L’Écho foutromane/Texte entier

Aux dépens des fouteurs démagogues (Gay et Doucé) (p. 5-81).

L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

INTRODUCTION


Il existe deux sortes de Vénus, dont le culte mène également au plaisir et à la volupté, qui en est, pour ainsi dire, l’essence. L’une est cette divinité idéale qui, sous diverses formes humaines, se reproduit sans cesse aux yeux des mortels, dans les promenades, sur les places, aux spectacles, à l’issue des carrefours les plus fréquentés où elle, est stationnaire, et surtout au petit clair de lune.

On la reconnoît extérieurement à une mine effrontée, à des gestes lascifs qui s’étendent jusqu’au bouton de la culotte, lorsqu’on paroît condescendre à sa lubricité, en l’approchant ou en s’arrêtant devant elle. Alors vous prenant le vit, le mot de : « Bandes-tu ? » est le premier accent qui sort de sa bouche ; une grosse paire de tétons bien blancs, bien à découvert, et, ce qu’on n’aura pas de peine à croire, le plus souvent moins fermes qu’ils ne paroissent au coup d’œil, la désigne encore.

Si vous arrivez jusqu’à sa cellule, votre dévotion se portera tout de suite sur un con propre en apparence, et peut-être en réalité : vos mains patineront un énorme extérieur qui vous agacera, en dépit de votre circonspection. Deux fesses dodues vous donneront envie d’enfiler un con surmonté d’une motte artistement frisée, à moins que vous ne soyez, si toutefois vous n’êtes pas, Bougre ; une main habile et fine, agissant par le ressort agile d’un poignet exercé vous aura provoqué à toute outrance, et, au signal d’un « Mets-le-moi, » ou « Fous-moi sur l’heure, » par une sympathie forcée, à laquelle vous ne manquerez pas de répondre, elle aura porté le vit au con, et la décharge s’en sera suivie.

Ceci appartient à la première Vénus, c’est celle du grand ordre des libertins qui, avec des sens émoussés, ne cherchent que le matérialisme du plaisir, tandis que l’autre, qui comprend moins d’individus avec des organes plus chatouilleux, veut le quintessencier et en extraire la volupté. Il est moins nombreux, dis-je, plus sensuel, plus délicat, et c’est aussi une autre Vénus, une beauté tout aussi céleste, et non moins humaine qu’il lui faut.

Celle-ci, avec plus d’art dans les colifichets, d’un costume élégant qui la reproduit diversement parmi des citoyennes, plus indépendante des circonstances, étale souvent plus de charmes réels, quoique moins ostensibles ; elle n’est point dévergondée dans ses manières, elle est sensible par tempérament et même par sentiment ; un sourire, un coup d’œil, sont les mots du guet qui portent en substance que l’on peut aspirer à elle, pourvu qu’on observe de très grands ménagemens ; et ces ménagemens demandent que vous osiez, pour ainsi dire, à son insu.

Il faut, à cet effet, que le hasard ou quelque prétexte adroitement amené, vous ait conduit chez elle ; il faut, s’il se peut, que vous la trouviez mollement étendue sur un sopha, vêtue à la légère, la gorge recouverte d’une simple gaze ; il seroit mieux que, dans cet état ou à peu près, elle vous eût donné un rendez-vous dans son boudoir, et qu’elle eût l’air de l’avoir oublié.

Vous y pénétrez en quelque sorte furtivement ; et pour sauver à sa pudeur la honte d’une défaite, elle sommeillera précisément à l’instant où vous arriverez. Cependant votre main enhardie par une attitude avantageuse se portera sur-le-champ avec une extrême précaution au manoir du plaisir, et s’il se trouve que, pour comble de dextérité et de souplesse, vous y portiez autre chose sans qu’elle s’en soit aperçu ou plutôt sans qu’elle ait paru y participer ; s’il arrive que, sortant tout à coup d’un sommeil fictif, elle vous gronde, laisse tomber quelques pleurs, soupire, vous presse, vous embrasse, baisse les yeux, vous défend de la revoir jamais, d’oser même la regarder en face, et vous redemande l’instant d’après, votre triomphe est complet, et sans blesser son oreille par aucun mot obscène, vos actions n’en sont pas moins l’obcénité la plus caractéristique.

C’est par ces deux classes d’électeurs et de fouteurs qui les réunissent tous, que l’on s’est proposé de tracer ces tableaux. Les uns et les autres y trouveront dans les différentes modifications de l’art de s’exprimer sur cette matière aussi instructive qu’agréable aux deux sexes, leurs jouissances respectives et leurs goûts particuliers. On fera paroître sur la scène, tantôt une ribaude qui s’énoncera et agira selon le caractère qu’on aura eu la précaution de lui dessiner, tantôt ce sera une ci-devant… qui fera sa petite bouche, et la prude dans la manière de rendre sa pensée concupiscive, et n’en croquera pas moins une grosse andouille dans sa partie passablement ouverte.

Nous aurons soin d’admettre aussi, pour varier les tableaux, un choix de vits à calottes qui ne rougiront pas quelquefois de se prendre en traîtres. Leur assaisonnement ne laisse pas d’être d’une certaine friandise.

Enfin ce premier recueil sera le précurseur de quelques autres qu’on se promet de donner successivement, si le public daigne accueillir cet essai en bon patriote : car nous n’ambitionnons aucune approbation sous le masque de l’aristocratie.



L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

LES
ÉPREUVES DE L’ABBÉ DRU

ET SON REFUS DE PRÊTER SERMENT,
EN FAVEUR DE MADAME CONILLAC.


Madame Conillac qui, depuis quelque temps, goûtoit la doctrine de l’abbé Dru, quoiqu’elle eût la conception très prompte, n’avoit pas encore savouré ses tendres instructions, au point de désirer enfin de réduire en pratique la plus charmante des théories sur la nature du plaisir, c’est-à-dire le besoin de décharger, et la plus belle en même temps que la plus utile des sciences, la physique expérimentale, ou, ce qui est la même chose, l’art d’enconner. En vain ce pauvre calotin s’épuisoit à en raisonner avec elle, et à se branler, quand il étoit seul ; sa rhétorique et son membre reproducteur, quelque excellens qu’ils fussent, étaient éludés ou écartés par la plus cruelle, la plus étroite à l’en croire, et la plus exigeante des femmes. Eh ! que n’exigeoit-elle pas ? Petits soupers, concerts, cadeaux magnifiques ; l’abbé alloit au-devant de ses désirs, et n’en étoit pas plus satisfait ; mais il touchoit au moment de recueillir le fruit de sa persévérance.

Ils en étoient à peu près à ce point du roman, qui, comme on le voit, n’étoit pas très avancé, lorsque madame Conillac, résolue enfin de mettre un terme aux souffrances de l’abbé martyr, avoit fixé le moment où elle devoit faire le généreux sacrifice de ses charmes les plus secrets. Elle appelle Conine sa fidèle suivante, et lui ordonne de préparer son bain, et de le composer des parfums les plus exquis qu’elle pourra imaginer Conine lui représente qu’il est déjà tard, et qu’elle a peut-être oublié que monsieur l’abbé est au moment de paroître, puisqu’elle l’attend ce matin.

— Eh bien ! chère Conine, c’est pour mieux le recevoir que je te demande un bain ; peux-tu te méprendre plus longtemps sur mes motifs ? Sais-tu que mon con ardent n’en peut plus ; que m’étant obstinée à en défendre l’entrée à son vit, je crains une obstruction, une indigestion de foutre ; et que, pour prévenir les accidens, je veux lui abandonner aujourd’hui le champ de la fouterie où il brûle de se signaler ? Oui, chère Conine, cette ouverture vermeille que tu as quelquefois admirée au bas de mon ventre, et qu’un poil frisé environne ; ce con, enfin, que tu te plais le plus souvent à caresser de tes mains enfantines, et qui a bravé avec tant de courage le vit brûlant de ce pauvre abbé, ne se sent plus la force de soutenir un choc aussi dur et aussi barbare.

Il va s’ouvrir ce con brigué par la calotte ; il va s’ouvrir pour le plus charmant, le plus aimable des abbés ; mais afin que la volupté la plus pure et la plus douce me travaille dans tous les sens, au cas qu’un reste de pudeur voulût encore combattre contre le plus joli des vits ecclésiastiques, ce que pourtant je ne crois pas, je te demande un bain aromatisé, et tel que les pores de mon corps, en humant la tendre vapeur, elle pénètre dans tous mes sens, et dispose mon âme au sacrifice que la constance de l’abbé et l’amour me commandent désormais avec tant d’empire.

— Eh bien ! madame, puisque vous daignez m’honorer de votre entière confiance, je vous dois à mon tour un aveu qui pourra vous faire juger combien vous êtes aimée de monsieur l’abbé, en même temps qu’il vous fera connoître l’excès de vos cruautés.

Je ne puis mieux vous dépeindre l’amour de monsieur l’abbé que par la quantité de présens dont il m’a gratifiée, et du foutre qu’il a répandu, depuis qu’il a le bonheur de vous être agréable, et cela dans le but, comme je ne vous l’ai pas laissé ignorer, de tâcher d’adoucir en sa faveur « votre âme tigresse ou sa chère lionne. » Ce sont là les expressions les plus familières par lesquelles il vous désigne. Mais il y a un trait de sa façon, que j’avois résolu d’ensevelir, et que même j’ai bien de la peine à vous confesser entièrement. Le voici : Toutes les fois qu’il s’est présenté pour me prier de l’admettre auprès vous, et que vous avez jugé à propos de le voir ; à l’instant même, et cela, depuis le commencement de votre connoissance, il est tout à coup entré dans des transports, dans des convulsions, dans des frénésies si étranges, que, s’en prenant tout de suite à son vit, il l’a saisi d’une main, et à grands coups de poignets, il l’a tant secoué, qu’il l’a incontinent forcé à pleurer. Je ne sais si, de mon côté, je dois vous avouer que, par pitié, le voyant dans cet état, non seulement je lui ai demandé la permission de remplacer son poignet, quand je le voyois fatigué, et qu’il brûloit d’en venir à une seconde ou troisième décharge, selon que son accès étoit plus ou moins long, mais je lui ai encore permis de me passer la main sous la jupe, et de me sensualiser tant soit peu ; car vous imaginez bien qu’en se mettant ainsi le feu au sang, il n’attiédissoit pas le mien. Mais par respect pour vous, madame, je n’ai pas souffert qu’il me mît autre chose que le doigt, et d’ailleurs, par les mêmes raisons, je pense qu’il ne l’eût pas voulu.

Ah ! madame, si j’eusse pu vous rendre témoin de quelques-unes de ces scènes, si vous eussiez pu voir de combien de soupirs et d’hélas il accompagnoit les tendres secousses qu’il se donnoit en votre considération ! Comme il vous nommoit avec des expressions amoureuses ! il eût fallu l’entendre ; mais je vais préparer votre bain tel que vous l’avez demandé.

