L’École primaire et le patriotisme/01

L’École primaire et le patriotisme
Revue des Deux Mondes5e période, tome 29 (p. 50-73).
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L’ÉCOLE PRIMAIRE
ET
LE PATRIOTISME

I
LE PASSÉ. — L’ÉTRANGER

Il était de mode chez nous, il y a quelque vingt-cinq ans, de rapporter à l’instituteur allemand le mérite des journées de Sadowa et de Sedan, et de considérer ainsi son action scolaire comme un merveilleux apprentissage de la caserne et de la victoire. Nous ne nous demanderons pas s’il n’eût pas été plus juste de saluer dans les professeurs des universités les vrais précurseurs de la grandeur prussienne ; et nous ne chercherons pas non plus si, dans les hommages que l’on colportait à l’adresse du maître d’école, n’entrait point en quelque mesure un certain parti pris, à demi philosophique, à demi politique, de diminuer la gloire de l’officier qui apprend à manier le fusil, et de grandir, inversement, celle du « civil, » — d’un « civil » qui, dans certains cas, peut apprendre à manier le bulletin de vote. On sait combien de vertus prêtaient à l’école primaire Jules Simon et sa génération, et quels miracles de progrès devaient résulter, à les entendre, du développement de l’instruction : aux heures où l’infortune de nos soldats imposait à nos âmes meurtries le plus laborieux et le plus pesant des soucis, la formule qui faisait de l’instituteur primaire le vrai vainqueur de Sedan complétait admirablement la théorie un peu candide d’après laquelle la multiplication des écoles devait être la panacée des temps futurs. En vue même des guerres prochaines, il nous fallait des écoles primaires, et beaucoup ; et non seulement pour conjurer le vice, non seulement pour conjurer le crime, non seulement pour conjurer la « réaction, » mais pour conjurer, même, de nouvelles détresses nationales, on réclamait des instituteurs.

Entre 1871 et 1880, l’élaboration des projets scolaires apparaissait aux hommes de gauche comme un acte capital, — et presque le plus urgent, — de notre œuvre de relèvement. Le vieux Tyrtée, enflammant les gamins Spartiates au combat pour la patrie, était alors un personnage assez populaire : à l’image de Sparte, la République devait et voulait forger les âmes des petits Français. La loi scolaire de 1882, celle de 1886, sanctionnèrent cette volonté. Elles furent à certains égards, par le congé qu’elles signifièrent à l’« Ignorantin, » des manifestations philosophiques ; mais à côté de l’« idée laïque, » une pensée nationale inspirait le vote de ces lois ; et l’on pourrait soutenir et prouver, en ce qui regarde l’« idée laïque » elle-même, que l’un des argumens dont elle se servait alors contre l’Eglise, contre les institutions de l’Eglise et contre l’enseignement donné par l’Eglise, était tiré du caractère supra-national qu’affecte l’établissement catholique et de l’incompatibilité qu’on croyait voir entre l’universalité de l’Eglise et l’exclusivisme de la patrie.

« Il n’y aura jamais trop de fêtes scolaires de gymnastique, proclamait à Roubaix, en 1887, le directeur de l’enseignement primaire, pour éveiller dans la jeunesse l’amour de la patrie, pour y développer l’esprit militaire et patriotique, inséparable de l’esprit républicain. » Cet orateur officiel n’était autre que M. Ferdinand Buisson. Moins de vingt ans avant, dans un congrès suisse de la paix, il avait stigmatisé la « livrée » du soldat ; moins de vingt ans après, sous sa présidence, le congrès nîmois de la paix devait célébrer le « courage » de ceux qui se refusent à porter les armes : les sentimens traduits dans le discours de Roubaix ne furent donc qu’un épisode dans une vie très diversement remplie. Mais si nous attachons à cet épisode plus d’importance que ne le ferait sans doute M. Buisson lui-même, c’est parce qu’en 1887 il était essentiellement un homme « représentatif ; » c’est parce que l’enseignement primaire, dont Jules Ferry lui avait confié la garde, était alors le serviteur de l’idée de patrie ; et c’est enfin parce qu’à cette date, ce que M. Buisson, parlant en fonctionnaire, disait de l’esprit patriotique, la plupart des hommes du parti républicain le disaient à leur tour, comme députés et comme ministres.

On eût, en 1867, étonné Garnier-Pagès, et l’on eût étonné Jules Simon, en leur parlant d’un mariage possible, et même indissoluble, entre l’esprit militaire et l’esprit républicain ; et c’était, tout au contraire, par des discours formellement antimilitaristes, que la gauche du Corps législatif combattait le projet du maréchal Niel, dont le vote aurait peut-être changé les destinées de nos armes. Pareillement, en observant les actes anti-militaristes de nos derniers parlemens et de nos derniers ministères, c’est plutôt au divorce de l’esprit militaire et de l’esprit républicain que l’on serait tenté de conclure. Mais, à l’heure où furent discutées les lois scolaires et dans les premières années de leur application, les hommes de gauche, par une résipiscence expresse et sincère dont Jules Ferry faisait noblement l’aveu[1], professaient effectivement que c’était l’honneur de la République d’aspirer à une armée forte et d’avoir des écoles qui fussent, avant tout, le vestibule de la caserne.

Aujourd’hui que le patriotisme des instituteurs et le droit qu’ils ont, si bon leur semble, d’être sans patriotisme ou même d’être hostiles au patriotisme, donnent lieu à des débats passionnés ; aujourd’hui que ces débats mettent aux prises les deux hommes mêmes qui soutinrent devant le Parlement la loi scolaire de 1886, M. René Goblet et M. Ferdinand Buisson, il ne nous paraît pas sans intérêt de rechercher, avec cette sérénité que l’histoire comporte, ce que voulait être, et ce qu’était, et ce qu’a cessé d’être, un point de vue spécial de la formation patriotique, l’enseignement primaire de la troisième République. Puis, après cette évocation de notre propre passé, nous épierons l’état présent de l’esprit scolaire, hors de France : çà et là dans le monde, dans l’Allemagne toute proche, — toute proche, puisqu’elle est chez nous, — dans le Japon qui cesse d’être lointain, en Angleterre, en Amérique, nous regarderons ce qu’est l’école nationale. La leçon donnée par les anciens hommes d’État de la République, et cette autre leçon que nous apportent, autour de nous, les « impérialismes » grandissans, nous prépareront à mesurer dans sa néfaste ampleur ce que M René Goblet appelle « la crise du patriotisme à l’école. »


I

Paul Bert, rapporteur de notre première loi scolaire, donnait comme épigraphe à ses livres ce simple mot : « Par l’école, pour la patrie. » Attaquant l’enseignement religieux, il croyait lui faire le plus grave des reproches en le dénonçant comme une doctrine d’antipatriotisme : la République, à cette époque, ne confondait pas le sabre et le « goupillon » dans une même réprobation ; et pour rendre impopulaire le « cléricalisme, » Paul Bert le présentait volontiers comme l’ennemi de l’idée nationale. La fonction de soldat, à ses yeux, primait celle même de citoyen : « L’éducation militaire, disait-il textuellement, est plus importante encore que l’éducation civile ; car si de l’éducation civile peut dépendre la fortune et la liberté du pays, de l’éducation militaire peut dépendre son existence et son honneur. » C’est au Trocadéro, sous la présidence de M. Songeon, sénateur radical de la Seine, que Paul Bert tenait ce langage ; et son discours se prolongeait en une sorte d’apothéose du vrai chauvinisme.

