L’École des amis
Œuvres de monsieur Nivelle de La ChausséePraultTome I (p. 314-336).
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ACTE IV



Scène I.

ARAMONT, CLORINE.
Aramont.

Puis-je obtenir d’Hortence un moment d’audience ?

Clorine, d’un air triste & brusque.

Madame va venir ; donnez-vous patience.

Aramont.

Clorine a le cœur triste, à ce qu’il me paroît ?

Clorine.

Vous êtes pénétrant.

Aramont.

Vous êtes pénétrant.Ah ! je vois ce que c’est.
Vous comptiez suivre Hortence au Couvent ; mais sa tante,
Avec impolitesse, a frustré votre attente
Par un sot compliment.

Clorine.

Par un sot compliment.Pareil à vos discours.

Aramont.

Où diable vouliez-vous achever vos beaux jours ?

Dans les ennuis forcés d’une triste clôture ?
Vous, dont l’esprit actif, toujours à la torture,
Pétille dans un corps de salpêtre & de feu !
D’ailleurs, si vous voulez, vous m’en ferez l’aveu :
Mais, à proportion, vous êtes mieux qu’Hortence.

Clorine, à part.

Vous y mettez bon ordre.

Aramont.

Vous y mettez bon ordre.Et dans sa décadence,
Elle ne peut vous faire aucun bien désormais.

Clorine.

Il me reste à gagner les biens qu’elle m’a faits.

Aramont.

Clorine est héroïque !

Clorine.

Clorine est héroïque !Et vous ne l’êtes guere.
Je voudrois me charger de toute sa misere.
Que ne puis-je ?… Du moins, je ne suis pas de ceux
Qui savent abuser d’un cœur trop généreux.

Aramont.

Écoute, mon enfant, je vois qu’auprès d’Hortence
Il faut que je te serve.

Clorine.

Il faut que je te serve.Ah ! je vous en dispense.

Aramont.

Tu n’as jamais voulu me croire propre à rien ;
Mais je veux t’en punir, en te faisant du bien.

Clorine.

Non, Monsieur, s’il vous plaît.

Aramont.

Non, Monsieur, s’il vous plaît.Parbleu, Mademoiselle,
Ce sera malgré vous… (Voyant Hortence.)
Ce sera malgré vous… Mais je la vois ; c’est elle.

Clorine, à part.

Moi, je vais vous servir de la bonne façon.

Aramont, à part.

Cette fille paroît avoir quelque soupçon.



Scène II.

HORTENCE, ARAMONT.
Hortence, avec empressement.

Vous m’apportiez, sans doute, une heureuse nouvelle ?
Mon cœur impatient voloit au devant d’elle.

Aramont.

Oui-dà !

Hortence.

Oui-dà !N’êtes-vous pas notre libérateur ?

Aramont.

Vous me donnez, Madame, un titre trop flatteur.

Hortence.

Ne vous est-il pas dû ?

Aramont.

Ne vous est-il pas dû ?Que le Ciel m’en préserve.

Hortence.

D’où vient cet embarras ? Quelle est cette réserve ?
Avez-vous fait usage ?…

Aramont.

Avez-vous fait usage ?…Ils sont toujours chez moi,
Et mon dessein n’est pas d’en faire aucun emploi.

Hortence.

Que dites-vous, Monsieur ? Ô Ciel ! est-il croyable ?
Est-ce donc-là cet homme utile & serviable ?
Je le trouve en défaut, quand j’ai besoin de lui !
Vous vous démentez donc pour moi seule aujourd’hui ?

Aramont.

Monrose m’est bien cher ; mais je suis incapable
De le servir ainsi. Je serois trop coupable.

Hortence.

Eh ! le serez-vous moins en le laissant périr ?

Aramont.

Je voudrois, autrement, le pouvoir secourir.

Hortence.

Vous prétendez l’aimer ?

Aramont.

Vous prétendez l’aimer ?Autant qu’il est possible.

Hortence.

Ne vous en vantez plus… Serez-vous inflexible ?