Madame Conillac avoit goûté, avec une sorte de plaisir, le commencement de ce récit qui flattoit son amour-propre ; elle en écoutoit avec impatience la suite, qui sembloit lui donner une rivale, et alloit même en témoigner son ressentiment ; mais enfin elle n’a vu qu’un excès d’amour pour elle, jusqu’aux soins complaisans de Conine, à qui elle a provisoirement défendu de souffrir dorénavant, et cela pour cause, que monsieur l’abbé se précautionnât ainsi contre des rigueurs qu’elle étoit résolue d’abjurer dans ses bras, et elle lui a réitéré d’aller hâter son bain.

Il ne fallut pas beaucoup de temps pour en venir à bout, la saison ne permettoit pas d’employer une chaleur artificielle. Conine disposa le salon du bain par toutes sortes de parfums qu’elle prit sur la toilette de sa maîtresse, et entra dans sa chambre pour l’y conduire ; elle la trouva encore couchée, comme si elle eût été en train de se branler. Conine la découvre, jette au loin et couverture et draps, et sans dire un mot, et dans la plus grande immobilité, se complaît à repaître un instant ses regards de ses charmes les plus cachés. Tout à coup elle se sent émue, et portant ses lèvres sur les lèvres du con de sa maîtresse, elle se délecte à la chatouiller délicieusement.

Enfin elle la prend nue en chemise, toujours la bouche collée à sa partie génitrice, et la transporte de son lit dans le salon du bain ; là, elle lui enlève sa chemise, et sans autre gaze pour cacher ce qu’on appelle la pudeur, que le cristal de l’eau, elle la fait pénétrer doucement dans son bain, jusqu’à la superficie de ces deux boutons de rose qui font admirer la beauté de son sein. À peine son corps d’albâtre humoit-il la douceur d’un bain parfumé, qu’on frappe, et bientôt Conine annonce monsieur l’abbé Dru.

Un frisson de plaisir, à cette nouvelle, passe dans tous les membres de la voluptueuse baigneuse ; une rougeur légère lui monte au front ; elle dit à Conine d’introduire l’abbé dans le salon de compagnie, et sans lui donner rien à entendre, de ne pas souffrir qu’il se branle, parce qu’elle n’y trouveroit pas son compte. Conine va trouver l’abbé ; il avoit déjà déchargé une fois, et s’escrimoit de son mieux pour arriver à une seconde éjaculation ; il conjure le poignet de la complaisante Conine devenir à son aide, mais pour cette fois il va le trouver rétif ; Conine le gronde bien fort d’avoir été si prompt à se branler : tandis qu’elle se hâte de le lui défendre, il insiste.

Mais elle, s’emparant de son vit, le lui ôte des mains et des yeux, en lui disant qu’il commet un attentat de lèse-nature qu’elle ne sauroit plus souffrir devant elle. Il en rejette la faute sur sa maîtresse, et lui en fait porter la peine. Conine l’engage à persévérer, en lui disant que peut-être madame Conillac est à la veille de lui livrer son con ; qu’alors il se verra au désespoir de s’être mis dans le cas de ne pas bander quand il le faudra, et d’être forcé de la rater : ce qu’une femme ne pardonne jamais.

L’abbé goûtoit ses raisons ; mais fort de son tempérament, et surtout de son amour lorsqu’il se sentoit encore le vit bandant, il traitoit de frivolité les craintes que Conine lui faisoit paroître. Celle-ci lui répliquoit que ces craintes étoient cependant fondées d’une certaine manière, attendu qu’il perdroit de son embonpoint, et que l’agilité de son poignet se manifestoit jusque sur sa figure, par une pâleur et une maigreur évidentes.

— Ah ! dit l’abbé, j’ignore jusqu’à quel point ce que vous dites là est véritable ; toutefois il n’y auroit rien de bien étonnant, par le feu qui me consume ; mais du moins daignez m’apprendre par pitié si votre charmante maîtresse s’en est aperçu, si elle en connoît la cause.

— Elle doit la soupçonner, dit-elle, mais elle ne peut la savoir que par vous ou par moi, et assurément… je vais me hâter de la rendre en état de paroître devant vous.

— Ah ! Conine, reprend l’abbé en la troussant, si tu parvenois enfin à faire mon bonheur, que ne te devrois-je pas ; mais dis-moi, satisfais ma curiosité : a-t-elle le con aussi joli que toi ? son cul est-il aussi ferme, aussi blanc que le tien ? Ah ! laisse-moi, laisse-moi le contempler tout à mon aise.

— Y pensez-vous ? et ne songez-vous pas que si, malheureusement, elle vous soupçonnoit libertin avec moi, c’en seroit assez pour qu’elle vous fît défendre de jamais l’approcher.

Adieu, réfléchissez sur ce que je vous ai dit, elle va venir dans l’instant, ou ce qui me paroît plus vraisemblable, elle va vous faire appeler au sortir de son bain, pour assister à sa toilette. Je tâcherai du moins de vous y faire participer.

— Eh ! Conine, Conine, charmante Conine, que tu es délicieuse.

Il voulut encore l’embrasser, la patiner ; elle s’échappa, et laissa monsieur l’abbé dans une agitation et un désordre incroyables.

Dès qu’elle fut de retour auprès de sa maîtresse, elle lui fit part de l’impatience de l’abbé, de sa passion insurmontable, et surtout du foutre qu’il ne pouvoit plus retenir dans sa couille. Elle lui raconta qu’il s’étoit déjà branlé, à son intention, dans le seul intervalle qu’elle avoit mis à l’annoncer et que l’ayant trouvé les armes hautes, procédant à une seconde décharge, et ayant eu toutes les peines du monde à l’en détourner, elle avoit manqué d’essuyer son feu.

Madame Conillac, à ce rapport très fidèle, comme on l’a vu, rioit de toutes ses forces, et regrettoit intérieurement de n’avoir pas subi cette première escarmouche ; elle se fait vite retirer du bain ; on lui donne du linge frais, elle prend un déshabillé du matin, une coiffure à la paresseuse ; et le tout artistement rangé en deux minutes, elle fait dire à monsieur l’abbé qu’elle a la migraine, et qu’elle ne sortira pas de sa chambre ; qu’elle est prête à l’y recevoir sans tirer à conséquence. Conine court s’acquitter, l’abbé tressaille, et entre dans le cabinet de toilette où madame Conillac l’attendoit.

Dès qu’elle l’eut aperçu :

— Eh ! bonjour, l’abbé, comme vous êtes galant de m’avoir tenu parole ; j’ai besoin de vous ce matin plus que jamais. Je me suis trouvée, à mon réveil, assaillie d’une cruelle migraine, et j’espère que votre présence va faire l’effet du meilleur médecin ; qu’en pensez-vous ?

— Il est bien flatteur et bien agréable à l’un des plus zélés admirateurs de vos charmes, de s’en inscrire chez vous l’adorateur et le conservateur.

— Ah ! quelle fadeur, l’abbé ! ne vous déshabituerez-vous pas de ce langage d’élégie ? Vous savez comme il me donne mal au cœur.

— Eh ! madame, c’est aussi ce cœur d’airain que j’ose attaquer et que je trouve toujours si inexpugnable.

Si au moins vous daigniez prescrire des bornes à vos cruautés, et qu’après un temps limité, il fût permis à celui qui n’a de vit que pour vous, de le diriger vers ce bijou sans prix, vers ce con délectable, dont vous le privez inhumainement, et qui fait toute son ambition, comme il est mon unique idole, ce seroit une charité bien entendue, dont votre pitié auroit à se glorifier.

— L’abbé, vous augmentez ma migraine.

— Madame, songez que vous m’avez institué votre médecin et que je dois user des ressources de mon art. Un mal à la tête, ainsi que la plupart des autres maux qui nous affligent, provient d’obstruction dans le sang, et comme c’est par des linitifs, par des dégagemens internes qu’on parvient à rétablir l’équilibre dans les humeurs, il ne me sera pas si difficile de procéder avec quelque efficacité à votre guérison.

Permettez-moi d’abord d’exposer à la salubrité de l’air cette partie aimable, ce foyer des plus doux plaisirs que cachent des habits jaloux et importuns.

— Quoi, l’abbé, y pensez-vous ? est-ce pour me guérir la tête ou plutôt votre cœur, que vous égarez vos mains sous mes jupes et que vous les retroussez jusqu’au nombril ? Eh, que prétendez-vous ? où portez-vous votre doigt ? Oh ça, l’abbé, vous me prenez le con, et je ne vous l’ai pas encore permis, que je sache… Mais il ne m’écoute pas. Quoi ! vous sortez votre vit bandant, et vous pensez vous mettre en posture de m’enfiler ! oh non ! je n’y saurois consentir.

L’abbé alloit toujours son train. Madame Conillac se défendoit de son mieux. Il étoit fort près du but, lorsqu’elle lui dit sérieusement de s’en tenir là ; que pour le moment elle ne vouloit pas aller plus loin sur cet article. L’abbé s’arrête, fort mal édifié.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 1
L’Écho foutromane, 1880, Figure 1

— Quoi ! dit-il, ce n’est donc pas assez de toutes les épreuves où vous m’avez mis ! car il faut parler, que pouvez-vous encore exiger de moi ? quels sont les sacrifices où vous ne m’ayez pas porté ? en existe-t-il encore que je puisse faire ? Je ne mets plus mon vit dans le con de madame Combeaut ; je n’encule plus l’abbesse de Fermont, non plus que madame la supérieure de Serredru ; je ne gamahuche plus madame Vaginna ; j’ai cessé de patiner et d’enfiler un grand nombre de plébéiennes que j’avois au service de ma couille… que voulez-vous de plus ?

— Vous ne dites pas tout, l’abbé, et vous me cachez trois rivales.

— Ah ! madame, nommez-les, et à l’instant… mais cela ne se peut.

— Écoutez-moi, et connoissez un récit qui, à la vérité, n’est qu’un rêve ; mais trop souvent un rêve spécieux est une réalité cruelle.