« Si vous entendez par chauvin, déclarait-il, celui qui porte dans son cœur le culte de la Patrie ; celui qui est décidé à sacrifier tout pour elle, même sa vie ; celui pour qui l’honneur de sa Patrie est le sien propre ; celui qui pense à ses frères séparés comme l’amputé pense à son pied absent ; celui qui reçoit sur sa joue toutes les injures faites au drapeau, que ce soit loin ou près des frontières ; celui qui ne croit jamais à la défaite irrémédiable alors même qu’il est vaincu, et qui, semblable au Romain assiégé, est tout disposé à acheter le double de ce qu’il vaut le champ sur, lequel campe l’armée d’Annibal vainqueur, — si c’est celui-là que vous appelez chauvin, oui, ce patriote sincère, l’éducation civique vous le fera.

« Et comment cela ? En n’ayant dans l’éducation qu’une seule pensée ; en faisant tout converger vers ce but suprême de la préparation du citoyen armé ; en mettant toujours sous les yeux de l’enfant l’image de la Patrie, en la lui faisant aimer, et aimer encore davantage, s’il est possible, aujourd’hui qu’elle est mutilée, car on doit aimer encore plus sa mère lorsqu’elle a perdu un enfant. »

Une « adhésion générale, » des « applaudissemens répétés, » marquèrent à Paul Bert que son auditoire républicain pensait comme lui. Encouragé, il faisait vibrer en notes claironnantes les noms de nos grandes batailles et les noms de nos héros ; avec un beau fracas d’éloquence qui ressemblait à un cliquetis d’armes fraîchement fourbies, il quêtait des oboles et des cœurs pour la jeune Ligue des Patriotes ; il déclamait avec tendresse, avec espoir, les vers endeuillés et revivifians de M. Paul Déroulède. Dans sa péroraison, une idée d’homme d’Etat s’épanouissait : cette France divisée, que lui-même, par d’autres harangues, avait contribué à couper en deux, ne pouvait-elle s’unifier dans l’amour d’elle-même ?

« Il faut, disait-il, des sentimens élevés, une pensée unique, il faut une foi commune pour un peuple, sans quoi il ne serait qu’une agrégation d’hommes juxtaposés par des intérêts communs. Mais cette pensée unique et cette foi commune, il n’est pas nécessaire qu’il aille les chercher dans-des dogmes qui, du reste, chaque jour s’évanouissent, ne pouvant supporter l’éclat de la raison. Il faut qu’il les trouve en lui-même, dans le sentiment de sa dignité, de sa force, de sa grandeur, dans ses gloires, dans ses espérances, dans son ferme propos d’être prêt à périr plutôt que de cesser de vivre libre et de vivre honoré.

« C’est cette religion de la Patrie, c’est ce culte et cet amour à la fois ardent et raisonné, dont nous voulons pénétrer le cœur et l’esprit de l’enfant, dont nous voulons l’imprégner jusqu’aux moelles ; c’est ce que fera l’enseignement civique. »

L’exemple accompagnait le programme ; le manuel confirmait le discours. Paul Bert s’essayait à composer un catéchisme de cette religion nouvelle ; le livre s’appelait : L’Instruction civique à l’école, et le premier chapitre s’intitulait : Le service militaire, la patrie. Dans le reste du volume, l’auteur préparait les enfans aux divers actes civiques. Il effaçait de leur règle de vie tout ce qui n’était pas strictement laïque, et de leur idéal tout ce qui offrait quelque caractère de transcendance : c’était un civisme un peu mesquin, un peu étriqué, dont les obligations étaient fondées sur la volonté des députés, dont les sanctions étaient confiées à la consigne des gendarmes ; l’ensemble manquait d’une certaine noblesse et risquait de se traîner dans un banal terre à terre. Mais un attachement passionné pour la terre natale, frémissant dans les dialogues, étincelant dans les images, sauvait de ce péril le livre de Paul Bert : on n’est jamais traînant lorsqu’on vibre, ni banal lorsqu’on aime ; et Paul Bert aimait et vibrait.

Par ses soins, deux commissions furent créées au ministère de l’Instruction publique : l’une dut aviser à l’éducation militaire, l’autre au chant choral ; et dans ces deux tâches Paul Bert voulait qu’elles s’inspirassent d’un même souci : développer chez les enfans le sentiment patriotique. Tous les moyens lui étaient bons, « plume, crayon, musique, » pour « réchauffer et entretenir cette généreuse ardeur. » D’autres après lui auront la candeur ou l’intolérance de prétendre réaliser l’unité morale des Français en les asservissant à un système de négations philosophiques ; si hostile qu’il fût à toute idée religieuse, voire même à toute métaphysique, Paul Bert rêvait, lui, de l’unification des Français dans le culte de la Patrie.


II

Cet idéal était celui de Jules Ferry lorsque, solennellement, à la fête fédérale que célébraient à Reims les sociétés de gymnastique, il déclarait « sceller un pacte durable entre l’Université de France et les gymnastes, avant-garde pacifique de la patrie armée. » Un certain nombre d’instituteurs étaient là rassemblés : il en profita pour leur faire savoir ce que la République attendait d’eux. « Nous croyons, leur dit-il, que l’éducation militaire ne pénétrera complètement dans nos mœurs scolaires qu’après que l’instituteur sera devenu lui-même un professeur des exercices militaires. » Que le métier des armes commençât dès l’enfance, que la manœuvre enseignée à l’écolier devînt ainsi pour le jeune homme une seconde nature ; que l’instituteur se préoccupât d’ « incliner l’esprit des enfans aux choses militaires : » tel était le programme que Jules Ferry développait à Reims. Dans la pensée de Ferry comme dans celle de Paul Bert, l’instituteur devait préparer la besogne de l’officier, l’école primaire de la République devait être, en quelque mesure, une institution militariste. « Que nos maîtres, lisait-on dans la Revue Pédagogique, sachent remplir dignement la haute mission qui leur est confiée, et nous aurons bientôt une jeunesse saine, robuste, exercée au métier des armes. » Les recteurs, les préfets, recevaient des circulaires sur l’enseignement gymnastique et militaire dans les écoles normales primaires ; des cours de vacances, même, s’improvisaient, pour apprendre aux instituteurs l’exercice du corps et du fusil ; et l’éloquence officielle ne perdait aucune occasion de développer devant eux ces thèmes patriotiques, dont ils devaient à leur tour, chacun dans son école, être les interprètes écoutés et passionnés.

