religion dont la vérité historique, si l’on veut, se présente avec tant de défaveur, ne pourrait-elle pas nonobstant nous mener à des notions plus justes et plus vraies sur l’Être divin, sur notre nature, sur nos rapports avec Dieu, notions auxquelles la raison humaine ne serait jamais parvenue toute seule ?

78. Il n’est pas vrai que des spéculations sur ces choses aient jamais fait de mal, et porté le trouble dans la société civile. Ce n’est pas aux spéculations que ce reproche s’adresse, mais au délire et à la tyrannie qui prétendent les empêcher, et défendre aux hommes de s’y livrer quand bon leur semble.

79. Loin de là, des spéculations de ce genre, quels que soient leurs résultats en particulier, sont incontestablement les exercices les plus convenables à l’esprit humain, en tant que le cœur de l’homme est capable par là d’aimer la vertu pour les récompenses de la vie éternelle.

80. Car lorsque l’intérêt est encore le mobile du cœur, vouloir n’exercer l’esprit que sur ce qui touche nos besoins corporels, ce serait l’émousser plutôt que l’aiguiser. Il lui faut une pâture spirituelle pour parvenir à briller de tout son éclat, et pour atteindre la pureté de cœur qui nous fait aimer la vertu pour elle-même.

81. Le genre humain ne doit-il jamais par venir au plus haut degré de lumière et de pureté ? Jamais ?

82. Jamais ! Ne permets pas ce blasphème à ma pensée, Dieu de bonté ! — L’éducation a son but dans l’espèce aussi bien que dans l’individu. L’objet qu’on élève, on l’élève pour quelque chose.

83. Cet avenir séduisant qui s’ouvre au jeune homme, l’honneur, le bien-être qu’on lui dépeint, y a-t-il là-dedans autre chose qu’un moyen de faire de lui un homme capable de remplir son devoir, alors même que cet avenir d’honneur et de bien-être disparaîtrait à ses yeux ?

84. Tel sera donc le but de l’éducation humaine, et l’éducation divine n’y parviendrait pas? Ce qui réussit à l’art sur l’individu ne réussirait pas à la nature sur l’espèce ? O blasphème ! ô blasphème !

85. Non il viendra, il viendra certainement le jour de l’accomplissement, où plus l’intelligence de l’homme se sentira persuadée d’un avenir toujours meilleur, moins l’homme aura besoin d’emprunter à cet avenir des motifs pour ses actes, où il fera le bien parce que c’est le bien, et non parce qu’il s’y rattache des récompenses arbitraires qui n’avaient pour but auparavant que de fixer avec plus de force son regard volage pour lui faire reconnaître les récompenses intérieures et plus élevées qui attendent la vertu.

86. Il viendra certainement le jour d’un nouvel Évangile éternel, jour qui nous est promis même dans les livres élémentaires de la nouvelle alliance.

87. Peut-être même certains rêveurs des treizième et quatorzième siècles avaient-ils saisi une lueur de ce nouvel Évangile éternel, et peut-être ne se trompèrent-ils qu’en ce qu’ils annoncèrent son apparition comme trop prochaine.

88. Peut-être leur triple âge du monde n’était-il pas une idée si creuse ; et certes ils n’avaient pas de mauvaises intentions quand ils enseignaient que la nouvelle alliance devait vieillir comme avait fait l’ancienne. Il subsistait toujours chez eux le même plan providentiel et le même Dieu, ou bien, pour leur faire parler ma langue, le même plan d’éducation générale de l’espèce humaine.

89. Leur seul tort fut d’aller trop vite, et de croire qu’ils pouvaient transformer tout d’un coup leurs contemporains, à peine sortis de l’enfance, sans instruction et sans préparation, en hommes dignes de leur troisième âge.

90. Et voilà justement ce qui en fit des rêveurs. Les rêveurs jettent souvent un coup d’œil juste sur l’avenir ; mais ce qui leur manque, c’est de savoir attendre cet avenir. Ils souhaitent que cet avenir soit hâté, et de plus hâté par eux ; ils veulent réaliser dans l’instant de leur existence les choses pour lesquelles la nature met des milliers d’années. Que leur en revient-il en effet, si l’état meilleur qu’ils prévoient n’arrive pas de leur vivant ? Renaîtront-ils ? Croient-ils renaître ? Chose bizarre, que cette rêverie soit la seule qui ne revienne plus à la mode chez les rêveurs !

91. Marche à pas insensibles, Providence éternelle ! laisse-moi seulement ne pas désespérer de toi, à cause de l’insensibilité de ton mouvement. Laisse-moi ne pas désespérer de toi, alors même que ta marche me semblerait rétrograde ! Il n’est pas vrai que la ligne la plus courte soit toujours la ligne droite.

92. Tu as tant de choses à emporter après toi sur ton chemin éternel ! tant de mouvements obliques à exécuter ! Qu’est-ce à dire, si l’on admet pour un moment que la grande roue lente qui mène l’espèce humaine à son état de perfection ne peut être mue que par de petites roues plus accélérées, dont chacune apporte sa part de mouvement dans l’ensemble?

93. Il n’en est pas autrement ! Cette même voie, qui mène l’espèce humaine à son état de perfection, il faut que chaque homme en particulier, tôt ou tard, l’ait parcourue en personne. — « Dans le cours d’une seule et même existence, me dira-t-on? Le même homme peut-il, dans le cours de sa vie, avoir été juif sensuel et chrétien spiritualiste ? peutil plus encore, les avoir dépassés tous deux ? »

94. Pour cela non ! Mais qui empêche que chaque homme n’ait existé plus d’une fois dans ce monde ?

95. Cette hypothèse est-elle si ridicule, pour être la plus ancienne ? et parce que l’esprit humain la rencontra tout d’abord, lorsqu’il n’était pas encore faussé et affaibli par des sophismes de l’école ?

96. Pourquoi n’aurais-je pas fait sur la terre tous les pas successifs vers mon perfectionnement, qui seuls peuvent constituer pour l’homme des récompenses et des punitions temporelles ?

97. Pourquoi ne ferais-je pas plus tard tous ceux qui restent à faire, avec le secours si puissant de la contemplation des récompenses éternelles ?

98. Pourquoi ne reviendrais-je pas sur la terre toutes les fois que je suis en position d’acquérir de nouvelles connaissances, de nouvelles capacités ? Est-ce que j’en emporte chaque fois une telle masse, qu’il ne vaille pas la peine de revenir ?

99. Non pas assurément. — Serait-ce l’oubli de mes existences antérieures qui m’en empêcherait ? Tant mieux si je les ai oubliées. Le souvenir qui m’en resterait ne ferait que m’ôter la possibilité de bien employer ma vie présente. Et d’ailleurs mon oubli actuel, est-ce un oubli éternel ?

100. Mais je perdrais trop de temps, me dit-on? — Perdre du temps ! — Qu’est-ce qui peut me presser ? Toute l’éternité n’est-elle pas à moi ?