L’École des amis/Texte entier
L’ÉCOLE
DES AMIS,
ACTEURS.
HORTENCE.
CLORINE, Suivante d’Hortence.
MONROSE.
DORNANE.
ARAMONT.
ARISTE.
UN GARDE.
LAQUAIS.
L’ÉCOLE DES AMIS.
COMÉDIE.
ACTE PREMIER
Scène premiere
Quoi, vous voulez sortir ?
Je ne puis différer ma première sortie,
Ni demeurer ici davantage en suspens :
Ma blessure m’a fait assez perdre de tems.
Oui : mais, Monsieur, à peine est-elle refermée.
Eh ! depuis que je suis revenu de l’armée,
Blessé dans ce combat où mon oncle a péri,
Deux mois se sont passez : je dois être guéri.
Quelle raison !
Je veux sçavoir comment la fortune me traite.
D’ailleurs, un intérêt plus pressant & plus fort
Que celui qui me touche, exige cet effort.
Mon oncle étoit chargé des biens de ta Maîtresse ;
Et je lui dois un compte… il le faut… le tems presse…
D’autant plus qu’elle va retourner au Couvent.
Monsieur, vous vous verrez, sans doute, auparavant ?
Qui, moi, Clorine ? Hélas ! je ne l’ai que trop vûe.
Ah ! cette répugnance est assez imprévue.
Vous craignez de revoir l’objet de votre ardeur ?
La révolution…
A changé votre cœur.
Plût au Ciel !… quand j’étois un peu plus digne d’elle,
Je l’ai vûe insensible à l’ardeur la plus belle.
Que seroit-ce à présent que je puis n’être rien ?
Est-on si prévoyant lorsque l’on aime bien ?
Monsieur, est-ce donc-là cette âme si charmée
Est-ce vous, qui depuis le départ pour l’armée
Avez écrit vingt fois pour avoir son portrait,
Qu’on vous eût envoyé, s’il avoit été fait ?
Hortence eût obéi.
Si j’avois son portrait, il faudroit le lui rendre ;
Il faudroit la revoir encore, & me plonger…
Du moins la bienséance…
Il n’y faut plus songer.
Scène II.
Fort bien, il va se perdre, en fuyant ma Maîtresse.
Je veux les rapprocher tous deux avec adresse.
(Elle rêve.)
Eh ! le portrait d’Hortence est propre à cet effet.
Il faut lui procurer en secret ce bienfait ;
Et lui faire trouver, par quelque stratagême
Cette heureuse ressource, en dépit de lui-même.
Je veux que ce portrait serve à vous réunir.
Oui, Monsieur, je sçaurai vous forcer à venir
Le remettre vous-même entre les mains d’Hortence.
Alors ils se verront. L’amour d’intelligence
Les mènera plus loin qu’ils ne veulent tous deux.
Au reste, puisse-t-il avoir un sort heureux !
Espérons que la Cour lui sera moins contraire.
Il va lui-même agir. C’est le point nécessaire ;
Car… ses amis ont beau le servir de leur mieux ;
L’un d’eux n’est qu’un bon-homme, ardent, officieux,
Qui tracasse, & qui veut toujours être de fête :
L’autre n’a que du faste & du vent dans la tête.
Scène III.
Eh bien ! où sont-ils donc fourrés ? Hola, quelqu’un ?
Bon ! voici justement notre vieil importun !
Qu’il va bien signaler son zele impitoyable !
Quand le maître est dehors, les valets sont au diable.
C’est Clorine ! Eh ! parbleu, je la trouve à propos.
J’avois à vous parler. J’aurai fait en deux mots.
Hortence s’en va donc ?
Elle rentre au Couvent où le défunt l’a prise.
Il l’avoit fait venir pour la former un peu,
Avant que de lui faire épouser son neveu.
Elle y seroit déjà retournée au plus vîte,
Si l’éternelle tant attachée à sa suite,
N’avoit été malade. Elle se porte mieux…
Tant pis.
Et nous faisons aujourd’hui nos adieux.
Cette vieille radote ; & ta maîtresse rêve.
En quoi ?
Hortence a tous ses biens.
À quoi serviroit-elle ? On n’en a pas besoin.
Elle est riche, & très-riche.
Oui, Monsieur, je l’espere.
Ah ! je vous en réponds. D’autant plus que son pere
N’avoit point d’Intendant. C’étoit un vieux Marin,
Qui, pour être par-tout Maître de son destin,
Ne posséda jamais, pour toutes Seigneuries,
Qu’un riche porte-feuille, & force pierreries.
Chacun, suivant son goût, prend ses arrangemens.
Ainsi donc ta Maîtresse, outre ses diamans,
Est un des grands partis qui soient peut-être en France :
à moins que le défunt, contre toute apparence,
N’ait altéré des biens confiés à ses soins ;
Mais c’est ce que l’on doit appréhender le moins.
Or cela supposé, comme aussi que Clorine
Soit une fille aimable, intelligente, & fine…
Ah ! point du tout, Monsieur… Oui… j’entends… excusez ;
On vient de m’appeler.
Et quand cela seroit, qu’importe ? On peut attendre.
En faveur de Monrose, il faudroit nous entendre.
Tu vois comme au moment de faire son bonheur,
Son oncle, un peu trop tôt, est mort au lit d’honneur :
Tu sçais, pour son neveu, quelle étoit sa tendresse ;
Et qu’en le mariant à ta belle Maîtresse,
Il lui cédoit sa Charge & son Gouvernement :
Il croyoit être sûr d’en avoir l’agrément ;
Un coup de foudre a mis l’édifice par terre.
Thésauriser n’est pas le fait des gens de guerre ;
Et l’on doit peu compter sur leurs successions.
Le défunt ne rouloit que sur des pensions,
De forts appointemens, qu’il mangeoit à mesure.
Ainsi de ce côté la fortune est peu sûre.
À l’égard de la Cour, je doute, & je ne sçais
Si l’on achèvera des projets commencés :
Et franchement j’ai peur qu’en cet état funeste
Ta Maîtresse ne soit le seul bien qui nous reste.
Voilà ce qu’il faudroit tous deux négocier.
À quoi serviroit-il de nous associer ?
Hortence va passer sous une autre puissance ;
On exigera d’elle une autre obéissance.
On exigera d’elle une infidélité :
Vous n’y voyez aucune impossibilité.
Si Monrose a son cœur…
Mais il fuit ma Maîtresse !
Elle n’en est pas moins l’objet de sa tendresse ;
Mais il compte si peu sur un heureux destin,
Ou du moins l’avenir est si fort incertain,
Qu’il n’ose plus tenter d’achever sa conquête.
Il est intimidé : voilà ce qui l’arrête.
Tant de discrétion lui feroit trop de tort.
Il faut les rapprocher, & les mettre d’accord.
J’entends.
Il n’est qu’un mot qui serve. Hortence l’aime-t-elle ?
Vous me le demandez, à moi ?
Sans contredit.
Mais vous n’y pensez pas. Eh ! qui me l’auroit dit ?
Elle-même, parbleu ! Du moins je le suppose.
Suivante & confidente est bien la même chose.
Non pas auprès d’Hortence.
On peut bien deviner.
Je ne m’en mêle pas.
On surprend un secret qu’on ne veut pas nous dire ;
On le lit dans les yeux, dans…
Je n’y sçais pas lire.
Les filles d’à-présent ne sçavent jamais rien
De tout ce que l’on sçait qu’elles sçavent très bien.
On ne sçauroit penser plus à notre avantage.
Monsieur, vous souvient-il d’un certain mariage
Que vous avez fait faire ?
Oui, j’aime à m’en mêler.
C’est le dernier sur-tout que je veux rappeler.
Oh !… la suite en est belle, & le chef-d’œuvre est rare !
Ces gens sont en procès, afin qu’on les sépare ;
Et vous sollicitez leur séparation !
Je ne dispose pas de l’inclination.
Bon ! Et ces deux rivaux, Monsieur, que vous en semble ?
Vous les aviez si bien raccommodés ensemble :
D’où vient sont-ils partis aussi-tôt de la main
Pour s’aller battre ?
Ils ont pris querelle en chemin.
Vous souvient-il encore ?…
Il n’est pas question de faire mon histoire.
C’est-à-dire qu’Hortence aura jusqu’à ce jour
Fait perdre à notre ami son tems & son amour !
Et ne voulez-vous pas que je l’en dédommage ?
Eh ! ventrebleu, pourquoi se laisser rendre hommage,
Lorsque l’on ne veut pas se laisser enflammer ?
Hortence obéissoit en se laissant aimer.
La complaisance est grande.
Assez.
Eh ! mais, combien de tems faut-il donc pour lui plaire,
Si depuis une année & plus qu’elle est ici,
L’amour de son Amant n’a pas mieux réussi ?
Hortence s’amusoit du plaisir d’être aimée.
L’hymen se devoit faire au retour de l’armée.
Il est vrai.
À quoi pensoit Hortence ? Elle alloit s’embarquer ;
Et toutefois l’Amour n’était pas du voyage.
C’est bien assez qu’il vienne après le mariage.
L’amour qui le prévient n’est pas le plus certain.
Il vaut mieux ne donner son cœur qu’après sa main.
Quand on est sa maîtresse, alors c’est autre chose.
Hortence était soumise à l’oncle de Monrose ;
Il lui servoit de pere ; il en avoit les droits,
Que le sien, en mourant, lui remit autrefois.
Ils avoient toujours eu cette alliance en vûe.
Hortence eût obéi : mais l’affaire est rompue.
Auroit-elle bien fait d’aimer auparavant ?
Allez, morbleu, partez ; retournez au Couvent.
Ainsi Monrose est libre ; & s’il est raisonnable,
On pourra lui trouver un parti convenable.
Quelqu’autre aura des yeux, du bien, de la beauté ;
Oui, l’on pourra tourner de tel autre côté,
Que…
Qui menacez-vous ? Je suis votre servante.
Scène IV
Du moins, cette menace a fâché la suivante.
Qu’elle aille à sa Maîtresse apprendre ce discours.
Tant mieux. La jalousie est d’un puissant secours ;
Et jamais la fierté ne doit être épargnée.
Une femme piquée est à moitié gagnée.
Scène V.
Serviteur au Baron. J’aime à te rencontrer.
Qu’as-tu fait de Monrose ?
Il va bientôt rentrer.
Tu ne le quittes plus ! Je te trouve adorable.
Ah ! si l’événement lui devient favorable,
Que d’amis fugitifs se verront confondus !
Ils ne sont qu’égarés ; ils ne sont pas perdus.
Cette espece d’amis n’est pas la moins commune.
Habiles à prévoir de loin une infortune,
Ils ne paroissent plus dans le tems orageux.
Le calme revient-il ? On peut compter sur eux.
Il ramene avec lui leur troupe mercenaire.
Dans le monde, en un mot, c’est l’usage ordinaire,
Qui fut, & qui sera toujours comme aujourd’hui ;
On n’aime à partager que le bonheur d’autrui.
Monrose n’aura point ce reproche à me faire :
Et que la Cour lui soit favorable, ou contraire,
Il n’en sera ni plus ni moins cher à mes yeux.
Sans doute. Le malheur est-il contagieux ?
On cesse d’être ami si-tôt que l’on varie.
D’abord que l’amitié balance, elle est trahie.
La moindre alternative y porte un coup mortel ;
Et ce n’est plus qu’un nom qui n’a rien de réel.
Sçais-tu que tu dis vrai ?
Mais ce n’est point assez ; j’agis en conséquence.
Depuis qu’il est malade, on n’imagine pas
Ce que j’ai vû de gens, combien j’ai fait de pas.
J’ai mis en action toutes nos connoissances.
N’ai-je pas fait ma cour à toutes les Puissances ?
Car il faut bien les voir, quand on en a besoin.
Quelle fatuité !
Si je l’avois trouvé possible & nécessaire :
Mais Dieu sçait de quel air j’ai mené cette affaire !
De quel air, s’il vous plaît ?
De parler un peu haut quand c’est pour ses amis.
Tout est perdu.
Qui subjugue, ou détruit toute autre concurrence.
Quoi qu’il en soit, j’ai mis l’épouvante & l’effroi
Parmi les prétendans ; ils sont en désarroi.
Je leur ai fait un tour qui nous sert à merveille…
J’ai publié par-tout… en secret… à l’oreille…
Que Monrose avait tout obtenu de la Cour :
Et c’est, grace à mes soins, la nouvelle du jour.
Par-là j’ai dérouté la brigue & la cabale.
Je crains que cela n’ait une suite fatale.
Tu t’y connois !
Qui sont à ma portée ; & je risque un peu moins.
Sans moi, des créanciers bloqueroient cette porte :
J’ai du moins, pour un tems, écarté leur cohorte.
Comment donc ?
Que la succession est en très bon état.
Ainsi j’ai suspendu leurs cris & leurs poursuites.
C’est une minutie.
Mais au surplus, Marquis, n’es-tu pas étonné
Que Monrose aujourd’hui se trouve abandonné
Par l’homme, sur lequel il comptait d’avantage,
Ariste ?