J’ai cru vous voir, cette nuit, transformé en petit amour : c’étoient vos traits et la proportion dans tous vos membres : deux petites ailes étoient attachées à vos épaules ; une calotte couvrait votre nuque, et un petit vit étoit braqué entre vos deux cuisses. Ce n’est pas tout, les trois Grâces si renommées au pays des fables, étoient assises sur une espèce de lit de repos, au-dessus duquel paroissoit un rideau suspendu par des branches de myrte ; un arc et un carquois pleins de traits aigus étoient à vos pieds, et non loin de là odoroit un rosier, d’où l’on voyoit briller trois roses épanouies. Les trois Grâces folatroient entre elles et avec vous ; tantôt elles vous prenoient sur leurs genoux et vous fouettoient, puis elles manioient alternativement votre petit vit ; tantôt elles se branloient en votre présence, et en vous agaçant, vous excitoient à leur donner des claques sur leurs fesses aussi blanches que celles de Vénus, leur souveraine. Après quelques instans de ce badinage innocent, l’une d’elle s’est étendue à moitié sur le dos, une autre étoit derrière, elle lui servoit de traversin ; elle a pris entre ses mains une guirlande qu’elle venoit de préparer, tandis que la troisième, vous soutenant par les ailes, vous a mis à cheval sur la cuisse droite de celle qui étoit étendue, et dont le con ouvert sembloit attendre votre vit, lequel n’a pas tardé à s’y plonger ; elle vous a attachés tous les deux avec des nœuds de fleurs ; vous avez collé votre bouche contre celle de votre fouteuse, l’une de vos mains étoit sur un blanc téton, qui lui servoit comme d’appui, et de l’autre vous pressiez amoureusement votre belle, et par des mouvemens rétroactifs et précipités, vous remuiez la charnière avec une agilité sans exemple.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 2
L’Écho foutromane, 1880, Figure 2

Je dois présumer que vous avez joui, malgré la grande jeunesse que vous paroissiez avoir, puisque l’amour est lui-même une jouissance ; mais j’ignore si vous avez déchargé dans ce con, où à coup sûr vous étiez à l’aise, car je me suis éveillée tout à coup au fort de vos secousses redoublées, et je n’ai plus vu ni con, ni motte, ni cul, ni vit, ni tétons, ni Grâces, ni calotte.

Et vous voulez, monsieur l’abbé, que, d’après ce tableau qui me retrace une triple infidélité, je m’en fie à vos prétendus sacrifices, et que je n’en sois point jalouse !

— Eh bien ! madame, je consens que vous soyez jalouse, et je ne vois rien en cela qui ne soit à mon avantage, puisque, réunissant dans votre seule personne tous les charmes qu’on attribue aux trois Grâces, c’est sur vous-même que portent vos sentimens jaloux.

— Je devois m’attendre à votre courtoisie ; mais je n’en suis point la dupe.

— Et moi, madame, je ne le serai pas non plus d’une résistance que vous ne pouvez plus m’opposer.

En finissant ces paroles, il commençoit à la trousser et à sortir son braquemart, lorsque, sur le point de se rendre, elle lui demande s’il a prêté son serment en qualité de prêtre. Il lui répond que s’il ne le prête, il est foutu, qu’il perd le reste de sa fortune, consistant en une simple cure, isolée de tout bénéfice ; que sa conscience à la vérité lui reprochera continuellement ce serment sacrilège, mais que son existence y est compromise.

— Il n’importe, envoyez votre refus sur-le-champ ou résolvez-vous à ne jamais m’approcher.

Je ne souffrirai pas qu’un suppôt du plébéianisme m’entretienne plus longtemps ; allez vous purifier entièrement par un désaveu des nouveaux principes qu’on cherche à établir, et je vous tends les bras aussitôt après, et mon con est à votre service, sûre qu’il n’y aura plus de mésalliance entre nous.

— Mais, madame, pensez-vous que ce désaveu me réduit à la dernière misère ? et que pour toute consolation il ne me restera que votre con qui, sans doute, est bien fait pour me dédommager ?…

— Eh bien ? crois-tu qu’il n’est pas en état de te rassasier ! Ah ! lorsque tu en auras tâté une fois, ce sera pour toi comme l’ambroisie des immortels. Te ne voudras te nourrir que de son suc divin.

— Vous le voulez donc, madame, il faut en courir les risques ; mais permettez à mes mains de patiner ce joli bijou ; lui seul peut me décider, et sans regret, au refus du serment que vous avez l’inhumanité de m’imposer.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 1
L’Écho foutromane, 1880, Figure 1

Ah ! l’aimable ouverture ! qu’elle est rubiconde, et qu’elle paroît petite ; non c’en est fait, je ne balance plus, et je vais à l’instant tracer mon refus au nouveau serment que l’apostasie nous commande ; souffrez, madame, pour satisfaire l’ivresse où je me trouve, que le plus poli, le plus blanc des postérieurs me serve de pupitre.

— Ah, cruel abbé ! faut-il que je condescende à toutes tes volontés, à toutes tes extravagances ! eh bien ! passe ta fantaisie. Je vais étaler mon derrière à tes lubriques regards : ton idée est ingénieuse, et mérite d’être mise au jour ; voilà mon cul, appliques-y dessus ton désaveu ; il n’en sera que plus authentique, et tu te rends par là tout à fait digne de moi.

En effet, madame Conillac se trousse aussitôt et relève sa chemise jusqu’au-dessus des reins ; l’abbé Dru prend une feuille de papier, l’applique sur la fesse droite et y écrit son refus.

— Tu me chatouilles, vilain abbé, s’écrioit, de temps en temps madame Conillac.

Et il continue à se rendre réfractaire par le refus qu’il y trace. Dès qu’il a fini, il baise l’un et l’autre côté de son adorable pupitre, et remet son bulletin à madame Conillac qui, appelant sa fidèle Conine, lui ordonne d’aller le jeter à la poste, ce qui s’exécute sur-le-champ.

Aussi, l’abbé, après avoir satisfait à tous les sacrifices préliminaires que sa belle maîtresse lui avoit prescrits, n’eut rien de plus empressé que de lui demander le complément des plaisirs que la possession sans réserve de tous ses charmes lui faisoit espérer. Elle ne pouvoit plus s’y refuser sous aucun prétexte : il se met donc à la trousser en toute assurance.

Madame Conillac, voyant qu’il n’y avoit plus moyen de lui échapper, et qu’il falloit absolument en passer par là, voulut du moins succomber d’une manière commode pour tous les deux ; elle se laisse trousser jusqu’au-dessus du nombril ; sa gorge découverte entièrement servoit comme de boussole aux yeux de l’heureux abbé qui, passant sa main gauche autour des reins de sa chère lionne enfin apprivoisée, de la droite empoigne son gros vit, et le pointe tout au bord du plus joli des cons.

Elle avoit prodigieusement écarté les cuisses, et néanmoins le membre de l’abbé trouve une certaine résistance à pénétrer en avant du vagin.

— Ah ! s’écrioit-elle, lors de l’introduction, tu me déchires, cruel abbé ! comme tu l’as gros ! faut-il qu’une femme délicate fasse ton bonheur au prix des souffrances que tu lui causes ; mais arrête donc, tu me tues… ah ! non, plutôt je consens à mourir ; hâte-toi vite !… enfonce… pousse… ah ! je n’en puis plus… Je me fonds, je… je décharge…

En achevant ces mots elle alloit tomber en pâmoison, lorsque tout à coup on ouvre la porte ; c’étoit Conine qui venoit rendre compte de sa mission, et dire à monsieur l’abbé que sa lettre avoit été portée à la boîte. Quelle fut sa surprise de les voir tous les deux aux pieds du lit dans l’attitude la moins équivoque de deux amans qui goûtoient la plus haute jouissance où les mortels puissent atteindre ; qu’elle eût voulu partager leur situation et leur bonheur !…

L’Écho foutromane, 1880, Figure 1
L’Écho foutromane, 1880, Figure 1

Hélas, ce bonheur est si naturel à toutes les créatures, que le même instinct avoit dans le même moment réuni la petite Flore de madame Conillac avec le beau Cascaret de monsieur l’abbé. Conine sourit à cette double copulation ; elle y fit de sérieuses réflexions qui la portèrent à en désirer une troisième ; et en commémoration de cette entrevue chatouilleuse, en se retirant, elle coula le doigt majeur au con et lui fit exercer et imiter, quoique imparfaitement, les fonctions de Cascaret et de l’abbé Dru.

Madame Conillac et monsieur l’abbé, après cette première priapée, passèrent successivement à d’autres non moins voluptueuses et non moins séduisantes. L’abbé Dru perdit en effet sa cure par son refus au nouveau serment ; mais madame Conillac lui en tient lieu, et cette union aristocratique dure encore au grand scandale de la nation, et ne cessera, selon toute apparence, que lorsque les vrais patriotes indignés se seront mis, une fois pour toutes, dans la tête de leur foutre malheur ainsi qu’à ceux qui leur ressemblent.



L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

LE SECRET
DE
MADAME CONLÊCHÉ

OU
L’ORIGINE DES CHIENS MANCHONS.


J’ai promis au dieu Priape, et particulièrement à ma belle maîtresse, de tracer le tableau d’une jeune femme qui, mariée dès son enfance et devenue veuve presque aussitôt, n’a pas encore connu charnellement, soit par les personnes de son sexe, soit par celles du nôtre, ni amant, ni époux, ni branleur, ni tribade, n’a pas même cédé aux offres de son doigt officieux, et cependant jouit de tous les avantages qu’un tempérament robuste et brûlant procure par l’exercice d’un coït mis sans cesse en action.

Ma belle maîtresse s’écrie déjà au phénomène ; ou plutôt, intérieurement et cela par politique, pour avoir l’air de ne pas ressembler au reste des femmes ; bref, pour ne pas me contredire, elle révoque en doute la vérité de mon assertion. Eh ! je le lui pardonne ainsi qu’à toutes celles qui sont tentées de se mettre en son parti, comptant que dès que le secret de la beauté en question sera dévoilé, elles se rangeront à mon avis et s’émerveilleront peut-être, d’un commun accord, au sujet de cette invention qui, sans contredit, connue de quelques-unes, mérite d’être adoptée par toutes.

Madame Conlêché, très joliment gratifiée par cet enfant malin, qui est le dispensateur des grâces et de la beauté, des dons précieux et inestimables qui les caractérisent, est propriétaire d’une taille svelte parfaitement bien dessinée, des formes les plus heureusement prononcées ; des traits réguliers du pinceau le plus séduisant, de la sensibilité dans leur ensemble, une langueur quasi permanente dans les yeux ; voilà des armes plus qu’il n’en faut pour tout conquérir, et c’est là l’heureux partage de cette Laïs moderne.

Oserai-je détailler des charmes plus secrets, plus attachans sans doute, qui ne mériteroient pas moins que les autres d’exercer les crayons et la touche moelleuse des maîtres en l’art de peindre.