A la voix des ministres de la République, la petite France s’armait. Les bataillons scolaires se formaient. Jouer au soldat, c’était travailler : on essayait d’y jouer gravement, avec conviction, avec la volonté de maîtriser l’avenir. Dès cette époque, — il est aisé de le deviner, — un tel étalage de militarisme portait ombrage à certains politiciens ; ils se purent consoler, sinon rassurer, en songeant que, du moins pour un certain nombre de bambins, l’appât des revues militaires supplantait le pieux attrait des processions. Au reste, les survivans du pacifisme, consciens peut-être de la responsabilité qu’ils avaient eue dans nos désastres, avaient modestement mis leurs chimères en réserve ; on savait bien, dans le gouvernement, qu’ils continuaient de les courtiser ; mais c’était une liaison qu’on affectait de ne point connaître ; et Paul Bert passait outre aux murmures étouffés de ces incorrigibles, lorsqu’il disait, bien haut et bien net : « Nous voulons pour l’école des fusils ; oui, le fusil, le petit fusil, que l’enfant apprendra à manier dès l’école, dont l’usage deviendra pour lui chose instinctive, qu’il n’oubliera plus et qu’il n’aura pas besoin de rapprendre plus tard. Car ce petit enfant, souvenez-vous-en, c’est le citoyen de l’avenir ; et dans tout citoyen, il doit y avoir un soldat, et un soldat toujours prêt. »

Rey, le député de l’Isère, cherchait dans l’histoire de la Révolution française un précédent aux bataillons scolaires. On discutait dans les publications pédagogiques sur les meilleurs moyens de donner l’éducation militaire à l’école. Un éditeur entreprenant sollicitait les instituteurs de lui envoyer des « mémoires » sur la question, et promettait de récompenser les meilleurs. Il s’agissait en premier lieu, lisait-on dans le programme du concours, « d’examiner si l’éducation militaire à l’école est de nature à développer chez l’enfant les vertus civiques ; si elle doit augmenter en lui et la force physique et les sentimens de discipline, de dignité, de moralité, sans lesquels il n’existe pas de citoyens dignes de ce nom. » Les concurrens devaient « dire, ensuite, si le culte de la patrie nous doit être le plus cher et pour quelles raisons. » Une troisième question, enfin, était ainsi formulée : « L’instituteur, afin de bien faire chérir la patrie, doit-il être lui-même un soldat ; doit-il à l’avenir passer par le régiment ? » Cinq cent cinquante manuscrits furent envoyés, faisant tous honneur au patriotisme des instituteurs, « exprimant tous les mêmes vérités, les mêmes grandes pensées, avec une semblable foi ; » cent quatre-vingts furent jugés dignes de récompense.

Un directeur d’école, en ce temps-là, n’avait qu’un désir : c’était de voir quelque colonel ou quelque général — on ne disait pas encore : des « galonnés, » — gratifier d’un regard et d’un encouragement les manœuvres du petit bataillon. Le pinceau de certains peintres se laissait séduire par ces enfantines parades : des tableaux comme le Bivouac, de Frère, ou comme Pour la France, de Geoffroy, exposés au Salon de 1885, gravaient le souvenir de cette période de foi, de fraîcheur et d’enthousiasme, durant laquelle l’école avait un idéal. Vingt mille exemplaires des Chants du soldat étaient expédiés à nos maîtres primaires, caporaux improvisés de ces armées lilliputiennes ; grâce à M. Paul Dérôulède, le nouveau corps sacerdotal que les lois scolaires préposaient à l’âme française avait à sa disposition de beaux et vibrans cantiques. Même, des « Marseillaises » enfantines s’improvisaient, et les écoliers armés chantaient avec une gracieuse crânerie ces vers de M. Henri Chantavoine :


Oui, Bara, le petit tambour,
Dont on nous a conté l’histoire,
En attendant bat chaque jour
Le rappel dans notre mémoire.
Nous sommes les petits soldats
Du bataillon de l’Espérance ;
Nous exerçons nos petits bras
A venger l’honneur de la France.


III

Parallèlement à l’instruction militaire, l’instruction civique se développait : il ne fallait pas que la formation des âmes fût en retard sur celle des bras. Les maisons d’éditions scolaires multipliaient les manuels du petit citoyen, les livres du petit Français, les cours d’enseignement civique. Quelques-uns d’entre eux, signés de Paul Bert, de Jules Steeg, de M. Gabriel Compayré, furent l’objet des sévérités de l’Eglise ; et la République affirma sa « laïcité » en les propageant dans les écoles. D’autres, moins agressifs, et moins exposés, dès lors, aux censures spirituelles, circulèrent indemnes. Si varié qu’en fût l’esprit, et quelles que fussent leurs divergences d’attitude à l’endroit des idées confessionnelles, une analogie profonde rapprochait entre eux tous ces petits livres : ils étaient tous, sans nulle exception, de fervens bréviaires de patriotisme. On y proposait la France au culte, au dévouement, presque à la prière. Sentant que la foi en la patrie, comme toutes les autres, avait eu des adversaires, et qu’avec le temps elle en retrouverait, M. Gabriel Compayré allait jusqu’à joindre à son catéchisme un essai d’apologétique ; un de ses chapitres s’intitulait expressément : Réfutation du cosmopolitisme. Le cosmopolitisme, c’était la vieille hérésie, celle de 1865 et des années suivantes : lisez plutôt, à cet égard, le troisième volume des Souvenirs que vient de publier Mme Juliette Adam, et dans lequel elle fait effort pour nous dessiner, autant que des nuages se prêtent à la fixité du dessin, les conceptions utopiques de cette antique génération. « Sophismes ! sophismes ! » articulait vaillamment M. Gabriel Compayré ; et contre ces sophismes il insurgeait, tour à tour, le cœur et la réflexion de l’enfant. Son réquisitoire, terriblement net, aboutissait à cette conclusion : « Le cosmopolitisme a ce premier défaut qu’il ne nous impose aucun devoir positif, puisqu’il s’agit d’hommes qui sont loin de nous et pour lesquels nous ne pouvons rien ; il a encore ce défaut plus grave, qu’il nous dégage de toute obligation envers la patrie. » On ne saurait mieux dire, aujourd’hui même. M. Emile Boutroux, un an durant, empila sur sa table ces innombrables manuels civiques que les programmes faisaient subitement éclore ; puis, dans la Revue pédagogique, il s’efforça de porter un jugement d’ensemble sur cette juvénile floraison. « Il y a, concluait-il, un trait fort important, qui partout se retrouve, plus ou moins directement marqué : c’est la condamnation du cosmopolitisme et de la fraternité des peuples. Cette doctrine dissolvante, où plusieurs esprits généreux inclinaient avant la guerre, est aujourd’hui repoussée de tous. »