L’amitié n’est point un héritage.
Scène VI.
Quoi ! l’ami le plus cher que le défunt ait eu,
Laisse ainsi son neveu, tandis qu’il auroit pû
Agir, & lui prêter son heureuse assistance !
Son appui nous seroit d’une grande importance ;
Car enfin son crédit est plus grand qu’on ne croit
Il le garde pour lui. Ce n’est qu’un homme adroit,
Un courtisan masqué par la misanthropie,
Recouvert du manteau de la philosophie ;
Un politique sombre, équivoque & caché,
Qui se donne à la Cour pour être détaché
Des postes, des emplois, des grandeurs, & des graces ;
Mais qui secrettement vise aux premières places,
Et dont l’ambition, quand il en sera tems,
Se manifestera peut-être à nos dépens.
Cet Ariste pourtant… il avoit paru prendre
Au destin de Monrose un intérêt si tendre !
Je l’ai cru son ami.
Lui ? Sur quel fondement ?
Quand on est tel, crois-moi, l’on s’annonce autrement.
En effet, l’amitié donne un air moins austere.
Un véritable ami n’a d’autre caractere
Que celui qui nous plaît. Il se regle sur nous,
Il adopte nos mœurs ; il se fait à nos goûts ;
Il se métamorphose au gré de nos caprices ;
Il prend nos passions, nos vertus, & nos vices :
C’est un caméléon qui reçoit tour-à-tour…
Ce portrait-là, Monsieur, est celui de l’amour.
C’est Ariste ! Ah, morbleu !
Mon abord vous étonne !
Ah ! Monsieur, qui pouvoit vous croire-là ?
Si j’ai bien entendu votre entretien…
Tant pis.
Les amis de Monrose étoient sur le tapis.
Vous paroissez avoir épuisé la matiere ;
Et Monrose vous doit sa confiance entiere.
Oui, par provision vous nous excluez tous.
Il ne doit plus compter sur d’autres que sur vous.
Vous suffirez à tout ; du moins, je le souhaite.
L’amitié qui se vante est souvent indiscrette.
Cependant trouvez bon qu’au rang de ses amis,
Quelqu’autre puisse encore avec vous êtes mis.
L’amitié n’admet point de basses jalousies :
C’est à l’amour qu’il faut laisser ces frénésies.
Scène VII.
Mes amis, prenez part à la joie où je suis.
Mon bonheur est prochain, si j’en crois tous les bruits.
On dit qu’en ma faveur la Cour est réunie.
(Appercevant Ariste.)
Ah ! Monsieur. C’est me faire une grace infinie.
Ces Messieurs sont témoins si depuis mon retour
Ma santé m’a permis de vous faire ma cour.
Votre santé va bien ? Je vous en félicite.
Et moi, de la nouvelle…
En cas de réussite.
Tout Paris là-dessus n’a qu’une seule voix.
C’est qu’il te rend justice. On l’obtient quelquefois,
Quand on a le secret de se la faire rendre.
Une affaire dépend du tour qu’on lui fait prendre.
La Fortune & l’Amour se ressemblent tous deux :
C’est la même façon pour traiter avec eux.
Je commence à le croire.
Un aussi bon effet ?…
De quoi ?
Qu’il a fallu te faire écrire & t’arracher ;
Car avec toi, mon cher, à moins de se fâcher…
Je trouvois que le style en était un peu ferme.
Eh ! tant mieux. Tu voulois mesurer chaque terme !
Ou du moins adoucir…
La souplesse est pour nous un indigne moyen,
Presque toujours nuisible, & jamais légitime :
Qui s’abbaisse soi-même est sa propre victime.
On ne cherche que trop à nous humilier.
Nous devons exiger, & non pas supplier.
(à Ariste.)
N’est-il pas vrai, Monsieur ?
Chacun a ses usages.
J’ai vû tous nos amis…
Qui ne sont pas plus sages.
Je ne pouvais suffire à leurs embrassemens.
Quoi ! vous avez reçu tous ces vains complimens ?
Oui, je les ai reçus. Devois-je m’en défendre ?
Vous n’empêcherez pas ces bruits de se répandre ?
Les empêcher ? Je dis que c’est un coup d’État :
On n’y sçauroit donner trop de cours & d’éclat.
Sur la foi de ce bruit heureux & profitable,
Chacun trouve que rien n’était plus équitable.
Tout le monde applaudit. Je vous laisse à penser
Si la Cour, qui le voit, pourra se dispenser
D’un acte d’équité que l’on trouve à sa place.
Il ne dépend plus d’elle. Il faut qu’elle le fasse,
Et qu’enfin elle cède à la nécessité…
Vous en parlez, Monsieur, avec capacité.
En seriez-vous surpris ?
Vous êtes politique.
Et bien meilleur ami. C’est de quoi je me pique.
Contre cet étourdi je ne saurois tenir.
(à Monrose.)
Dans un instant, Monsieur, pourrois-je revenir ?
Commandez.
Je veux prendre mon tems.
Enfin il se retire.
Scène VIII.
Je puis donc m’applaudir avec vous sans témoins,
Et vous féliciter du succès de vos soins.
(Il les embrasse.)
Permettez ce transport à ma reconnoissance ;
D’autres effets seront peut-être en ma puissance.
Ma chûte était horrible ; il faut en convenir.
Si je vous faisois voir quel affreux avenir
Étoit devant mes yeux !…
Puisqu’aussi-bien l’affaire est presque décidée.
D’ailleurs, ton désespoir m’étoit injurieux.
Suis-je donc un ami si frivole à tes yeux ?
Que le sort te trahisse, ou soit qu’il te seconde,
Mets-toi bien dans l’esprit que je n’ai rien au monde
Qui ne te soit acquis : je crois que là-dessus
Tu veux bien m’épargner des sermens superflus.
Bien souvent ce ne sont que des mots d’habitude
Qui joignent le parjure avec l’ingratitude.
Va, j’en suis convaincu ; ce n’est pas d’aujourd’hui :
Mais je ne veux pas être à la charge d’autrui.
Vous dirai-je pourtant que la froideur d’Ariste
Jette dans mon esprit un doute qui m’attriste ?
C’est un homme fâché, qui voit avec dépit
Que nous n’ayons point eu recours à son crédit.
Eh ! combien n’est-il pas de ces gens tyranniques,
De ces jaloux amis qui veulent être uniques ;
Assez durs, pour trouver mauvais qu’un malheureux
Leur fasse voir enfin qu’on peut se passer d’eux ?
Heureux, qui peut ainsi mortifier leur gloire,
Et venger l’amitié !… Mais, si tu veux m’en croire,
Le tems est cher, il faut, & même dès ce jour,
Aller tête levée, & paroître à la Cour.
Oui, c’est bien mon dessein, dès que je serai quitte
Du rendez-vous d’Ariste.
Sans adieu. Tout ira comme je le prévois.
Je vais nous faire écrire à dix ou douze endroits.
Scène IX.
Moi, je vais faire un tour chez tous nos gens d’affaires,
Pour rassembler ici ceux qui sont nécessaires.
Scène X.
Hortence, est-il possible ?… Ah, qu’il me seroit doux
D’avoir à vous offrir un rang digne de vous !
ACTE II
Scène I.
Quel entretien fâcheux !… Il finira, peut-être.
Je puis donc vous parler ?
Usez de tous vos droits.
Vous me le permettez ?
Ma famille a toujours éprouvé vos bontés.
Une étroite amitié m’unissoit avec elle.
Votre oncle n’eut jamais un ami plus fidele,
Et plus tendre que moi. Je vous trahirois tous,
Si je dissimulois davantage avec vous.
Vous vous perdez.
Daignez me le faire connoître.
Vous entrez dans le monde ; & vous allez paroître
Sur ce fameux théâtre, où j’ignore comment
J’ai pû me soutenir jusques à ce moment.
Vous n’êtes pas encore instruit de ses mysteres.
Jusqu’ici vos emplois, vos devoirs militaires,
Vous en ont écarté. La Cour est en tout tems
Une terre inconnue à tous ses habitans.
Après un long séjour, après un long usage,
On s’y retrouve encore à son apprentissage ;
On y marche toujours sur des piéges nouveaux ;
On y vit, entouré d’un peuple de rivaux,
Ou d’amis dangereux. Heureux qui les devine !
On n’y peut s’élever que sur quelque ruine ;
On n’y peut profiter que des fautes d’autrui.
Tel, au gré de ses vœux, s’y maintient aujourd’hui,
Qui demain ne pourra faire tête à l’orage :
Et l’on finit souvent par y faire naufrage.
Mais d’après ce portrait qu’on ne peut qu’ébaucher,
N’avez-vous en secret rien à vous reprocher ?
Je ne crois pas avoir de reproche à me faire :
Et du moins le succès vous prouve le contraire.
Le succès ! Puissiez-vous n’être point dans l’erreur !
Je voudrois avoir pris une fausse terreur :
Mais je tremble pour vous.
Je vous suis redevable.
Votre sécurité me semble inconcevable.
J’apprends de toutes parts le bonheur que j’attends.
N’ai-je pas à la Cour des droits assez constans ?
Et d’ailleurs, un refus est-il en sa puissance ?
Je dois tout espérer de sa reconnaissance.
Dites de ses bontés.
Je réclame mon bien.
Vous méritez beaucoup ; mais on ne vous doit rien.
Du moins on doit à ceux dont le Ciel m’a fait naître.
Vous vous faites un droit qui pourroit ne pas être :
Vos ayeux ont chacun obtenu dans leur tems,
Le prix que méritoient leurs services constans.
Ce sont leurs actions, plutôt que leurs ancêtres,
Qui les ont fait combler des faveurs de leurs maîtres,
Et monter aux honneurs que vous sollicitez.
Les bienfaits sont à ceux qui les ont mérités.
Les graces ne sont point des biens héréditaires ;
Nous n’en sommes jamais que les dépositaires :
Mais par la même voye on peut les obtenir.
Vos peres ont laissé leur nom à soutenir,
Leur vertu, leur exemple, & leur carriere à suivre.
Voilà ce qu’après eux il faut faire revivre,
Et dont vous vous devez mettre en possession.
Tout le reste n’est point de leur succession.
Ma poursuite, Monsieur, n’est donc pas raisonnable ?
La façon pouvoit être un peu plus convenable.
Lorsque j’ose avancer qu’il ne vous est rien dû,
Je ne dis pas, Monsieur, qu’il vous soit défendu
D’employer les moyens qui sont à votre usage,
Pour sauver le débris d’un aussi grand naufrage.
Vous y devez songer ; & je dois vous aider.
Je ne vois pas en quoi j’ai pû me dégrader.
Ce seroit trop payer la plus haute fortune.
Non, non, Monsieur, perdez cette crainte importune.
Je ne sçais point jouer un rôle humiliant ;
Et l’on peut demander, sans être suppliant.
J’ai fait solliciter, avec cette décence,
Et cette liberté digne de ma naissance.
J’en aurois épargné la peine à mes amis ;
Mais enfin, ma santé ne me l’a pas permis.
S’ils ont agi pour moi, c’est sans me compromettre.
J’ai même écrit en Cour…
Quelqu’un veilloit pour vous. Son bonheur a permis
Qu’il ait su le danger où vous vous étiez mis.
Quoi ? vous osez, Monsieur, dans l’état où vous êtes,
Poursuivre des bienfaits comme on poursuit des dettes !
L’orgueil & la fierté sollicitent pour vous.
Si vous aviez des droits, vous les détruiriez tous.
C’est indirectement s’attaquer à son maître,
C’est l’offenser lui-même, & c’est le méconnoître,
Quand on manque aux égards que l’on doit à son choix.
Vous m’effrayez, Monsieur !
Je ne sçais point flatter quand le mal est extrême.
Mais vous n’étiez pas fait pour vous perdre vous-même.
Eh ! laissez-vous aller à votre naturel,
Au caractere heureux qui vous est personnel.
Vous êtes né prudent, humain, doux, & flexible :
Ce sont-là les moyens qui rendent tout possible.
Il faut gagner les cœurs ; la Fortune les suit.
Lorsque vous le pouvez, quelle erreur vous séduit ?
On ne peut s’observer avec trop de scrupule.
Un langage superbe est toujours ridicule :
Plus on est élevé, plus il est messéant.
C’est ainsi que le Peuple, au fond de son néant,
Toujours séditieux, quelque bien qu’on lui fasse,
Parle indiscrètement de ceux qui sont en place.
Vous en seriez traité de même, à votre tour,
Si vous étiez chargé de le régir un jour.
Vous m’en dites assez ; épargnez-moi le reste.
Vous venez de détruire un charme trop funeste.
Que la décision n’est-elle en mon pouvoir !
Mais c’est un dénouement que l’on ne peut prévoir.
Peut-être est-il prochain ; & votre destinée
Peut, d’un moment à l’autre, être déterminée.
Attendez votre sort ; & ne recevez plus
Ces complimens suspects autant que superflus.
Peut-être des amis un peu trop pleins de zele,
Ou des rivaux, ont fait courir cette nouvelle.