Aramont.

Ce n’est pas sans raison. Eh ! Madame, en effet,
Pouviez-vous recueillir le fruit de ce bienfait ?
La gloire que mérite une action si belle,
Devoit s’ensevelir & se perdre avec elle.
Vous ne pouviez passer pour en être l’auteur.

Hortence.

Toute ma récompense est au fond de mon cœur.

La générosité n’en veut pas davantage.

Aramont.

L’intention suffit.

Hortence.

L’intention suffit.Eh ! quel est ce langage ?
En périra-t-il moins ? Nous connoissons ses biens.
Que peut faire un Guerrier borné dans ses moyens ?
Il languit, s’il ne tient un état honorable ;
Sa valeur n’est jamais dans un jour favorable.
La gloire coûte cher à qui veut l’acquérir ;
Il la faut acheter ; il la faut conquérir.
Et malheureusement, (puisqu’il faut vous le dire)
Le courage tout seul n’a pas de quoi suffire.
Vous l’avez éprouvé.

Aramont.

Vous l’avez éprouvé.Pour le faire briller,
Du reste de vos biens faut-il vous dépouiller ?
Songez à vous, Madame. (à part.)
Songez à vous, Madame. Il faut que je m’en tire.
(à Hortence.)
Vous êtes ruinée. Il est bon de vous dire
Que vous n’avez plus rien que ces foibles débris.

Hortence.

S’il est vrai, mon désastre y met un nouveau prix.
L’usage que j’en fais me tient lieu de fortune.
Mais quelle prévoyance, un peu trop importune,
En cette occasion vous révolte si fort ?
Un peu plus, un peu moins, ne fait rien à mon sort.

Aramont.

Pour qui conservez-vous un intérêt si tendre ?
Savez-vous seulement si…

Hortence.

Savez-vous seulement si…C’est me faire entendre
Que Monrose peut-être adresse ailleurs ses vœux.

Aramont.

Jusqu’ici vous avez si peu flatté ses feux…

Hortence, vivement.

Eh ! ne vous chargez point d’excuser ce que j’aime ;
Je sçaurai, mieux que vous, m’en acquitter moi-même,
Je lui pardonne tout, pourvu qu’il soit heureux.
Son bonheur me suffit ; c’est tout ce que je veux :
Et j’y dois concourir autant qu’il m’est possible.
Pour trancher en un mot, je demeure inflexible.
Vous ne me ferez point reprendre ce dépôt :
Je désavouerai tout ; & je nierai plutôt…
Au surplus, vous avez le secret de ma vie ;
Disposez-en, Monsieur, au gré de votre envie :
Voyez, quand je descends jusqu’à vous implorer,
Si vous voulez me perdre, & vous deshonorer.



Scène III.

ARAMONT, seul.

Oh ! parbleu, serviteur. Pour moi, je m’en désiste.
Je remettrai le tout entre les mains d’Ariste.
Allons…



Scène IV.

MONROSE, ARAMONT.
Monrose, avec vivacité.

Allons…Arrête. Un mot. Daigne un peu m’éclaircir.
Tu me vois furieux. On vient de te noircir
D’une accusation que je crois téméraire.
Il me seroit cruel de trouver le contraire.
Clorine…

Aramont, à part.

Clorine…Ah ! c’en est fait.

Monrose.

Clorine…Ah ! c’en est fait.Vient de me confier
Un mystère affreux. Songe à te justifier.

Aramont.

Cette fille m’en veut.

Monrose.

Cette fille m’en veut.Ce n’est pas là répondre.
Ne récrimine point, si tu veux la confondre.
Cette fille fait plus que de te soupçonner.
Que dis-je ? Elle prétend que tu t’es fait donner,
Pour moi, les diamans d’Hortence. Est-ce une injure ?
Les aurois-tu reçus ? Parle, je t’en conjure.
Tu conviens de ta faute, en n’osant la nier.
Il ne s’agit donc plus que d’y remédier.



Scène V.

