Amyot (p. 307-319).
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XXIX.

Le Conseil.

L’Aigle-Volant, depuis le commencement de l’expédition à laquelle il avait consenti à prendre part, avait constamment joué un rôle passif, acceptant sans les discuter les combinaisons proposées par Bon-Affût, exécutant avec franchise et fidélité les ordres qu’il recevait du chasseur, en un mot, remplissant entièrement le rôle d’un guerrier subordonné à un chef dont le devoir est de penser pour lui ; aussi la nouvelle attitude prise subitement par le sachem remplit-elle d’étonnement le Canadien, qui ne prévoyait nullement sur quel sujet allait s’établir le débat, et qui craignait intérieurement que, dans la situation critique où il se trouvait en ce moment, le Comanche n’eût l’intention de l’abandonner à ses propres ressources, de se retirer, et peut-être de créer des obstacles à l’exécution de ses projets. Aussi attendit-il impatiemment l’explication de la conduite étrange de son allié.

Le chef, toujours impassible, s’était levé ; après avoir salué a la ronde, il se décida enfin à prendre la parole :

— Visages pâles, mes frères, dit-il de sa voix gutturale et sympathique, depuis plus d’une lune que nous sommes ensemble sur le même sentier, partageant les mêmes fatigues, dormant côte à côte, mangeant du produit de la même chasse, sans que le chef que vous avez admis à partager vos travaux et vos périls ait été jusqu’à ce jour admis à entrer aussi avant dans votre confiance qu’un ami doit y être ; votre cœur est toujours pour lui resté fermé et entouré d’un nuage épais, vos projets lui sont aussi inconnus que le premier jour, les paroles que souffle votre poitrine sont et demeurent pour lui des énigmes indéchiffrables ; cela est-il bien ? cela est-il juste ? Non. Pourquoi m’avez-vous appelé, pourquoi m’avez-vous prié de vous accompagner, si je dois demeurer toujours pour vous un étranger ? Jusqu’à présent j’ai renfermé dans mon cœur l’amertume que me causait votre conduite soupçonneuse ; pas une plainte n’est montée de mon cœur à mes lèvres, en me voyant traité d’une manière si peu conforme à mon rang et aux relations que j’ai toujours entretenues avec vous ; en ce moment même je continuerais à garder le silence, si mon amitié pour vous n’était pas plus forte que le ressentiment que me cause votre conduite peu généreuse à mon égard. Nous sommes sur la terre sainte des Indiens, le sol que nous foulons est sacré ; des périls nous entourent, des embûches sans nombre sont tendues de toutes parts sous nos pas ; comment vous aiderai-je à les conjurer si vos projets ne me sont enfin révélés, si je ne sais, en un mot, si le sentier que nous suivons est celui de la guerre ou celui de la chasse ? Parlez avec franchise, ôtez la peau de votre cœur, de même que j’ai ôté celle du mien, éclairez-moi sur la conduite que vous avez l’intention de tenir et le but que vous vous proposez, afin que je vous aide de mes conseils si cela est nécessaire, et que, étant votre allié, je ne reste pas plus longtemps en dehors de vos délibérations, ce qui est honteux pour la nation à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, et indigne d’un guerrier tel que moi. J’ai dit, mes frères ; j’attends votre réponse, qui, j’en suis convaincu, sera telle que doivent la faire des guerriers aussi sages et aussi expérimentés que vous l’êtes.

Pendant le long discours du chef comanche, Bon-Affût avait à plusieurs reprises donné des marques d’impatience, s’il n’avait craint de manquer aux règles de l’étiquette indienne en l’interrompant, certes il l’aurait fait ; ce n’avait été qu’à grand’peine qu’il était parvenu à se contraindre et à conserver l’apparence impassible qui est de rigueur en semblable circonstance. Aussitôt que le chef eut repris sa place, le chasseur se leva, et après avoir salué d’un signe de tête les assistants, il prit la parole d’une voix ferme, et répondit en ces termes :

— Le Wacondah est grand, il tient dans sa main droite le cœur de tous les hommes, quelle que soit leur couleur : seul il peut connaître les intentions et lire dans leur âme. Les reproches que vous m’adressez, chef, ont une apparence de justice que je ne veux pas discuter avec vous ; vous avez pu supposer, d’après la conduite que les circonstances m’ont jusqu’à présent contraint à tenir vis-à-vis de vous, que je ne vous accordais pas la confiance que vous méritez à si juste titre ; il n’en est rien, j’attendais que l’heure de parler fût venue, non-seulement pour vous expliquer mes intentions, mais encore pour réclamer votre aide et votre intervention. Vous désirez que je m’explique immédiatement, je vais le faire ; mais peut-être eût-il mieux valu que vous attendissiez que cette forêt dans laquelle nous nous trouvons fut traversée.