Un bruit trop favorable est souvent dangereux.
Voyez des gens qui soient un peu mieux instruits qu’eux.
Et du reste daignez agréer mes services.
C’est à moi d’implorer toujours vos bons offices.
Souffrez que pour jamais je commence aujourd’hui
À vous être attaché, comme à mon seul appui.
Vous n’avez pas besoin de faire aucune instance.
Allez ; & moi, je vais prendre congé d’Hortence.
Scène II.
Cherchons en même-tems à servir son amour.
Sachons si sa Maîtresse a pour lui du retour.
En cas qu’il soit aimé, je pourrois par la suite…
Mais, la voici qui vient recevoir ma visite.
Scène III.
Ah ! Madame, excusez… en ce même moment
J’allois vous prévenir dans votre appartement.
Monsieur, j’ai su l’honneur que vous vouliez me faire.
C’en est donc fait, Madame ! un départ nécessaire
Éloigne de la Cour son plus bel ornement ?
Il est bien douloureux de vous perdre, au moment
Où tout sembloit devoir fixer ici vos charmes.
Que vous allez coûter de soupirs & de larmes !
Je sçais apprécier des discours si flatteurs.
Ce sont les sentimens qui sont dans tous les cœurs.
Madame, il en est un, sans vous parler du reste,
Pour qui ce contre-tems doit être bien funeste.
Il sembloit être fait pour vous appartenir.
Pourrez-vous conserver un tendre souvenir ?
Vous garantirez-vous des effets de l’absence ?
Elle n’en aura point sur ma reconnoissance.
Que deviendront ces nœuds que l’amour avoit faits ?
Votre cœur, votre main, sont les plus grands bienfaits
Que puissent procurer l’Amour & la Fortune.
L’espoir va ranimer une foule importune.
On cherchera sans doute à forcer votre choix :
Vous ressouviendrez-vous qu’un autre avoit des droits ?…
Celui dont vous parlez mérite mon estime.
Un sentiment plus doux est-il moins légitime ?
Monsieur, vous m’étonnez !
Vous alliez être unis.
Nous ne le sommes pas.
Quoi donc ? Que voulez-vous par-là me faire entendre ?
Que pour m’abandonner au penchant le plus tendre,
Il faudroit que l’hymen m’en eût fait un devoir.
Quand l’Amour vous auroit soumise à son pouvoir,
Sur la foi d’un hymen prochain & convenable…
À vos yeux, comme aux miens, j’eusse été condamnable.
Nous avons des devoirs qui ne sont que pour nous.
Vous pouvez être amans avant que d’être époux,
Et vous livrer sans crainte à votre ardeur extrême :
Mais, que pour notre sexe il n’en est pas de même !
Quand nous prenons trop-tôt un légitime amour,
Il peut nous coûter cher. Par un affreux retour,
Il arrive souvent qu’on nous en fait un crime,
Qu’un trop injuste époux nous ôte son estime ;
Et qu’il seroit alors en droit de nous taxer
D’avoir un cœur, hélas ! trop facile à blesser.
Vous ne m’honorez point de votre confiance,
Madame, je le vois : j’ai quelque expérience.
Pourquoi me craignez-vous ? Ne dissimulez plus.
Ah ! de grace, cessez d’insister là-dessus.
Un intérêt plus tendre, & plus fort qu’on ne pense,
M’oblige à redoubler une si vive instance.
J’espère par la suite obtenir mon pardon.
À quelque chose enfin l’on peut vous être bon ;
Et même auprès de ceux dont vous allez dépendre,
De mon foible crédit je puis assez prétendre…
Un homme tel que vous…
Si vous ne daignez pas m’accorder votre aveu.
Donnez-moi les moyens d’agir en assurance ;
Dites-moi votre goût, ou votre répugnance ;
Par pitié pour vous-même, ordonnez ; & comptez…
Je ressens vivement de si grandes bontés :
Mais je ne dois penser, ni vous dire autre chose.
Pour changer d’entretien, que dit-on de Monrose ?
Que l’espoir d’être à vous faisoit tout son bonheur.
Parlons de sa fortune, & non pas de son cœur.
Il est vrai que depuis qu’il est sous votre empire,
Son cœur vous est assez connu pour n’en rien dire.
Dites-moi seulement ce qu’il va devenir.
Je vous l’ai demandé, sans pouvoir l’obtenir.
Est-ce-là m’éclaircir ? Lui rendra-t-on justice ?
Il l’attendoit de vous, Madame.
Vous me persécutez.
J’en ai bien du regret.
Eh bien, Monsieur, gardez aussi votre secret.
Ah ! je ne m’étois pas trompé dans mon attente.
(à Hortence.)
Il faut vous deviner ; & vous serez contente.
Je ne vous presse plus. Puisse un retour heureux
Satisfaire au plutôt mes desirs & vos vœux !
Scène IV.
Ses désirs, & mes vœux !
(Elle rêve.)
Monrose va rentrer ; attendons-en l’issue.
Je ne puis revenir de mon émotion,
Je viens de soutenir la persécution,
L’attaque la plus vive, & la plus continue…
Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je dit ? Que suis-je devenue ?
Conçois-tu les efforts, peut-être superflus,
Que j’ai faits ?
Contre qui ? Je ne sçais rien de plus.
Pour pénétrer au fond de mon cœur trop sensible,
Ariste…
Eh bien, Ariste ?
Il a fait son possible…
C’est-à-dire, qu’enfin cet homme a deviné ?
J’en serois accablée.
Ce que depuis long-tems j’imagine moi-même.
Conçois-tu ses desseins ? D’où vient ce soin extrême,
Dis ?
Où naturellement les hommes sont enclins :
Ils ont tous la fureur de savoir nos foiblesses.
Je me flatte d’avoir éludé ses finesses.
Et que sçait-on ? Peut-être il vous trouve à son goût.
Lui ?
Quand on a, comme vous, tant d’attraits en partage.
Va, tu n’y songes pas : c’est un homme trop sage.
Ne sont-ce que des fous qui peuvent nous aimer ?
Mais à propos d’Amant, vous m’allez bien blâmer…
De quoi donc ?
C’est à l’occasion… tenez… voilà l’histoire.
Il faut vous l’avouer ; c’est pour votre portrait…
Que diantre ! Il ne peut pas se perdre tout-à-fait.
Tu l’auras égaré. C’est une bagatelle.
Je vais plus loin. Par tout ce que je me rappelle,
Je ne sçais… J’entrevois du mystere en ceci.
Comment ?
Je gagerois qu’il n’est pas loin d’ici.
Ni moi, ni mon portrait, n’intéressent personne.
On le rapportera.
Si Monrose l’avoit… Eh bien, vous m’entendez ?
Que veux-tu qu’il en fasse ?
Ah ! vous me demandez
Ce qu’on fait du portrait d’une femme qu’on aime ?
Qui ? lui ! m’aimer encore ! Ah ! quelle erreur extrême !
Hélas ! son infortune, ou quelqu’autre sujet,
M’ont ôté son amour : je n’en suis plus l’objet.
Tu vois, depuis un tems, comme il fuit ma présence.
Lui-même il a déjà commencé notre absence.
Nous sommes en exil dans la même maison.
Si vous ne l’aimiez pas, il peut avoir raison.
Si je ne l’aime pas… Étois-je la maîtresse ?
Ne m’a-t-on pas livrée à toute ma foiblesse,
Aux charmes d’un espoir que le sort a trahi ?
Apprends-moi donc comment j’aurois désobéi.
Qu’on s’en prenne au devoir : c’est lui qui m’a séduite.
Madame, j’en reviens au soupçon qui m’agite.
Monrose, si j’en crois ce que j’ai dans l’esprit,
Aura votre portrait, comme je vous l’ai dit.
La restitution peut en être incertaine,
Madame, il vous convient de vous en mettre en peine.
Enfin, à tout hazard, & sans plus marchander,
Je vous conseillerois de le lui demander.
Qui ? moi ! lorsqu’il me fuit, je chercherois sa vûe !
Vous avez tous les deux besoin d’une entrevue.
Ce seroit trop risquer mon malheureux secret.
Mon amour vient de prendre un essor indiscret ;
C’est le dernier.
Il vous le rapportoit, sans vouloir vous le rendre,
Pourriez-vous le forcer ?…
Clorine, il faudroit bien…
Qu’il vienne seulement.
Scène V.
Ah ! Madame, c’est vous ! J’en suis comblé de joie.
C’est à propos qu’ici la fortune m’envoie
Pour vous marquer mon zèle & ma discrétion.
Je n’ai jamais douté de votre attention.
Je viens de ramasser ce portrait ici proche :
Sans doute qu’il étoit tombé de votre poche :
Quelqu’autre, moins fidele, auroit pû s’en saisir.
Eh bien, quel enragé !
Je me fais un plaisir…
Clorine étoit en peine…
(à part.)
Fussiez-vous dans le fond de votre Baronnie !
Monsieur, je suis sensible à votre procédé.
(à Clorine.)
Reprenez ce portrait.
Scène IV.
Cet homme est possédé.
Oui ! mon petit service est pris en déplaisance !
En vous remerciant de votre diligence.
Falloit-il le garder afin qu’on le cherchât,
Et ne pas vous le rendre avant qu’on l’affichât ?
J’aurois pû le trouver tout aussi-bien qu’un autre.
En cela mon bonheur a prévenu le vôtre.
Il vaudroit tout autant qu’il eût été perdu.
Ma foi, vous avez fait ce que vous avez pû.
Donnez, Monsieur, donnez, puisqu’il faut le reprendre.
Mais ce n’étoit pas vous qui deviez nous le rendre.
Scène VII.
Je serois bien surpris, si je n’étois qu’un sot.
Oui, vraiment, à la fin j’entends à demi-mot.
Il s’ensuit qu’il falloit avant toute autre chose,
Remettre ce portrait dans les mains de Monrose :
Et je conclus de-là qu’Hortense a le cœur pris.
Travaillons là-dessus ; il n’importe à quel prix.
Scène VIII.
Parbleu, tu nous as fait une belle bévue !
Laquelle ?
À ton avis ?
À ton avis ? L’auroit-il déjà sue ?
Tu prônes l’héritage…
Oui : c’est un tour d’ami.
Et que le défunt laisse un argent infini.
Sans doute : je l’ai dit en faveur de Monrose.
Peut-on se maintenir à moins qu’on n’en impose ?
Par-là, ses créanciers, prêts à fondre sur lui,
Se sont tranquillisés.
Que ta finesse aura des suites bien contraires.
Tous ces coquins mettront le feu dans les affaires.
Ils sçavent qu’on les joue : ils vont saisir par-tout.
J’ignore si Monrose en pourra voir le bout ;
Pourvu que son honneur n’en soit pas la victime.
Quelle chimere !
Pour être serviable, il faut être prudent.
On est bien dangereux, quand on est trop ardent.
J’aimerois cent fois mieux une amitié stérile,
Que celle qui me nuit, en voulant m’être utile.
J’ignorois que mon zele eût si mal réussi ;
Mais de plus d’un endroit il me revient aussi
Que le vôtre n’a pas tout le succès possible :
À Monrose, au contraire, on dit qu’il est nuisible.
On dit, fut de tout tems la gazette des sots.
C’est le Public.
Ah ! ah ! quels sont donc ces propos ?
Que Monrose se perd, & que c’est par la faute
De ceux qui lui font prendre une allure trop haute.
La Cour trouve mauvais qu’il ait entretenu
La croyance où l’on est qu’il a tout obtenu.
La Cour trouve mauvais !…
On conseille un ami, sans se mettre à sa place,
Ce qui fait qu’on le perd, c’est qu’ordinairement
La vanité, l’humeur, & le tempérament
Suggerent la plûpart des avis qu’on lui donne.
Il vaudroit cent fois mieux ne conseiller personne.
Nous verrons qui des deux aura le plus de tort.
Monrose qui survient va nous mettre d’accord.
Scène IX.
Le Baron me contoit de plaisantes nouvelles.
Le Marquis m’en disoit qui sont assez cruelles.
Je faisois un beau songe ; il faut se réveiller.
De quels biens à la fois je me vois dépouiller !
La mort m’enleve un oncle illustre, & secourable ;
Je perds l’espoir prochain d’un hymen favorable ;
Par un inévitable & triste enchaînement
Je manque tout, la Charge, & le Gouvernement.
Il ne restera rien de tant de récompenses,
De ses travaux, des miens, de toutes mes dépenses.
Mon bien ne suffira qu’à peine à m’acquitter.
Que vais-je devenir ? Il faudra tout quitter.
Entendons-nous un peu. Quelle est cette aventure,
Ou plutôt cette énigme ?
Tout est perdu.
Quel conte !
On vient de me tirer de ma sécurité.
Comment ! La Cour auroit !…
Ses graces sur quelqu’un qui peut mieux y prétendre.
Elle accorde au plus digne…
Le nomme-t-on ?
C’est un autre que moi.
N’es-tu point trop crédule ?
Mon malheur est certain.
Mais il est ridicule…
Ceux que je viens de voir ne m’ont que trop instruit.