MONROSE, ARAMONT, UN VALET.
Le Valet, à Monrose.

Monsieur, un étranger m’a chargé de vous rendre
Ce paquet-là.

(Le Valet s’en va.)
Monrose, en ouvrant le paquet, y trouve plusieurs papiers.

Ce paquet-là.Sachons ce que l’on veut m’apprendre.
Que vois-je ? Mes billets qui me sont renvoyés !
Oui, vraiment, ce sont eux ; ils se trouvent payés !

Aramont.

Tant mieux.

Monrose, transporté de colère.

Tant mieux.Ah, malheureux, c’est donc là ton ouvrage ?
Quelle indigne ressource as-tu mise en usage ?

Aramont.

Aucune.

Monrose.

Aucune.À quel complot as-tu prêté la main ?
Il faut avoir un cœur bien dur, bien inhumain.
J’aurois donné mon sang pour cette infortunée,
Si j’avais pû lui faire une autre destinée.
Tu connois sa ruine, & tu vas l’achever !
Ah ! c’est m’assassiner, en voulant me sauver,
Impitoyable ami, barbare que vous êtes !

Aramont.

Est-ce ma faute, à moi, si l’on paye vos dettes ?
J’ignore à qui l’on doit imputer ce bienfait :
Mais je n’ai point de part au tour que l’on vous fait.
Il est bien vrai qu’Hortence a voulu me séduire.
Puisqu’enfin l’on m’y force, il faut vous en instruire.
Elle avoit fait porter chez moi ses diamans :
Ils y sont : venez-y ; vous verrez si je mens.

Monrose.

Ils y sont ? Et pourquoi ? Ne pouviez-vous les rendre ?

Aramont.

Eh que diable ! ai-je pû les lui faire reprendre ?
Ce que veut une femme est écrit dans le Ciel.
Enfin, j’ai tenu bon : voilà l’essentiel.
J’ai fait ce que j’ai pû contre cette obstinée,
Jusqu’à lui découvrir qu’elle étoit ruinée.

Monrose.

Nous étions convenus que tu n’en dirois rien,
Puisque j’ai résolu d’y suppléer du mien.

Aramont.

Elle a, sans sourciller, appris cette nouvelle.
Alors, pour votre honneur, & par pitié pour elle,
J’ai cru que je devois lui dire franchement
Qu’elle n’est plus l’objet de votre attachement.

Monrose.

Moi ! je ne l’aime plus ! Moi ! je suis infidele !

Aramont.

N’avez-vous pas rompu cette chaîne cruelle ?
Je l’ai cru.

Monrose.

Je l’ai cru.Non : jamais je n’en eus le dessein.
Hélas ! c’est lui porter un poignard dans le sein.

Aramont.

C’est pour son bien. Ma foi, j’ai cru faire merveilles.

Monrose.

Ne me propose point des excuses pareilles…
Mais à qui dois-je donc imputer ce bienfait ?



Scène VI.

MONROSE, ARAMONT, DORNANE.
Dornane, à Monrose.

Tu grondes le Baron ! C’est toujours fort bien fait.
(à Aramont.)
Pardonne, si je viens troubler la vespérie.
(à Monrose.)
Sçait-tu ce qui m’arrive ? Écoute, je te prie…
Je n’en puis revenir. C’est pour ton Régiment.
Je pouvois me flatter d’en avoir l’agrément.
Je vais, chez qui tu sçais, en faire la poursuite :
Je me nomme : on m’annonce, & j’entre tout de suite.
Il me voit ; il se leve ; & d’un air prévenant
Il m’embrasse, & me fait un accueil surprenant.
Je le tire à quartier ; je lui fais ma semonce.
Mon homme alors se trouble ; & voici sa réponse :

« Je suis au désespoir ; (je crois qu’il disoit vrai :)
» Vous êtes malheureux pour votre coup d’essai. »
Bref, avec des discours à peu près de la sorte,
Il s’est acheminé du côté de la porte.
Nous nous sommes quittés. Ariste a manœuvré :
Il venoit d’en sortir, lorsque je suis entré.
Nous aurions fait ensemble une assez bonne affaire ;
Car j’aurois rassemblé tout l’argent nécessaire :
Mais enfin je te rends ta parole.