— Je ferai observer à mon frère que je n’exige rien de lui ; j’ai cru devoir lui faire certaines observations ; s’il ne les trouve pas justes, son cœur est bon, il me pardonnera en songeant que je ne suis qu’un pauvre Indien dont l’intelligence est obscurcie par un nuage, et que je n’ai pas eu l’intention de le blesser.

— Non, non, chef, reprit vivement le chasseur ; puisque nous sommes sur cette question, mieux vaut l’éclaircir tout de suite, afin de ne plus avoir à y revenir et que rien dorénavant ne s’élève entre nous

— Je suis à la disposition de mon frère, prêt à l’entendre si cela lui plaît, et content d’attendre encore s’il le juge nécessaire.

— Je vous remercie, chef ; mais je m’en tiens à ma résolution première, je préfère tout vous dire.

Le Comanche sourit avec finesse.

— Mon frère est bien résolu à parler ? lui demanda-t-il.

— Oui.

— Bon ; alors mon frère n’a rien à ajouter, tout ce qu’il a à me dire, je le sais, il ne m’apprendrait rien de plus que ce que j’ai deviné moi-même.

Le chasseur ne put retenir un geste d’étonnement.

— Oh ! oh ! murmura-t-il, que signifie cela, chef ? Pourquoi alors les reproches que vous m’avez adressés ?

— Parce que j’ai voulu faire comprendre à mon frère qu’un ami ne doit rien avoir de caché pour un autre, surtout lorsque cet ami est éprouvé depuis longues années, que sa fidélité est à l’épreuve, et qu’on sait que l’on peut compter sur lui comme sur soi-même.

Le chasseur sourit légèrement, mais se remettant aussitôt :

— Merci de la leçon que vous me donnez, chef, dit-il en lui tendant cordialement la main, je la mérite, car j’ai en effet manqué de confiance en vous ; le service que j’attends de vous est si important pour moi que je reculais tous les jours à vous le demander et que, malgré moi, je vous l’avoue, je ne m’y serais probablement décidé qu’au dernier moment.

— Je le sais, répondit le Comanche avec un ton de bonne humeur tout à fait rassurant.

— Cependant, reprit le chasseur, malgré l’assurance que vous avez de connaître mes projets, peut-être serait-il bon que j’entrasse vis-à-vis de vous dans certains détails que vous ignorez.

— Je répète à mon frère pâle que je sais tout ; l’Aigle-Volant est un des premiers sachems de sa nation, il a l’ouïe fine et la vue perçante : depuis près de deux lunes il n’a pas quitté le grand chasseur pâle ; pendant ce laps dé temps, bien des événements se sont passés, bien des paroles ont été prononcées devant lui ; le chef a vu, il a entendu, et tout est aussi clair dans son esprit que si toutes ces choses avaient été dessinées pour lui dans un de ces colliers — livres — que savent si bien faire les blancs et dont j’ai vu quelques-uns entre les mains des chefs de la prière.

— Quelle que soit votre pénétration, chef, reprit le chasseur avec insistance, j’ai peine à me figurer que vous soyez aussi bien au courant de mes intentions que vous le supposez.

— Non-seulement je connais les intentions de mon frère, mais encore je sais quel est le service qu’il attend de moi.

— Pardieu, chef, vous me ferez un énorme plaisir en me le disant, non pas que je doute de votre pénétration, les hommes rouges sont renommés pour leur finesse ; cependant cela me semble si extraordinaire, que je vous avoue que je serais charmé d’en avoir le cœur net, ne serait-ce que pour ma satisfaction personnelle et pour prouver aux personnes qui nous écoutent combien nous avons tort, nous autres blancs, de nous imaginer que nous vous sommes si supérieurs en intelligence, lorsque vous nous laissez au contraire si loin derrière vous.