A l’avenant des livres de classe, les livres de prix offraient aux jeunes lauréats d’attrayantes histoires d’héroïsme ; ils parlaient de la « plus grande France » de la veille, — l’Alsace, — et de la « plus grande France » du lendemain, — les colonies : ils apprenaient, et c’était le plus bel éloge que la Revue pédagogique crût en pouvoir faire, à devenir soldat de la tête aux pieds. Amour sacré de la patrie : ainsi s’intitulait un roman pour la jeunesse, auquel Paul Bert en personne mettait une préface. L’imagination des conteurs marchait de la même allure que la verve des vulgarisateurs d’histoire ; pour orner tous ces beaux livres exaltés que remettaient aux bons élèves les représentans de la République, le crayon des dessinateurs inventait des scènes de bataille ; et le relieur, à son tour, sur le rouge vif du rayonnant cartonnage, faisait resplendir quelque panoplie dorée. Il est amusant de feuilleter aujourd’hui les catalogues d’ouvrages illustrés, publiés entre 1880 et 1885 par les jeunes librairies qui pourvoyaient aux besoins nouveaux de l’éducation nationale : dans ces documens périmés et surannés, on saisit le généreux parti pris d’entraînement patriotique auquel étaient adaptées les lectures des petits Français. A juger ces volumes, sans doute, de multiples réserves s’imposeraient : l’on en trouverait qui mutilaient l’histoire de notre pays en la faisant dater de 1789 ; d’autres, — et Paul Bert, ici, avait donné l’exemple, — ne pouvaient résister à cette médiocre volupté, de faire brûler aux yeux de leurs jeunes lecteurs quelques bûchers allumés par des moines, ou de montrer des seigneurs ravageant les terres des paysans. Mais dès que se profilait au milieu de ces pages une silhouette de soldat, dès que se déroulait une scène de guerre, la gravure, alors, était un hommage ; elle se recueillait, s’attendrissait, prenait même quelque chose d’emphatique ; elle ennoblissait l’héroïsme comme certains artistes du XVIIIe siècle ennoblissaient les vertus de famille ; et finalement, victorieuse de tous les sourires, elle voulait être, et elle était, une leçon de bravoure, d’esprit militaire. La bonne et sainte petite gravure, qui savait captiver les enfans, eux qui ne songent qu’à vivre, en leur apprenant à mourir !


IV

Plus encore que sur les livres, la République comptait sur la parole de ses instituteurs, pour faire aimer la France. « De très bonne heure, disait la voix respectée du pédagogue Marion, l’on peut parler aux enfans de la patrie, mettre en activité dans ces jeunes âmes des sentimens déjà virils. » L’instituteur devait rendre éloquentes les murailles mêmes de la salle de classe : Charles Bigot réclamait qu’on y étalât, sous les yeux des enfans, des images voyantes, attachantes, représentant de beaux exemples de valeur, ou faisant resplendir les uniformes de nos soldats et de nos marins. Il demandait encore qu’il y eût dans chaque école un drapeau qui accompagnerait la classe, et que les meilleurs élèves auraient l’honneur de porter. « Jamais avant ce temps, écrivait en 1883 l’inspecteur d’Académie de la Manche, on ne fut plus vivement préoccupé de transformer en un sentiment réfléchi l’instinct patriotique, et en un culte raisonné, et consenti l’amour à demi conscient que la masse des hommes ressent vaguement pour la patrie. » Ainsi l’instituteur devait pratiquer sur l’âme des enfans une sorte de maïeutique et leur donner pleine conscience de ce patriotisme qu’ils portaient naturellement en eux ; et s’il est vrai que de bonne heure l’écho berceur de la parole des ancêtres dise au petit Français ce qu’est la France, l’instituteur devait prolonger cet écho, le commenter, en rendre les résonances plus fortes et plus claires, plus impérieuses aussi.

À cette belle tâche, on voyait certains maîtres dépenser toute l’ingéniosité de leur cœur : ils trouvaient pour l’éducation patriotique des procédés d’une originalité charmante. On en citait un, entre tant d’autres, qui, pour graver dans l’esprit de ses petits élèves l’histoire des vicissitudes de la patrie, marquait en lettres rouges, sur les murs de sa classe, l’anniversaire de Bouvines ou de Valmy, d’Austerlitz ou d’Iéna, en lettres noires l’anniversaire de Rosbach ou de Waterloo, et qui, suivant que les journées avaient été propices ou mauvaises pour la France, déployait le drapeau de l’école ou bien le mettait en berne. Ainsi tenus en haleine, ainsi dressés à attacher leur souffle aux péripéties de nos armes, les enfans étaient conquis par je ne sais quelle obsession de la gloire française. « N’apprenons pas à nos fils la haine, disait Charles Bigot ; mais quand on nous hait ailleurs, ne le leur dissimulons pas non plus. » On mettait dans ces âmes, toutes fraîches et toutes neuves, la sensation du péril national ; on les rendait chatouilleuses à l’endroit de l’honneur français.

C’est à l’heure de la leçon d’histoire, surtout, que le patriotisme de l’instituteur s’exaltait : « Le principal objet de l’enseignement historique à l’école primaire, signifiait l’inspecteur Pizard sera toujours les événemens militaires et l’action gouvernementale, parce que cette partie de l’histoire est la plus facile et la plus intéressante pour les enfans ; parce qu’aussi elle est la plus utile, puisqu’elle prépare dans l’enfant d’aujourd’hui le soldat de demain et fortifie dans les jeunes cœurs le sentiment national. » Sous l’impulsion d’un pareil souci, l’enseignement de l’histoire pouvait s’élever au-dessus des questions qui divisent, au-dessus des chicanes de parti, ainsi que l’indiquait en excellens termes, dans le Manuel de l’Instruction primaire, l’inspecteur général Vapereau. « Il y a, disait-il, l’histoire monarchique et aristocratique, et l’histoire républicaine, démocratique ou même démagogique ; il y a l’histoire religieuse ou cléricale, et l’histoire philosophique, libérale ou même libre penseuse. Pourquoi n’y aurait-il pas l’histoire patriotique, faisant aimer la France dans le passé comme dans le présent, simplement en la faisant bien connaître ? » La connaissance du passé de la France ne devait pas armer les uns contre les autres les enfans de la même patrie, mais, tout au contraire, les unir et les resserrer ; en même temps qu’une école d’esprit militaire, l’histoire devait être une école d’union civique.

Promenades militaires et manuels primaires, gymnastique et lectures, récitations et tableaux muraux, livres de prix et livres de chant : tout cela, sous l’action de l’instituteur, convergeait, s’unissait et s’harmonisait, en une discipline bien complexe et bien précise, qui était une sorte d’introduction à l’amour de la France. Mais pourquoi le peuple entier n’aurait-il pas bénéficié de cette discipline ? On s’éprenait, dans le monde scolaire, de l’idée de certaines fêtes civiques, destinées aux grands comme aux petits. On se souvenait des fêtes révolutionnaires, et l’on songeait à les calquer ; on empruntait au positivisme l’auguste fantaisie du culte des grands hommes, mais ceux qu’on saluait comme les premiers d’entre les grands hommes, c’étaient les confesseurs et les martyrs de l’idée de patrie, et Jeanne d’Arc, dont aucun Français n’osait alors discuter la gloire, était désignée comme devant être le premier objet de cette sorte d’ « héroïsation » nationale. On vit même le curieux épisode d’un essai de laïcisation de la figure de Jeanne d’Arc : un comité républicain pour la fête civique de l’héroïne se créait à Rouen ; un congrès universel des libres penseurs acclamait le projet, à la suite d’un rapport de M. Ismaël Duplessis ; au nom des positivistes, le docteur Robinet faisait appel aux souscripteurs ; et M. Joseph Fabre, député républicain de l’Aveyron, suppliait que la fête de Jeanne d’Arc devînt la fête annuelle du patriotisme. La mauvaise humeur de Jean Macé et l’hostilité formelle des loges maçonniques enlevèrent à Jeanne d’Arc ce surcroît de gloire, dont au reste elle n’avait nul besoin. Mais, quelques années durant, la République Française, émule de la cité antique, avait tenté d’inaugurer une façon de culte des héros nationaux ; et la singularité même de ces improvisations, dont parfois on ne dissimulait pas la portée anticonfessionnelle, marquait du moins un certain besoin d’afficher officiellement, au regard des Français et de l’étranger, le culte des gloires françaises. J’ose croire que beaucoup d’instituteurs auraient aimé ces exhibitions ; le rôle d’acolytes, et même de pontifes, qu’ils auraient pu y jouer, aurait fait à ces braves gens un naïf plaisir.

