Ollendorff (p. 245-251).

XLVI

PROPOSITION

MONSIEUR VERNET

Bichette, as-tu fait la commission à Henri ?

MADAME VERNET

Tiens, je n’y pensais plus.

Ils sont embarrassés et se passent la parole l’un à l’autre.

— « Dis, toi ! »

— « Dis plutôt, toi ! »

MADAME VERNET

Mais nous allons être indiscrets.

HENRI

Je vous arrêterai à temps : allez toujours.

MADAME VERNET

Voilà : Marguerite désire prendre des leçons de natation, et comme il n’y a pas de moniteur ici, nous avons pensé à vous.

HENRI

Pour lui en faire venir un.

MADAME VERNET

Pour le remplacer.

HENRI

Pour être le professeur de nage de Mademoiselle Marguerite ?

MADAME VERNET

Oui.

HENRI

Tiens !

MADAME VERNET

Vous voyez : cela vous ennuie.

HENRI

Pas du tout, mais je me demande si je serai à la hauteur de mes fonctions : j’apporterai la bonne volonté nécessaire.

MADAME VERNET

Elle n’abusera pas de vos instants.

Je me gratte le menton :

— « Et, dis-je, flanquant chacun de mes mots d’un point d’interrogation, vous ne trouvez pas que c’est un peu… ? »

Madame Vernet hoche la tête :

— « Cela se fait : c’est reçu ! »

MONSIEUR VERNET

Quel mal y a-t-il ?

Ils me rassurent.

MADAME VERNET

Le monde n’est pas méchant à ce point.

MONSIEUR VERNET

Je me moque du monde.

Honteux de mes vilaines idées, de me montrer le plus immoral des trois, je m’écrie :

— « Parfait : nous sommes chez nous. Que ceux qui ne sont pas contents » — « aillent le dire à Rome ! » conclut Monsieur Vernet, qui souvent me prend, preste, mes expressions à même la bouche.

MADAME VERNET

Sera-t-elle heureuse, cette chère Marguerite ! J’ai toujours regretté de ne pas savoir nager. Si j’étais plus jeune vous auriez deux élèves. Mais il est trop tard, n’est-ce pas, Victor ?

MONSIEUR VERNET

Ce n’est pas que tu sois vieille, mais je t’accorde que cet exercice n’est plus de ton âge. Non que je le trouve inconvenant ; mais franchement, c’est moins l’affaire d’une femme mariée que d’un homme comme moi, par exemple, et, mon cher ami, quand vous aurez un petit moment, une minute, après la leçon de Marguerite… Oh ! sur le dos seulement. Le reste me connaît.

HENRI

Entendu, cher Monsieur Vernet. Mes bras vous seront ouverts.

MADAME VERNET

Je vous regarderai, moi.

MONSIEUR VERNET

Cela vaudra mieux. Qu’en pensez-vous, Henri ?

HENRI

En effet, quoique, après tout…

MONSIEUR VERNET

Je méprise autant que vous l’opinion des autres ; mais il y a des bornes.

HENRI

Vous avez raison.

Déjà, comme professeur, je vante ce que j’enseigne. Il est des passerelles vermoulues. On peut tomber au milieu d’une rivière. Que faire ?

MONSIEUR VERNET

Si quelqu’un se noie sous nos yeux…

HENRI

Il faut le laisser se noyer, Monsieur Vernet. N’allons pas si vite. Votre bon cœur vous emporte. Ne tentez jamais la mort.

MONSIEUR VERNET

C’est vrai. Quand commençons-nous ?

HENRI

Demain, si vous voulez.

MONSIEUR VERNET

C’est dit. J’appelle Marguerite pour lui annoncer la bonne nouvelle. À propos, est-il besoin de quelque appareil ?

HENRI

Non, j’opère seul, sans outil, les manches simplement relevées. Tout le monde peut voir : rien dans les mains, rien dans les pieds. N’achetez qu’une ceinture pour Marguerite, vous savez, une ceinture de gymnastique, avec un anneau, une boucle où je puisse mettre mon doigt.