Aramont.

Mais enfin, je te rends ta parole.Tant mieux.
Il s’agit d’un service un peu plus sérieux.

Monrose.

Il est vrai ; l’aventure est presque inconcevable.
Dis-moi si c’est à toi que je suis redevable
D’un service récent…

Dornane.

D’un service récent…Ma foi, peut-être bien ;
Car je sers tant de gens sans que j’en sçache rien…

Monrose.

Je viens de recevoir, sous une simple adresse,
Tous mes billets…

Dornane.

Tous mes billets…Que t’a renvoyés ta Maîtresse ?

Monrose.

Non : mes créanciers.

Dornane.

Non : mes créanciers.Bon !

Monrose.

Non : mes créanciers.Bon !Oui, te dis-je ; à l’instant.

Dornane.

Je voudrois que les miens en pussent faire autant.

Monrose.

Tu n’en devrois pas moins. Tout ce qui m’embarrasse,
C’est de sçavoir celui qui s’est mis à leur place.
Quelqu’un les a payés pour moi.

Aramont.

Quelqu’un les a payés pour moi.Sans contredit.

Monrose, à Dornane.

Marquis, n’est-ce pas toi ?

Dornane.

Marquis, n’est-ce pas toi ?Moi ! je te l’aurois dit.

Monrose.

Quoi ! véritablement ?

Dornane.

Quoi ! véritablement ?Non, parbleu, je te jure.

Aramont.

Tu le prends pour un autre ; & c’est lui faire injure.

Monrose, à Aramont.

Seroit-ce le Baron ?

Aramont.

Seroit-ce le Baron ?Si j’étois dans le cas,
Ce seroit un secret que je n’avouerois pas.

Monrose.

Seroit-ce Ariste ?

Dornane, en ricanant.

Seroit-ce Ariste ?Ariste !… Il mérite à merveille
Qu’on mette sur son compte une action pareille !

Monrose.

Tu l’en crois incapable ? Il n’est pas de ton goût.

Dornane, ironiquement.

Ma foi, je crois qu’Ariste est capable de tout.
Apprends où t’a conduit une erreur trop durable.
Cet homme vertueux, ce sage inaltérable,
Toujours pur au milieu d’un air empoisonné,
Qui paroissoit avoir acquis & moissonné
De nouvelles vertus, où l’on n’a que des vices ;
Ce rare Courtisan, fameux par ses services,
Dont tout autre que lui se seroit prévalu,
Qui pouvant être tout ce qu’il auroit voulu…

Monrose.

Tu parois ironique !

Dornane.

Tu parois ironique !Il faut cesser de l’être.
Ce grave personnage, Ariste n’est qu’un traître.
C’est lui qui te dépouille ; il a tout envahi.

Monrose.

Cela ne se peut pas.

Aramont.

Cela ne se peut pas.Ariste l’a trahi !

Dornane.

Lui-même ; il a commis une action si basse.
Va le féliciter, te dis-je, il est en place.
Au moment que je parle, entouré de flatteurs.
Le coupable & son crime ont des adulateurs
Eh ! bien, que penses-tu d’un tour de cette espece ?

Monrose.

Ah ! daignez vous prêter à ma délicatesse :

Je l’ai trop estimé, pour ne pas l’excuser.
Que savons-nous ? Sans doute il n’a pû refuser.
D’ailleurs j’étois exclus ; je n’y pouvois prétendre.
C’étoit des biens vacans, des graces à répandre :
Ariste en était digne ; il en est revêtu ;
Et la Cour a du moins décoré la vertu.

Dornane.