— Hum ! murmura Domingo, ce que vous dites là est un peu fort, vieux chasseur ; il est connu que les Indiens sont des bêtes brutes.

— Ce n’est pas mon avis, observa don Mariano ; bien que je connaisse fort peu les Peaux-Rouges, avec lesquels jusqu’à présent je ne m’étais jamais trouvé en rapport, cependant, depuis mon arrivée dans ces régions, je leur ai vu accomplir des actions si étonnantes que je ne serais nullement surpris que ce chef eût, ainsi qu’il l’assure, pénétré complètement vos projets.

— Je le crois aussi, reprit le chasseur. Du reste, nous allons en juger. Parlez, chef, afin que nous sachions le plus tôt possible à quoi nous en tenir sur cette pénétration dont vous vous flattez.

— L’Aigle-Volant n’est pas une vieille femme bavarde, qui se vante à tort et à raison ; c’est un sachem dont les actions et les paroles sont mûrement pesées ; il n’a pas la prétention d’en savoir plus que ses frères les visages pâles ; seulement l’expérience qu’il a acquise lui tient lieu de sagesse, elle l’aide à expliquer ce qu’il voit et ce qu’il entend.

— C’est bien chef, je sais que vous êtes un guerrier vaillant et renommé : nos oreilles sont ouvertes, nous vous écoutons avec toute l’attention que vous méritez.

— Mon frère le grand chasseur pâle veut entrer dans Quiepaa-Tani, où se sont réfugiées deux jeunes femmes blanches, dont l’une est la fille du chef à la barbe grise ; ces deux femmes ont été confiées à un sachem apache nommé Addick ; mon frère le chasseur a hâte d’arriver à Quiepaa-Tani, parce qu’il redoute une trahison du chef apache, qu’il soupçonne de s’être allié avec l’homme qui a été jugé par les visages pâles pour enlever les deux femmes et les faire disparaître. J’ai dit : ai-je bien compris les intentions de mon frère, ou bien me suis-je trompé ?

Les assistants se regardèrent avec étonnement ; le chef jouit un instant de son triomphe, puis il reprit :

— Maintenant, voici le service que le chasseur veut demander à son frère le sachem comanche :

— Vrai Dieu ! chef, s’écria Bon-Affût, je dois avouer que tout ce que vous avez dit est vrai ! Comment l’avez-vous appris ? je ne sais de quelle façon l’expliquer, bien qu’à la rigueur on en a assez parlé devant vous pour que vous ayez fini par le deviner ; mais quant au service que j’attends de vous, si vous pouvez me le dire, vive Dieu ! je vous reconnaîtrai pour le plus…

— Que mon frère ne s’avance pas trop, interrompit en souriant le chef, de peur qu’il ne me prenne bientôt pour un adepte de la grande médecine — sorcier —.

— Hum ! fit gravement le chasseur, je ne jurerais pas que ce n’est point.

— Och ! mon frère jugera. Aucun visage pâle n’est parvenu jusqu’à ce jour à entrer dans Quiepaa-Tani ; cependant mon frère veut, coûte que coûte, y pénétrer, afin d’obtenir des renseignements certains sur les deux jeunes vierges pâles ; malheureusement mon frère ne sait comment mettre à exécution le projet ni comment il parviendrait à sauver les jeunes filles s’il les voyait en danger. Voilà pourquoi il a pensé à l’Aigle-Volant ; il s’est dit que son frère rouge était un chef, qu’il devait avoir à Quiepaa-Tani des amis ou des parents, que l’entrée du Tzinco — ville, — interdite pour lui à cause de sa couleur, ne l’était pas pour le chef, et que les renseignements qu’il ne pouvait pas prendre, l’Aigle-Volant les prendrait pour lui.

— Oui, voilà ce que j’ai pensé, chef. À quoi bon le cacherai-je ? Me suis-je trompé ? ne ferez-vous pas cela pour moi ?

— Je ferai mieux, répondit l’Indien ; que mon frère écoute. L’Églantine est une femme ; nul ne s’occupera d’elle, elle entrera inaperçue dans le Tzinco, et, mieux que le chef, obtiendra tous les renseignements dont mon frère a besoin ; lorsque le moment d’agir sera venu, l’Aigle-Volant aidera le chasseur.