Il leur restait, du moins, pour dépenser la noble plénitude de leur zèle, les lectures du soir, faites en présence des habitans de la commune. M. Buisson commanda une enquête sur le genre de livres qu’aimaient les populations : partout, ce furent des lectures patriotiques qu’on désira. Nombreux étaient les instituteurs qui empruntaient à M. Mézières, à Francisque Sarcey, à M. Paul Déroulède, des souvenirs de la guerre ou du siège ; et ces réunions du soir ressemblaient parfois à je ne sais quelle veillée des armes, dans laquelle la voix d’un maître d’école symbolisait celle même de la patrie.

La jeune école primaire entourait et soutenait la France endolorie, comme des âmes bien nées entourent et soutiennent un deuil ; elle avait pour la France des raffinemens d’hommage, des délicatesses de dévouement, parfois même des enfantillages d’amour ; elle était nationale avec jalousie, patriote avec lièvre ; et le péril d’être réputée chauvine n’avait rien qui l’alarmât. Elle professait et enseignait la foi en la patrie, non point comme une notion intellectuelle, mais comme une vie, et volontiers elle eût traité de malheureux ceux d’entre ses écoliers dont la connaissance, comme dit Bossuet à propos d’un autre Credo, ne se fût point tournée à aimer. Il ne semblait pas, alors, que l’exubérance des sentimens patriotiques méritât d’être dépréciée, que leur ferveur méritât d’être contenue. « On prononcera le mot de patriotisme avec quelque emphase, déclarait en 1885 M. Ernest Lavisse ; mais cela ne vaut-il pas mieux que de le dire tout bas, avec une hésitation de la langue, comme si l’on voulait se faire pardonner cette hardiesse à offenser le bon goût ? » Nulle phrase ne résume mieux l’état d’esprit de l’époque, les hautes inspirations qui dominaient alors la conscience nationale, la sage et virile pratique par laquelle on l’exerçait. L’affaire Schnaebelé pouvait survenir ; les gouvernans de la France n’avaient point à se demander si la France était moralement prête…


>V

C’est à cette préparation morale de la nation que s’applique l’école primaire, de nos jours et sous nos yeux, dans les pays qui veulent grandir ou simplement se maintenir. Sans prendre la peine, en général, d’inscrire nettement l’instruction civique parmi les matières obligatoires du programme, les nations étrangères conçoivent l’enseignement tout entier, à ses divers stades et dans ses divers objets, comme une sorte d’œuvre sculpturale destinée à modeler dans l’âme de l’enfant cet esprit qui sait, aux heures graves, dompter et faire taire l’amour même de la vie.

« O ma patrie ! je te jure un amour fidèle jusqu’au tombeau : je te dois tout : ce que j’ai, ce que je suis : » voilà l’un des premiers exercices de chant qu’exécutent, dans les « jardins d’enfans, » garçons et fillettes de l’Allemagne. Trois ou quatre fois par semaine, à l’école primaire, une classe est consacrée à la patrie : on y donne à l’écolier des idées plutôt que des connaissances, des impressions plutôt que des idées, et des images, enfin, plutôt encore que des impressions : ce n’est ni une classe d’histoire ni une classe de géographie ; et pourtant c’est tout cela avec-quelque chose de plus. Pour désigner cet enseignement, l’Allemand possède un mot spécial : Heimatkunde, que volontiers nous traduirions « message de la terre natale. » La terre allemande prend un langage pour le bambin d’outre-Rhin ; des profondeurs de l’histoire allemande, d’illustres morts, aussi, sortent pour lui parler ; il a pour premiers maîtres le sol et le passé ; ce sont des voix sourdes, confuses et murmurantes ; mais l’instituteur est là, pour montrer la grandeur des Hohenzollern comme l’expression de ce sol, comme le couronnement de ce passé, et pour dégager le sens de l’auguste frémissement de la terre et des morts. « Salut à toi, empereur ! » Dans cet hymne triomphal, enseigné par l’instituteur, se satisfait et s’apaise cette sorte d’essoufflement patriotique auquel aboutit la formation des petits Allemands.

Ici même, en 1891, Victor Cherbuliez appréciait le singulier programme d’enseignement historique que traçait pour les écoles d’outre-Rhin le publiciste Hermann Grimm, et le caractère à moitié mythique que devaient prêter aux récens événemens de l’histoire allemande les livres scolaires tels qu’Hermann Grimm les rêvait[2]. Pour appliquer ce programme, quelques maîtres zélés se mirent à remonter l’histoire d’Allemagne, « depuis le temps présent jusqu’à Charlemagne ; » un bien curieux manuel sortit de ce travail. Ce manuel interpelle la jeunesse allemande. « Réjouis-toi, lui dit-il, réjouis-toi du fond du cœur du sort qui fut réservé à ta chère patrie. Car tu possèdes maintenant ce qui longtemps, longtemps, n’a été pour tes pères qu’un désir prudent et pieux : un Empire allemand, un et pourtant divers à l’intérieur, puissant à l’extérieur, rempart de la paix et de la civilisation au milieu des autres peuples de la terre. » L’édifice national allemand, dont l’année 1871 acheva la construction, devient ainsi l’observatoire du haut duquel s’aperçoivent ou se devinent, resserrées par un effet de perspective grandiose, toutes les évolutions de l’histoire d’Allemagne. Dans un tel manuel, le souverain sur lequel on s’attarde le plus complaisamment, c’est Guillaume II, « qui s’efforce d’être juste et doux, d’être pieux ; qui craint Dieu, protège la paix, vient en aide aux pauvres et aux affligés, et demeure un fidèle gardien de la justice ; qui entretient une armée puissante, enfin, pour défendre la patrie contre les ennemis du dedans et du dehors. » De Hohenzollern en Hohenzollern, le dévot apologiste fait rétrograder son lecteur, transformant en rois soldats les princes qui le furent le moins ; l’empereur Frédéric III devient un militariste ; et dans la vie rêveuse et tourmentée de Frédéric-Guillaume IV, le trait qu’on détache pour l’inscrire dans les mémoires enfantines, c’est la part qu’il prit, tout jeune, aux guerres sacrées de la délivrance allemande. Il semble que ce manuel, en un relief très grossissant, mais fidèlement exact, nous montre le caractère de l’éducation nationale allemande, éducation militariste et monarchiste, enseignant le respect d’une armée dont une famille est la cime, et soucieuse avant tout de graver dans les imaginations, au fur et à mesure qu’elles s’éveillent, une idée nette et forte de la grandeur de l’Allemagne.