Ô ! Marie-Antoinette ! digne épouse du bon Louis ; souveraine des cœurs qui connoissent les charmes de ta jouissance céleste ; sublime Priapine, n’en sois point jalouse. Je poursuis :

Non loin d’un cou d’ivoire, un peu au-dessous, on admire deux petits sommets mouvans l’un à côté de l’autre, mais assez distans pour n’avoir aucune communication trop immédiate entre eux ; on les prend volontiers, au premier coup d’œil, pour deux blocs de marbre blanc ciselés, arrondis par le divin sculpteur, ce fabricateur insigne des instrumens chéris de la volupté ; mais dès que les sens sont parvenus à s’assurer de la réalité par le tact ou par un regard plus réfléchi, la vue et la main ne peuvent être plus longtemps abusés ; celle-ci, par une chaleur vivifiante, et l’autre à l’aspect d’un mouvement perpétuel qui, semblable au balancier d’une horloge, appelle à chaque instant l’heure du plaisir ; et l’on reconnoît bientôt deux tétons brûlans, surmontés chacun d’un bouton de rose. Au-dessous de ces deux monts, dont la blancheur, la rondeur, la dureté, la mobilité seroient seuls capables d’exalter l’indifférence même, est une coupe dans laquelle les dieux seroient jaloux de boire le nectar : c’est ce que le froid anatomiste appelle nombril. Une plaine assez étendue en borde les avenues, et sert de promenade aux Amours ; elle est terminée plus bas et au pied d’un monticule qui en est couvert par un taillis ; tout près de là, est cette fontaine d’où coule une liqueur supérieure ; c’est là que Titon pour s’en être trop enivré perdit tout à coup sa jeunesse ; c’est à proprement parler ce que la grosse sensualité des gens grossiers nomme un con.

Décrirai-je ici deux fesses telles que mes yeux en ont dévoré l’image et que mes lecteurs doivent se les figurer ; car ne pouvant leur étaler ce cul blanc, ferme et veiné, c’est à l’imagination à faire les frais de la peinture ; mais que sert d’en parler, si les regards séduits et enivrés n’en mesurent le contour, n’en réfléchissent l’éclat ! Eh ! que dis-je ! arrêtons… il n’est plus temps ; la digue est rompue ; mon esprit s’élance : il se pénètre des beautés qu’il indique ; il s’attache à une illusion voluptueuse, et la réalité n’est peut-être pas au-dessus. Tel est l’abrégé d’une très petite partie des charmes de madame Conlêché.

Mariée à la fleur de son âge, belle et vierge, quelle fête la première nuit des noces pour un jeune con qui s’attend à immoler aux autels du dieu le plus aimable et le plus reconnoissant, un pucelage à peine éclos ! Cette nuit mémorable, cette nuit délicieuse étoit celle qui suivit la grande journée des révolutionnaires françois, le 14 juillet 1789. En s’unissant à un François ce jour-là, il falloit présumer qu’elle épousoit un héros ; et la nuit qui suivoit cet hymen, devoit, par la même raison, mettre dans son conin le vit brûlant et victorieux d’un Hercule.

C’est le présage qui s’en présentoit naturellement ; c’est du moins l’idée chatouilleuse qu’elle conçut d’un homme qui devoit entrer dans son lit en sortant de la conquête de la Bastille et l’enfiler, après avoir mis le despotisme en déroute : il est bien certain que des hommes régénérés sont des demi-dieux bandans, par conséquent plus que des hommes ordinaires.

La jeune épouse voit arriver ce moment heureux et terrible en tremblant et en tressaillant tout à la fois ; son époux, à l’issue de la cérémonie de l’Ego vos conjungo, s’étoit dérobé d’entre ses bras, après les embrassemens les plus tendres, après lui avoir manié les tétons, pris le cul, pâtiné le con, éparpillé la motte ; après l’avoir claquée, après lui avoir montré son vit bandant et prêt à lui percer le ventre, après avoir visité toutes ses nouvelles possessions ; enfin, après s’être abstenu, non sans de grands combats, de l’enconner vingt fois de suite, pour mieux la fêter pendant toute la nuit. Eh ! à combien de reprises, l’eau ne lui en vint-elle pas à la bouche et le foutre au bord du con !

Cet époux jeune et ardent s’étoit transporté sous les huit tours de la Bastille, et content d’abattre le despotisme avant de combattre un pucelage, il vouloit, en franc patriote, mêler quelques branches de laurier à la couronne de myrte que l’amour lui préparoit dans les bras de sa femme ; son patriotisme ne fut pas récompensé : un plomb meurtrier, vomi par une bouche infernale, vint frapper ce malheureux, précisément au-dessous du bas-ventre ; et lui enlevant ses deux testicules, ne lui laisse que la moitié d’un vit qui, cette nuit même, destiné à soutenir des assauts non moins pénibles et tout aussi périlleux peut-être, devoit tout seul opérer une révolution d’une autre espèce en changeant une fille en femme.

Il ne respire un instant dans cet état déplorable que pour gémir sur son épouse et pour pester contre l’aristocratie qui, plutôt que de le dégrader de la sorte, n’avoit pas préféré de lui percer le cœur. Ce vœu qu’un pareil malheur lui arracha ne fut pas perdu. Il ne tarda pas à être atteint d’un coup mortel ; il succomba comme un châtré, mais en vainqueur. Sa mort fut pour ainsi dire le signal de la victoire,

Cependant, madame Conlêché qui, tantôt pâlit de crainte et d’horreur, et tantôt s’émerveille au récit des grands événemens de cette fameuse journée, compte les heures et les instans, sans se douter de la malheureuse catastrophe qui la priva pour jamais d’un bien qui lui étoit acquis ; d’un vit qu’elle a manié et dont elle n’a pas joui. Semblable en cela à Tantale qui mouroit de soif et de faim au milieu de l’abondance, ses yeux langoureux et son conin à moitié ouvert par le sentiment du plaisir, ont dévoré un vit tout prêt à le rassasier de son divin nectar : elle alloit goûter de ce morceau appétissant. Eh bien ! une fatale destinée entraîne tous les vits guerriers sous les murs du despotisme ; l’esprit de la liberté qui les anime l’emporte sur les cons béants ; et puis qu’arrive-t-il ? Tous sont à peu près à la vérité ce qu’on appelle libres, et plusieurs sont foutus ; mais malheur à la beauté qui voit s’avancer la luxurieuse perspective dont ses désirs ardens l’avoient percée : comme elle va maudire cette glorieuse journée ! Ah ! s’il est permis d’être aristocrate, c’est bien dans cette circonstance.

Eh ! comment ne pardonneroit-on pas à une femme de maudire une révolution qui lui enlève inopinément tout ce qu’une première nuit de noces lui faisoit espérer de volupté dans les bras d’un homme ! Hélas ! il l’eût pressée, il l’eût enfilée de proche en proche (un pucelage veut être caressé et ravi avec des précautions, et non brusqué et arraché sans ménagement) ; et par des trémoussemens réitérés, aiguillonnant, excitant les sources du plaisir, il les eût fait jaillir de son sein avec des soupirs entrecoupés ; elle eût été émue, un frissonnement extatique se fût emparé de ses membres, et elle se fût trouvée plongée dans un torrent de délices.

Cette épouse infortunée se flatte pendant la moitié du jour du retour de son ami ; pendant l’autre moitié, elle craint tout. Enfin la nuit venue, et ne le voyant pas paroître, elle gémit, elle pleure, se désespère, l’attend au milieu des larmes qui la suffoquent, comme si elle pressentoit son malheur avec certitude ; elle se déshabille toute nue ; ensuite, dans cet état, ayant néanmoins toujours l’espérance qu’il ne peut tarder, elle se promène dans sa chambre. Les glaces réfléchissent mille charmes capables d’animer les témoins muets qui l’entourent. Qu’elle étoit belle ! Elle-même, tout profondément affligée qu’elle étoit, ne pouvoit se défendre de se contempler, et ses appas avoient l’art de distraire sa douleur.

Enfin elle s’étend sur son lit, elle s’agite en cent manières, elle prend diverses attitudes qu’elle renouvelle sans cesse, et l’idée d’un plaisir qu’elle ne peut connoître seule et que cette fatale nuit lui devoit, la met hors d’elle-même. Ô nuit cruelle et désastreuse ! Que tu lui parus longue ! Elle ne put clore ses paupières larmoyantes ; elle fut debout de grand matin ; les pleurs la suffoquoient, et ne pouvant résister à ses maux et surtout à son tempérament abusé, elle passe dans un appartement voisin comme pour échapper à l’idée des plaisirs, dont son lit devoit être le théâtre, se jette sur son canapé et fond en larmes.

Favori, son chien fidèle, dont nous n’avions pas encore eu occasion de parler, veut partager les chagrins cuisans de sa maîtresse : il monte sur le canapé où elle étoit négligemment penchée, l’escalade, suce, l’un après l’autre, les deux boutons de rose de son sein, et par mille caresses où il se confond, il interroge sa tristesse ; elle ne peut s’empêcher de soupirer et d’éprouver une sorte de sensualité aux baisers de Favori ; mais une démangeaison très vive se fait sentir à cette partie luxurieuse, où réside la volupté et où elle n’avoit pas encore osé porter la main.

Elle relève précipitamment ses jupes et sa chemise jusques au haut du ventre ; son doigt se porte sur les bords de ce bassin enchanteur, il alloit se plonger dans l’intérieur. Je ne sais quel instinct y conduit Favori qui, avec sa langue lancée jusqu’au fond, lui fait éprouver les sensations les plus luxurieuses et les plus extraordinaires ; elle s’étend aussitôt tout de son long ; elle écarte les cuisses avec une agilité inconcevable ; elle soupire, se trémousse avec effort, et le petit Favori, toujours à son poste, la gamahuche avec une intelligence sans égale et la fait décharger de la manière la plus sensuelle, sans qu’il y paroisse l’instant d’après.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 6
L’Écho foutromane, 1880, Figure 6

C’est ainsi que madame Conlêché qui, par la suite, n’a pu douter de la perte de son mari, a trouvé le moyen de s’en consoler sans l’avoir fait suppléer, et même ne maudit plus la Révolution que pourtant elle n’aime pas.

Quelque temps après, une ancienne amie, qui sortoit de faire son noviciat en l’hymen, étant venue la voir, tâchoit de la consoler par toutes sortes de raisons empruntées de la nature même de son affliction, et toutes très solides ; et comme entre autres conseils officieux elle lui donnoit celui de s’attacher un aimable cavalier, qu’elle lui indiquoit, et que la veuve juroit de ne jamais plus connoître d’hommes, le petit Favori se glisse sous les jupes de cette conseillère, qui avoit les deux pieds sur les chenets, et par une infidélité impardonnable, à moins que ce ne fût une méprise, comme je l’ai toujours pensé, il va droit au con pour y exécuter sa manœuvre ordinaire.

La jeune amie qui n’étoit pas initiée au mystère, jette un cri, se lève, se trousse, croit avoir un rat sous sa chemise (on sait que c’est la bête d’épouvante de toutes les femmes), et n’aperçoit à ses pieds que Favori, qu’elle ne peut soupçonner d’une pareille incongruité. Madame Conlêché sourit, pour la première fois depuis son malheur, gronde Favori, et instruit son amie, qui se prit à rire de bon cœur et de la fausse frayeur qu’elle avoit eue, et du plaisir dont elle s’étoit privée.

