L’Échec de la guerre sous-marine
Revue des Deux Mondes6e période, tome 47 (p. 643-670).
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L’ÉCHEC
DE
LA GUERRE SOUS-MARINE

I
LA DESTRUCTION DES SOUS-MARINS


LA DÉSILLUSION ALLEMANDE

Au mois d’avril 1916, l’amiral von Holtzendorff, alors chef d’état-major général de la marine allemande, faisait cette déclaration au Reichstag : « Donnez-nous cinq mois de plus et vous vous rendrez compte de ce que nous pouvons faire au commerce maritime anglais. Le cercle se resserrera autour des Iles Britanniques. Nous verrons bien alors si l’Angleterre continuera de soutenir qu’elle ne fera pas la paix avant la complète destruction de l’Allemagne. » Bien des mois se sont écoulés depuis cette prophétie ; non seulement le cercle ne s’est pas resserré autour de la Grande-Bretagne, mais le mouvement dans les ports du Royaume-Uni est en voie d’augmentation : il atteignait 7 777 843 tonnes en mai, contre 5 546 673 tonnes en avril 1918. Et M. Lloyd George, s’associant au chant de triomphe entonné par M. Hoover au Guildhall au sujet de la sécurité des ressources alimentaires de l’Angleterre, disait le 26 juillet : « Toutes les chances de l’ennemi de réduire les Alliés par la famine grâce à la campagne sous-marine ont définitivement disparu, »

Trois ministres de la Marine de l’Entente corroborent cette assertion. M. Georges Leygues affirme que la guerre sous-marine « marche à son déclin. » M. Daniels, secrétaire d’État des États-Unis, fait, le 1er août, cette constatation : « La diminution des navires coulés est constante. Le sous-marin a cessé d’être un des facteurs principaux de la guerre. » Enfin, dans une interview publiée par la Tribuna, l’amiral del Bono déclare : « De nombreux submersibles ont été détruits : la situation ne pourrait être plus encourageante. »

On commence en Allemagne à ne plus se faire d’illusions sur les résultats de cette guerre sous-marine dont on s’était tant promis. Le capitaine Persius écrit dans le Berliner Tageblatt : « Nous devons avouer que les espoirs fantastiques de beaucoup d’entre nous ont été vains. » Quelque temps auparavant, le même écrivain annonçait : « Il faut que notre population se persuade que la guerre sous-marine devient toujours plus difficile en raison des mesures plus efficaces de défense adoptées par l’ennemi. »

L’Amirauté allemande cherche à masquer sa déconvenue. Afin de cacher l’importance des perles de sous-marins, elle donne l’ordre, dans les avis de mort concernant les membres des équipages, de ne jamais déclarer que l’homme dont on annonce le décès faisait partie du personnel d’un sous-marin, à moins que n’ait été officiellement annoncée la perte du sous-marin lui-même. Et elle fait écrire par le colonel Egli, pour expliquer que 1 300 000 soldats américains aient pu passer en Européen ne perdant que 291 hommes : « Ce serait une faute si les » commandants des sous-marins étaient uniquement animés de l’orgueil de couler un transport de troupes de 1 500 Américains, oubliant ainsi le but principal de la guerre sous-marine. » Cette ingénieuse boutade ne rappelle-t-elle pas certaine fable du bon La Fontaine ?

Lisez maintenant l’exposé de l’amiral von Cappelle devant le Reichstag. Le ton est loin d’en être victorieux : « Évidemment, dit-il, les résultats de la guerre sous-marine devront diminuer avec la réduction du trafic maritime. Cela ne changera rien au succès final, pas plus que le fait que, dans certaines circonstances favorables pour les adversaires, les pertes de sous-marins peuvent, d’une façon passagère, être plus élevées que la normale. » Enfin, mieux que toutes les déclarations et que tous les discours, un fait prouve que la guerre sous-marine a fait faillite aux yeux de l’Allemagne elle-même. L’amiral Holtzendorff, le promoteur de la guerre sous-marine à outrance, le prophète qui avait promis de jeter l’Angleterre à genoux en l’espace de cinq mois, vient d’être relevé de ses fonctions « pour raisons de santé : » cet euphémisme ne saurait tromper personne. Et l’amiral von Cappelle, ministre de la Marine, n’a pas tardé à suivre le chef d’État-major général dans sa retraite.