Un autre est désigné. Ce n’est point un faux bruit.
Ma plus grande infortune en cette conjoncture,
Vient d’avoir devancé ma fortune future.
Comptant sur l’avenir, que j’ai trop espéré,
J’en avois pris l’état : je me suis obéré.
Parbleu, qui ne l’est pas, sur-tout parmi nous autres ?
Messieurs tes créanciers feront comme les nôtres ;
Ils prendront patience. Ils sont faits pour cela.
Ne va pas, en payant, nous gâter ces gens-là.
D’autant plus qu’ils ont fait avec vous leurs affaires.
Ils t’auront rançonné : ce sont tous des Corsaires.
Quand tout cela seroit, j’en ai subi la loi.
L’on ne me verra point réclamer contre moi.
Ah ! si tu veux payer, il faut te laisser faire.
Mais cela ne conduit à rien ; tout au contraire.
Ou tu veux t’acquitter par un nouvel emprunt,
Ou tu comptes beaucoup sur les biens du défunt ?
Point du tout, je vous jure : & j’ai tout lieu de croire
Que mon oncle, après lui, ne laisse que sa gloire.
Il ne fut jamais riche ; & tout ce que l’on dit
Ne sera qu’un faux bruit, qu’on répand à crédit.
Je crois que je pourrai conserver ce Domaine,
Que vous me connoissez, au fond de la Touraine ;
C’est-là que pour jamais je m’ensevelirai.
J’empêcherai ta fuite.
Et moi, je vous suivrai.
Le dessein en est pris, & j’y resterai ferme.
Il faut s’exécuter.
Je n’entends point ce terme.
Je veux me libérer.
Te libérer ? Comment ?
Pour payer, je vendrai jusqu’à mon Régiment.
C’est te couper la gorge.
Il le faut bien. Que faire ?
Que deviendras-tu ?
Faut-il pour soutenir toujours le même état,
À mille malheureux emprunter mon éclat ?
À l’abri d’une fausse & coupable importance,
Les forcer de m’aider de leur propre substance,
Et braver à la fois mes remords & leurs cris ?
J’aime mieux n’être plus, que de vivre à ce prix.
C’est une extrémité fâcheuse, abominable.
Que diable ! au bout du compte elle n’est pas tenable.
Je voudrois bien t’aider, mais je ne sçais par où.
Mon fripon d’Intendant dit qu’il n’a pas un sou.
Mais qu’il en ait, ou non, il faut bien qu’il m’en donne :
J’ai promis une fête à certaine personne,
Que j’avois ménagée expressément pour toi.
De plus, je te dirai… tu le sçais comme moi ;
Il semble qu’on avoit un présage infaillible,
Qu’aux besoins d’un ami je serois trop sensible ;
On m’a lié les mains : sans quoi… Mais après tout,
Ne précipitons rien. Il faut voir jusqu’au bout.
La révolution me paroît un peu prompte.
Je le sçaurois. Je vais m’en faire rendre compte.
C’est encore un faux bruit que l’on aura semé.
Ne conclus rien, avant que j’en sois informé.
Tu parois pénétré de mon malheur extrême.
Je ne le soutiens pas aussi-bien que vous-même.
Il faut s’en consoler.
Que nous veut le Marquis ?
Je reviens. Quand j’y pense… Il faut tout mettre au pis.
Nous vivons dans un siécle où rien n’est impossible,
Où, bien loin de servir, le mérite est nuisible.
Il pourroit arriver que, sans savoir pourquoi,
La Fortune auroit pris un travers avec toi.
Tu perdrois à beau jeu. Mais en cas de disgrace,
J’entre dans tes raisons ; je me mets à ta place.
Je sens que le dépit justement irrité,
Ton honneur, en un mot, & la nécessité,
Malgré tous tes amis, pourroient bien te réduire
À prendre le parti dont tu viens de m’instruire :
En ce cas, je propose un accommodement,
Qui nous arrangeroit tous deux également.
Parle.
Pourrois-je, de ta part, avoir la préférence ?
De tout mon cœur.
Oui : mais vous n’avez point d’argent.
Parbleu, j’en trouverai.
Cet homme est obligeant.
Pour un si bon usage, on n’est point sans ressources.
Mes amis m’aideront…
Oui-dà.
Je ne trouve pas tout, je ferai mon billet
Du surplus.
Un billet ! je suis votre valet.
On peut s’ajuster.
Mal.
Je t’en laisse l’arbitre.
Je te suis obligé.
Ce seroit à bon titre.
Puisque nous convenons, mon cher, en attendant,
Garde-moi le secret, de crainte d’accident.
Scène X.
La proposition me paroît surprenante ;
Et pour trancher le mot, elle est impertinente.
Quoi ! de votre dépouille il veut s’accommoder,
Après vous avoir dit qu’il ne peut vous aider !
Je ne vois pas d’où vient cette surprise extrême ;
Dornane ne peut rien pour moi, ni pour lui-même :
Mais quand il s’agira de faire son chemin,
Sa famille pour lors y donnera la main.
Ce marché ridicule aura donc lieu ?
Puisqu’il faut que je vende. Heureux, dans ma déroute,
De pouvoir obliger quelqu’un de mes amis !
C’est le dernier plaisir qui me sera permis.
On pourroit s’en passer.
Je voudrois voir Ariste ; & j’y cours au plus vîte.
Scène XI.
Nous n’avons plus qu’Hortense en cette extrémité.
Allons hâter le coup que j’ai prémédité ;
Portons au cœur d’Hortense une atteinte fatale :
Faisons-lui redouter une heureuse rivale :
Et puisqu’il faut, contre elle, employer ce détour,
Armons la Jalousie en faveur de l’Amour.
ACTE III
Scène I.
J’attendrai son retour. Sur-tout, qu’on l’avertisse,
Sitôt qu’il rentrera.
Scène II.
Lui dire mon secret ? Monrose est étonnant
De ne pas voir quel est le péril imminent,
Où son humeur facile expose sa fortune.
La remontrance ici deviendroit importune ;
Et loin de s’éclairer par mes avis secrets,
Il iroit les traduire à ces gens indiscrets,
À qui sa confiance est un peu trop livrée.
Ô jeunesse, toujours d’elle-même enivrée !
Monrose est dans ce tems difficile à passer.
Il faut y suppléer, & ne nous point lasser.
Du moins j’ai réparé les fautes qu’ils ont faites.
Quoi qu’il puisse arriver, j’ai mis ordre à ses dettes ;
Il ne se perdra point.
Scène III.
Nous nous cherchons tous deux.
Oui, je sors de chez vous.
Ce qu’on dit, est-il vrai ? Vous quittez le service ?
Je ferai, malgré moi, ce cruel sacrifice.
On vous prendroit au mot.
Afin de m’acquitter. Puis-je faire autrement ?
Peut-être : rien ne presse encore ; il faut attendre…
Attendre ! Quoi, Monsieur ? Qu’ai-je encore à prétendre ?
C’est d’un autre que moi dont la Cour a fait choix.
Sçavez-vous si cet autre accepte ?
Ah ! je le crois.
Ou vous le supposez. Est-ce une conséquence ?
On revient quelquefois de plus loin qu’on ne pense.
Empêchez cependant qu’on n’aille débiter
À la Cour, & par-tout, que vous voulez quitter.
Un bruit si ridicule a l’air d’une menace,
Ou du moins d’un dépit qui n’est pas à sa place.
Ce sont mes ennemis…
Il est bien d’autres gens qui sont plus dangereux.
Ne croyez pas, Monsieur, que je taxe personne
Dans ces réflexions que je vous abandonne.
Quand j’y pense, entre nous, je vois présentement
Que l’amitié se donne & se prend aisément ;
Elle est, comme l’amour, hazardeuse & légere.
Une conformité, frivole & passagere
D’âge, d’état, d’humeur, & sur-tout de plaisir,
Sans nul autre examen, suffit pour nous saisir.
Nous nous associons, comme on fait en voyage,
Sans savoir avec qui le hasard nous engage ;
Et l’on devient ami comme on devient amant.
Pour faire une maîtresse, il ne faut qu’un moment :
Mais l’amitié, du moins comme je l’envisage,
De part & d’autre exige un long apprentissage ;
Et vous devez savoir, à vos propres dépens,
Qu’un ami véritable est l’ouvrage du tems.
On peut me reprocher quelques momens d’ivresse,
Trop de facilité, des erreurs de jeunesse ;
Ma confiance a pû s’égarer quelquefois :
Dans la prospérité peut-on faire un bon choix ?
Et comment démêler l’amitié véritable
D’avec la flatterie alors inévitable ?
La Fortune nous met un bandeau sur les yeux.
Depuis qu’elle a changé la face de ces lieux,
Pouvais-je mieux choisir dans cette circonstance,
Que ceux qui sont venus m’offrir leur assistance ?
Je n’ai retrouvé qu’eux dans mon adversité.
L’ascendant, l’habitude, & la nécessité,
M’ont forcé d’accepter leurs secours salutaires ;
Ils se sont partagé le poids de mes affaires ;
Ils s’en sont emparés. S’ils ne sont pas heureux,
Que voulez-vous ? Du moins, je ne crains, avec eux,
Aucune ingratitude, aucune fourberie.
Mais ne craignez-vous rien de leur étourderie ?…
Pardonnez ; je m’échappe ici mal-à-propos.
C’est, je crois, vous en dire assez en peu de mots.
Du reste est-il permis de vous parler d’Hortense ?
Hélas !
Vous ne la voyez plus. D’où vient ce changement ?
Parlez ; auriez-vous pris quelqu’autre engagement ?
Quand la fortune change, & devient si cruelle,
Le cœur d’un malheureux devroit changer comme elle.
Ma constance est du moins un secret ignoré.
Je dévore mes feux, & j’en suis dévoré.
Qui peut vous imposer ce pénible silence ?
La probité l’exige, & l’intérêt d’Hortense :
Tous deux font qu’à ses yeux j’ai cessé de m’offrir.
J’ai craint de l’offenser, j’ai craint de l’attendrir.
Son repos m’est trop cher, pour oser le détruire,
Et je l’estime trop, pour vouloir la séduire.
La distance à présent est trop grande entre nous :
Il faut que son amant puisse être son époux.
Ainsi je dois cesser une vaine poursuite.
Je n’ai plus que les pleurs, le silence, & la fuite.
C’est assez. On me mande ; & je vais à la Cour.
Peut-être vous verrai-je avant la fin du jour.
Scène VI.
Il n’est plus tems ; ses soins ne me serviront gueres.
Scène V.
On vous attend. Ce sont, je crois, des gens d’affaires ;
Ils en ont bien la mine.
Allons, je vais les voir.
Le départ de Madame est fixé pour ce soir.
Je sçais que je lui dois rendre un compte fidele.
Dis-lui que je m’occupe à travailler pour elle.
Scène V.
S’il vouloit la revoir, il feroit beaucoup mieux.
Mais la voici qui vient d’achever ses adieux.
Scène VI.
Je suis au désespoir ; la méprise est cruelle :
Comment la réparer ?
Madame, quelle est-elle ?
Mes gens se sont trompés.
Peut-on sçavoir en quoi ?
J’ai lû, sans y penser, ce qui n’est pas pour moi.
Ah ! n’est-ce que cela ? Quitte à brûler la lettre,
Et ne s’en pas vanter.
Absolument.
Madame, à qui donc, s’il vous plaît ?
À Monrose. Et peut-être ai-je lû mon arrêt.
On finit ses malheurs, s’il veut être sensible :
Ce billet l’en assure.
Ah ! seroit-il possible ?
Des offres qu’on lui fait il peut être charmé :
S’il n’est pas inconstant, du moins il est aimé.
Oui, c’est un grand attrait.
De pouvoir à son gré se montrer généreuse !
Et d’employer ainsi…
Cela sent la beauté qui touche à son déclin.
Va trouver Aramont… lui-même. Il faut lui dire
Que je veux lui parler, avant qu’il se retire.
Eh ! qu’en voulez-vous faire ? Ah ! si vous l’employez,
Vous l’allez bien charmer. Mais si vous m’en croyez…
Vous le voulez charger de rendre cette lettre ?
Sans doute.
En quelles mains allez-vous la remettre ?
La supprimeroit-il ?
D’un bout du monde à l’autre il iroit de bon cœur.
Ils la liront ensemble ; & puis, gare la glose !
Il fera ses efforts pour pervertir Monrose.
Il n’importe.
Madame, il vous sacrifiera.
Plus il est son ami, mieux il me servira.
Monrose est son idole ; il l’aime ; il l’a vû naître :
Son zèle est sa folie ; il n’en est pas le maître.
Sçais-tu bien que je suis lasse de t’écouter ?
Scène VIII.
J’ai donc une rivale ! Il n’en faut point douter.
La preuve que je tiens a de quoi me suffire.
Je ne suis pas la seule à qui l’Amour inspire,
En faveur de Monrose, un projet généreux !
Une autre s’intéresse à son sort malheureux !…
Si nous nous rencontrons dans la même pensée,
J’ai le secret plaisir de l’avoir devancée…
Mais on ne revient point… Ah ! que les Valets sont…
Scène XI.
