L’École des femmes/Édition Louandre, 1910/Acte IV

L’École des femmes/Édition Louandre, 1910
L’École des femmes, Texte établi par Charles LouandreCharpentierŒuvres complètes, volume I (p. 469-481).
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ACTE IV



Scène I

ARNOLPHE, seul.

J’ai peine, je l’avoue, à demeurer en place,
Et de mille soucis mon esprit s’embarrasse,
Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors
Qui du godelureau rompe tous les efforts.
De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue !
De tout ce qu’elle a fait elle n’est point émue ;
Et bien qu’elle me mette à deux doigts du trépas,
On dirait, à la voir, qu’elle n’y touche pas.
Plus en la regardant je la voyais tranquille,
Plus je sentais en moi s’échauffer une bile ;
Et ces bouillants transports dont s’enflammait mon cœur
Y semblaient redoubler mon amoureuse ardeur ;
J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle :
Et cependant jamais je ne la vis si belle,
Jamais ses yeux aux miens n’ont paru si perçants,
Jamais je n’eus pour eux des désirs si pressants ;
Et je sens là dedans qu’il faudra que je crève
Si de mon triste sort la disgrâce s’achève.
Quoi ? j’aurai dirigé son éducation
Avec tant de tendresse et de précaution,
Je l’aurai fait passer chez moi dès son enfance,

Et j’en aurai chéri la plus tendre espérance,
Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu’un jeune fou dont elle s’amourache
Me la vienne enlever jusque sur la moustache,
Lorsqu’elle est avec moi mariée à demi !
Non, parbleu ! non, parbleu ! Petit sot, mon ami,
Vous aurez beau tourner : ou j’y perdrai mes peines,
Ou je rendrai, ma foi, vos espérances vaines,
Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point.



Scène II

UN NOTAIRE, ARNOLPHE

Le Notaire.

Ah ! le voilà ! Bonjour. Me voici tout à point Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.

Arnolphe, sans le voir.

Comment faire ?

Le Notaire.

Il le faut dans la forme ordinaire.

Arnolphe, sans le voir.

À mes précautions je veux songer de près.

Le Notaire.

Je ne passerai rien contre vos intérêts.

Arnolphe, sans le voir.

Il se faut garantir de toutes les surprises.

Le Notaire.

Suffit qu’entre mes mains vos affaires soient mises. Il ne vous faudra point, de peur d’être déçu, Quittancer le contrat que vous n’ayez reçu.

Arnolphe, sans le voir.

J’ai peur, si je vais faire éclater quelque chose, Que de cet incident par la ville on ne cause.

Le Notaire.

Hé bien, il est aisé d’empêcher cet éclat, Et l’on peut en secret faire votre contrat.

Arnolphe, sans le voir.

Mais comment faudra-t-il qu’avec elle j’en sorte ?

Le Notaire.

Le douaire se règle au bien qu’on vous apporte.

Arnolphe, sans le voir.

Je l’aime, et cet amour est mon grand embarras.

Le Notaire.

On peut avantager une femme en ce cas.

Arnolphe, sans le voir.

Quel traitement lui faire en pareille aventure ?

Le Notaire.

L’ordre est que le futur doit douer la future Du tiers du dot qu’elle a ; mais cet ordre n’est rien, Et l’on

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va plus avant lorsque l’on le veut bien.

Arnolphe, sans le voir.

Si...

Le Notaire, Arnolphe l’apercevant.

Pour le préciput, il les regarde ensemble.
Je dis que le futur peut comme bon lui semble
Douer la future.

Arnolphe, l’ayant aperçu.

Euh ?

Le Notaire.

Il peut l’avantager
Lorsqu’il l’aime beaucoup et qu’il veut l’obliger,

Et cela par douaire, ou préfix qu’on appelle,
Qui demeure perdu par le trépas d’icelle,
Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs,
Ou coutumier, selon les différents vouloirs,
Ou par donation dans le contrat formelle,
Qu’on fait ou pure et simple, ou qu’on fait mutuelle.
Pourquoi hausser le dos ? Est-ce qu’on parle en fat,
Et que l’on ne sait pas les formes d’un contrat ?
Qui me les apprendra ? Personne, je présume.
Sais-je pas qu’étant joints, on est par la Coutume
Communs en meubles, biens immeubles et conquêts,
À moins que par un acte on y renonce exprès ?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre en communauté pour...