Ainsi, il suffit de comparer, à dix-huit mois d’intervalle, les extraits de la presse et les déclarations des hommes d’État allemands avec le langage et les réalités d’aujourd’hui, pour se convaincre que le rêve formé par l’Allemagne de réduire l’Entente grâce à la guerre sous-marine, fait place aujourd’hui à une amère désillusion. En vain l’Amirauté germanique cherche, ainsi que l’avoue Persius, à cacher au peuple la vérité, celle-ci finira toujours par être connue. Il y suffirait des avertissements venus du dehors et qui ne manqueront pas au peuple allemand. Un journal suisse germanophile, le National Zeitung écrit nettement : « La guerre sous-marine a été une défaite. »

L’histoire de la piraterie sous-marine tient entre deux chiffres, entre deux dates : en janvier 1917 le tonnage coulé se monte à 409 000 tonnes et suit une progression tellement inquiétante qu’au mois d’avril suivant il s’élève à 893 000 tonnes. À cette époque, pas un Américain n’a franchi l’Atlantique. Au 1er août 1918, le tonnage mensuel détruit est tombé à 275 000 tonnes et plus d’un million d’hommes des États-Unis combattent déjà dans les armées de l’Entente. Un chef de bataillon, neveu du prince de Bülow, fait prisonnier par nos troupes à Villemontoire, parut stupéfait en apprenant qu’il y avait une grande armée américaine en France. Il était convaincu, « comme tout le monde en Allemagne, » a-t-il dit, que les effectifs américains ne dépassaient pas actuellement cinquante mille hommes. Or, s’il est possible que les dirigeants de l’Allemagne fassent admettre comme sincères par leurs sujets les résultats truqués de la campagne sous-marine, il est une chose qu’il leur est devenu difficile de dissimuler après la libération de Saint-Mihiel : c’est la présence des magnifiques divisions américaines sur notre front. Nous pouvons avec quelque vraisemblance escompter l’effet de dépression morale que cette constatation ne manquera pas de provoquer chez nos ennemis.

Les Allemands, dans leurs calculs présomptueux, avaient escompté d’une part le développement des qualités offensives de leurs unités et d’autre part notre passivité. Au dogme de l’invincibilité du submersible les événements se sont heureusement chargés de répondre. Mais combien il a fallu aux marines alliées d’indomptable énergie et de persévérance pour enrayer les progrès de la guerre sous-marine, puis en neutraliser en partie les dangereuses conséquences, on l’ignore dans les pays de l’Entente et surtout en France. Sur les torpilleurs, les chalutiers, les patrouilleurs, à bord des submersibles, du haut des hydravions et des ballons dirigeables, officiers et matelots ont acquis des droits imprescriptibles à notre reconnaissance. Cela d’autant plus que leurs faits d’armes sont restés généralement inconnus. L’amiral Ronar’ch a été justement célébré lorsqu’il commandait la brigade des fusiliers, mais on ne parle point des services qu’il rend à la tête des patrouilleurs de la Manche et du Pas de Calais ; on ignore l’œuvre de l’amiral Schwerer qui, à la pointe du Finistère, veille à la sécurité des convois. Cependant on ne dira jamais assez ce que l’on doit aux marins alliés et notamment à l’Amirauté britannique. C’est pourquoi nous voudrions, dans les pages qui vont suivre, présenter au lecteur un tableau aussi complet et exact que possible des efforts accumulés et des résultats obtenus.