J’ai lassé le paquet chez Monsieur Aramont.
Avez-vous bien pris garde à ne vous pas méprendre ?
Oui. Son Valet de chambre aura soin de le lui rendre.
Scène X.
Qu’ai-je fait ? Quand je veux l’empêcher de périr,
N’est-ce point un ingrat que je vais secourir ?
Eh ! dois-je me livrer à cette inquiétude,
Et le sacrifier à cette incertitude ?
N’est-ce que l’intérêt qui doit nous émouvoir ?
Pour être généreuse, a-t-on besoin d’espoir ?
Employons les moyens qui sont en ma puissance,
Et qu’il n’en ait jamais la moindre connoissance.
Il est perdu pour moi. Sauvons le seulement :
Que ce soit comme ami, si ce n’est comme amant.
Scène XI.
On attend Aramont.
A-t-on quelques nouvelles ?
Oui, Madame, beaucoup ; & même assez cruelles.
Pourrois-je encore avoir de nouvelles douleurs ?
Armez-vous de courage ; il est d’autres malheurs…
Ils vous sont personnels.
À passer sous le joug d’un cruel hyménée ?
Ma fortune sans doute aura tenté quelqu’un,
Et l’on m’accorde aux vœux d’un amant importun !
Vous n’avez plus à craindre aucune violence.
S’il est vrai, tu peux rompre un si cruel silence.
Tu pleures ? Les détours deviennent superflus ;
Parle.
Cet Oncle de Monrose…
Explique ce mystere.
Cet homme qu’on croyait un sûr dépositaire,
Que votre pere avoit chargé de votre bien…
L’auroit-il dissipé ?
Rien du tout, en un mot.
Mais en es-tu bien sûre ?
Hélas ! que trop, Madame ; & je vous en assure.
À l’instant même on vient de lever le scellé.
J’ai tout sçu d’un témoin qui me l’a révélé ;
Et ce témoin, Madame, est un des Commissaires.
Que dit Monrose ?
D’un œil presque insensible il voyoit ses malheurs :
Les vôtres l’ont atteint des plus vives douleurs.
On diroit que lui-même il s’en croit responsable.
Dans son accablement il est méconnoissable.
Toute sa fermeté se change en désespoir.
Sans détourner les yeux, il n’a pas pû me voir ;
Il m’a caché des pleurs, que sans doute il dévore :
J’en ai versé moi-même ; … & j’en répands encore.
Ah ! c’est trop m’attendrir, & me désespérer.
En l’apprenant, j’ai cru que j’allois expirer.
Quel bonheur ! j’ai sauvé ce qui m’est nécessaire.
Qu’allez-vous devenir ?
Ce sera mon affaire.
J’envisage pour vous quelques soulagemens,
Qui pourront…
Qui sont-ils ?
Vous en avez ; ils sont d’un prix considérable.
Du moins, vous vous ferez un sort moins déplorable.
Le Baron, par hazard, sauroit-il mon état ?
La nouvelle n’a fait encore aucun éclat.
Il peut n’en rien savoir.
Si cela pouvoit être !
Il n’était point ici quand… Je le vois paroître.
Songe un peu que je pars dans deux heures d’ici.
Scène XII.
Voyons donc si ma lettre aura bien réussi.
Voici l’instant fatal ; tout mon cœur en frissonne.
(à Aramont.)
Monsieur, en arrivant, n’avez-vous vû personne ?
En entrant, on m’a dit que je devois vous voir,
Et je viens m’acquitter de ce premier devoir.
Puis-je compter sur vous ?
Tout me sera facile.
Je le souhaite.
En quoi puis-je vous être utile ?
Avant de m’exposer, il faudroit m’assurer…
Choisissez le serment : je suis prêt à jurer.
Le service est unique ; & je vais vous surprendre.
Voilà précisément comme j’aime à les rendre.
Peut-être pourrez-vous le trouver indiscret.
Il faut bien du courage, & beaucoup de secret.
Je ferai l’impossible. En serez-vous contente ?
Vous vous engagez donc à remplir mon attente ?
Je m’en fais un plaisir, un devoir, une loi.
Je vous engage tout, mon honneur & ma foi.
Que je sois réputé le plus grand des parjures…
Je vais donc vous donner les preuves les plus sûres
De l’état que je fais de votre probité ;
Mon cœur va s’épancher avec sécurité.
Monrose vous est cher ?
Beaucoup plus que moi-même.
Je vous crois trop sensible à son malheur extrême,
Pour craindre de vous mettre avec moi de moitié.
Sûrement.
Cachez-moi la surprise où ce discours vous jette.
Votre ami va périr. Je sçais ce qu’il projette.
Puisque le sort s’obstine à le persécuter,
Vous ne l’ignorez pas, il va s’exécuter.
S’il vend son Régiment, sa perte est infaillible :
Il met à sa fortune un obstacle invincible.
Il est vrai ; son dessein est de quitter la Cour :
Son malheur l’y contraint ; ce sera sans retour.
Que ne puis-je empêcher ce cruel sacrifice ?
Ma fortune, mes biens, seroient à son service ;
Je saurois employer des moyens détournés :
Mais malheureusement mes pouvoirs sont bornés.
Oserois-je vous prendre à vos propres paroles ?
Je ne fais point ici des avances frivoles ;
Et je voudrois pouvoir me vendre ou m’engager.
Je n’ai qu’un revenu modique & viager ;
C’est à quoi me réduit la fortune cruelle.
Pour la premiere fois je murmure contre elle.
Les malheurs d’un ami me font sentir les miens.
Si quelqu’un par hazard vous offroit des moyens…
Je les saisirois tous : mais, hélas ! qui sera-ce ?
Moi-même.
Vous, Madame ?… Ah ! ah ! ceci me passe.
Ne pourrois-je être aussi généreuse que vous ?
Avez-vous des vertus qui ne soient pas pour nous ?
Je sçais qu’il n’en est point qui ne vous soit commune.
Mais avec tout cela, Madame, il en est une
Que l’on n’a point laissée à votre liberté :
C’est malheureusement la générosité.
Quoique vous jouissiez d’un bien considérable,
Vous ne pouvez en rien nous être secourable.
Enfin, si par hazard je le pouvois ?… Hé ! bien ?
Un si, rend tout possible, & ne conduit à rien.
Peut-être.
Vous mettent hors d’état…
Si vous voulez pourtant ne vous pas opposer…
J’ai quelque superflu dont je puis disposer.
Comment ?
Que ce secours pourroit, du moins…
Quelle chimere !
Scène XIII.
Ah ! Madame… Monsieur, excusez, s’il vous plaît.
Je suis toute saisie…
Eh ! bien, qu’est-ce que c’est ?
Tout est perdu.
Quoi donc ?
Ce sont vos pierreries…
Clorine, parle bas.
Je viens de les chercher ; mais inutilement :
Et vous êtes volée… indubitablement.
Que veux-tu que j’y fasse ?
Ne sçavez-vous pas bien que cela se reclame ?
Ce n’en est pas la peine.
Ah ! vous me confondez.
Taisez-vous.
Mais je ne comprends rien à cette politique :
J’entrevois du mystere ici.
Sortez ; retirez-vous.
Scène XIV.
Ce sont vos diamans qui vous ont été pris ?
Permettez ; je m’en vais chez tous les lapidaires,
Leur donner, sur ce vol, les avis nécessaires :
Il faut entre leurs mains arrêter ces bijoux.
Épargnez-vous ce soin, Monsieur, ils sont chez vous.
Chez moi ?
Je craignois vos refus, & j’ai dû vous surprendre.
Vous me l’aviez bien dit.
Songez à satisfaire à vos engagemens.
Le salut de Monrose est en votre puissance.
Ah ! c’est trop exiger de mon obéissance.
Son sort est dans vos mains, & vous m’en répondez.
Vous nous sauvez tous trois, si vous me secondez.
Oh ! parbleu, serviteur.
Cette foible ressource est tout ce qui nous reste.
Cessez de me séduire.
Puis-je mieux employer des superfluités,
Qui ne seroient pour moi qu’une charge importune ?
N’auroit-il pas joui de toute ma fortune ?
Il l’auroit partagée.
C’est un infortuné que l’on m’a fait aimer…
C’est l’ami le plus cher que vous ayez au monde :
C’est sur vous à présent que notre espoir se fonde :
Par-là vous détournez son plus pressant malheur ;
Et bientôt il devra le reste à sa valeur.
Ce seroit le moyen de lui sauver la vie.
Hé bien, sauvez-le donc.
Mais si, par un malheur que je ne puis prévoir,
Monrose quelque jour venoit à le sçavoir ;
Comptez qu’il en auroit une douleur amere,
Et qu’il m’accableroit de toute sa colere.
Je le connois, Madame ; il seroit furieux.
Mais il seroit sauvé. Lequel aimez-vous mieux ?
Son courroux est-il plus à craindre que sa perte ?
Comment en feroit-il la moindre découverte ?
Il ne peut le sçavoir que de vous ou de moi.
Ainsi bannissez donc un ridicule effroi.
Comptez sur mon secret ; je compte sur le vôtre.
Ô sexe toujours sûr de triompher du nôtre !
L’action est si belle…
Que l’amitié n’est pas moins tendre que l’amour.
Allez ; que votre zele ait une heureuse suite.
De tous ces créanciers empêchez la poursuite.
Ce n’est pas tout.
Encore ?
Un service moins grand ; mais peut-être plus doux.
Rendez-lui ce billet, qui s’adresse à lui-même :
Il peut-être pour lui d’une importance extrême.
Scène XV.
(Voyant Hortence.)
Je te cherche… Que vois-je ? Hortence ? Ah ! si je puis,
Cachons-lui sa ruine, & l’état où je suis.
J’ai pris à vos malheurs la part qu’on y doit prendre.
Vous les adoucissez, en daignant me l’apprendre.
Continuez un soin qui m’est si précieux.
Madame, je comptois ne m’offrir à vos yeux,
Qu’après avoir donné quelque ordre à vos affaires.
Je m’occupois des soins qui vous sont nécessaires.
Monsieur, occupez-vous d’un objet plus pressant.
Ne nous direz-vous rien de plus intéressant ?
Je me trouve garant de votre destinée,
Et je compte qu’avant la fin de la journée…
N’avez-vous plus d’espoir du côté de la Cour ?
La fortune cruelle est-elle sans retour ?
Ce seroit me flatter contre toute apparence.
J’ai reçu mon arrêt avec indifférence.
Le sort peut à présent multiplier ses coups :
Les maux dont on me plaint sont les moindres de tous.
Mais d’un si grand malheur quelle sera la suite ?
Si de mon avenir vous daignez être instruite,
J’irai traîner ailleurs le reste de mes jours :
Du moins aucun remords n’en troublera le cours.
Un tendre souvenir me tiendra lieu du reste.
On voudroit détourner cet avenir funeste…
Monsieur, vous n’êtes pas si fort abandonné…
À des vœux impuissans l’on ne s’est pas borné…
(à part.)
Si le sort vous poursuit… Ô Ciel ! que vais-je faire ?
(à Monrose.)
Vous verrez que l’amour ne vous est pas contraire.
(lui donnant la lettre.)(à part.)
Tenez… Ma fermeté commence à succomber.
(à Monrose.) (à part.)
Lisez… À ses regards il faut me dérober.
Scène XVI.
Hortence se déclare.
On vous aime.
Voilà ce que j’avois à craindre.
À craindre ? Votre cœur n’en est-il plus charmé ?
Ne me parle jamais d’aimer, ni d’être aimé.
Bon !
Qu’un malheureux amour. Ah ! quelle destinée !
Quel changement est-il arrivé dans son cœur ?
Si je veux renoncer à tout autre vainqueur,
Elle offre… Ah ! je succombe à son malheur extrême.
Vois comme elle m’écrit.
Eh ! morbleu, c’est le même !
Ce billet-là t’étonne ?
Tomber entre vos mains ; & j’en suis confondu.
Eh ! quand elle pourroit régler son hyménée,
Que feroit-elle, hélas ! puisqu’elle est ruinée ?
Elle est ruinée !
Oui.
Tout de bon ?
C’est un fait.
J’ai fort bien opéré.
Je vois que tu la plains !
(à part.)
Ah ! s’il sçavoit le reste !
Je ne reconnois guère Hortence à cet éclat.
Pourquoi ne m’avoir pas instruit de son état ?
Cher ami, le sçavois-je ? On vient de me confondre.
Et moi, de même.
Il faut cependant lui répondre.
En voici la réponse. Il n’y faut plus penser.
Je n’imagine pas pouvoir m’en dispenser.
Faut-il que je l’abuse, ou que je la méprise ?
Je ne puis.
Il faut donc avouer ma sotise.
(à Monrose.)
Si ce billet vous cause un si grand embarras,
On peut vous en tirer.
Que tu m’obligeras !
Se déclarer un sot, est un grand sacrifice.
Ne me refuse pas un aussi bon office.
Vous vous tourmentez fort, vous vous creusez l’esprit
Pour faire une réponse à ce maudit écrit ;
Il n’en faut point.