Arnolphe.

Oui, c’est chose sûre,
Vous savez tout cela ; mais qui vous en dit mot ?

Le Notaire.

Vous, qui me prétendez faire passer pour sot,

En me haussant l’épaule et faisant la grimace.

Arnolphe.

La peste soit fait l’homme, et sa chienne de face !
Adieu : c’est le moyen de vous faire finir.

Le Notaire.

Pour dresser un contrat m’a-t-on pas fait venir ?

Arnolphe.


Oui, je vous ai mandé ; mais la chose est remise,
Et l’on vous mandera quand l’heure sera prise.
Voyez quel diable d’homme avec son entretien !

Le Notaire.

Je pense qu’il en tient, et je crois penser bien.


Scène 3



Le Notaire, Alain, Georgette, Arnolphe
.


Le Notaire.

M’êtes-vous pas venu quérir pour votre maître ?

Alain.

Oui.

Le Notaire.

J’ignore pour qui vous le pouvez connaître,
Mais allez de ma part lui dire de ce pas
Que c’est un fou fieffé.

Georgette.

Nous n’y manquerons pas.


Scène 4



Alain, Georgette, Arnolphe


Alain.

Monsieur...

Arnolphe.

Approchez-vous : vous êtes mes fidèles,
Mes bons, mes vrais amis, et j’en sais des nouvelles.

Alain.

Le Notaire...

Arnolphe.

Laissons, c’est pour quelque autre jour.
On veut à mon honneur jouer d’un mauvais tour ;
Et quel affront pour vous, mes enfants, pourrait-ce être,
Si l’on avait ôté l’honneur à votre maître !
Vous n’oseriez après paraître en nul endroit,
Et chacun, vous voyant, vous montrerait au doigt.
Donc, puisque autant que moi l’affaire vous regarde,
Il faut de votre part faire une telle garde,
Que ce galant ne puisse en aucune façon...

Georgette.

Vous nous avez tantôt montré notre leçon.

Arnolphe.


Mais à ses beaux discours gardez bien de vous rendre.

Alain.

Oh ! vraiment.

Georgette.

Nous savons comme il faut s’en défendre.

Arnolphe.

S’il venait doucement : « Alain, mon pauvre cœur,
Par un peu de secours soulage ma langueur. »

Alain.

Vous êtes un sot.

Arnolphe.
                                     (À Georgette.)

Bon. « Georgette, ma mignonne,
Tu me parais si douce et si bonne personne. »

Georgette.

Vous êtes un nigaud.

Arnolphe.
                                     (À Alain.)

Bon. « Quel mal trouves-tu
Dans un dessein honnête et tout plein de vertu ? »

Alain.

Vous êtes un fripon.

Arnolphe.
                                     (À Georgette.)

Fort bien. « Ma mort est sûre,
Si tu ne prends pitié des peines que j’endure. »

Georgette.

Vous êtes un benêt, un impudent.

Arnolphe.

Fort bien.
« Je ne suis pas un homme à vouloir rien pour rien ;
Je sais, quand on me sert, en garder la mémoire ;
Cependant, par avance, Alain, voilà pour boire ;
Et voilà pour t’avoir, Georgette, un cotillon :
(Ils tendent tous deux la main, et prennent l’argent.)
Ce n’est de mes bienfaits qu’un simple échantillon.
Toute la courtoisie enfin dont je vous presse,
C’est que je puisse voir votre belle maîtresse. »

Georgette, le poussant.


À d’autres.

Arnolphe.

Bon cela.

Alain, le poussant.

Hors d’ici.

Arnolphe.

Bon.

Georgette, le poussant.

Mais tôt.

Arnolphe.

Bon. Holà ! c’est assez.

Georgette.

Fais-je pas comme il faut ?

Alain.

Est-ce de la façon que vous voulez l’entendre ?

Arnolphe.

Oui, fort bien, hors l’argent, qu’il ne fallait pas prendre.

Georgette.

Nous ne nous sommes pas souvenus de ce point.