Lorsqu’on fait la synthèse de la guerre sous-marine, trois courbes sont intéressantes à déterminer : celle de la destruction des sous-marins, celle de la perte des navires alliés, enfin celle de la reconstitution du tonnage détruit. Pour rendre plus claires les données schématiques de ce triple problème et les présenter sous forme concrète, la Marine française a fait éditer une affiche coloriée qu’elle répand à profusion chez les Alliés, chez les neutres et même chez nos ennemis. Les destructions de navires sont indiquées sous la forme d’un submersible coulant sous les coups d’un patrouilleur ou sous une grenade d’avion et que l’on voit progressivement grandir, tandis que le cargo-boat sombrant dans une explosion de torpille, qui symbolise les pertes alliées, diminue sensiblement de volume à partir du mois d’avril 1917. Ce même cargo-boat figurant sur la cale de construction en tant qu’indice de la reconstitution du tonnage, prend des proportions grandissantes à mesure que nous approchons de l’année 1918. Examinons séparément les trois points que nous venons d’indiquer, et commençons par énumérer les moyens dont on s’est servi pour détruire les sous-marins.


LES MOYENS OFFENSIFS

Dans toute guerre, le premier objectif que l’on se propose est la destruction de l’ennemi. Avant même que les Allemands n’entreprissent contre notre marine leurs attaques sans merci, les Alliés avaient envisagé les moyens de supprimer les sous-marins. Malheureusement il s’agissait pour eux d’improviser de toutes pièces un programme offensif. Durant la paix, aucun procédé tactique de défensive contre-sous-marine n’avait été étudié. On ne se doutait pas alors du rôle que cette arme nouvelle serait appelée à jouer. Les prévisions n’envisageaient, en effet, que l’action des sous-marins contre les navires de guerre dont la défensive se résumait dans l’emploi du canon : soit le canon des grands navires eux-mêmes, soit l’artillerie d’un rideau de torpilleurs disposés autour des escadres de ligne. Accessoirement on avait imaginé des dispositifs de protection des escadres au mouillage par filets et grand’gardes. Et c’était tout ! Les marines alliées ont donc été conduites à mettre en application des méthodes nouvelles pour protéger la navigation commerciale, — méthodes offensives et défensives qui, bien qu’employées concurremment et en liaison les unes avec les autres, ont chacune leur histoire particulière. Nous parlerons d’abord des méthodes offensives.

Ces méthodes, quelles qu’elles soient, visent toutes un même but : la capture ou la perte du sous-marin. Celui-ci pouvant naviguer indifféremment en surface ou en plongée, notre action doit s’étendre à l’une et à l’autre de ces deux positions. Les moyens de destruction qui s’appliquent à la première sont communs à tous les navires qui flottent et n’offrent aucune difficulté de réalisation. Il est donc assez naturel que notre action offensive se soit d’abord tournée vers la recherche de l’ennemi en surface à l’aide de l’arme classique de la guerre navale : le canon. Ainsi, au début des hostilités, le meilleur procédé de la lutte contre les sous-marins consistait à les écraser au moment où ils prêtent le flanc au feu de l’artillerie. Telle fut la première tactique envisagée. Pour la mettre en pratique, on multiplia les éléments flottants armés. On prit d’abord dans l’arsenal des bâtiments existants ceux qui pouvaient se plier à cette tâche. On procéda, aussi bien en France qu’en Angleterre, à la réquisition de tous les petits bâtiments, yachts, chalutiers, caboteurs, etc. Puis on construisit des unités dont c’était la fonction propre. Ces flottilles se développèrent à mesure que s’étendait le champ d’opérations des sous-marins. A l’heure actuelle, les Alliés possèdent des divisions de patrouille tout le long de leur littoral : mer du Nord, Manche, Atlantique, Méditerranée et jusqu’à Dakar ! En Méditerranée, l’ensemble des organisations de patrouille est placé sous l’autorité du commandant en chef français qui est commandant supérieur dans toute l’étendue du bassin. Sous ses ordres directs, un amiral anglais est chargé de la centralisation de ces forces. A la fin de 1917, la flotte de patrouille française comptait déjà 724 bâtiments : 44 étaient en cours d’armement et 248 en cours d’achat ou de construction. Ce nombre s’est augmenté depuis et atteint maintenant de 1 100 à 1 200. La plupart de ces unités se composent de bâtiments réquisitionnés et transformés, mais il existe également des types spéciaux : canonnières, sloops, avisos, vedettes canadiennes légères, etc. Comme nous sommes partis de zéro, les chiffres que nous venons d’indiquer donnent la mesure de l’effort accompli par notre marine, malgré l’aide que ses arsenaux ont apportée à la construction d’un matériel important destiné à l’armée de terre. Du côté anglais, la puissance des éléments de patrouille est encore beaucoup plus considérable. Au total, plusieurs milliers, de patrouilleurs, battant pavillon allié, sillonnent les mers en tous sens à la recherche des sous-marins allemands.