— Pardieu ! vous avez raison, sachem, votre idée est meilleure que la mienne ; il est préférable sous tous les rapports que ce soit l’Églantine qui aille à la découverte ; une femme ne peut inspirer de soupçons, mieux que qui que ce soit elle apprendra des nouvelles. En route donc sans plus tarder ; aussitôt que nous aurons traversé la forêt, nous l’enverrons au Tzinco.

L’Aigle-Volant secoua la tête et retint par le bras le chasseur, qui déjà s’était levé pour se mettre en route.

— Mon frère est vif, fit-il ; qu’il me laisse lui dire encore un mot.

— Voyons !

— L’Églantine partira en avant, mon frère aura plutôt des nouvelles.

Don Mariano se leva, et serrant avec émotion la main du Comanche :

— Merci pour cette bonne pensée qui vous est venue, chef, lui dit-il ; vous avez toutes les délicatesses, votre cœur est noble, il sait compatir aux douleurs d’un père ; merci, encore une fois.

L’Indien se détourna pour ne pas laisser voir sur son visage les traces du sentiment qui l’agitait malgré lui, ce qui, dans sa pensée, était indigne d’un chef, qui doit en toute circonstance demeurer impassible.

— En effet, reprit Bon-Affût, ce que propose le chef nous fera gagner un temps précieux ; son idée est excellente.

L’Aigle-Volant ordonna d’un geste à l’Églantine de s’approcher.

La jeune femme obéit.

Alors le chef lui expliqua dans sa langue ce qu’elle devait faire, pendant que, timidement posée devant lui, elle l’écoutait avec une grâce charmante.

Lorsque le chef lui eut donné ses instructions dans les plus grands détails, et qu’elle se fut bien pénétrée de ce qu’on attendait d’elle, elle se tourna gracieusement vers don Mariano et Bon-Affût, et, avec un doux sourire, elle leur dit d’une voix harmonieuse :

— L’Églantine saura.

Ces deux mots remplirent le cœur du pauvre père de joie et d’espérance.

— Soyez bénie, jeune femme, lui dit-il, soyez bénie pour le bien que vous me faites en ce moment et pour celui que vous avez l’intention de me faire.

La séparation du mari et de la femme fut ce qu’elle devait être entre Indiens, c’est-à-dire grave et froide ; quelque amour qu’éprouvât l’Aigle-Volant pour sa compagne il aurait eu honte devant des étrangers, et surtout devant des blancs, de montrer la moindre émotion et de laisser deviner ses sentiments pour elle.

Après s’être une dernière fois inclinée devant don Mariano et Bon-Affût en signe d’adieu, L’Églantine s’éloigna rapidement, de ce pas gymnastique et relevée qui fait des Indiens les premiers et les meilleurs marcheurs du monde. Si grand que fut le stoïcisme du chef, cependant il suivit la jeune femme du regard, jusqu’à ce qu’enfin elle eut disparu au milieu des arbres.

Comme rien ne les pressait en ce moment, les aventuriers laissèrent passer la grande chaleur du jour, et ils ne se remirent en route que lorsque le soleil à son déclin n’apparut plus que comme un globe de feu presque au niveau du sol. Leur marche fut lente à cause des difficultés sans nombre qu’ils avaient à surmonter pour se frayer une route à travers le fouillis de lianes et de plantes de toutes sortes enchevêtrées les unes dans les autres en réseaux inextricables qu’il leur fallait couper à coups de hache à chaque pas.

Enfin, après quatre jours d’une course pendant laquelle ils avaient eu à supporter des fatigues inouïes, ils virent enfin devant eux les arbres devenir plus clairsemés, le couvert se fit moins épais, et entre les arbres ils aperçurent au loin un horizon profond et découvert.

Bien que les aventuriers se trouvassent au sein d’une forêt vierge où, selon toutes probabilités, ils ne devaient s’attendre à rencontrer aucun individu de leur espèce, cependant ils ne négligeaient aucune précaution et n’avançaient qu’avec prudence, marchant en file indienne, le doigt sur la détente du rifle, l’œil et l’oreille au guet ; car aussi près d’une des villes sacrées des Indiens, ils pouvaient s’attendre, surtout après la chaude escarmouche qu’ils avaient eue à soutenir quelques jours auparavant, à être espionnés par des éclaireurs envoyés à leur recherche.