La vertu !… C’est un fourbe, & je ne puis m’en taire.
Mais s’il t’avoit servi, comme il auroit dû faire,
Et comme j’eusse fait, en parlerois-tu mieux ?
Rends-lui justice : va, c’est un monstre odieux.
Voilà mon dernier mot. Je le lui dirois en face ;
Et je l’afficherois… Si j’étois à ta place,
Nous nous verrions de près.

Aramont.

Nous nous verrions de près.L’avis est assez doux.

Dornane.

Je n’écouterois plus qu’un trop juste courroux ;
Du haut de sa grandeur je le ferois descendre,
Ou je le forcerois du moins à la défendre.

Aramont.

Par ma foi, ce seroit des exploits mal placés.
Son deshonneur nous verge, & le punit assez.

Dornane.

Et sur ce foible espoir sa vengeance se fonde ?
Se deshonore-t-on maintenant dans le monde ?
Voit on que cette crainte alarme bien des gens ?
N’en soyons point surpris. Nous sommes indulgens :

Grâce à cette ressource, un peu trop éprouvée,
Le plus vil des mortels va la tête levée.
Nous laissons parmi nous, habiter des proscrits :
Bientôt leur impudence épuise nos mépris ;
Et nous avons enfin la basse politesse
De jouir avec eux de leur scélératesse.
Ariste y peut compter : & peut-être, à mon tour,
Serai-je un jour forcé de lui faire ma cour.

Aramont.

Non pas moi, sûrement.

Monrose.

Non pas moi, sûrement.Ce dénouement m’étonne ?
Ariste ! Ah ! c’en est fait… Puisque tout m’abandonne,
Va, j’ai pris mon parti.

Dornane.

Va, j’ai pris mon parti.C’est assez… je t’entends ;
Et j’ose me flatter que nous serons contens.
Je m’en vais à la Cour savoir ce qui s’y passe ;
Et je te l’écrirai. Serviteur ; je t’embrasse.



Scène VII.

MONROSE, ARAMONT.
Monrose.

Voilà donc mon arrêt ! Espoir, fortune, amour,
Vous ne m’êtes plus rien : je perds tout en un jour.

Aramont.

Le coup dont tu gémis est celui qui m’accable.
Viens, cher ami, fuyons un siécle trop coupable ;
Sous un Ciel étranger, allons vivre pour nous ;
Pourvû que je te suive, il me sera trop doux.
De ma foible fortune accepte le partage.
Que ne m’est-il permis de t’offrir davantage !

Monrose.

Hélas ! je puis devoir beaucoup plus à tes soins.
Écoute : je suis quitte ; & je n’en dois pas moins
À l’auteur inconnu d’un aussi grand service.
Cherche à le découvrir ; rends-moi ce bon office.
Le soin de m’acquitter est mon premier devoir.
Mais au destin d’Hortence il faut aussi pourvoir.
À ce nom, cher ami, tu vois couler mes larmes.
Ah ! quand mon cœur seroit insensible à ses charmes,
Pourroit-il n’être pas sensible à la pitié ?
Par tout ce que t’inspire une vive amitié,
Ôte-moi de l’horreur où son état me plonge.
C’est-là mon plus grand mal. Le reste n’est qu’un songe.
Je mourrois mille fois ; & je n’ai plus que toi
Qui puisse dissiper un aussi juste effroi.
Cher ami, sauve-moi dans un autre moi-même :
D’une indigne détresse affranchi ce que j’aime ;
Répare sa ruine autant qu’il m’est permis ;
Emploie en sa faveur ce que je t’ai remis :
Et sur-tout si tu crains, comme je dois le croire,
Si tu crains de souiller ton honneur & ma gloire,
À tel prix que ce soit, remets-lui ses bienfaits ;
Alors j’accepterai l’offre que tu me fais.



Scène VIII.

MONROSE, ARAMONT, CLORINE.
Clorine, à Monrose.

Si vous avez un mot à dire à ma Maîtresse,
Je viens vous avertir, Monsieur, que le tems presse.
Elle part à l’instant.

Monrose.

Elle part à l’instant.Ô Ciel ! il faut… j’y cours.



Scène IX.