Certes, la plupart de ces bâtiments, surtout en France, sont employés à réaliser des opérations défensives d’escorte et de surveillance des convois : nous en reparlerons. Cependant, la mise en service de bâtiments rapides a permis, en Angleterre depuis longtemps, et en France il y a quelques mois, de constituer des escadrilles de chasse dont le but est la recherche et la destruction de l’ennemi. Bien entendu, celui-ci, pour ne pas perdre le bénéfice de son inviolabilité, se garde de se laisser canonner en surface par les patrouilleurs. Aussi a-t-il fallu toute l’ingéniosité de nos marins pour faire naître les occasions de « tirer le gibier. » Avec une vigilance de tous les instants, nos services de renseignements suivent les faits et gestes des sous-marins et se documentent sur leurs habitudes. Ils ont pu fournir des indications précieuses qui ont permis de tomber sur les submersibles au moment où ils se ravitaillaient, prenaient l’air, ou attaquaient en surface. Quand on entrera dans le détail de l’histoire de la contre-offensive sous-marine, on ne manquera pas de rendre hommage au labeur de ces services mystérieux qui sont parvenus, à force de patience, à renseigner exactement le commandement sur la force de l’ennemi, sur ses progrès de construction ainsi que sur les modifications incessantes qu’il apporte à sa tactique pour neutraliser les mesures offensives et défensives des Alliés.

Un système qui nous a réussi pendant longtemps est l’usage des bateaux-pièges. Un innocent cargo-boat ou un vieux voilier, est armé de batteries puissantes camouflées. Le sous-marin fond sur cette proie facile. Au dernier moment, le bateau-piège démasque ses sabords ; des équipes de pointeurs d’élite sortent des cales où ils étaient dissimulés. Une salve encadre le sous-marin. Le pirate affolé se précipite au poste de plongée… Il est trop tard, un coup au but éventre la coque qui s’enfonce verticalement. Ce sera sa dernière immersion… Le Times a raconté l’anecdote pittoresque que voici. Certain jour, un sous-marin arrêtait un cargo-boat que son équipage évacua. Il ne restait plus à bord qu’une femme portant un enfant dans ses bras et qui errait comme folle le long du pont, en criant qu’on venait de lui tuer son mari. Quand le sous-marin aborda sa prise, la femme jeta son enfant dans le panneau ouvert du submersible. La femme était un solide gars de la marine britannique travesti pour la circonstance et qui reçut plus tard la Victoria Cross ; quant au bébé, c’était en réalité une bombe, dont l’explosion provoqua la perte de l’agresseur. — En dehors de ce beau sujet de film cinématographique, Sir Eric Geddes nous a dévoilé plusieurs histoires curieuses de bâtiments-pièges. Par exemple, celle du vapeur qui, feignant d’avoir éprouvé une avarie, réclame à tous les échos du secours par T. S. F. Un navire immobilisé, désarmé, quelle aubaine pour le sous-marin ! Il y court. Au dernier moment, changement de décor, quatre bonnes pièces d’artillerie qui démasquent soudain leurs gueules envoient incontinent l’ennemi par le fond. — Que dire de cet amiral en retraite faisant la guerre par dilettantisme et qui, s’étant donné l’apparence d’un honnête transporteur de foin, évacuait docilement son navire ? Sur un signe de lui, les balles de foin s’écroulaient, découvrant une batterie qui perforait à bout portant la coque ennemie. — En vain les Allemands nous reprochent-ils ces ruses ! Qu’elles soient légitimes, cela ne fait aucun doute. De tout temps, le système des bateaux-pièges a été utilisé pour châtier les corsaires : il n’y avait aucune raison pour ne point l’adapter à la guerre sous-marine.