Alain.

Voulez-vous qu’à l’instant nous recommencions ?

Arnolphe.

Point :
Suffit. Rentrez tous deux.

Alain.

Vous n’avez rien qu’à dire.

Arnolphe.

Non, vous dis-je ; rentrez, puisque je le désire.
Je vous laisse l’argent. Allez : je vous rejoins.
Ayez bien l’œil à tout, et secondez mes soins.


Scène 5



Arnolphe,


Arnolphe.

Je veux, pour espion qui soit d’exacte vue,

Prendre le savetier du coin de notre rue.
Dans la maison toujours je prétends la tenir,
Y faire bonne garde, et surtout en bannir

Vendeuses de rubans, perruquières, coiffeuses,
Faiseuses de mouchoirs, gantières, revendeuses,
Tous ces gens qui sous main travaillent chaque jour
À faire réussir les mystères d’amour.
Enfin j’ai vu le monde et j’en sais les finesses.
Il faudra que mon homme ait de grandes adresses
Si message ou poulet de sa part peut entrer.


Scène 6



Horace, Arnolphe


Horace.

La place m’est heureuse à vous y rencontrer.
Je viens de l’échapper bien belle, je vous jure.
Au sortir d’avec vous, sans prévoir l’aventure,
Seule dans son balcon j’ai vu paraître Agnès,
Qui des arbres prochains prenait un peu le frais.

Après m’avoir fait signe, elle a su faire en sorte,
Descendant au jardin, de m’en ouvrir la porte ;
Mais à peine tous deux dans sa chambre étions-nous,
Qu’elle a sur les degrés entendu son jaloux ;
Et tout ce qu’elle a pu dans un tel accessoire,
C’est de me renfermer dans une grande armoire.
Il est entré d’abord : je ne le voyais pas,
Mais je l’oyais marcher, sans rien dire, à grands pas,
Poussant de temps en temps des soupirs pitoyables,
Et donnant quelquefois de grands coups sur les tables,
Frappant un petit chien qui pour lui s’émouvait,
Et jetant brusquement les hardes qu’il trouvait ;
Il a même cassé, d’une main mutinée,
Des vases dont la belle ornait sa cheminée ;
Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu
Du trait qu’elle a joué quelque jour soit venu.

Enfin, après cent tours, ayant de la manière
Sur ce qui n’en peut mais déchargé sa colère,

Mon jaloux inquiet, sans dire son ennui,
Est sorti de la chambre, et moi de mon étui.
Nous n’avons point voulu, de peur du personnage,
Risquer à nous tenir ensemble davantage :
C’était trop hasarder ; mais je dois, cette nuit,
Dans sa chambre un peu tard m’introduire sans bruit.
En toussant par trois fois je me ferai connaître ;
Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre,
Dont, avec une échelle, et secondé d’Agnès,
Mon amour tâchera de me gagner l’accès.
Comme à mon seul ami, je veux bien vous l’apprendre :
L’allégresse du cœur s’augmente à la répandre ;
Et, goûtât-on cent fois un bonheur trop parfait,
On n’en est pas content, si quelqu’un ne le sait.
Vous prendrez part, je pense, à l’heur de mes affaires.
Adieu. Je vais songer aux choses nécessaires.


Scène 7



Arnolphe


Arnolphe.

Quoi ? l’astre qui s’obstine à me désespérer
Ne me donnera pas le temps de respirer ?
Coup sur coup je verrai, par leur intelligence,
De mes soins vigilants confondre la prudence ?
Et je serai la dupe, en ma maturité,
D’une jeune innocente et d’un jeune éventé ?