« L’Allemagne, l’Allemagne au-dessus de tout, dans le monde, — si elle reste fraternellement unie pour la défense comme pour l’attaque, — de la Meuse au Memel, de l’Adige au Belt. L’Allemagne, l’Allemagne au-dessus de tout dans le monde !

« Les femmes allemandes, la fidélité allemande, le vin allemand et le chant allemand, — doivent conserver dans le monde leur vieille et noble réputation, — en même temps que nous exciter aux nobles exploits toute notre vie. — Femmes allemandes, fidélité allemande, vin allemand et chant allemand !

« La concorde, la justice et la liberté pour la patrie allemande, — voilà ce que nous voulons conserver dans un même élan de fraternité. — La concorde, la justice et la liberté sont le gage du bonheur. — Prospère dans l’éclat de ce bonheur, prospère, ô patrie allemande ! »

Il n’est pas d’enfant, au-delà du Rhin, qui ne chante ces paroles, et qui ne les sente, et qui ne les vive, comme il n’en est aucun qui n’ait eu l’occasion de lire ou d’apprendre par cœur les poésies patriotiques des Kœrner, des Arndt et des Ruckert. Dans les cérémonies auxquelles donne lieu l’anniversaire de l’Empereur, ce sont ces poésies que récitent les jeunes lauréats des écoles ; dans les défilés qui se déroulent à certains jours à travers les villes allemandes, ce sont elles encore qu’entonnent, de concert, les vétérans des sociétés patriotiques et le grave petit cortège des écoliers, souriant les uns et les autres à l’uniforme militaire, les uns comme à un souvenir, les autres comme à un espoir.

Un de nos inspecteurs généraux de l’enseignement primaire, M. Jost, se complaisait naguère, dans des publications pédagogiques justement appréciées, à étudier la préparation patriotique de l’instituteur allemand, et à noter, année par année, les motions et les vœux qui trouvaient faveur, au-delà du Rhin, dans les conférences d’instituteurs ; certaines de ces décisions spontanées sont toujours dignes d’être retenues, comme un enseignement, sinon comme une alarme. « L’école, déclarait en 1881 la conférence d’instituteurs réunie à Zerbst, doit donner aux élèves une éducation patriotique ; l’enseignement de l’histoire y est surtout propre. Il faut que l’enfant apprenne par l’histoire comment son pays a accompli les plus grands desseins, sous la direction de la divine Providence et par les vertus de ses ancêtres. » — « L’école primaire, reprenait en 1882 un inspecteur scolaire d’Angerburg, atteindra son but : l’éducation nationale des élèves, par l’enseignement de l’histoire, par les fêtes scolaires, par la personnalité du maître. » Le maître d’école allemand, par le contact de sa propre personne avec celle des enfans, a l’espoir et le ferme vouloir d’accélérer, dans les âmes qui lui sont confiées, ce que volontiers nous appellerions l’âge de raison civique ; sa personnalité même, — le mot de cet inspecteur est très frappant, — devient un des moyens de faire aimer la patrie.

S’il se trouve, dans l’Allemagne contemporaine, certains pédagogues comme M. Rein pour regretter, en termes d’ailleurs assez estompés, le caractère militariste de l’école allemande, ce trait survit, intact, à leurs susceptibilités oiseuses. À la différence de nos universités populaires, l’école d’adultes à son tour, non moins que l’école primaire, se comporte en Allemagne comme un instrument de propagande patriotique ; et le créateur même du riche Musée pédagogique de Leipzig, M. Pache, insistait, dans le congrès tenu à Hambourg en 1903, sur le rôle national de l’enseignement post-scolaire.

Ainsi l’Allemagne scolaire est instruite, assouplie, équipée, pour le service de la patrie allemande. Au-delà du Rhin comme chez nous, il peut advenir qu’une certaine naïveté d’orgueil induise l’instituteur à franchir les limites de sa modeste et superbe tâche et à s’ériger, devant le petit monde en vue duquel il vit, comme le messager de quelque grande idée nouvelle : mais cette idée, alors, sera le pangermanisme, c’est-à-dire le songe d’une Allemagne débordant sur l’univers et se confondant presque avec lui. En ses exubérances fumeuses, l’instituteur pangermaniste, — et c’est, dans certaines régions, un type assez fréquent, — convie l’Allemagne à l’empiétement, non au désarmement ; et lorsque sa demi-science affecte des allures d’importance, c’est en prophète de l’hégémonie germanique, et non point de la fraternité des peuples, qu’il s’érige et qu’il s’affiche. Son pangermanisme, on le devine tout de suite, invoque le militarisme, bien loin de le suspecter ou d’en médire. Malgré les rigueurs dont les instituteurs allemands furent parfois l’objet à la caserne, et que révélèrent au Reichstag certaines interpellations bruyantes, la besogne militaire ne leur apparaît jamais comme étant de moindre valeur ou de moins bon aloi que leur besogne de pédagogues ; et l’idée ne leur vient point, pour jouer aux philosophes, de signifier au métier des armes je ne sais quel dédain prétentieusement intellectuel. L’un de leurs maîtres, Herbart, tout épris qu’il fût par ailleurs d’idées humanitaires, écrivait un jour : « L’élévation de l’esprit qui se produit dans les luttes vraiment ardentes pour la défense de la patrie a, pour l’éducation même du caractère, infiniment plus de valeur que tout ce qu’on pourrait attendre des préceptes et de l’enseignement. » On aime à trouver, sous la plume de ce grand pédagogue, cette jolie note d’humilité. Il sentait, apparemment, que la pédagogie a plus de vertu vraie lorsqu’elle s’efface à son rang que lorsqu’elle se boursoufle et s’étale, et que parfois elle court le risque, par péché d’orgueil, de devenir nuisible et destructive. La pédagogie allemande juge très beau, très noble et très digne d’elle, le dressage des futurs soldats de Sa Majesté l’Empereur.


VI

L’école allemande est nationale par tradition : pour être un ardent foyer de patriotisme, elle n’a qu’à demeurer fidèle à ses précédens eux-mêmes. Le Japon, l’Angleterre, les Etats-Unis d’Amérique, nous offrent au contraire l’exemple de pays où la préoccupation patriotique de l’école primaire est presque une nouveauté des dernières années.

Le Japon, si jeune qu’il soit, a déjà eu le temps de changer l’esprit de son enseignement. La culture japonaise, il y a un quart de siècle, se complaisait dans un certain internationalisme ; aujourd’hui, le nationalisme s’y épanouit, sous une forme offensive, hautaine, aventureuse. Pour le petit Japonais, l’histoire de son pays est l’histoire sainte ; elle est le fond de sa doctrine, le fond de sa morale, elle apprend à vivre pour, le Mikado, et à désirer l’occasion de mourir pour lui ; et c’est presque un acte de religion que font là-bas les écoliers lorsque à tue-tête ils chantent : « De tous les pays, notre pays a un empereur qui dans le monde est sans rival. » M. André Bellessort, entrant il y a quelques années dans une caserne japonaise, assistait à une sorte de catéchisme, donné à la chambrée

— Quel est ton chef ?

— L’Empereur.

— Qu’est-ce que l’esprit militaire ?

— L’obéissance et le sacrifice.

— Qu’entends-tu par grande vaillance ?