Quoi qu’il en soit, depuis que les bâtiments de commerce sont tous, ou presque tous, armés, les sous-marins, rendus plus prudents, évitent autant que possible de telles aventures. Les bateaux-pièges ne font plus fortune. Les occasions de tirer l’ennemi deviennent de plus en plus rares. Ne pouvant plus guère l’atteindre en surface, c’est donc sous l’eau que nous devons aller le chercher. Aussi bien, ce qui fait la force du submersible, c’est la faculté qu’il a de se rendre presque instantanément invisible en s’immergeant, et on comprend de reste qu’il soit malaisé d’atteindre un ennemi qui se meut dans une région inaccessible à ses agresseurs. Nous passons ainsi à l’étude des moyens offensifs contre l’ennemi en plongée.

Avant de tenter la destruction des sous-marins, on a d’abord essayé de les « pêcher. » La question des barrages a été étudiée et mise en pratique, dès la première heure de la guerre. On assimila le sous-marin à un poisson, et partant on recourut à l’emploi des filets. On prit d’abord ce qu’on avait sous la main : de simples filets de pêche. Les matelots harenguiers ne furent pas médiocrement surpris de se voir réquisitionnés pour promener leurs tramails dans le Pas de Calais à la recherche d’un poisson sur lequel ils ne comptaient guère. Bientôt, ces barrages de fortune, — que des appareils disposés sur l’avant du sous-marin coupaient assez aisément, — firent place à des filets métalliques à larges mailles résistantes.

Toutefois, la pratique de tels engins a révélé par la suite des difficultés plus graves qu’on ne le supposait. S’agit-il d’un barrage fixe, tel que celui qui a été tendu par les Anglais devant la côte belge ? Il ne peut être établi près d’une base de l’ennemi sans que celui-ci en soit prévenu. Il se présente vite une circonstance favorable où un bâtiment quelconque peut pratiquer une Crèche dans le barrage. Le passage ainsi créé reste, par cela même, connu de l’ennemi seulement, qui peut le traverser sans risques et sans qu’il soit possible de préciser sur quel point doit porter la réparation : c’est ce qui est arrivé dans le Pas de Calais, où le barrage a cessé d’être efficace au bout de quelques semaines. D’autre part, pour éloigner les filets métalliques des côtes à surveiller, il faut leur donner une longueur telle que leur établissement nécessiterait des travaux hors de proportion avec le but à atteindre. — S’agit-il de filets traînants ? (car on a eu recours à tous les modes de pêche) eux aussi ont donné lieu à des mécomptes. Le canal d’Otrante notamment a été gardé par de courts éléments que traînaient des « drifters » de la marine britannique. Ces barrages mobiles ont causé la perle de quelques sous-marins, mais les drifters ont été très embarrassés pour orienter leurs filets sous lesquels, du reste, ont pu fréquemment passer les submersibles qu’ils se proposaient de « mailler. » — En cette matière il a donc fallu innover sans cesse. On a perfectionné les barrages en les munissant de mines qui explosent automatiquement au passage des sous-marins ; on a surtout imaginé des filets indicateurs placés sur le passage des submersibles et supportés par des bouées flottantes. Le point où les bouées s’immergent sous le heurt du sous-marin détermine l’endroit où les navires de garde doivent jeter leurs grenades.


Les grenades sous-marines, dont l’emploi se généralise de plus en plus, sont actuellement l’effroi des flottilles allemandes. Que ce soit en surface ou en plongée, on coule un sous-marin en pratiquant la moindre brèche dans sa coque à l’aide d’un explosif. Nous connaissions par expérience les effets des obus qui frappent à l’air libre, mais l’engin spécial à opposer au sous-marin immergé restait à découvrir : cet engin est la grenade qu’on lance du pont d’un navire sur le lieu de plongée du sous-marin. Il faut se garder de la confondre avec la mine automatique mouillée sur un crapaud qui détone au choc de l’étrave. Tandis que la mine est immobile, la grenade possède cette supériorité qu’elle atteint le sous-marin là où il est présumé devoir se trouver. Son explosion tantôt est déterminée par le choc, tantôt se produit mécaniquement. Deux systèmes sont employés à cet effet : la traction opérée par un flotteur qui agit ainsi qu’un cordon de tire-feu lorsque la grenade atteint la profondeur voulue, et la pression hydrostatique qui se règle d’après les lois physiques connues, Dans la marine française les grenades type artillerie utilisent à la fois le choc et la traction : la grenade C. M. la traction seule et la grenade Guiraud la pression hydrostatique. Comme les occasions sont rares de toucher le sous-marin avec la grenade, la détonation par le choc sert à faire exploser la charge au contact du fond : ce qui dans certains cas peut amener la porte de l’ennemi.