Pourquoi ?
Il n’est point d’elle.
Il n’est ?…
Oui ; j’en sçais quelque chose.
Il n’est point d’elle ?… Eh ! mais elle me l’a donné.
N’en es-tu pas témoin ?
Les femmes vont toujours plus loin que l’on ne pense,
Et que l’on ne voudroit. J’ai fait une imprudence…
Est-il d’une autre ?
Non.
De grace, explique-toi.
Tempêtez, fulminez ; que diable ! il est de moi.
De toi ?
Vous l’avez dit.
Quelle est ta phrénésie ?
Je voulois lui donner un peu de jalousie,
Pour tirer son secret. C’est un petit secours
Que j’avois employé pour aider vos amours.
Quelle fureur as-tu de signaler ton zele ?
Que sçais-tu si je veux qu’on me serve auprès d’elle ?
T’ai-je employé pour être éclairci de mon sort ?
Eh ! n’est-on pas assez puni quand on a tort ?
Ce seroit à présent, contre toute apparence,
Que je pourrois douter de son indifférence.
Hortence vient de faire éclater son mépris.
Oui !
Elle auroit supprimé cette lettre fatale,
Que, sans doute, elle a dû croire d’une rivale.
Une amante ordinaire eût commencé par-là.
C’est un malheur de moins. Mais laissons tout cela,
Et songeons à l’état de cette infortunée,
Que, je ne sçais comment, mon oncle a ruinée.
Je tenois tout de lui ; je n’avois presque rien…
Il est vrai.
J’ai, jusques à sa mort, surchargé sa dépense :
Ainsi j’ai partagé les dépouilles d’Hortence.
Il me seroit affreux de vivre à ses dépens.
Autant que je pourrai, je dois, & je prétends
Réparer, en secret, des pertes aussi grandes.
Il me reste une Terre ; il faut que tu la vendes.
Eh ! ne vous chargez point de semblables remords.
S’il falloit réparer les sotises des morts,
Ma foi, leurs héritiers n’y pourroient pas suffire,
Ce n’est pas votre faute : on n’a rien à vous dire.
L’honnête homme ne doit s’en rapporter qu’à lui :
Il se juge lui-même, & jamais par autrui :
Sitôt qu’il se condamne, on ne sçauroit l’absoudre.
En un mot, je le veux.
Mais…
Tiens ; voilà…
Qu’est-ceci ?
Ma procuration.
Doucement, s’il vous plaît.
L’affaire presse. Avant que sa ruine éclate,
Va, cours, vends à tout prix.
Ma foi, non.
Je m’en flatte.
À tort.
Épargne-toi d’inutiles refus.
Mais, vous dis-je…
Je fuis ; je ne t’écoute plus.
Scène XVII.
Monrose, écoutez donc… Il est bien loin… Que faire ?
C’est à vous, mon esprit, à me tirer d’affaire.
Vous avez à combattre, en ce moment fâcheux,
La probité, l’amour, & le diable avec eux.
ACTE IV
Scène I.
Puis-je obtenir d’Hortence un moment d’audience ?
Madame va venir ; donnez-vous patience.
Clorine a le cœur triste, à ce qu’il me paroît ?
Vous êtes pénétrant.
Vous comptiez suivre Hortence au Couvent ; mais sa tante,
Avec impolitesse, a frustré votre attente
Par un sot compliment.
Pareil à vos discours.
Où diable vouliez-vous achever vos beaux jours ?
Dans les ennuis forcés d’une triste clôture ?
Vous, dont l’esprit actif, toujours à la torture,
Pétille dans un corps de salpêtre & de feu !
D’ailleurs, si vous voulez, vous m’en ferez l’aveu :
Mais, à proportion, vous êtes mieux qu’Hortence.
Vous y mettez bon ordre.
Elle ne peut vous faire aucun bien désormais.
Il me reste à gagner les biens qu’elle m’a faits.
Clorine est héroïque !
Je voudrois me charger de toute sa misere.
Que ne puis-je ?… Du moins, je ne suis pas de ceux
Qui savent abuser d’un cœur trop généreux.
Écoute, mon enfant, je vois qu’auprès d’Hortence
Il faut que je te serve.
Ah ! je vous en dispense.
Tu n’as jamais voulu me croire propre à rien ;
Mais je veux t’en punir, en te faisant du bien.
Non, Monsieur, s’il vous plaît.
(Voyant Hortence.)
Ce sera malgré vous… Mais je la vois ; c’est elle.
Moi, je vais vous servir de la bonne façon.
Cette fille paroît avoir quelque soupçon.
Scène II.
Vous m’apportiez, sans doute, une heureuse nouvelle ?
Mon cœur impatient voloit au devant d’elle.
Oui-dà !
N’êtes-vous pas notre libérateur ?
Vous me donnez, Madame, un titre trop flatteur.
Ne vous est-il pas dû ?
Que le Ciel m’en préserve.
D’où vient cet embarras ? Quelle est cette réserve ?
Avez-vous fait usage ?…
Et mon dessein n’est pas d’en faire aucun emploi.
Que dites-vous, Monsieur ? Ô Ciel ! est-il croyable ?
Est-ce donc-là cet homme utile & serviable ?
Je le trouve en défaut, quand j’ai besoin de lui !
Vous vous démentez donc pour moi seule aujourd’hui ?
Monrose m’est bien cher ; mais je suis incapable
De le servir ainsi. Je serois trop coupable.
Eh ! le serez-vous moins en le laissant périr ?
Je voudrois, autrement, le pouvoir secourir.
Vous prétendez l’aimer ?
Autant qu’il est possible.
Ne vous en vantez plus… Serez-vous inflexible ?
Ce n’est pas sans raison. Eh ! Madame, en effet,
Pouviez-vous recueillir le fruit de ce bienfait ?
La gloire que mérite une action si belle,
Devoit s’ensevelir & se perdre avec elle.
Vous ne pouviez passer pour en être l’auteur.
Toute ma récompense est au fond de mon cœur.
La générosité n’en veut pas davantage.
L’intention suffit.
En périra-t-il moins ? Nous connoissons ses biens.
Que peut faire un Guerrier borné dans ses moyens ?
Il languit, s’il ne tient un état honorable ;
Sa valeur n’est jamais dans un jour favorable.
La gloire coûte cher à qui veut l’acquérir ;
Il la faut acheter ; il la faut conquérir.
Et malheureusement, (puisqu’il faut vous le dire)
Le courage tout seul n’a pas de quoi suffire.
Vous l’avez éprouvé.
Du reste de vos biens faut-il vous dépouiller ?
(à part.)
Songez à vous, Madame. Il faut que je m’en tire.
(à Hortence.)
Vous êtes ruinée. Il est bon de vous dire
Que vous n’avez plus rien que ces foibles débris.
S’il est vrai, mon désastre y met un nouveau prix.
L’usage que j’en fais me tient lieu de fortune.
Mais quelle prévoyance, un peu trop importune,
En cette occasion vous révolte si fort ?
Un peu plus, un peu moins, ne fait rien à mon sort.
Pour qui conservez-vous un intérêt si tendre ?
Savez-vous seulement si…
Que Monrose peut-être adresse ailleurs ses vœux.
Jusqu’ici vous avez si peu flatté ses feux…
Eh ! ne vous chargez point d’excuser ce que j’aime ;
Je sçaurai, mieux que vous, m’en acquitter moi-même,
Je lui pardonne tout, pourvu qu’il soit heureux.
Son bonheur me suffit ; c’est tout ce que je veux :
Et j’y dois concourir autant qu’il m’est possible.
Pour trancher en un mot, je demeure inflexible.
Vous ne me ferez point reprendre ce dépôt :
Je désavouerai tout ; & je nierai plutôt…
Au surplus, vous avez le secret de ma vie ;
Disposez-en, Monsieur, au gré de votre envie :
Voyez, quand je descends jusqu’à vous implorer,
Si vous voulez me perdre, & vous deshonorer.
Scène III.
Oh ! parbleu, serviteur. Pour moi, je m’en désiste.
Je remettrai le tout entre les mains d’Ariste.
Allons…
Scène IV.
Tu me vois furieux. On vient de te noircir
D’une accusation que je crois téméraire.
Il me seroit cruel de trouver le contraire.
Clorine…
Ah ! c’en est fait.
Un mystère affreux. Songe à te justifier.
Cette fille m’en veut.
Ne récrimine point, si tu veux la confondre.
Cette fille fait plus que de te soupçonner.
Que dis-je ? Elle prétend que tu t’es fait donner,
Pour moi, les diamans d’Hortence. Est-ce une injure ?
Les aurois-tu reçus ? Parle, je t’en conjure.
Tu conviens de ta faute, en n’osant la nier.
Il ne s’agit donc plus que d’y remédier.
Scène V.
Monsieur, un étranger m’a chargé de vous rendre
Ce paquet-là.
Que vois-je ? Mes billets qui me sont renvoyés !
Oui, vraiment, ce sont eux ; ils se trouvent payés !
Tant mieux.
Quelle indigne ressource as-tu mise en usage ?
Aucune.
Il faut avoir un cœur bien dur, bien inhumain.
J’aurois donné mon sang pour cette infortunée,
Si j’avais pû lui faire une autre destinée.
Tu connois sa ruine, & tu vas l’achever !
Ah ! c’est m’assassiner, en voulant me sauver,
Impitoyable ami, barbare que vous êtes !
Est-ce ma faute, à moi, si l’on paye vos dettes ?
J’ignore à qui l’on doit imputer ce bienfait :
Mais je n’ai point de part au tour que l’on vous fait.
Il est bien vrai qu’Hortence a voulu me séduire.
Puisqu’enfin l’on m’y force, il faut vous en instruire.
Elle avoit fait porter chez moi ses diamans :
Ils y sont : venez-y ; vous verrez si je mens.
Ils y sont ? Et pourquoi ? Ne pouviez-vous les rendre ?
Eh que diable ! ai-je pû les lui faire reprendre ?
Ce que veut une femme est écrit dans le Ciel.
Enfin, j’ai tenu bon : voilà l’essentiel.
J’ai fait ce que j’ai pû contre cette obstinée,
Jusqu’à lui découvrir qu’elle étoit ruinée.
Nous étions convenus que tu n’en dirois rien,
Puisque j’ai résolu d’y suppléer du mien.
Elle a, sans sourciller, appris cette nouvelle.
Alors, pour votre honneur, & par pitié pour elle,
J’ai cru que je devois lui dire franchement
Qu’elle n’est plus l’objet de votre attachement.
Moi ! je ne l’aime plus ! Moi ! je suis infidele !
N’avez-vous pas rompu cette chaîne cruelle ?
Je l’ai cru.
Hélas ! c’est lui porter un poignard dans le sein.
C’est pour son bien. Ma foi, j’ai cru faire merveilles.
Ne me propose point des excuses pareilles…
Mais à qui dois-je donc imputer ce bienfait ?
Scène VI.
Tu grondes le Baron ! C’est toujours fort bien fait.
(à Aramont.)
Pardonne, si je viens troubler la vespérie.
(à Monrose.)
Sçait-tu ce qui m’arrive ? Écoute, je te prie…
Je n’en puis revenir. C’est pour ton Régiment.
Je pouvois me flatter d’en avoir l’agrément.
Je vais, chez qui tu sçais, en faire la poursuite :
Je me nomme : on m’annonce, & j’entre tout de suite.
Il me voit ; il se leve ; & d’un air prévenant
Il m’embrasse, & me fait un accueil surprenant.
Je le tire à quartier ; je lui fais ma semonce.
Mon homme alors se trouble ; & voici sa réponse :
« Je suis au désespoir ; (je crois qu’il disoit vrai :)
» Vous êtes malheureux pour votre coup d’essai. »
Bref, avec des discours à peu près de la sorte,
Il s’est acheminé du côté de la porte.
Nous nous sommes quittés. Ariste a manœuvré :
Il venoit d’en sortir, lorsque je suis entré.
Nous aurions fait ensemble une assez bonne affaire ;
Car j’aurois rassemblé tout l’argent nécessaire :
Mais enfin je te rends ta parole.
Il s’agit d’un service un peu plus sérieux.
Il est vrai ; l’aventure est presque inconcevable.
Dis-moi si c’est à toi que je suis redevable
D’un service récent…
Car je sers tant de gens sans que j’en sçache rien…
Je viens de recevoir, sous une simple adresse,
Tous mes billets…
Que t’a renvoyés ta Maîtresse ?
Non : mes créanciers.
Bon !
Oui, te dis-je ; à l’instant.
Je voudrois que les miens en pussent faire autant.
Tu n’en devrois pas moins. Tout ce qui m’embarrasse,
C’est de sçavoir celui qui s’est mis à leur place.
Quelqu’un les a payés pour moi.
Sans contredit.
Marquis, n’est-ce pas toi ?
Moi ! je te l’aurois dit.
Quoi ! véritablement ?
Non, parbleu, je te jure.
Tu le prends pour un autre ; & c’est lui faire injure.
Seroit-ce le Baron ?
