Ollendorff (p. 259-263).

XLVIII

PREMIÈRE SÉANCE

Aujourd’hui, premier tripotage de Mademoiselle Marguerite, jeune fille de bonne famille, par Monsieur Henri, homme de lettres. Des deux, c’est moi le moins hardi.

MADAME VERNET

Il faut que ce soit vous pour qu’on vous confie un tel lys.

Par quel bout vais-je la prendre ?

La petite plage a son aspect accoutumé.

Le phtisique sur son pliant se tourne mélancolique et pâle vers le soleil, et déjà les Vilard se font des gracieusetés dans l’eau. Au pied des cabines, c’est un campement de messieurs qui se sèchent dans leurs peignoirs, ou de dames qui travaillent, et après chaque point de tapisserie regardent le ciel. Mais un mouvement d’attention se produit : il va se passer quelque chose.

HENRI

Êtes-vous prête ?

MARGUERITE

Voilà ! voilà !

Sa ceinture de gymnastique lui serre les reins. Elle saute hors de sa cabine en faisant piaffe, me donne un bout de doigt que je saisis au vol comme un écuyer, et nous nous élançons vers la mer.

— « Tiens ! tiens ! »

Quel étonnement !

Nous aimantons les regards. Marguerite jette, à la sensation de l’eau froide, quelques ruades qui font valoir sa jeune croupe, frappent en plein dans la surprise de tous, emportent le morceau.

— « Du calme ! lui dis-je, s’il vous plaît. »

Mais elle me tire, m’entraîne, m’éclabousse. Je suffoque, car j’ai l’habitude, au bain, de craindre l’eau comme le feu, de prendre mes précautions avec la vague, de me livrer à elle portion par portion. Je m’y assieds ainsi que dans un fauteuil, en me relevant deux ou trois fois comme si je l’essayais. Quand « j’en ai au ventre », je m’arrête. C’est le passage difficile. J’imite, de la bouche, le bruit d’un pot qui bout. Il me semble qu’on me coupe en deux avec un fil à beurre glacé, ou que je change de chemise dans la rue, au mois de décembre, les bras levés, enfilant des manches de neige.

D’un coup Marguerite a changé ma méthode. Nous barbotons, et je me cramponne à elle pour la soutenir.

— « N’ayez pas peur ! » lui dis-je.

Elle n’a pas besoin d’être rassurée, et, battant l’air à tour de bras, elle fait un tapage de phoque en récréation.

— « Mademoiselle ! permettez ! »

Docile enfin, elle me tourne le dos. Je passe un doigt sous la boucle de sa ceinture, et je promène mon élève sur le flot, en lui donnant des explications.

— « Levez le menton. Creusez les reins. Les pieds ensemble ! Doucement les mains ! »

Elle fait ce qu’elle peut, se dépêche, avale de l’eau salée, crache et me déséquilibre à coups de talon dans les jambes.

Le phtisique a approché son pliant près du bord. Je pense qu’on rit sur la plage de moi surtout, de ma maladresse de professeur. J’ai envie de laisser Marguerite couler au fond et de m’en aller nager au loin. Vraiment, malgré mes explications et sa bonne volonté, elle exécute les mouvements de travers. Je lui donne des claques sur ses mollets, ses épaules, sur tout ce qui ressort.

— « Mademoiselle, ne vous mettez donc pas en chien de fusil ! »

Tantôt elle se dresse et prend pied ; tantôt sa tête retombe, et je la lui soutiens en creusant ma main sous son menton. Elle tourne dans la ceinture trop large. Ça ne va pas du tout. Je voudrais être à cent pieds sous mer ! J’ai contracté un engagement qu’il me faudra tenir. Cette nuit, sur mon lit, je préparerai mon cours, en faisant avancer et reculer ma couverture de voyage, roulée dans sa courroie.

— « Mademoiselle, vous vous fatiguez. Assez pour cette fois. Allez-vous-en ! »

— « À mon tour ! » me crie Monsieur Vernet, qui attendait assis sur les galets.

— « Ah ! mais non ! ah ! mais non ! Demain, un autre jour ! »

Je fais le sourd, m’étire, et je m’éloigne du côté du large, coupant la lame rageusement, avec un grand bruit dans les oreilles pareil à un éclat de rire.