En sage philosophe on m’a vu, vingt années,
Contempler des maris les tristes destinées,
Et m’instruire avec soin de tous les accidents
Qui font dans le malheur tomber les plus prudents ;
Des disgrâces d’autrui profitant dans mon âme,
J’ai cherché les moyens, voulant prendre une femme,
De pouvoir garantir mon front de tous affronts,
Et le tirer de pair d’avec les autres fronts.
Pour ce noble dessein, j’ai cru mettre en pratique
Tout ce que peut trouver l’humaine politique ;
Et comme si du sort il était arrêté
Que nul homme ici-bas n’en serait exempté,
Après l’expérience et toutes les lumières
Que j’ai pu m’acquérir sur de telles matières,
Après vingt ans et plus de méditation
Pour me conduire

en tout avec précaution,
De tant d’autres maris j’aurais quitté la trace
Pour me trouver après dans la même disgrâce ?
Ah ! bourreau de destin, vous en aurez menti.
De l’objet qu’on poursuit je suis encor nanti ;
Si son cœur m’est volé par ce blondin funeste,
J’empêcherai du moins qu’on s’empare du reste,
Et cette nuit, qu’on prend pour le galant exploit,
Ne se passera pas si doucement qu’on croit.
Ce m’est quelque plaisir, parmi tant de tristesse,
Que l’on me donne avis du piége qu’on me dresse,
Et que cet étourdi, qui veut m’être fatal,
Fasse son confident de son propre rival.


Scène 8



Chrysalde, Arnolphe


Chrysalde.

Hé bien, souperons-nous avant la promenade ?

Arnolphe.

Non, je jeûne ce soir.

Chrysalde.

D’où vient cette boutade ?

Arnolphe.

De grâce, excusez-moi : j’ai quelque autre embarras.

Chrysalde.

Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas ?

Arnolphe.

C’est trop s’inquiéter des affaires des autres.

Chrysalde.

Oh ! oh ! si brusquement ! Quels chagrins sont les vôtres ?
Serait-il point, compère, à votre passion
Arrivé quelque peu de tribulation ?
Je le jurerais presque à voir votre visage.

Arnolphe.

Quoi qu’il m’arrive, au moins aurai-je l’avantage
De ne pas ressembler à de certaines gens
Qui souffrent doucement l’approche des galants.

Chrysalde.

C’est un étrange fait, qu’avec tant de lumières,
Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières,
Qu’en cela vous mettiez le souverain bonheur,

Et ne conceviez point au monde d’autre honneur.
Être avare, brutal, fourbe, méchant et lâche,
N’est rien, à votre avis, auprès de cette tache ;
Et, de quelque façon qu’on puisse avoir vécu,
On est homme d’honneur quand on n’est point cocu.
À le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croire
Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,
Et qu’une âme bien née ait à se reprocher
L’injustice d’un mal qu’on ne peut empêcher ?
Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme,
Qu’on soit digne, à son choix, de louange ou de blâme,
Et qu’on s’aille former un monstre plein d’effroi
De l’affront que nous fait son manquement de foi ?
Mettez-vous dans l’esprit qu’on peut du cocuage
Se faire en galant homme une plus douce image,
Que des coups du hasard aucun n’étant garant,
Cet accident de soi doit être indifférent,
Et qu’enfin tout le mal, quoi que le monde glose,
N’est que dans la façon de recevoir la chose ;
Car, pour se bien conduire en ces difficultés,

Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités,
N’imiter pas ces gens un peu trop débonnaires
Qui tirent vanité de ces sortes d’affaires,
De leurs femmes toujours vont citant les galans,
En font partout l’éloge, et prônent leurs talens,
Témoignent avec eux d’étroites sympathies,
Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
Et font qu’avec raison les gens sont étonnés
De voir leur hardiesse à montrer là leur nez.
Ce procédé, sans doute, est tout à fait blâmable ;
Mais l’autre extrémité n’est pas moins condamnable.
Si je n’approuve pas ces amis des galans,
Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulens
Dont l’imprudent chagrin, qui tempête et qui gronde,
Attire au bruit qu’il fait les yeux de tout le monde,
Et qui, par cet éclat, semblent ne pas vouloir
Qu’aucun puisse ignorer ce qu’ils peuvent avoir.
Entre ces deux partis il en est un honnête,
Où dans l’occasion l’homme prudent s’arrête ;
Et quand on le sait prendre, on n’a point à rougir
Du pis dont une femme avec nous puisse agir.

Quoi qu’on en puisse dire enfin, le cocuage
Sous des traits moins affreux aisément s’envisage ;
Et, comme je vous dis, toute l’habileté
Ne va qu’à le savoir tourner du bon côté.

Arnolphe.