ARAMONT, CLORINE.
Aramont.

En vous remerciant de tous vos beaux discours.

Clorine.

En êtes vous content ? Pour moi, j’en suis ravie.
Je vous devois cela, pour m’avoir bien servie.
Vous êtes bon ami.

Aramont.

Vous êtes bon ami.Vous vouliez me brouiller
Avec Monrose ; mais…

Clorine.

Avec Monrose ; mais…Vous vouliez dépouiller
Ma Maîtresse ; mais…

Aramont.

Ma Maîtresse ; mais…Moi !

Clorine.

Ma Maîtresse ; mais…Moi !La ressource est commode.
Ruiner une femme est si fort à la mode,
Que ce n’est presque plus la peine d’en parler.
On ne voit autre chose ; & c’est un pis-aller
Permis, & toujours sûr. On ne s’en fait pas faute.

Aramont.

Vous vous formez de nous une idée assez haute.

Clorine.

Vous n’aviez pas dessein de m’en faire changer.
Notre sexe, vous dis-je, est un peuple étranger,
Un ennemi, sur qui tout est de bonne prise :
Ce sont-là des exploits que l’Amour autorise.

Aramont.

Mais sachez donc…

Clorine.

Mais sachez donc…Je sçais que, pour notre malheur
Vous ne traitez pas mieux nos biens que notre honneur.

Aramont.

Quand vous aurez lassé votre langue maudite,
J’espere…

Clorine.

J’espere…On vient. J’ai fait, j’ai dit, & je vous quitte.



Scène X.

ARAMONT, MONROSE, HORTENCE.
Hortence, en voyant Aramont.

Ah ! ne m’exposez point devant un indiscret,
Qui ne devoit jamais avouer mon secret.

Monrose, à Aramont.

Laisse-nous, cher ami, ta présence la blesse.



Scène XI.

MONROSE, HORTENCE.
Hortence.

Ainsi, grace à leurs soins, vous sçavez ma foiblesse !
N’êtes vous pas cruel de paroître à mes yeux ?
À quoi nous serviront les plus tendres adieux ?
Je partois sans vous voir ; j’aurois fait l’impossible.
Le sort qui me poursuit est toujours invincible.

Monrose.

En suis-je mieux traité ? Pour comble de malheurs,
Je dois le détester jusques dans ses faveurs.
Il n’en est point pour moi qu’il n’ait empoisonnées.
L’amertume & le fiel les ont assaisonnées.

Tout, jusqu’à votre amour… Quand m’est-il annoncé ?
Ah ! que pour mon malheur tout est bien compensé !

Hortence.

Eh ! n’examinons point quel est le plus à plaindre.

Monrose.

Il n’importe ; achevez. Je ne sçaurois plus craindre
Tout ce qui peut servir à me désespérer.
Hortence, il est donc vrai, j’ai pû vous inspirer ?…
Est-ce pour insulter davantage à vos larmes,
Que j’ose demander un aveu plein de charmes,
À qui doit me haïr autant que je me hais !

Hortence.

Pourquoi se reprocher des maux qu’on n’a point faits ?
Voulez-vous que je sois injuste & malheureuse ?
Ah ! c’est trop exiger…

Monrose.

Ah ! c’est trop exiger…Quoi ! toujours généreuse ?
Hortence, hélas ! pourquoi nous avez-vous connus ?
Un bonheur assuré, des plaisirs continus,
La plus haute fortune, un brillant hyménée,
Auroient rempli le cours de votre destinée.
Quel contraste inouï ! Funestes liaisons,
Que le Ciel en courroux mit entre nos maisons !
Vous partez ; vous allez ensevelir vos charmes !
L’exil, l’abaissement, l’infortune, les larmes,
Voilà ce qui vous reste ; & je dois m’imputer
D’avoir aidé le sort à vous persécuter.
J’ai le remords affreux d’en être le complice,
D’être un de vos bourreaux ; jugez de mon supplice.

Hortence.