C’est de cette charmante inconnue que nous tenons cette anecdote ; elle nous a assuré que, surtout depuis cette aventure, telle dame qui a un joli Favori le met au fait de cet innocent exercice qui, depuis quelque temps, selon l’observation de quelques Sigisbées peu favorisés, semble les avoir singulièrement multipliés au sein de Paris.



L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

ENTREVUE
DE
MADEMOISELLE PINELLI
AVEC
ARLEQUIN ET PIERROT


Mademoiselle Pinelli, célèbre croqueuse d’andouilles du jardin foutard, appelé communément le Palais-Royal, connue surtout par l’agilité de son poignet dans l’exercice de la petite oie dont elle s’acquitte merveilleusement, n’est pas moins fameuse dans les annales de Cythère, par la souplesse de ses reins, la mobilité de ses fesses et la régularité de ses mouvemens au grand œuvre de la conjonction charnelle.

Douée par la nature de tous les talens propres à réussir dans un état pour lequel elle s’étoit senti, dès l’âge le plus tendre, une inclination décidée, s’il faut en croire une chronique autre que celle de Paris, sa personne est un petit abrégé de mille perfections plus ou moins essentielles au jeu de la couille ; elle a du piquant dans les traits, et tandis que ses yeux sont l’expression de la volupté la plus lascive, elle plonge les nôtres dans une douce langueur, à l’aspect de deux tétons d’une blancheur éclatante, surmontés d’une fraise chacun qui invite la bouche à les cueillir ; petit nez bien pris, la bouche peu fendue, qui ne fait point mal augurer de certaine fente plus intéressante, encore, qu’on voit à peine découverte au milieu de deux cuisses d’un poli et d’une blancheur égale à l’albâtre le plus fin, et qui, resserrées ou écartées, font désirer le charmant bijou qu’elles recèlent ; ce con vermeil et ravissant où les vits vont se noyer dans l’ivresse du bonheur, et savourer les délices d’une volupté toute céleste.

Après avoir dessiné la plus jolie ouverture que le dieu du plaisir ait choisie pour y distiller l’essence de la sensualité, ce serait peut-être affoiblir le tableau que de chercher à vouloir y ajouter par la peinture de quelque autre charme. Mais n’en déplaise aux panégyristes du con, qu’ils regardent comme la seule route du bonheur terrestre, je ne saurois omettre ce cul divin dont la rondeur de deux fesses bien coupées dans leur juste proportion, bien fermes, bien blanches et bien satinées, font admirer la beauté, soit que le caprice des amans les ait destinées à le mettre en levrette, ou que, par une folie plus bizarre encore, elles soient parfois le siège de la pédérastie, les deux embouchures peu distantes l’une de l’autre présentent des attraits infinis dans les deux genres. Une chute de reins admirable pour en faciliter l’accès, provoque l’introduction virile et l’éjaculation immédiate.

Mademoiselle Pinelli, ornée de tous ces charmes dont je n’ai donné qu’une foible idée, fut dernièrement accostée par Arlequin et Pierrot ; ils sortoient de jouer une farce, et ils étoient prêts à en recommencer une autre : les yeux fripons de la nymphe ne manquèrent pas de produire, un certain effet sur la partie intermédiaire des deux pèlerins ; l’impression fut vive, la donzelle, baissant les yeux, non par pudeur comme certaines gens pourraient être assez simples pour se l’imaginer, mais par une ruse qui la mit à portée de constater l’effet de ses appas sur ces deux personnages ; mademoiselle Pinelli baissant donc les yeux à l’aspect de ces deux nouveaux athlètes, les arrête sur l’issue de leur haut-de-chausse, où une enflure subite et progressive occasionnée par des mouvemens périodiques et involontaires lui fait aisément discerner ce qui se passoit dans leur intérieur.

Elle n’eut pas besoin de les presser avec beaucoup d’instance à l’accompagner dans son boudoir ; elle prend Arlequin par cette partie saillante qu’elle aperçoit au bas de sa ceinture, l’empoigne avec une assurance héroïque, et sans lâcher prise gagne son escalier. Celui-ci de son côté ne reste pas les deux mains oisives : l’une va farfouiller autour d’une motte rebondie dont elle s’empare, et l’autre s’amuse à voltiger sur deux tétons qu’elle presse de temps en temps. Pierrot joue aussi son rôle avec distinction ; d’une main, relevant la cotte de l’amazone aguerrie, il prend respectueusement la queue de madame, et de l’autre, s’amuse cavalièrement à lui manier le cul, à la claquer, et même à la pincer au point de lui faire perdre contenance.

On arrive de la sorte à l’appartement ; et après les préliminaires pécuniaires d’usage sur lesquels on fut bientôt d’accord, attendu qu’on avait affaire à deux galans hommes, mademoiselle Pinelli se laisse tomber sur un canapé très riche, où ses regards lascifs semblent engager au combat les deux vaillans cavaliers qui s’apprêtent à la monter.

Arlequin, le vit bandant, se présente le premier ; la trousse d’une main, cingle vers l’entre-deux, cherche à pénétrer au milieu de ses cuisses, qu’il trouve presque jointes, veut les écarter, y trouve de la difficulté, la belle prétendant qu’elle étoit essoufflée, excédée, et qu’on ne lui laissoit pas le temps de respirer. Il redouble d’efforts ; il y parvint enfin, non sans faire pousser quelques gros soupirs, et alors comme, du pouce et de l’index, il commençoit à entr’ouvrir les deux lèvres vermeilles pour l’introduction virile, elle empoigne d’une main vigoureuse et hardie ce membre qui alloit la perforer, se relève soudain et se tient debout, en disant à ses deux cavaliers, que chez elle on n’enconnoit que les quatre premiers jours de la semaine et que les trois autres étoient réservés au petites œuvres du poignet.

Arlequin stupéfait, ne se sent pas la force de se conformer à cette loi, il ricane ainsi que son camarade Pierrot ; ils insistent l’un et l’autre ; ils la patinent, la branlent alternativement, la gamahuchent, la retournent de toutes manières pour tâcher de vaincre son obstination qu’ils ne regardent pas comme sérieuse. L’un d’eux (je crois que c’est Pierrot) la saisit entre ses jambes, la trousse par derrière, et dans cette attitude qui le rend maître de tous ses mouvemens et qui met son postérieur dans la plus belle évidence, l’autre la fouette à tour de main ; lui-même lui en donne l’exemple. Ils pensent tous les deux par ce moyen la faire céder à leur commun désir ; cependant elle se débat entre leurs bras, rit, pleure, crie, rit encore, se débarrasse de leurs mains, et après s’être laissé mettre les fesses en feu, persistant toujours dans son refus, et sans paroître beaucoup plus émue, elle reprend son premier calme ; elle fait asseoir Arlequin à côté d’elle, et la chemise troussée jusqu’au nombril, la gorge étalée, laissant voir entièrement à découvert deux charmans globes, elle s’empare aussitôt de son vit, et joue du poignet avec une grâce enchanteresse : quant à Pierrot, un genou en terre, le chapeau à la main, il se tient prêt à recevoir l’éjaculation spermatique d’Arlequin : en effet la postérité mutilée de celui-ci, ne tarde pas à jaillir du fond de deux couilles bien excitées, non seulement dans le chapeau de Pierrot, mais encore sur son visage.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 5
L’Écho foutromane, 1880, Figure 5
NOTA BENE.

Les personnes qui connoissent mademoiselle Pinelli, et qui savent le numéro de son boudoir, pourront certifier la vérité de cette aventure et rendre service aux vrais amis de la belle déesse, en leur faisant faire toutefois la distinction capricieuse des quatre premiers jours de la semaine aux trois derniers.



L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

LA SOLITUDE INSTRUCTIVE

DE MADAME CONVERGEAIS,
CI-DEVANT COMTESSE DE BRANLEMONT.


Madame Convergeais qui, avant les sublimes opérations du Manège, s’étoit élevée au titre magnifique de comtesse de Branlemont ; madame Convergeais, puisque Convergeais y a, est l’une de ces femmes sensibles qu’on croiroit au premier aperçu voluptueuses par sentiment, plus que par besoin, qui cherchent le plaisir dans la nature du plaisir même, l’appellent sans cesse, le demandent à leurs actions, le font naître à chaque pas, l’enchaînent enfin à leurs caprices et à leur volonté.

Sous des traits dessinés par un pinceau mâle, se déploie une physionomie ouverte et dégagée ; un extérieur sévère au premier abord, tempéré par un sourire modeste, mais gracieux, adoucit la fierté d’un maintien qui n’est dépourvu ni de grâces, ni de noblesse. Livrée dès sa plus tendre jeunesse au tourbillon du monde, le manteau factice de la décence n’a pas toujours voilé rigoureusement sa conduite publique ; mais elle a eu soin de bannir de ses boudoirs cet argus importun, sans cesse prêt à s’opposer à des jeux qui font notre délire et qu’il ose improuver, avec une rigidité glaciale qui effarouche les plaisirs les plus avoués de la nature. Voilà le portrait et les principes de madame Convergeais : nous allons les mettre en action.

Madame Convergeais a longtemps associé ses plaisirs privés à ceux des hommes ; mais soit que la foiblesse des uns et l’inconséquence des autres l’aient trop contrariée, ou peut-être, en effet, soit qu’elle ait voulu déférer aux conseils d’une amie, elle s’est tout à coup détachée de leur société. Avec un tempérament de feu, qu’il sembleroit à l’entendre qu’elle eût voulu étouffer, et qui s’en est irrité davantage, elle a emprunté les dehors d’un maintien rigoureux, qui n’est au fond qu’une espèce de pruderie. Ce nouveau masque qui la cache à elle-même en impose à ceux qui l’ont eue au point de leur faire douter si c’est avec son con vermeil et lascif qu’ils ont connu l’ivresse de l’amour dans toute son étendue, tant elle a le secret de se déguiser à leurs yeux, en éludant leurs propos sémillans, et en se mettant en garde avec tout l’art imaginable contre leurs quolibets gesticulateurs.

D’ailleurs, sans avoir conçu de l’aversion pour les hommes, sensuelle à l’excès, elle a cherché vainement dans le nombre de ses amans, le prix de ce qu’un tempérament ardent, joint aux autres raisons qu’on vient de développer, leur faisoit éprouver, et son dépit l’a portée à s’abstenir désormais de leurs vits insuffisans ; elle a eu la folle présomption de croire pouvoir les suppléer par elle-même. Sa présomption est grande, en effet, et singulière, ou du moins est-ce un problème que nous allons donner à résoudre ?