Ce seroit un secret que je n’avouerois pas.
Seroit-ce Ariste ?
Qu’on mette sur son compte une action pareille !
Tu l’en crois incapable ? Il n’est pas de ton goût.
Ma foi, je crois qu’Ariste est capable de tout.
Apprends où t’a conduit une erreur trop durable.
Cet homme vertueux, ce sage inaltérable,
Toujours pur au milieu d’un air empoisonné,
Qui paroissoit avoir acquis & moissonné
De nouvelles vertus, où l’on n’a que des vices ;
Ce rare Courtisan, fameux par ses services,
Dont tout autre que lui se seroit prévalu,
Qui pouvant être tout ce qu’il auroit voulu…
Tu parois ironique !
Ce grave personnage, Ariste n’est qu’un traître.
C’est lui qui te dépouille ; il a tout envahi.
Cela ne se peut pas.
Ariste l’a trahi !
Lui-même ; il a commis une action si basse.
Va le féliciter, te dis-je, il est en place.
Au moment que je parle, entouré de flatteurs.
Le coupable & son crime ont des adulateurs
Eh ! bien, que penses-tu d’un tour de cette espece ?
Ah ! daignez vous prêter à ma délicatesse :
Je l’ai trop estimé, pour ne pas l’excuser.
Que savons-nous ? Sans doute il n’a pû refuser.
D’ailleurs j’étois exclus ; je n’y pouvois prétendre.
C’étoit des biens vacans, des graces à répandre :
Ariste en était digne ; il en est revêtu ;
Et la Cour a du moins décoré la vertu.
La vertu !… C’est un fourbe, & je ne puis m’en taire.
Mais s’il t’avoit servi, comme il auroit dû faire,
Et comme j’eusse fait, en parlerois-tu mieux ?
Rends-lui justice : va, c’est un monstre odieux.
Voilà mon dernier mot. Je le lui dirois en face ;
Et je l’afficherois… Si j’étois à ta place,
Nous nous verrions de près.
L’avis est assez doux.
Je n’écouterois plus qu’un trop juste courroux ;
Du haut de sa grandeur je le ferois descendre,
Ou je le forcerois du moins à la défendre.
Par ma foi, ce seroit des exploits mal placés.
Son deshonneur nous verge, & le punit assez.
Et sur ce foible espoir sa vengeance se fonde ?
Se deshonore-t-on maintenant dans le monde ?
Voit on que cette crainte alarme bien des gens ?
N’en soyons point surpris. Nous sommes indulgens :
Grâce à cette ressource, un peu trop éprouvée,
Le plus vil des mortels va la tête levée.
Nous laissons parmi nous, habiter des proscrits :
Bientôt leur impudence épuise nos mépris ;
Et nous avons enfin la basse politesse
De jouir avec eux de leur scélératesse.
Ariste y peut compter : & peut-être, à mon tour,
Serai-je un jour forcé de lui faire ma cour.
Non pas moi, sûrement.
Ariste ! Ah ! c’en est fait… Puisque tout m’abandonne,
Va, j’ai pris mon parti.
Et j’ose me flatter que nous serons contens.
Je m’en vais à la Cour savoir ce qui s’y passe ;
Et je te l’écrirai. Serviteur ; je t’embrasse.
Scène VII.
Voilà donc mon arrêt ! Espoir, fortune, amour,
Vous ne m’êtes plus rien : je perds tout en un jour.
Le coup dont tu gémis est celui qui m’accable.
Viens, cher ami, fuyons un siécle trop coupable ;
Sous un Ciel étranger, allons vivre pour nous ;
Pourvû que je te suive, il me sera trop doux.
De ma foible fortune accepte le partage.
Que ne m’est-il permis de t’offrir davantage !
Hélas ! je puis devoir beaucoup plus à tes soins.
Écoute : je suis quitte ; & je n’en dois pas moins
À l’auteur inconnu d’un aussi grand service.
Cherche à le découvrir ; rends-moi ce bon office.
Le soin de m’acquitter est mon premier devoir.
Mais au destin d’Hortence il faut aussi pourvoir.
À ce nom, cher ami, tu vois couler mes larmes.
Ah ! quand mon cœur seroit insensible à ses charmes,
Pourroit-il n’être pas sensible à la pitié ?
Par tout ce que t’inspire une vive amitié,
Ôte-moi de l’horreur où son état me plonge.
C’est-là mon plus grand mal. Le reste n’est qu’un songe.
Je mourrois mille fois ; & je n’ai plus que toi
Qui puisse dissiper un aussi juste effroi.
Cher ami, sauve-moi dans un autre moi-même :
D’une indigne détresse affranchi ce que j’aime ;
Répare sa ruine autant qu’il m’est permis ;
Emploie en sa faveur ce que je t’ai remis :
Et sur-tout si tu crains, comme je dois le croire,
Si tu crains de souiller ton honneur & ma gloire,
À tel prix que ce soit, remets-lui ses bienfaits ;
Alors j’accepterai l’offre que tu me fais.
Scène VIII.
Si vous avez un mot à dire à ma Maîtresse,
Je viens vous avertir, Monsieur, que le tems presse.
Elle part à l’instant.
Ô Ciel ! il faut… j’y cours.
Scène IX.
En vous remerciant de tous vos beaux discours.
En êtes vous content ? Pour moi, j’en suis ravie.
Je vous devois cela, pour m’avoir bien servie.
Vous êtes bon ami.
Avec Monrose ; mais…
Ma Maîtresse ; mais…
Moi !
Ruiner une femme est si fort à la mode,
Que ce n’est presque plus la peine d’en parler.
On ne voit autre chose ; & c’est un pis-aller
Permis, & toujours sûr. On ne s’en fait pas faute.
Vous vous formez de nous une idée assez haute.
Vous n’aviez pas dessein de m’en faire changer.
Notre sexe, vous dis-je, est un peuple étranger,
Un ennemi, sur qui tout est de bonne prise :
Ce sont-là des exploits que l’Amour autorise.
Mais sachez donc…
Vous ne traitez pas mieux nos biens que notre honneur.
Quand vous aurez lassé votre langue maudite,
J’espere…
On vient. J’ai fait, j’ai dit, & je vous quitte.
Scène X.
Ah ! ne m’exposez point devant un indiscret,
Qui ne devoit jamais avouer mon secret.
Laisse-nous, cher ami, ta présence la blesse.
Scène XI.
Ainsi, grace à leurs soins, vous sçavez ma foiblesse !
N’êtes vous pas cruel de paroître à mes yeux ?
À quoi nous serviront les plus tendres adieux ?
Je partois sans vous voir ; j’aurois fait l’impossible.
Le sort qui me poursuit est toujours invincible.
En suis-je mieux traité ? Pour comble de malheurs,
Je dois le détester jusques dans ses faveurs.
Il n’en est point pour moi qu’il n’ait empoisonnées.
L’amertume & le fiel les ont assaisonnées.
Tout, jusqu’à votre amour… Quand m’est-il annoncé ?
Ah ! que pour mon malheur tout est bien compensé !
Eh ! n’examinons point quel est le plus à plaindre.
Il n’importe ; achevez. Je ne sçaurois plus craindre
Tout ce qui peut servir à me désespérer.
Hortence, il est donc vrai, j’ai pû vous inspirer ?…
Est-ce pour insulter davantage à vos larmes,
Que j’ose demander un aveu plein de charmes,
À qui doit me haïr autant que je me hais !
Pourquoi se reprocher des maux qu’on n’a point faits ?
Voulez-vous que je sois injuste & malheureuse ?
Ah ! c’est trop exiger…
Hortence, hélas ! pourquoi nous avez-vous connus ?
Un bonheur assuré, des plaisirs continus,
La plus haute fortune, un brillant hyménée,
Auroient rempli le cours de votre destinée.
Quel contraste inouï ! Funestes liaisons,
Que le Ciel en courroux mit entre nos maisons !
Vous partez ; vous allez ensevelir vos charmes !
L’exil, l’abaissement, l’infortune, les larmes,
Voilà ce qui vous reste ; & je dois m’imputer
D’avoir aidé le sort à vous persécuter.
J’ai le remords affreux d’en être le complice,
D’être un de vos bourreaux ; jugez de mon supplice.
Me consolerez-vous en vous désespérant ?
Des coups de la fortune êtes-vous le garant ?
Vous me plaignez ! Eh ! quoi ! ne peut-on vivre heureuse,
Si ce n’est au milieu d’une Cour orageuse ?
À l’égard de ce bien qui s’est évanoui,
Ne pouvant être à vous, en aurois-je joui ?
En effet, à quoi sert une opulence extrême,
Si l’on ne la partage avec ce que l’on aime ?
Je ne sens pas qu’on puisse en jouir autrement.
Vous l’avez bien fait voir.
Ma ruine fera le repos de ma vie.
Ma liberté me reste ; on l’auroit poursuivie.
L’autorité, contraire à nos vœux les plus doux,
M’auroit voulu forcer à prendre un autre époux.
Peut-être auriez-vous fait son bonheur & le vôtre.
Il dépendoit de vous ; je n’en connois point d’autre.
J’ignore si l’on peut aimer plus d’une fois :
Mais quand on s’est livrée sans réserve à son choix,
Il est bien dangereux de prendre d’autres chaînes.
Que l’on s’apprête un jour de tourmens & de peines !
Sait-on ce que l’on donne ? Est-on bien sûr d’un cœur,
Qu’on arrache de force à son premier vainqueur ?
Eh ! puisque mon amour s’irritoit, à mesure
Que je pouvais vous croire infidele ou parjure…
Non, vous n’avez jamais cessé de m’enflammer.
Hélas ! vous ignorez comme on peut vous aimer !
Depuis que ma fortune, incertaine & flottante,
Me tient dans une triste & douloureuse attente,
Il est vrai, mon amour craignoit de se montrer :
J’ai prévu le néant où je viens de rentrer,
Et je ne suis pas fait pour être téméraire.
Pouvois-je imaginer que j’avois pû vous plaire ?
Et quand je l’aurois sçu, qu’avois-je à vous offrir ?
Je devois vous tromper, afin de vous guérir.
Mais vous l’avez dû voir, même avant mon naufrage,
Je n’osois qu’en tremblant vous offrir mon hommage :
Je ne l’ai jamais cru digne de vos appas.
Si vous n’y suppléez, si vous n’en jugez pas
Par ma discrétion & par ma retenue,
La moitié de mes feux ne vous est pas connue.
Hélas ! que dites-vous ? Croyez que mon devoir
M’empêchoit d’y répondre, & non pas de les voir.
Quel aveu ! Permettez à mon ame ravie
Un transport qui sera le dernier de ma vie.
Je puis donc une fois tomber à vos genoux !
Ah ! devroit-on survivre à des momens si doux ?
Il le faut cependant. Si je vous intéresse,
Vivez pour illustrer l’objet de ma tendresse.
Remplissez mon idée, elle est digne de vous ;
Soyez tel qu’il falloit pour être mon époux ;
Devenez l’Artisan de votre destinée.
Il est beau de dompter la fortune obstinée,
D’arracher ses bienfaits, au lieu d’en hériter,
Et de n’avoir que ceux qu’on a sçu mériter.
Ce sont-là mes adieux, mes vœux, & mon présage…
Va, l’on ne peut manquer quand on a du courage…
Imitez mon exemple ; & sçachez…
Vous pleurez !…
Séparons-nous ; adieu.
Pour jamais !…
Demeurez…
Je ne puis.
Je le veux.
Non ; dussé-je expirer en vous perdant de vûe…
ACTE V.
Scène I.
Quel état est le mien ! Fortune, en est-ce assez ?
À peine suis-je né, mes beaux jours sont passés.
Ai-je pû mériter un sort si déplorable ?
Le seul bien qui me reste, est un bien qui m’accable.
Je ne sçais où tourner mes pas ni mes regards.
Ah ! je sens que mon cœur s’ouvre de toutes parts.
Allons traîner ailleurs mon infortune extrême ;
Je ne puis plus ici me supporter moi-même.
Quel est votre dessein ? Où voulez-vous aller ?
Partout où je pourrai vivre & me signaler.
Dans l’état où je suis on n’a plus de patrie :
J’abandonne la mienne, où, malgré mon envie,
Je ne puis plus m’ouvrir un illustre tombeau.
Un sujet inutile est pour elle un fardeau.
Je vais mourir ailleurs, ou mériter de vivre.
Je frémis du projet ; gardez-vous de le suivre.
Je crois que tu voudrois m’obliger à rester ?
Vous êtes enchaîné.
Quelles raisons ? En quoi suis-je ici nécessaire ?
Tu restes ; on n’a point de reproche à me faire.
On m’en feroit d’affreux, si vous vous écartez.
Comment ?
Vous me perdez d’honneur, si vous partez.
Quel rapport mon départ a-t-il avec ta gloire ?
Le rapport est plus grand que vous ne pouvez croire.
Je ne le comprends pas.
On m’accuse…
De quoi ?
D’être votre complice.
Ah ! tout autre que toi…
Le Destin a comblé toutes ses injustices.
Depuis quand l’innocence a-t-elle des complices ?