Après ce beau discours, toute la confrérie
Doit un remercîment à Votre Seigneurie ;
Et quiconque voudra vous entendre parler
Montrera de la joie à s’y voir enrôler.

Chrysalde.

Je ne dis pas cela, car c’est ce que je blâme ;
Mais, comme c’est le sort qui nous donne une femme,
Je dis que l’on doit faire ainsi qu’au jeu de dés,
Où, s’il ne vous vient pas ce que vous demandez,
Il faut jouer d’adresse, et d’une âme réduite
Corriger le hasard par la bonne conduite.

Arnolphe.

C’est-à-dire dormir et manger toujours bien,
Et se persuader que tout cela n’est rien.

Chrysalde.

Vous pensez vous moquer ; mais, à ne vous rien feindre,
Dans le monde je vois cent choses plus à craindre
Et dont je me ferais un bien plus grand malheur
Que de cet accident qui vous fait tant de peur.
Pensez-vous qu’à choisir de deux choses prescrites,
Je n’aimasse pas mieux être ce que vous dites,
Que de me voir mari de ces femmes de bien,
Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien,
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses,
Qui, pour un petit tort qu’elles ne nous font pas,
Prennent droit de traiter les gens de haut en bas,

Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,
Que nous soyons tenus à tout endurer d’elles ?
Encore un coup, compère, apprenez qu’en effet
Le cocuage n’est que ce que l’on le fait,
Qu’on peut le souhaiter pour de certaines causes,
Et qu’il a ses plaisirs comme les autres choses.

Arnolphe.


Si vous êtes d’humeur à vous en contenter,

Quant à moi, ce n’est pas la mienne d’en tâter ;
Et plutôt que subir une telle aventure...

Chrysalde.

Mon Dieu ! ne jurez point, de peur d’être parjure.
Si le sort l’a réglé, vos soins sont superflus,
Et l’on ne prendra pas votre avis là-dessus.

Arnolphe.

Moi, je serais cocu ?

Chrysalde.

Vous voilà bien malade !
Mille gens le sont bien, sans vous faire bravade,
Qui de mine, de cœur, de biens et de maison,
Ne feraient avec vous nulle comparaison.

Arnolphe.

Et moi, je n’en voudrais avec eux faire aucune.
Mais cette raillerie, en un mot, m’importune :
Brisons là, s’il vous plaît.

Chrysalde.

Vous êtes en courroux.
Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous,
Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire,
Que c’est être à demi ce que l’on vient de dire,
Que de vouloir jurer qu’on ne le sera pas.

Arnolphe.

Moi, je le jure encore, et je vais de ce pas
Contre cet accident trouver un bon remède.


Scène 9



Alain, Georgette, Arnolphe


Arnolphe.

Mes amis, c’est ici que j’implore votre aide.
Je suis édifié de votre affection ;
Mais il faut qu’elle éclate en cette occasion ;

Et, si vous m’y servez selon ma confiance,
Vous êtes assurés de votre récompense.
L’homme que vous savez (n’en faites point de bruit)
Veut, comme je l’ai su, m’attraper cette nuit,
Dans la chambre d’Agnès entrer par escalade ;
Mais il lui faut nous trois dresser une embuscade.
Je veux que vous preniez chacun un bon bâton,
Et quand il sera près du dernier échelon
(Car dans le temps qu’il faut j’ouvrirai la fenêtre),
Que tous deux, à l’envi, vous me chargiez ce traître,
Mais d’un air dont son dos garde le souvenir,
Et qui lui puisse apprendre à n’y plus revenir :
Sans me nommer pourtant en aucune manière,
Ni faire aucun semblant que je serai derrière.
Aurez-vous bien l’esprit de servir mon courroux ?

Alain.

S’il ne tient qu’à frapper, Monsieur, tout est à nous :
Vous verrez, quand je bats, si j’y vais de main morte.

Georgette.

La mienne, quoique aux yeux elle n’est pas si forte,

N’en quitte pas sa part à le bien étriller.

Arnolphe.

Rentrez donc ; et surtout gardez de babiller.
Voilà pour le prochain une leçon utile ;
Et si tous les maris qui sont en cette ville
De leurs femmes ainsi recevaient le galant,
Le nombre des cocus ne serait pas si grand.