A mesure que nous constations l’efficacité des grenades sous-marines, nous en avons augmenté la puissance explosive. Celles que nous employons à l’heure actuelle renferment un poids d’explosif déjà considérable : il sera encore largement dépassé dans l’avenir. Toutefois le rayon d’action de la grenade agissant à peu près en raison directe de la racine cubique de la charge, on n’obtient pas un résultat proportionnel à l’importance de cette charge. Une grenade de 75 kilogrammes provoquera à 20 mètres des avaries telles à un sous-marin que celui-ci coulera ou devra remonter à la surface. Le même engin à 500 kilogrammes d’explosif produira un effet analogue à 50 mètres à peine. C’est donc une question délicate de savoir s’il faut augmenter la puissance de la charge au détriment du nombre de grenades à lancer. Celles-ci sont chargées avec toutes sortes d’explosifs : mélinite, coton-poudre, perchlorate d’ammoniaque, etc…

Il ne se passe pas de semaine sans que nos bâtiments aient l’occasion de se servir de leurs grenades et que se reproduisent des incidents de la nature de ceux relatés par un communiqué britannique du mois de juin. Deux destroyers anglais en patrouille reçoivent un signal de détresse d’un navire marchand torpillé. Ils se transportent sur le lieu du sinistre et jettent quatre bombes dans les parages où l’on croit que navigue le sous-marin. De l’huile apparaît sur l’eau. Quelques minutes s’écoulent. A cinq miles des destroyers, le sous-marin blessé est obligé de remonter. A peine signalé, il est salué par l’artillerie des torpilleurs et touché deux fois. Il s’enfonce ; il hisse le pavillon blanc. Son équipage se réunit sur le pont. Le destroyer cesse le feu ; mais il est trop tard : une explosion se produit, engloutissant la coque et projetant à la mer les marins allemands. Les uns sont tués ; d’autres tombent prisonniers aux mains des Britanniques.

Voici enfin, émanant de notre ministère de la Marine, un communiqué auquel je n’ajouterai rien. Il retrace dans leur tragique simplicité, les péripéties de la fin classique du submersible. « Le 5 août vers la fin de la journée, l’aviso Oise, commandant des Ormeaux, était au large de la côte de Bretagne, en opérations de recherches méthodiques d’un sous-marin ennemi. Soudain, à 80 mètres environ, émerge un périscope. Le sous-marin marche à faible vitesse et, surpris, exécute précipitamment les manœuvres de plongée ; mais l’Oise, de son côté, évolue sans perdre une seconde et, au commandement, le second-maitre Coupelant, chargé du lance-grenades, bombarde instantanément l’ennemi. L’aviso coupe et recoupe ensuite à plusieurs reprises le sillage du sous-marin en immersion, jetant chaque fois des explosifs. Une tache d’huile apparaît, s’élargit, et ne dérive pas ; divers indices démontrent que les coups ont porté. Le sous-marin a coulé corps et biens… » Tout s’est passé comme à l’exercice, dans des conditions où s’est affirmé le haut degré d’entraînement de l’équipage.