Mais nous pensons qu’il est nécessaire, avant, et même en quelque sorte indispensable, de présenter ici le tableau de cette rupture si étrange et des circonstances qui l’ont amenée. Un pareil divorce est fait pour intéresser sous tous les rapports.

Trois jeunes élégans du siècle étoient les derniers favorisés qui se disputoient l’empire de madame Convergeais, ou plutôt qui en partageoient les tendres fonctions. Chacun deux aspiroit en particulier à la nomination absolue, et ils espéroient, pour parvenir à ce but, de consolider, en les confirmant de nouveau, leurs droits respectifs, tombés, pour ainsi dire ou à ce qu’ils croyoient, en désuétude.

Ils étoient habitués à cultiver sa société assez régulièrement tous les jours, et à goûter avec elle la fraîcheur des soirées d’un été brûlant dans l’un de ces jardins où le luxe de l’art se marie si magnifiquement avec la majesté de la nature ; où des fleurs de toute espèce par un mélange enchanteur d’odeurs et de couleurs chatouillent les sens si délicieusement ; où des berceaux odorans, élevés par la main de Flore et parsemés dans des bosquets étendus, isolés, invitent si impérieusement à toutes les voluptés renfermées dans la capacité de l’âme.

Le galant triumvirat se rend, selon sa coutume, individuellement chez madame Convergeais. Ils avoient toujours été admis sur-le-champ auprès d’elle, surtout au moment de la toilette où des amans, quel que soit leur nombre, ne sont jamais inutiles. Il fallut, pour cette fois, subir un ordre rigoureux. Madame étoit, par cas fortuit, en petit conciliabule avec une ancienne amie, et elle avoit fait dire que dès que ses trois complaisans arriveroient on les priât de passer dans le jardin, où elle iroit les rejoindre. Ils parurent successivement l’un après l’autre, et on leur signifia cette nouvelle loi qui n’étoit pas excessivement cruelle ; mais elle se montra telle à leur empressement, et ils en murmurèrent tout bas.

Ils furent donc parcourir le bois, un peu étonnés, dis-je, des dispositions récentes qu’on prenoit à leur égard, et cependant ne soupçonnant pas le motif qui les faisoit imposer. Ils se rencontrent, ils s’abordent alternativement, se font part de ce changement étrange que leur amour-propre, d’intelligence avec leur cœur, caractérise de caprice, et chacun se félicite en secret et tressaille de voir que ce n’est par aucune raison de prédilection pour l’un d’eux. Un certain dépit qu’ils avoient conçu et qu’ils tenoient concentré s’évapore après ce léger éclaircissement.

Un amant heureux est toujours injuste. Il semble qu’une femme, non contente de lui avoir sacrifié son honneur, doit encore immoler à son imprudence sa réputation entière ; c’est-à-dire lui déférer continuellement les yeux fermés. Mais une femme comme madame Convergeais qui, n’importe par quelle raison, s’étoit promis de mettre plus de régularité dans sa conduite extérieure avoit besoin de se former un plan ; et c’est ce qu’à l’instant même elle étoit occupée à faire avec une ancienne amie de couvent. Laissons pour un instant notre triumvirat amoureux rêver dans le jardin aux moyens de posséder personnellement le domaine commun où les désirs réunis de tous les trois ont exercé jusqu’ici l’empire de la volupté, tandis que nous allons jeter les yeux sur les résultats d’un plan destructeur de tout vrai plaisir, quoique imaginé par deux femmes qui l’ont connu, l’ont idolâtré, et qui s’étudient sans cesse à le fixer autour d’elles.

L’amie de madame Convergeais est remarquable par un embonpoint prodigieux, qui ne laisse pas que d’avoir ses prosélytes en amour. Elle porte sur l’empreinte de ses traits l’une de ces physionomies froides que semble démentir un œil vif et tendre par intervalle ; du moins sa vie printanière a à peu près justifié notre jugement. Elle est aujourd’hui sur le retour de l’âge, et un sentiment coupable, mais trop naturel dans une femme qui a joui, et qui se voit survivre à elle-même, l’a portée à envier, dans sa jeune amie, des plaisirs dont un abandon prématuré la prive impitoyablement.

Elle a d’abord tenté de lui reprocher le scandale de la trop grande publicité de ses aventures galantes avec différentes personnes qu’elle nomme. Madame Convergeais l’écoutoit et n’étoit point émue de ce propos qui n’atteignoit point ses principes, et qui ne pouvoit par conséquent la blesser. Alors cette amie croit entrevoir qu’elle a fait une fausse attaque, et feignant, par une subtile correction de se reprendre, elle lui dit que tous les plaisirs sont le domaine de la société entière ; que chacun peut à son gré en faire la moisson ; que les uns les puisent dans les douces sensations qui émanent de la nature par l’union voluptueuse de deux êtres de différent sexe ; d’autres vont le chercher dans d’autres affections.

— Et ceux-là, reprend-elle, ne m’ont jamais fait envier leurs goûts, et le temps où ils les ont satisfaits.

Je m’arrête au plaisir des cœurs, et je prétends que pour le connaître dans toute son énergie il ne faut point qu’il soit environné des regrets, qui sont quelquefois le résultat d’une vie trop indépendante et trop ordinairement les suites de l’inconséquence de l’objet qui ne peut en être l’instrument qu’en le partageant. Vous croyez recevoir des mains d’un amant la coupe du plaisir, comme les dieux recevoient le nectar des mains de Ganymède, et ce n’est qu’une liqueur emmiellée à la vérité, mais dont le fond n’est que de l’absinthe. Son amertume ne tarde pas à se déceler et à abreuver votre cœur.

Il est des moyens de se livrer au plaisir que la nature nous commande, sans que la flétrissure de l’opinion publique puisse le poursuivre, sans qu’une indiscrétion meurtrière puisse nous assassiner, sous le fer de la médisance.

— Ainsi, répliqua tranquillement madame Convergeais, vous me conseilleriez de renoncer désormais aux meilleurs amis de mon cœur.

— Ah ! interrompit madame de Gersai, dites plutôt vos plus mortels ennemis.

— Eh bien ! je vous l’accorde ; mais s’ils m’ont fait bien des maux, je leur dois bien des plaisirs, et je suis entièrement résolue à n’en plus recevoir d’eux.

— Embrassez-moi, ma chère et digne amie, je vois avec attendrissement que vous appréciez le vrai plaisir, le plaisir pur et que vous saurez le puiser à sa source.

Et elle la baise tendrement au passage de la parole.

— Ne croyez pas, reprend madame Convergeais, après cette affectueuse accolade, m’avoir séduite. Soit devoir ou fantaisie, la résolution que j’ai prise étoit dans mon âme antérieurement à notre entretien et s’y trouve conforme pour l’effet ; mais elle va peut-être en différer pour le fond.

Ces trois mortels dont la société, vous le savez, me fut longtemps chère et qui m’attendent dans les bosquets du jardin, qui peut-être ont préparé, sous l’un des berceaux, le théâtre de leurs plaisirs ; eh bien ! ils vont me voir paroître ; le sentiment trompeur du plaisir va les faire tressaillir ; il va gonfler leurs veines, il va gonfler surtout cette partie si puissante qui, semblable à la verge de Moïse, répand en s’agitant cette manne liquéfiée, cet aliment de nos cœurs qu’elle plonge dans des torrens de délices : et moi je ne veux plus connoître ces plaisirs, cette jouissance si douce ; elle m’est devenue fastidieuse, j’y renonce, et pour toujours.

Je vais les désespérer par cet aveu ; mais ils pourront donner un champ libre à leur flamme abusée, ils pourront espérer de me reconquérir ; ils continueront, s’ils veulent, à me porter leurs vœux, leurs hommages, leur ardeur, auxquels je serai insensible, et satisfaite de ma propre estime, si c’est vraiment un mérite réel qui puisse me servir d’égide, je braverai encore l’opinion qui ne manquera pas de me poursuivre et de calomnier peut-être encore l’innocence de mes actions. C’est là le dernier vœu auquel je m’arrête. Je vais le remplir. Vous, mon amie, restez dans le salon ; je ne tarderai pas à m’y rendre et à vous convaincre de la solidité de mes principes et de la confiance que vous me devez.

Elle s’élance aussitôt vers le jardin, et laisse madame Gersai dans un profond étonnement ; elle traverse le parterre en fredonnant un air tendre, et se rend sous un berceau qui se trouve le plus voisin d’elle. L’un des chevaliers de la dame qui étoit aux aguets et qui l’avoit aperçue, y vole : la voir, la saisir dans ses bras, la presser étroitement contre son sein, l’accabler de baisers furent l’objet d’une seule action.

Aussitôt que son agitation un peu calmée lui eut permis de pouvoir balbutier quelques sons, ce fut pour lui demander le prix d’une ardeur toujours plus renaissante et plus vive, et, en même temps, il se disposoit à réaliser ce que, pour la première fois, on ne voulut pas consentir d’effectuer.

Il la presse, mais elle persiste, et lui dit que telle est la loi qu’elle s’est imposée à elle-même ; elle ne veut plus partager avec les hommes une jouissance qui cependant fut longtemps son unique pensée, le seul mobile de son existence, et le seul plaisir qu’elle voulût connoître.

— Quoi ! répliqua cet amant infortuné, vous croyez me résoudre à la nécessité de penser que je vous ai connue pour ne plus revoir en vous que la plus cruelle des femmes, qui ne pourrait avoir d’autre but que celui de me sacrifier !

Non, je ne vous crois pas, vous ne sauriez être injuste à ce point. Eh ! comment aurois-je démérité ces tendres faveurs qui m’ont tant de fois élevé au-dessus des facultés humaines, lorsque je puisois dans votre sein ce plaisir si pur qui ne peut émaner que de vous seule ou du ciel ? Je ne fais point un pas dans ces bosquets délicieux, sous ces dômes de verdure, sans y rencontrer des monumens ineffaçables de nos épanchemens mutuels. Ici est un arbrisseau jeune encore qui porte l’empreinte de nos feux. Elle survivra à notre souvenir, cette empreinte fidèle de mon bonheur, aux siècles qui la perpétueront. Je vois d’ici ce gazon que le choc des plus tendres ébats, la chaleur des désirs les plus pressans et les plus satisfais n’a pas encore permis de s’élever au niveau de cet autre gazon qui l’avoisine, et qu’a épargné notre tendresse.

En lui peignant ainsi l’expression de ses sentimens, il lui serroit la main et la conduisoit vers cet endroit qui par l’énergie de sa position garantissoit l’authenticité de son ardeur. Qu’il étoit séduisant en ce moment et par conséquent difficile d’échapper à tant de pièges ! Il le faut confesser, c’étoit le plus jeune, le plus beau et sans contredit le plus aimable des trois. Sa main commençoit déjà à s’égarer furieusement, et elle, toujours en état de défense, commençoit à ne plus avoir des forces suffisantes, ni au moral, ni au physique, pour se défendre.