Ce nom convient au crime. Eh ! quel est donc le mien ?
Il est imaginaire.
Quel que soit mon destin, je sçaurai m’y soumettre :
Dis…
(Il lit.)
« Je t’écris à la hâte : Ariste, non content
» Des biens de notre ami, lui ravit sa Maîtresse ;
» Il l’a fait demander : le fait est très-constant.
» Tu lui diras, en cas que cela l’intéresse.
» À propos, on le croit riche, & je te l’apprends.
» Entre nous, tu lui vaux cette galanterie.
» On l’accuse d’avoir détourné… tu m’entends ?
» Fais finir au plutôt cette plaisanterie. »
Je suis riche !
On le dit.
Et je suis accusé d’avoir détourné ?… Quoi ?
Les effets du défunt, & tous les biens d’Hortence.
L’on croit que je vous ai prêté mon assistance.
Ah ! ciel ! quelle noirceur ! Je deviens furieux.
D’où peuvent provenir ces bruits injurieux ?
L’horreur qu’on m’attribue est-elle imaginable ?
Ah ! si j’en connoissais l’auteur abominable !…
Jusques à mon honneur, quoi ! l’on ose attenter !
Il n’est point de malheur qui ne puisse augmenter.
Qui peut avoir fondé cette imposture affreuse ?
Mon amitié constante, & toujours malheureuse.
Sans elle notre honneur seroit encore entier.
Je vous ai fait passer pour un riche héritier.
Ces bruits avantageux m’ont paru nécessaires
Pour vous donner le tems d’arranger vos affaires.
Je les ai répandus ; c’étoit pour votre bien.
On m’a cru. Cependant il ne s’est trouvé rien.
Et je suis soupçonné… Vous devinez le reste.
Quoi ! l’amitié m’aura toujours été funeste !
De mes jours malheureux elle est donc le fléau ?
Le Sort me réservait ce supplice nouveau.
Soyez sûr que ces bruits ne seront pas durables :
Vous n’êtes accusé que par des misérables
C’est par des gens comme eux que leurs discours sont crus.
Dans la rage où je suis, je ne me connois plus.
Opposez le courage à cette calomnie.
Du courage ! En est-il contre l’ignominie ?
On la mérite alors qu’on peut la supporter.
Demeurez ; c’est à quoi j’ose vous exhorter.
Non ; tu n’entendras plus parler d’un misérable.
Je comptois que mon nom me seroit favorable :
Il faut l’abandonner. Je ne dois plus songer
Qu’à me cacher. Je vais me perdre & me plonger
Dans une obscurité la plus impénétrable.
Périssent ma mémoire, & le sang déplorable
Qui m’a fait naître !
Ô Ciel !
Pour la dernière fois, ne te fais point haïr.
Adieu.
Scène II.
Mais que nous veut cet homme ? Ô Ciel ! seroit-ce…
Je suis chargé d’un ordre…
Est-ce à moi qu’il s’adresse ?
Oui, Monsieur. À regret je remplis un devoir…
On m’arrête ! Eh ! pourquoi ?
Souffrez que je m’acquitte…
Faut-il que je vous suive ?
Il n’est pas nécessaire,
Et vous m’avez été consigné seulement.
Voulez-vous bien passer dans cet appartement ?
Scène III.
On m’arrête ! & déjà l’on me traite en coupable !
On m’enchaîne au forfait dont on me croit capable !
Mes fers me font horreur.
Dornane aura parlé. C’est un homme imprudent.
Vous aurez, devant lui, projeté votre fuite.
Ce bruit vous aura nui. La Cour en est instruite :
Et voilà ce qui fait qu’on s’assure de vous.
Comme d’un criminel ?
Vous les confondrez tous.
Eh ! comment les confondre ? Est-il en ma puissance ?
Le crime se défend bien mieux que l’innocence.
Quelle preuve opposer ? Où pourrai-je en trouver ?
Votre ruine même.
Eh ! comment la prouver ?
Par quels moyens veux-tu que je les désabuse ?
Eh ! croit-on les sermens de ceux que l’on accuse ?
Ah ! tout concourt encore à ma conviction :
Ces bruits avantageux à la succession ;
Mes créanciers payés, & le bruit de ma fuite ;
La fortune d’Hortence entierement détruite ;
Le reste de ses biens, dont malheureusement
Tu te trouves chargé, pour moi, secrettement.
Clorine, qui le sçait, pourra-t elle se taire ?
Moi-même puis-je & dois-je éclaircir ce mystere ?
Non : il faut que ce soit un secret éternel ;
Je serai convaincu, sans être criminel.
Scène IV.
qui entre sans être vue.
Je me perds dans l’horreur de chaque circonstance.
Lorsque pour réparer la ruine d’Hortence,
Je détourne sur moi les indignes besoins
Qu’elle auroit par la suite éprouvé sans mes soins :
Lorsque pour la sauver de cet état funeste,
Je me prive en secret de tout ce qui me reste,
On croit que dans ses biens j’ai pû souiller mes mains ;
Et je suis réputé le dernier des humains !
Ô Destin ! est-ce assez maltraiter ta victime ?
On m’arrête, on me force à me purger d’un crime ;
Qu’est-ce qu’un scélérat a de plus à souffrir ?
Le remords…
Quelle voix ! quel objet vient s’offrir !
C’est une amante en pleurs. On empêche ma fuite ;
J’ignore à quel dessein ; je n’en suis pas instruite.
On m’a fait revenir.
Laissez-moi me cacher.
Scène V.
Quoi ! vous voulez me fuir ?
Laissez-moi m’arracher…
Eh ! ne nous quittons point dans l’état où nous sommes.
Ces regards sont-ils faits pour le dernier des hommes ?
Je ne puis soutenir vos yeux, ni mes revers.
Je ne suis donc plus rien pour vous dans l’univers ?
Je ne croyois pas être un objet si funeste.
Je ne puis que pleurer. Le tems fera le reste.
Dites, mon désespoir.
Ah ! cruel, arrêtez.
Il finira bientôt des jours trop détestés.
Mon état, mon amour, ma présence, & mes larmes,
N’auront donc point assez de puissance & de charmes
Pour vous rendre un peu moins sensible à vos malheurs ?
Qu’on ne nous vante plus le pouvoir de nos pleurs :
Vous ne songez qu’à vous.
Quel reproche !
Que sur ce désespoir où votre cœur succombe,
Je sçais de quels bienfaits vous vouliez me combler.
Du reste de vos biens vous vouliez m’accabler.
Qui m’a trahi ?
Laisse-moi donc mourir, si tu ne veux plus vivre.
Ah ! madame, vivez… répondez-moi de vous,
Et toute ma fureur expire à vos genoux.
Que je vive ? Est-ce à moi d’avoir plus de courage ?
Je conviens qu’on vous fait le plus sanglant outrage :
Mais, enfin, ce n’est pas un opprobre éternel.
Tombe-t-il sur vous seul ? M’est-il moins personnel ?
L’amour qui nous unit n’admet point de partage.
Je souffre autant que vous, si ce n’est davantage ;
Et cependant mon cœur n’en est point abattu.
La vérité fera triompher la vertu.
Jusqu’à ce que le tems la mette en évidence,
Ayons la fermeté qui sied à l’innocence :
Elle en est la ressource & le plus sûr garant.
Rétablit-on sa gloire en se désespérant ?
Le découragement autorise une injure.
Il faut vivre pour vaincre ; & la victoire est sûre ;
Et qui perd tout espoir, mérite son malheur.
Je vous parle, sans doute, avec trop de chaleur.
Excusez une amante, ou plutôt une amie.
Qui me condamne à vivre, accablé d’infamie.
Le sort qui me poursuit peut-il aller plus loin ?
Il ne me manque plus que d’être le témoin
Du bonheur d’un rival… Il en est un, Madame.
Ariste jusqu’ici vous a caché sa flamme ;
Jusques dans votre cœur il veut m’assassiner :
Pour être votre époux, il s’est fait destiner.
Ariste, dites-vous ? L’entreprise est hardie.
Il m’aime ? Il payera bien cher sa perfidie.
Scène VI.
Je viens d’être éclairci. Vous n’êtes arrêté,
Qu’en vertu d’un propos que l’on vous a prêté.
Dornane…
Eh bien ?
C’est un homme qui veut que les autres se battent.
Il dit que votre idée est de tirer raison
Du procédé d’Ariste & de sa trahison :
Et voilà ce qui fait que l’on vous garde à vûe.
Mais vous allez avoir une étrange entrevue.
Comment ?
Ariste… Il ose ici…
Quel embarras !
Vous l’allez voir paroître ; il marche sur vos pas.
Ah ! Ciel ! que n’ai-je autant de charmes que de haine !
Je le veux accabler sous le poids de sa chaîne.
Mais le voici qui vient ; contenons-nous un peu.
Scène VII.
Vous pouvez nous laisser ; votre ordre n’a plus lieu.
Je me charge de tout ; la Cour en est instruite.
Scène dernière.
Je viens rendre raison de toute ma conduite.
On n’en demande point à ceux qui sont heureux.
Il est vrai, je le suis ; tout succede à mes vœux.
Monsieur, vous voulez bien que je vous félicite :
Vous voyez quels transports votre bonheur excite.
Je n’en suis point surpris.
Ma foi, je le crois bien.
On m’a tout accordé.
Tenez, voilà leur reste : ils n’en sçavent que faire.
Ni moi non plus… Prenez toujours ; c’est votre affaire.
Madame…
Laissez-moi.
Je suis hors d’embarras.
Je ne sçais ce que c’est, mais je n’ignore pas
Qu’il vous a plû, Monsieur, d’empêcher ma retraite.
Je crois que vous pourrez en être satisfaite.
Quelle audace ! Est-ce à vous que je dois mon retour ?
Oui ; j’ai sollicité cet ordre de la Cour.
On ne vous perdra point. L’amour & l’hyménée
Y vont fixer vos jours & votre destinée.
On m’a favorisé…
C’est dans la trahison être bien affermi !
Vous voulez que ma main couronne votre ouvrage ;
Mais il faut repousser l’injure par l’outrage.
Notre état différent vous rend audacieux :
Vous croyez m’éblouir, & je lis dans vos yeux
Un espoir insultant fondé sur mes disgraces :
Mais je ne connois point de ressources si basses…
Non, Madame, l’hymen vous garde un sort plus doux !
D’ailleurs, vous êtes riche.
En quoi ?
Que dites-vous ?
Qu’il est faux que Madame ait été ruinée.
Quel conte !
Ce bruit injurieux s’est détruit aussi-tôt.
Chez un homme public ses biens sont en dépôt.
Qu’entends-je ?
Est-il possible ?
Ô Ciel ! quelle surprise !
C’est la précaution que votre oncle avoit prise.
Oui, Monsieur, ce n’est plus un secret aujourd’hui :
Il est justifié ; vous l’êtes comme lui.
Je suis justifié ?
C’est moi qui vous l’atteste.
Fortune, c’est assez ; je te quitte du reste.
Mes vœux sont épuisés. Mon honneur m’est rendu.
(à Hortence.)
Madame, pardonnez à mon cœur éperdu
Ce transport excessif…
Il est bien juste aussi que je me justifie.
J’ai dû jusqu’à la fin vous cacher des secrets,
Où vous auriez pû faire entrer des indiscrets.
Vos amis vous flattoient, contre toute apparence.
Lorsque je vous ai vû sans aucune espérance,
J’ai brigué pour moi-même, & j’ai tout obtenu.
C’est depuis quelques jours que j’y suis parvenu ;
Mais j’avois mes raisons pour en faire un mystere :
Je voulais obtenir une grace plus chere.
L’essentiel manquoit à ma félicité.
Après avoir long-tems pressé, sollicité,
Ce n’est que d’aujourd’hui qu’à force de priere,
Enfin la Cour m’a fait la faveur toute entiere.
Jouissez-en, Monsieur : ses bienfaits sont à vous.
Le Prince m’a permis de vous les céder tous,
Et je vous les remets avec toute la joye…
Souffrez qu’en m’acquittant tout mon cœur se déploye.
Monsieur, ce n’est pas là tout ce que je vous dois.
Mes créanciers…
Laissons cet incident.
Que c’est à vous, Monsieur, que j’en suis redevable.
J’ai pensé m’en douter.
Que je me sens coupable !
Madame, c’est pour lui que je viens d’obtenir
Le don de votre main : vous pourrez vous unir.
J’ai des torts avec vous.
Pour moi, je vous réponds que je n’en garde aucune.
Notre premier devoir nous appelle à la Cour.
Venez ; partons ; l’hymen vous attend au retour.
Ah ! permettez du moins que ma reconnoissance.
Se manifeste autant qu’il est en ma puissance.
En vous faisant jouir du destin le plus doux,
Croyez-vous que je suis moins fortuné que vous ?
Ah ! Madame, souffrez que mon cœur se partage.
(à Ariste.)
Monsieur, je ne puis rien vous offrir davantage.
Ô Fortune ! je sens, & j’éprouve à présent.
Qu’un ami véritable est ton plus grand présent.