Tous les bâtiments sont aujourd’hui munis de grenades sous-marines. Ce sont ceux dont la vitesse est la plus grande et qui peuvent passer sans transition à un régime de vitesse supérieur, qui utilisent la grenade avec le plus de succès, en raison de la facilité qu’ils ont de fondre sur leur ennemi. Pour ce motif, l’Angleterre qui possède un nombre très élevé d’unités rapides, propres aux opérations offensives, torpilleurs, destroyers (principalement ceux de ces bâtiments qui chauffent au mazout), s’est trouvée tout particulièrement en mesure de se livrer à la chasse des sous-marins. Jusqu’aux derniers jours de 1917, la France n’avait pu distraire ses torpilleurs du rôle ingrat d’escorteurs de convois. Elle n’avait que faiblement participé à la poursuite active de l’ennemi : non pas que l’esprit d’offensive soit moins ardent chez elle que dans la marine britannique, mais parce que l’effectif de ses torpilleurs était manifestement insuffisant. Depuis cette année, nous avons pu constituer des escadrilles de chasse, grâce à l’entrée en service de navires spéciaux, avisos, sloops, canonnières, etc… Notons d’ailleurs qu’en dehors de ces navires spéciaux, tous les patrouilleurs et même les bâtiments de commerce sont appelés à jeter des grenades sur les sous-marins en cas d’attaque de convois.

Le jet des petites grenades est opéré à la main : quant aux autres on les laisse tomber par leur propre poids, grâce à un mécanisme à déclic, du haut du rail situé à l’arrière des navires. On a cherché également à lancer des grenades à l’aide de mortiers. Malheureusement, ces appareils manquent un peu de précision. En outre, si l’on veut leur faire lancer, une charge puissante à une portée efficace, il faut disposer des plates-formes solides sur le pont des navires. Ceux-ci ne sont pas toujours en état de supporter la réaction du tir. Néanmoins, le mortier présente des avantages considérables pour le jet de la grenade par des bâtiments à marche lente, et il est probable que nous ne tarderons pas à posséder des lance-bombes offrant toutes les garanties voulues. — Un autre procédé pour l’emploi de la grenade consiste à la remorquer. Elle joue ainsi le rôle de la mine dérivante sans en avoir les inconvénients. Il suffit que le remorqueur s’arrête pour que la grenade repose sur le fond et demeure inoffensive.

A la destruction du sous-marin par la grenade l’obstacle principal est son invisibilité. Il faut saisir un indice, parfois très superficiel, l’apparition du périscope, le sillage de la torpille, pour déterminer l’emplacement approximatif de l’ennemi. Au début, les périscopes décelaient aisément la présence du sous-marin ; mais les Allemands se sont appliqués à rendre le périscope presque invisible. Il arrive souvent que le sous-marin réussisse une attaque sans être aperçu et la trajectoire mouvementée de la torpille est une indication souvent bien insuffisante pour fixer le point d’où l’engin a été lancé. On en est réduit à jeter les bombes un peu au jugé et à arroser la zone où l’on suppose que doit se trouver le submersible. De là nos efforts pour tâcher de découvrir un système nous permettant de connaître la position de l’ennemi sous l’eau. Nous avons parlé des filets indicateurs. Nos escadrilles de chasse peuvent en faire usage, et il n’y a pas de meilleur moyen pour réaliser à coup sûr l’objet que l’on se propose. Mais les filets indicateurs sont d’un emploi délicat et forcément limité. Reste le microphone. Cet appareil qui recueille le bruit de l’hélice sous l’eau et le transmet au commandant sur la passerelle est un parfait agent de repérage par le son. Il appelle l’attention sur l’approche du sous-marin et détermine sa situation approximative. Grâce à des expériences laborieuses, la mise au point du microphone nous permet d’espérer des résultats très encourageants. Son application peut révolutionner la guerre sous-marine.