Tout à coup surviennent les autres soupirans, qui s’attendent à être traités au mieux, ainsi qu’ils présument que leur rival vient de l’être. L’un des deux reste seul, comme c’étoit convenu, et l’autre se retire avec celui qui vient d’être remplacé dans le temple du bonheur dont ils se disent les trois principaux desservans. Celui-ci qui n’a pu réussir à y officier, comme on vient de le voir, ne goûte point cette allégorie, et ne répond que par un air morne ; ce qui fait penser à son rival que la jalousie domine dans son âme, et que vraisemblablement il désireroit ne point faire de partage avec ses deux compagnons de tendresse.

Doublement malheureux et par ce soupçon, et par la cruauté de leur commune maîtresse, il déclare ce qui vient de lui arriver ; mais on refuse de le croire. Bientôt après l’incrédule lui-même va subir le même destin. Le second arrive, et se croyant seul dédaigné, n’ose d’abord confier son mauvais succès ; mais enfin enhardi par la tristesse de celui qu’il vient de rejoindre, ce qui semble lui indiquer une pareille aventure, il lui déclare que madame Convergeais catéchisée apparemment par quelques réfractaires, s’est coiffée de leur sotte morale, et que par un égoïsme effroyable, digne des préceptes consignés dans leur doctrine aristocratique, on lui aura interdit de continuer à faire des heureux.

— C’est ce que, du moins, ajoute-t-il, j’ai cru démêler dans la résistance entière que je viens d’essuyer ; car ne m’ayant donné aucune raison de son refus, j’induis de là qu’elle auroit eu honte de m’avouer la véritable cause de celui dont elle s’est rendue coupable, au mépris de nos sermens ; et je juge à votre chagrin que pareille chose vous est arrivée.

— Ah ! reprend celui-ci, je reste moins étonné de son procédé indigne, puisqu’elle vous le fait partager ; mais je ne puis tomber d’accord avec vous qu’un prêtre ou laïc, soit réfractaire, soit constitutionnel, ait pu rien changer à ses principes. Je connois trop la trempe de son caractère ; la volupté en étoit le souverain mobile, elle n’existoit que pour jouir, et elle avoit reconnu que la première des jouissances et la plus parfaite n’avoit sa source que dans le mélange, la réunion intime des deux sexes.

Elle s’étoit choisi trois athlètes pour lutter alternativement, et remporter trois victoires contre une, sur chacun d’eux ; et voilà que, tout à coup, démentant ses principes, son caractère, elle renonce à ce plaisir qui fut sa suprême loi, et qu’elle a reconnu ne pouvoir être mieux senti qu’en le distillant dans trois différens alambics, où elle en puisoit la quintessence, à moins que notre rival commun… Il s’interrompt tout à coup en le voyant venir à eux.

Celui-ci arrive outré.

— Quoi ! dit-il, une femme, qui a réuni toutes mes pensées, qui a dirigé toutes mes actions, qui fit toute mon ambition, que j’aimais sans doute, pourra se jouer aujourd’hui de moi, de vous peut-être, et nous priver d’un plaisir dont la douce faveur n’existe véritablement qu’en elle ! Je vois à vos fronts consternés qu’elle vous a aussi mal reçus que moi. Et je suis d’avis que nous lui en demandions raison tous ensemble. Le procédé ne sera pas généreux, mais il sera juste, et nous ne ferons qu’user du droit de représailles.

Il finissoit de parler lorsque madame Convergeais entre : ils étoient tous les trois résolus de mettre à exécution la proposition peu loyale qu’on vient d’entendre. Elle se présente à eux d’un air fort gracieux, affectant une grande retenue, et leur dit que le nouveau genre de vie qu’elle a embrassé ne lui permet plus de se livrer à des épanchemens voluptueux qu’ils lui ont fait partager tant de fois avec tant de sensibilité, mais qu’elle en conservera un long souvenir. En même temps elle les embrasse, en leur disant qu’elle ne peut rester plus longtemps avec eux, et elle les invite à continuer à la voir.

Cet aveu les rend stupéfaits ; cependant le baiser qu’elle leur a donné est au moment de les enhardir ; néanmoins aucun d’eux n’ose rien entreprendre malgré ce dont ils étoient convenus. Ils alloient demander des explications ; déjà son beau sein étoit en proie à leurs mains furtivement téméraires ; déjà pressée entre les bras de l’un et par les baisers de l’autre, qui, craignant l’ascendant d’un mot rigoureux sorti de sa bouche vermeille, avoit pris la précaution de la lui tenir fermée avec la sienne, tandis que le troisième s’égaroit volontairement où l’on se doute bien ; ils étoient au moment peut-être d’exécuter leur projet incivil et contraire à la déclaration des droits qu’elle peut enfin réclamer, ce qui les arrêta : car fort heureusement elle étoit entre les mains d’amis de la constitution jacobite.

— Quoi ! leur dit-elle, dès qu’elle les eut désarmés, vous, dont les procédés m’ont été si agréables, vous pourriez avoir le dessein de ravir par la force un bien que je vous ai livré de gré à gré, et que tant de fois vous avez mis au rang de vos plus douces jouissances ! Vous ne pouvez vous faire cette injure à vous-mêmes, et ceux que j’admis à mes plaisirs les plus secrets ne peuvent en aucune circonstance perdre la confiance qu’ils m’avoient inspirée.

Ce sont les dernières paroles qu’elle proféra en les quittant brusquement. Ils furent quelque temps immobiles, et finirent par prendre leur parti et par se retirer, se promettant bien en particulier de la revoir et de tâcher de démêler en elle les motifs d’une rigueur si désespérante.

Elle rejoint son amie : celle-ci court au-devant d’elle et ne peut croire qu’elle n’ait succombé.

— À la vérité, peu s’en est fallu, dit-elle, ce n’est pas sans de furieux combats que je leur ai résisté ; mais enfin je suis venue à bout de me tenir parole à moi-même, et je vous prouve qu’une femme n’est pas toujours aussi foible qu’on le pense.

— Je ne sais, répond l’amie, si je dois tout à fait vous en croire, du moins vous ne pouvez refuser à mes yeux la conviction d’un fait que je regardois comme impossible chez vous.

En même temps elle l’étend sur un canapé et la trousse jusqu’au nombril. Surprise de ne trouver autour de la porte des plaisirs secrets aucune trace de l’action conjonctive dont elle ne la croyoit pas capable d’avoir pu se priver, au milieu des différentes attaques qu’elle a essuyées, elle veut lui donner le prix de cette triple victoire qu’elle venoit de remporter, en la manuélisant ; mais elle s’y refuse, en lui disant qu’elle ne borne pas là sa conquête : qu’elle veut aujourd’hui triompher des hommes et des femmes.

Cette amie parut un peu piquée ; mais réflexion faite, prit le parti de dissimuler, et lui dit que c’étoit une nouvelle preuve qui lui confirmoit de plus en plus qu’elle ne lui en imposoit pas. Elle loua ce qu’elle appela son héroïsme, et la laissa bientôt après, toujours un peu choquée de son refus, qu’elle eut bien de la peine à lui pardonner par la suite.

Le premier soin de madame Convergeais, après le congé général qu’elle a signifié à ses trois amans, et surtout après les combats qu’elle vient d’essuyer, a été de se retirer dans son appartement ; et là, après avoir quelque temps rêvé à ce qu’elle alloit faire, son imagination enflammée par les désirs les plus chauds et les plus pressans, lui a suggéré l’idée la plus ingénieuse. Elle passe dans son boudoir, saisit son miroir de toilette, et assise sur un fauteuil d’osier, le coude droit appuyé sur la table où est le miroir qu’elle tient dressé sous ses yeux avec sa main, le pied opposé portant sur un tabouret peu élevé, elle se contemple à loisir.

Ensuite, de sa main gauche se trousse, et relevant sa chemise jusqu’au-dessus du nombril, elle découvre la nacelle de Vénus la plus séduisante, la mieux ornée qui existe dans tous les ports de Cythère ; les rivages en sont délicieux ; mais quels avirons seront assez fortunés pour la diriger, pour la mettre au mouillage ? Ce sont deux doigts de rose qui vont entreprendre cette œuvre. Madame Convergeais, elle-même, va conduire son petit vaisseau vers le bonheur qu’elle cherche ; elle commence à agiter les flots du plaisir bondissant dans ses veines ; ses yeux attachés sur son miroir suivent les progrès du travail ; elle en observe les gradations, elle en calcule les effets, et d’efforts en efforts, d’agitation en agitation, accélérant la vitesse de ses mouvemens, elle parvint à voguer en plein élément.

Elle est au moment de s’égarer ; sa boussole vise au port, sa proue y touche ; ses yeux se troublent, elle arrive au bonheur, et le bonheur lui échappe aussitôt qu’elle y atteint ; mais le souvenir lui en est encore si doux, qu’elle proteste qu’elle ne veut prendre dorénavant que cette route pour lui rendre hommage ; qu’elle n’aura d’autre amant que son doigt, d’autre conseil, d’autre guide que son miroir, d’autre plaisir enfin que celui de décharger sans la participation des hommes.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 7
L’Écho foutromane, 1880, Figure 7

Ah ! madame Convergeais ! que je plains votre erreur avec cette bizarrerie de caractère ; ce n’est point la peine d’étaler aux yeux avides de tant de beautés, les tétons charmans qui ornent votre sein d’albâtre, et ces deux belles cuisses si blanches et si fermes, servant comme de colonnes au temple de la volupté, et cette motte frisée dominant au-dessus de cette petite ouverture, le désespoir des vits que vous abandonnez, si pourtant il faut vous en croire, et pour lesquels vous étiez née.

Mes lecteurs me pardonneront d’avoir peut-être exprimé leur opinion, qui est aussi véritablement la mienne.




L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

DÉCLARATION CATÉGORIQUE

À MA PARFUMEUSE


Connois, Iris, le désir qui m’anime :
Amour demande une double victime ;
À son autel il faut sacrifier,
Reçois mon cœur, je l’offre tout entier :
Non pas ce cœur, être métaphysique,
Tout consumé d’une ardeur platonique,
Qui s’exhalant en soupirs superflus,
Brûle sans cesse et ne fait rien de plus.
L’amour exige un cœur moins illusoire,
Dont la vigueur ait acquis quelque gloire,
Qui, plein d’audace et ferme en sa vertu,

Dans vingt combats ne soit point abattu ;
Tel qu’à ton nom, surtout en ta présence,
Je sens le mien dans son impatience,
En frissonnant, soudain se ranimer,
Roidir, grossir, s’allonger, s’enflammer,
Et redressant à ta seule pensée
Sa tête altière à l’instant élancée,
Quitter au loin d’un effort assuré
Ce noir duvet dont il est entouré.
Voilà le cœur que l’amour me demande.
Ce n’est le tout : il lui faut double offrande :
Il veut encor que le même lien
En réunisse un autre avec le mien.
Or celui-ci n’offre qu’une ouverture
Dont le corail fait toute la bordure :
Moins il se livre et plus il est goûté.
Son vrai mérite est l’élasticité,
Qu’il charme alors qu’un premier jour l’éclaire !
Timide, il a plus de droits pour nous plaire.
C’est un anneau d’un ovale parfait
Qui rehaussé par un tendre duvet,
Semble cacher à l’œil qui le désire,
Sa douce approche après qui l’on soupire.
Rare bijou, relégué par l’amour,
Sous un coteau qui domine à l’entour.