— Ne jamais regarder le nombre et marcher en avant

— D’où vient la tache de sang qui rougit ton drapeau ?

— De celui qui le portait dans la bataille.

— A quoi te fait-elle songer ?

— A son bonheur.

— L’homme mort, que reste-t-il ?

— La gloire.

Le petit Japonais, tel que ses instituteurs le forment pour la caserne, est capable, non point seulement d’apprendre par cœur ces âpres et viriles leçons, mais de les retenir dans son cœur. En 1900, M. Weulersse, visitant le Japon, voyait un instituteur marquer en noir, sur la carte de Chine, la presqu’île de Liao-Toung, et un autre habituer les enfans à marcher nu-pieds dans la neige afin qu’ils fussent tout dispos lorsqu’il s’agirait de fouler le sol sibérien ; ces deux instituteurs étaient deux précurseurs, ils jalonnaient les routes prochaines des flottes et des armées.

Dans un autre archipel tout voisin de nous, l’instituteur s’aperçut, il y a quelque douze ans, qu’il faisait trop peu, qu’il travaillait trop tièdement, pour le développement de l’esprit national. Une conférence, donnée par M. Bryce aux membres de l’Association des directeurs des écoles publiques de Londres, provoqua cet éveil patriotique qui depuis lors ne s’est point assoupi. Ils s’interrogèrent et s’accusèrent ; ils se demandèrent, remués par M. Bryce, s’ils inculquaient assez fortement à la gent écolière le respect du drapeau, et si les petits Anglais qu’ils éduquaient sortaient de leurs mains suffisamment Anglais. Des opuscules civiques de M. Forster, membre de la Chambre des communes, survinrent à point, pour encourager leur anxiété d’éducateurs et seconder leurs patriotiques intentions.

Alors une initiative surgit, pour offrir au conseil scolaire de Londres douze cent cinquante francs, destinés à l’achat de drapeaux anglais. On les placerait, dans chaque école, au-dessus du bureau du maître ; et tous les mois, en l’honneur de ces drapeaux, une cérémonie scolaire se déroulerait. L’instituteur donnerait une conférence sur quelque épisode national ; un élève réciterait quelques vers patriotiques, et toute la classe défilerait, pieusement recueillie, devant le symbolique morceau d’étoffe, en chantant : Dieu sauve la Reine !

La presse anglaise s’occupa longuement de ce projet ; elle le commenta, l’amenda, le perfectionna, et l’accueillit en général fort bien. Shakspeare, que naturellement on consulta, parut encourageant : n’est-il pas dit, dans Henri V, que le jour de Saint-Crépin, qui est celui d’Azincourt, ne manquera pas de rester célèbre jusqu’à la fin du monde ? A l’école primaire d’être la dépositaire de ces glorieux souvenirs. D’innocens rêveurs s’insurgèrent, rappelant les vers de Tennyson sur « l’âge où les tambours de la guerre ne battront plus et où les drapeaux des batailles seront en repos dans le Parlement de l’homme, la fédération du monde. » Mais l’opinion fut peu sensible à cette poésie ; il parut sans doute utopique et malsain de faire régner ces imaginations pacifistes sur le cerveau des petits Anglais, à la veille du jour où leurs bras, leur or et leur vote allaient être réclamés pour la politique réaliste de M. Chamberlain. D’autres contradicteurs exprimèrent la crainte qu’en se faisant « chauvine, » l’école anglaise ne parût imiter l’école française de l’époque ; mais sans nulle vanité, l’on passa outre à cette peur ; le conseil scolaire de Londres, finalement, accepta la proposition qui lui était faite, et les drapeaux furent achetés.

L’épisode est significatif ; il se rattache à la transformation profonde qui semble, d’une façon discrète mais continue, renouveler l’ensemble des institutions anglaises ; et ces parades scolaires d’esprit national sont peut-être le prélude d’autres parades qu’exécuterait, pour l’Angleterre de demain, une ébauche d’armée nationale. Au demeurant, des pièces de vers comme Rule Britannia, The noble English boy, England glory, fréquemment reproduites dans les livres classiques, inspirent depuis longtemps au petit Anglais un respect un peu hautain pour la supériorité de sa nation.

N’en déplaise à quelques Français, qui volontiers achèteraient par des déclarations d’humilité nationale le succès des mots d’amour qu’ils prodiguent aux autres peuples, il n’est pas messéant, pour une nation, d’avoir une haute idée d’elle-même. Se préférer aux collectivités étrangères, serait-ce vraiment un trait de fatuité, et n’est-ce pas, plutôt, une forme du vouloir-vivre, un désir de persévérer dans l’être national ? Il ne saurait s’agir, naturellement, de s’attribuer des vertus ou des talens imaginaires, et de se tromper soi-même sur soi-même ; mais, tout au contraire, de bien prendre conscience de sa personnalité de peuple, de bien connaître sa physionomie de peuple, de prendre attrait à cultiver cette personnalité, et de se complaire très sincèrement dans cette physionomie. Le citoyen qui ne sent pas qu’il vaut les autres est bien près de déchoir de sa dignité ; ainsi en est-il des peuples, ces citoyens du monde. L’amour-propre national n’est rien peut-être de plus qu’un instinct vital ; n’oublions pas que l’individu dégénère dès que chez lui l’instinct vital disparaît. Et n’oublions pas non plus que, s’il est une satisfaction de nous-mêmes qui nous enlize, peu à peu, dans une paresse engourdissante et béate, il en est une autre, ambitieuse parce qu’elle est fière, et toujours prête à se rembrunir parce qu’elle est ambitieuse, qui devient une source d’obligations et une force pour l’action.

Cette leçon, le spectacle de l’Amérique nous l’offrait, avant même que s’élevât la voix du président Roosevelt pour annoncer aux peuples de l’univers un nouvel évangile de vie intense ; et sous nos regards, de jour en jour, l’école américaine se développe à l’unisson de la démocratie américaine. « Il existe en Amérique, écrivait récemment M. Weulersse, un enseignement positif du patriotisme, ardent, exalté, tout nourri des passions de l’actualité. » Une sorte de philosophie nationaliste de l’histoire, dont l’Allemagne a trouvé les élémens dans les travaux du comte de Gobineau[3], conquiert peu à peu l’opinion américaine et ménage à l’orgueil anglo-saxon l’illusion de s’appuyer sur une base scientifique. Voilà l’esprit qui, depuis la guerre cubaine, pénètre et s’épanouit dans les écoles primaires des Etats-Unis. Parmi cette démocratie qui captiva si longtemps les regards des pacifistes, on voit, à l’école, les fillettes de huit ans tracer au tableau noir, imperturbables, le croquis des grandes batailles de la guerre d’indépendance. Et l’autre guerre, l’œuvre de conquête, n’a pas moins de prestige, pour l’enseignement scolaire, que la guerre d’émancipation : l’amiral Dewey, vainqueur de l’Espagne, a son portrait dans les « jardins d’enfans, » à côté de Washington ; et sous ce portrait on lit : « Notre second héros. » Les petits Américains, à l’égal du champion de la liberté, apprennent à vénérer le conquérant ; et lorsqu’on veut meubler leur mémoire de certains textes qui leur tiendront compagnie pour la vie, c’est du chant America, composé à l’époque des hostilités contre l’Espagne, ou bien c’est d’un autre poème intitulé Le rêve de Cuba, que l’on s’empresse de faire choix. Une nouvelle poésie nationale est née ; tout de suite elle est devenue poésie scolaire.