Me consolerez-vous en vous désespérant ?
Des coups de la fortune êtes-vous le garant ?
Vous me plaignez ! Eh ! quoi ! ne peut-on vivre heureuse,
Si ce n’est au milieu d’une Cour orageuse ?
À l’égard de ce bien qui s’est évanoui,
Ne pouvant être à vous, en aurois-je joui ?
En effet, à quoi sert une opulence extrême,
Si l’on ne la partage avec ce que l’on aime ?
Je ne sens pas qu’on puisse en jouir autrement.

Monrose.

Vous l’avez bien fait voir.

Hortence.

Vous l’avez bien fait voir.Et véritablement
Ma ruine fera le repos de ma vie.
Ma liberté me reste ; on l’auroit poursuivie.
L’autorité, contraire à nos vœux les plus doux,
M’auroit voulu forcer à prendre un autre époux.

Monrose.

Peut-être auriez-vous fait son bonheur & le vôtre.

Hortence.

Il dépendoit de vous ; je n’en connois point d’autre.
J’ignore si l’on peut aimer plus d’une fois :
Mais quand on s’est livrée sans réserve à son choix,
Il est bien dangereux de prendre d’autres chaînes.
Que l’on s’apprête un jour de tourmens & de peines !
Sait-on ce que l’on donne ? Est-on bien sûr d’un cœur,
Qu’on arrache de force à son premier vainqueur ?

Eh ! puisque mon amour s’irritoit, à mesure
Que je pouvais vous croire infidele ou parjure…

Monrose.

Non, vous n’avez jamais cessé de m’enflammer.
Hélas ! vous ignorez comme on peut vous aimer !
Depuis que ma fortune, incertaine & flottante,
Me tient dans une triste & douloureuse attente,
Il est vrai, mon amour craignoit de se montrer :
J’ai prévu le néant où je viens de rentrer,
Et je ne suis pas fait pour être téméraire.
Pouvois-je imaginer que j’avois pû vous plaire ?
Et quand je l’aurois sçu, qu’avois-je à vous offrir ?
Je devois vous tromper, afin de vous guérir.
Mais vous l’avez dû voir, même avant mon naufrage,
Je n’osois qu’en tremblant vous offrir mon hommage :
Je ne l’ai jamais cru digne de vos appas.
Si vous n’y suppléez, si vous n’en jugez pas
Par ma discrétion & par ma retenue,
La moitié de mes feux ne vous est pas connue.

Hortence.

Hélas ! que dites-vous ? Croyez que mon devoir
M’empêchoit d’y répondre, & non pas de les voir.

Monrose, en se jetant à ses genoux.

Quel aveu ! Permettez à mon ame ravie
Un transport qui sera le dernier de ma vie.
Je puis donc une fois tomber à vos genoux !
Ah ! devroit-on survivre à des momens si doux ?

Hortence, en le relevant.

Il le faut cependant. Si je vous intéresse,

Vivez pour illustrer l’objet de ma tendresse.
Remplissez mon idée, elle est digne de vous ;
Soyez tel qu’il falloit pour être mon époux ;
Devenez l’Artisan de votre destinée.
Il est beau de dompter la fortune obstinée,
D’arracher ses bienfaits, au lieu d’en hériter,
Et de n’avoir que ceux qu’on a sçu mériter.
Ce sont-là mes adieux, mes vœux, & mon présage…
Va, l’on ne peut manquer quand on a du courage…
Imitez mon exemple ; & sçachez…

Monrose.

Imitez mon exemple ; & sachez…Vous pleurez !…

Hortence.

Séparons-nous ; adieu.

Monrose.

Séparons-nous ; adieu.Pour jamais !…

Hortence.

Séparons-nous ; adieu.Pour jamais !…Demeurez…

Monrose.

Je ne puis.

Hortence.

Je ne puis.Je le veux.

(Elle fuit.)
Monrose, en la suivant.

Je ne puis.Je le veux.L’instance est superflue.
Non ; dussé-je expirer en vous perdant de vûe…