Vers le soir du quatrième jour, au moment où ils se préparaient à camper pour la nuit dans une clairière assez vaste sur les bords d’un ruisseau sans nom, comme on en rencontre tant dans les forêts vierges, Bon-Affût, qui marchait en tête de la petite troupe, s’arrêta tout à coup et se baissa vivement sur le sol en donnant les marques du plus grand étonnement.

— Qu’y a-t-il ? lui demanda don Mariano au bout d’un instant.

Bon-Affût ne lui répondit pas ; mais il se tourna vers le chef Indien en lui disant avec une certaine inquiétude :

— Voyez vous-même, chef, ceci me semble inconcevable.

L’Aigle-Volant se baissa à son tour vers le sol, et demeura assez longtemps à considérer les empreintes qui semblaient intriguer si vivement le chasseur.

Enfin il se releva.

— Eh bien ? lui demanda Bon-Affût.

— Une troupe de cavaliers a passé par ici aujourd’hui même ; répondit-il.

— Oui, fit le chasseur ; mais qui sont ces cavaliers ? d’où viennent-ils ? Voilà ce que je voudrais savoir.

L’Indien reprit son inspection avec une attention plus minutieuse que précédemment.

— Ce sont des visages pâles, dit-il.

— Comment ! des visages pâles ! s’écria Bon-Affût d’une voix étouffée par la prudence, c’est impossible ; songez donc où nous sommes ; jamais blanc, excepté moi, n’a jusqu’à ce jour pénétré dans ces régions.

— Ce sont des visages pâles, reprit le chef. Voyez, il y en a un qui s’est arrêté ici, il est descendu de cheval ; tenez, voici la trace de ses pas, son pied a écrasé cette touffe d’herbe, un des clous de sa chaussure a laissé une ligne noire sur cette pierre.

— C’est vrai, murmura Bon-Affût, les moksens des Indiens ne laissent pas de telles empreintes ; mais qui peuvent être ces hommes ? comment ont-ils pénétré ici ? quelle direction ont-ils suivie pour venir ?

Pendant que Bon-Affût s’adressait in petto ces questions et cherchait vainement la solution de ce problème qui lui semblait insoluble, l’Aigle-Volant avait fait quelques pas en suivant attentivement les empreintes parfaitement visibles sur le sol.

— Et bien, chef, lui demanda le chasseur en le voyant revenir vers lui, avez-vous trouvé quelque chose qui puisse nous renseigner ?

— Ooah ! fit l’Indien en hochant la tête, la piste est fraîche, les cavaliers ne sont pas loin.

— En êtes-vous sûr, chef ? Songez combien il est important pour nous de savoir qui sont les gens que nous avons pour voisins.

Le Comanche demeura un instant silencieux, plongé sans doute dans de sérieuses réflexions ; puis, relevant la tête :

— L’Aigle-Volant, dit-il, essaiera de satisfaire son frère. Que les visages pâles demeurent ici jusqu’à son retour ; le chef va prendre la piste, bientôt il dira au chasseur si ces hommes sont des amis ou des ennemis.

— Pardieu ! j’irai avec vous, chef, répondit vivement Bon-Affût ; il ne sera pas dit que, pour nous être utile, vous vous soyez exposé à un danger sérieux, sans avoir auprès de vous un ami pour vous soutenir.

— Non, reprit l’Indien, mon frère doit rester ici, un guerrier seul est suffisant.

Le chasseur savait que, lorsque le chef avait pris une résolution, rien ne pouvait lui en faire changer ; il n’insista pas.

— Partez donc, dit-il, et agissez à votre guise ; je sais que ce que vous ferez sera bien.

Le Comanche rejeta son rifle sur l’épaule, s’étendit sur le sol, et disparut dans les buissons en rampant comme un serpent.

— Et nous, demanda don Mariano, qu’allons nous faire ?

— Attendre le retour du chef, répondit Bon-Affût, et en l’attendant, préparer le repas du soir dont, ainsi que moi, je n’en doute pas, vous commencez à reconnaître l’urgence.

Les aventuriers s’installèrent tant bien que mal dans la clairière où ils se trouvaient, et, ainsi que l’avait dit Bon-Affût, ils préparèrent le souper en attendant le retour de leur batteur d’estrade, dont cependant l’absence fut beaucoup plus longue qu’ils ne l’avaient supposé, car la nuit était tombée déjà depuis longtemps sans qu’il eût reparu.