« Nous donnons nos têtes, nos cœurs, nos bras à notre pays ! Une patrie, une langue, un drapeau ! » Chaque matin, cette déclaration des droits de l’Amérique est psalmodiée, dans certaines écoles de New-York, devant l’étendard de la République américaine, par ces innombrables enfans de toute langue et de toute nationalité, dont l’Amérique, tutrice impérieuse, exige que l’instruction primaire fasse des Américains. La démocratie américaine, dans ses écoles, fait mieux et plus que de dresser le citoyen ; à proprement parler, elle le fait naître, elle le baptise, elle le crée. C’est ainsi qu’au jour le jour la masse composite des immigrés tend à se fondre avec la nation : l’école est l’un des creusets où s’opère cette fusion[4] ; et suivant la formule, d’une saveur bien américaine, que prononçait en 1893, au congrès d’éducation de Chicago, le surintendant Jones, l’enseignement élémentaire de l’histoire nationale et de la vie nationale « amène le petit enfant à aimer le pays, parce que ses institutions sont dignes, parce que ses associations sont sacrées. »


VII

Que l’instruction primaire s’adapte au tempérament propre et aux constitutions respectives des nations diverses, rien n’est plus naturel ni plus logique. Mais sous quelque latitude qu’on l’observe, l’école primaire, partout, nous apparaît comme vouée au service exclusif d’une nation, comme garante du vouloir-vivre national, comme l’organe dont se servent les gouvernans pour assurer à leur peuple le maintien de sa vie personnelle et pour développer, dans l’âme de ce peuple, le sens de l’honneur. Tous les régimes, quels qu’ils soient, autocratique, parlementaire ou démocratique, réclament de l’école qu’avant d’aspirer à être l’ouvrière du progrès humain, elle travaille, avec assiduité et modestie, au progrès de l’énergie nationale.

Mettez à la base de l’enseignement primaire cette idée fondamentale, et tout de suite certaines maximes en découlent, auxquelles le régime scolaire devra se conformer religieusement.

En premier lieu, il serait contraire à l’essence de l’école, à son devoir et à son but, de servir dans un pays les intérêts d’un parti. De quelque prétexte que se couvrît son attitude, fût-ce au nom de certaines idées réputées modernes, l’instituteur payé par la nation pour un office national ferait le contraire de la besogne qu’on doit légitimement attendre de lui, s’il affectait un rôle dans les divisions intérieures de la nation. L’Etat qui forme les citoyens, comme l’État qui les arme, doit, autant qu’il est possible, s’efforcer de les unifier ; sur les bancs de ses écoles comme dans les rangs de son armée, il doit rechercher l’intérêt supérieur de la cohésion et de l’harmonie nationale. Dès que l’idée de « laïcité » déguise le parti pris d’installer dans l’enseignement une doctrine anti-religieuse ou bien une philosophie antimétaphysique, cette idée fait œuvre de division et d’exclusion ; elle ne peut plus se flatter d’être la traduction d’une noble et grande réalité, de symboliser et de personnifier ce qu’il y a de commun entre tous les membres d’un même peuple, la conscience nationale et l’intérêt national ; elle est, purement et simplement, une abstraction militante, et tout de suite offensante.

Encore moins l’école primaire, — et c’est la seconde conséquence de son caractère national, — devra-t-elle, d’une façon plus ou moins ouverte, se mettre en conflit avec l’institution même chargée de la défense du pays, avec l’armée. Dans la république de Paul Bert et de Jules Ferry, comme dans la monarchie de Guillaume il ou dans celle du Mikado, l’école est, au contraire, une introduction à l’armée. Le maître d’une telle école n’admettra jamais qu’il y ait contraste entre sa tâche et celle de l’officier ; il ne dessinera pas d’hyperboliques antithèses entre l’instituteur porte-lumière, messager anticipé de la paix des nations, et l’officier traîneur de sabre, survivant des époques barbares ; il ne considérera pas la caserne et l’école comme deux institutions hétérogènes, et ne s’amusera point à pronostiquer, en des rêveries coupables, la multiplication des écoles sur les décombres des casernes.

Enfin l’école nationale, — il nous faut encore noter ce dernier trait, — se complaira, sans jactance mais sans timidité, dans une certaine partialité pour cette patrie même dont elle est, par définition, la servante. L’instituteur ne se demandera pas s’il est conforme à la justice et conforme à la vérité de préférer théoriquement sa propre nation aux nations voisines : ce sont là problèmes d’abstracteurs ; ils marquent la décadence des esprits mêmes qui les posent et une fâcheuse abdication des gouvernemens qui les laissent poser. La préférence qu’on éprouve pour sa patrie est un mouvement spontané du cœur ; elle ne se discute ni ne se réfute ; elle est un fait de conscience ; elle est raisonnable comme l’est un instinct de salut. Lorsque l’écolier quitte les bancs, il doit avoir de son peuple une idée assez haute et assez fière pour n’hésiter point, le cas échéant, à sacrifier sa vie à celle de son peuple. Adulte, il entendra l’officier lui dire : « Tu préféreras à ton propre salut le salut national. » Mais cet acte de préférence, qui peut lui coûter la vie, de quel droit le lui demandera-t-on si, dans l’école, on lui a laissé entendre, ou même formellement soutenu, qu’il est naïf ou stupide de préférer cette patrie même aux autres pays ? Si l’instituteur qui fait œuvre de parti divise contre elle-même l’enfance nationale ; si l’instituteur qui s’oppose à l’officier divise contre lui-même l’organisme national, l’instituteur qui conteste la supériorité de sa patrie amène cette patrie à douter d’elle-même.

Appuyé sur ces principes, nous nous placerons, bientôt, au cœur de la réalité présente, et nous examinerons à quelles suggestions est en butte l’instituteur d’aujourd’hui lorsqu’il veut remplir ses devoirs envers la France.


GEORGES GOYAU.

  1. Le livre de M. Alfred Rambaud : Jules Ferry (Paris, Plon), doit être à cet égard consulté, médité, et lu même entre les lignes. — Qu’il nous soit permis de renvoyer, aussi, à notre livre : l’idée de patrie et l’humanitarisme, 3e édition (Paris, Perrin).
  2. Voyez la Revue du 1er novembre 1891, et dans la Revue Bleue, 1893, I, p. 763-765, un article de M. Guilland.
  3. Avec quelle pénétration les arcanes de cette philosophie ont été explorés par M. Ernest Seillière, c’est de quoi les lecteurs de la Revue se souviennent, et c’est ce dont témoigne, surtout, l’étude si neuve et si profonde qu’il a publiée à la librairie Plon sous le titre : La Philosophie de l’impérialisme.
  4. Voir à ce sujet des citations fort probantes dans le livre capital de M. Bocquillon : La Crise du patriotisme à l’école, p. 431-432 (Paris, Nony, 1905), livre sur lequel nous reviendrons.