Un fort taillis le couvre, l’environne :
Des deux piliers qu’il termine et couronne,
L’amour plaça son foyer au milieu,
D’où comme un astre il met partout le feu.
Ces piliers sont d’une forme ronde :
Les séparer est l’œuvre où l’on se fonde
Et ce travail est celui de l’amour ;
Il s’y consume et la nuit et le jour.
Mais maint obstacle, appelé pruderie,
Fausse pudeur, crainte ou coquetterie,
Rend ces piliers souvent lents à s’ouvrir,
Ou se rouvrant pour mieux se réunir,
Jusqu’au moment qu’on cède à la nature
L’amour se plaît à leur belle structure.
Ils sont, au tact, d’un poli séducteur,
L’albâtre même indique leur blancheur.

Fais, tendre Amour, qu’à mes yeux ils s’entr’ouvrent,

Que ces regards, cette main y découvrent
Ce cœur divin où tendent mes efforts :
Livre à ma flamme, à mes tendres transports,
Ce cœur, hélas ! où déjà mon cœur entre.
Va-t-il l’atteindre, et placé vers le centre,
Vers le taillis ose-t-il s’enfoncer ?
Ah ! dans ce bois, son œil fier va percer.

La foible issue à son audace offerte,
Étoit fermée ; elle est plus qu’entr’ouverte.
Il y pénètre, il s’y voit tout plongé :
Mêlés tous deux, l’un par l’autre engagé,
Dans ce beau lieu qu’ils trouvent de délices
Et que l’amour goûte ces sacrifices !





LE PRÊCHE

CONTE.


Le jeune Ormon brûloit pour Isabelle,
Et, dit l’histoire, en étoit bien reçu :
À ses désirs la trouvant trop rebelle,
Plan de la vaincre aussitôt est conçu,
Et le roman est à peine tissu,
Qu’il veut déjà conclure avec sa belle.

Il eut bien tort : rester sur le désir,
Filer la scène avec un peu d’adresse,
Prier, presser, et n’oser réussir,
Voir la pudeur combattre la tendresse,

Ces doux oublis que l’on pourrait saisir,
Les respecter jusqu’au sein de l’ivresse,
Je m’y connois, c’est le sel du plaisir.

Mais en amour comme aux champs de la gloire,
Qui dit François, dit un enfant gâté.
Notre étourdi moins tendre qu’emporté,
Ne veut que vaincre, et brusquant la victoire,
Dans son amante éveille la fierté.
Il échoua : le trop de confiance,
Presque toujours nuit à la volupté.

Triste, confus, voyant son imprudence,
Il tente en vain d’excuser son ardeur.
Que peut-il dire, hélas ! pour sa défense !
Par un succès on calme la pudeur ;
Mais un échec fut toujours une offense :
Pleurs de couler, pleurs et soupirs perdus.
Dans son boudoir aussitôt on s’enferme,
Sans être ouverts les billets sont rendus,
Un mois, deux même, Isabelle tient ferme.

Un soir enfin le malheureux Ormon,
Par un des gens est instruit qu’Isabelle,
Le lendemain doit se rendre au sermon.
Mon homme y court, se glisse à côté d’elle,
Tremble, palpite, est presque au désespoir

De ce qu’on semble ignorer sa présence ;
Mais on l’a vu, car on craint de le voir.

Or, messieurs, chut, notre orateur commence :
« Vous ne serez jamais de bons chrétiens,
Si votre cœur ne pardonne l’offense,
Chapitre trois, Paul aux Corinthiens ! »

À ce début la belle est tout oreille.
Paul a raison, il pensoit à merveille :
Perdre à la fois son amant et le ciel,
Seroit avoir par trop de maladresse,
Et pour montrer qu’on a l’âme sans fiel,
On fixe Ormon d’un œil plein de tendresse,
Au premier point : « On peut mourir demain,
Dans le tombeau faut-il porter sa haine ?
Ah ! pour s’aimer Dieu fit le genre humain ! »

La belle alors que son bon cœur entraîne,
Se reprochant sa conduite hautaine,
Regarde Ormon, et lui serre la main ;
Au second point redoublant d’éloquence :
« Il est encore un plus sacré devoir :
Rendez le bien en place de l’offense,
À ce prix seul Dieu vous laisse un espoir ! »

La belle alors révoquant sa défense :
— Mon cher Ormon, je vous attends ce soir.



L’OBSTACLE

CONTE.


  Muse, au fait, évitons les mots ;
  Tous nos conteurs pour l’ordinaire
  S’épuisent en avant-propos,
 N’en faisons point, allons droit à l’affaire.

 Un jouvenceau, jeune, et taillé pour plaire
  Après avoir bien soupiré,
Pressé, promis, menti (car c’étoit de se taire)
Parvint près de sa belle au moment désiré.
  Mon drôle pénétré de joie,
  Les yeux en feu, tremble d’ardeur
  En cherchant à gagner la voie
  Qui doit le conduire au bonheur ;
 Il l’atteignoit, quand par triste aventure,
  Sans pouvoir avancer d’un pas,
 Il se démène, il souffle, il sue, il jure ;
 (On peut je crois jurer en pareil cas !)
  Disons le fait, dame nature,
Avoit mêlé d’amour la gentille serrure,
  Si bien que la clef n’entroit pas.
 Certain barreau… mais on m’entend de reste,
  Sans qu’il soit besoin d’achever ;

Qu’Amour, jeunes beautés, veuille vous préserver
  D’un accident aussi funeste !
 Ainsi soit-il. Venons à notre amant,
Le désir dans ses sens par l’obstacle s’enflamme,
Il redouble d’efforts, mais inutilement.
D’amour et de colère, enrageant en son âme,
 Son chalumeau déjà baissoit d’un ton
(On peut se fourvoyer quand on marche à tâton)
Dans le sentier prochain… Arrêtons, et pour cause.
  Car ce sentier… ma foi, je n’ose
 Vous le nommer ; mais je peux, sans qu’on glose,
Dire que sa Vénus ne fut plus qu’un giton.
À ce nouvel assaut n’étant point préparée,
  En vain la belle imperforée,
Lui crie : — Arrêtez donc ! quel est votre dessein ?
  — Rien de plus simple que la chose,
Répond le gars, chez vous je trouve porte close,
  J’écris mon nom chez le voisin.





LE BON PÈRE

CONTE.


Des cendres de Pindare est né le grand Rousseau ;
Horace à Despreaux a légué son génie ;
  Des mains du chantre d’Ausonie,
  Voltaire a reçu le pinceau.
Mais en vain je parcours les beaux siècles de Rome,
  Je n’aperçois pas un seul homme,
Qui d’un conte plaisant régale mon cerveau.
  Est-ce que dans cet heureux âge
  Aimer était un temps perdu ?
 De la beauté le brillant avantage,
  N’étoit-il rien sans la vertu ?
  Je n’en savois pas davantage,
  Mais j’avois cru tout bonnement
Qu’amour en tout pays, objet de notre hommage,
  S’annonçoit par le sentiment,
 Et finissoit par un plus doux usage ;
Ou du moins aujourd’hui c’est la marche qu’il prend,
Comme vous le verrez en achevant la page.
  Dans un pays de bonnes gens,
Où règnent le plaisir, la paix et l’abondance,

  Vivoit depuis quinze ou seize ans,
La nièce de Robert que l’on nommoit Laurence.

Ses yeux n’étoient point beaux, son teint n’étoit point blanc,

Sa taille étoit très forte, et son front un peu grand.
 Et cependant sa démarche légère,
 Son air content invitoit au plaisir,
 Elle allumoit certain désir de plaire,
 Que l’on pourroit d’un seul mot définir,
 Si l’on faisoit tout ce qu’on pourroit faire.
 Vivoit aussi dans la même maison,
Le neveu de Robert : c’étoit un gros garçon,
 Large d’épaule et bien pris dans sa taille.
Un soir qu’on finissoit d’enfermer la moisson.
Laurence et son cousin assis sur de la paille
Convoitoient les trésors qu’ils venoient de serrer.
Disant : — Si nous avions tout ce gain en partage,
  Bientôt un heureux mariage…
L’hymen est le seul Dieu qu’une fille à cet âge
  Se presse toujours d’implorer.
 — Qui prendrois-tu, Laurence, si ton père
Laissoit errer tes vœux sur le choix d’un mari ?
Je voudrois, répond-elle, un jeune homme sincère,
Dans lequel je trouvasse un amant, un ami,
  Et qui sauroit assez me plaire,

  Pour mettre mon cœur à l’abri
  De cette inconstance ordinaire
 Qui suit l’hymen même bien assorti.
— Et moi, reprit André, je voudrois une femme,
Qui ne ressemblât point à celle que j’ai vu,
Qui préférât encor les qualités de l’âme,
  À ce qu’on nomme la vertu :
 Ah ! si tu n’étois point la nièce de ma mère !
 Au même instant il la prend dans ses bras.
 Laurence avoit les yeux fixés en terre,
  Et cachoit mal son embarras,
 Quand tout à coup elle aperçoit son père,
  Qui quittoit le voisin Lucas.
Elle se lève, court sans avoir rien à faire.
Le père qui voit bien qu’on ne l’attendoit pas,
Leur dit en souriant : — Finissez votre affaire,
La mienne est de courir chercher vite un notaire,
  Et c’est où je porte mes pas.




LE PASSANT


Un passant tout déguenillé,
Gueusoit d’une manière immonde :
Il étoit si mal habillé,

Qu’il scandalisoit tout le monde.
Le drôle le faisoit exprès,
Et s’en gobergeoit en lui-même.
Mais on mit les archers après,
Tant l’impudence étoit extrême !
Voilà les témoins assignés.
Tous les hommes le reconnurent,
Et sur ses traits bien désignés,
Hautement contre lui conclurent.
Les femmes furent son appui :
Car toutes, dans leur témoignage,
Dirent : — Je ne sais si c’est lui ;
Je n’ai pas pris garde au visage ;


FIN