L’obstacle que nous venons de signaler, — l’invisibilité du sous-marin, — n’existe pas pour l’avion : du haut des airs, celui-ci a la faculté d’apercevoir le submersible, même entre deux eaux ; et il lui est facile de le gagner de vitesse. Aussi la grenade est-elle l’arme par excellence de l’aéronautique maritime, aviation et aérostation. Les Alliés ont été lents à se rendre compte de l’assistance que l’aéronautique pouvait leur apporter dans la lutte contre l’adversaire. D’ailleurs, au début de 1914, les essais des premiers hydravions étaient à peine terminés, et la France attendait encore une escadrille de Nieuport. Il s’écoula un certain temps avant que la marine fût admise à obtenir sa part dans les commandes adressées par l’Etat aux maisons de construction. Il faut arriver au mois d’avril 1916 pour rencontrer une organisation méthodique d’un réseau de défense des routes maritimes le long des côtes de l’Angleterre, de la France, de l’Algérie, du Maroc et de la Grèce, réseau qui se développe tous les jours. Dès le printemps de 1917, les sous-marins gênés dans leurs croisières sont refoulés loin des côtes : c’est que plus de cent attaques de sous-marins ennemis par les seuls avions français ont eu lieu. Il n’est pas possible d’avoir des renseignements précis sur les résultats de ces attaques qui, dans tous les cas, aboutissent à une disparition rapide des sous-marins, mais il est probable qu’un grand nombre d’entre eux ont été avariés et coulés par les bombes dont les atteintes au but ont été maintes fois constatées.

Ces rencontres ne s’effectuent pas toujours sans risques pour les aviateurs, ainsi que le prouve l’aventure suivante. Dans la nuit du 17 au 18 mai, un des centres d’aviation maritimes d’Algérie recevait les appels d’un convoi attaqué par un sous-marin. Malgré de très violentes averses, deux hydravions se mirent en route. Ils aperçurent le sous-marin en surface. Aussitôt, ils engagèrent le combat. Les hydravions se trouvaient heureusement masqués par des nuages et sous le vent du sous-marin qui ne s’aperçut que trop tard de leur approche et n’eut pas le temps de plonger complètement : déjà l’appareil monté par le chef de section se précipitait à l’attaque, et l’autre appareil lançait aussi ses projectiles dans de bonnes conditions. L’avant du sous-marin émerge de quatre mètres, tandis que l’arrière reste sous l’eau ; la coque s’incline décote ; on voit une immense tache noirâtre et de gros bouillonnements d’air. Croyant son adversaire frappé à mort, l’enseigne de vaisseau Leray descendait vers la mer pour identifier quelques débris, quand le sous-marin réussit à se mettre en flottaison normale. Aussitôt, l’équipage monte sur le pont, les canonniers courent à leurs pièces et ouvrent le feu sur les hydravions. Ceux-ci n’ont plus de bombes, et leur provision d’essence s’épuise ; ils doivent donc rallier la côte après quatre heures de vol en haute mer et par un temps très dur. Aussitôt, une nouvelle section se porte sur les lieux du combat, encore marqués par de larges taches de mazout : le sous-marin est toujours en surface, mais il a vu venir son ennemi aérien et le mitraille tout en décrivant des zigzags pour l’empêcher de viser. Les hydravions n’en réussissent pas moins à jeter leurs bombes. Le sous-marin avarié l’U-39, eut grand’peine à se traîner jusqu’à Carthagène pour s’y faire réparer et interner.

Les Alliés s’efforcent d’augmenter le nombre de leurs hydravions. Pour notre part, nous en aurons plus de mille en service après l’achèvement prochain du programme prévu le 29 juillet 1917. Nous portons, en outre, toute notre attention vers l’accroissement de la puissance explosive des bombes dont la charge a été d’abord trop faible. Les nouveaux appareils peuvent actuellement emporter un poids plus lourd. Les types aujourd’hui en service sont fort améliorés et nous avons réalisé l’hydravion de haute mer à grande endurance et grand rayon d’action, qui peut assurer la protection des convois jusqu’à une distance considérable de nos côtes.

Quant à l’aérostation maritime, celle-ci, qui n’existait pas avant la guerre, prit du développement à partir d’avril 1915, lorsque l’Amirauté anglaise décida, pour protéger le Pas de Calais, d’établir en France un port de relâche destiné aux dirigeables, port qui devint ensuite le noyau de notre service d’aérostation. Celle-ci comprend deux types de dirigeables armés de mitrailleuses et de bombes : l’un de 2 690 à 3 000 mètres, l’autre de 6 000 à 8 000 mètres et des ballons captifs. Il est probable que, dans un avenir très rapproché, nous mettrons en service des dirigeables dont les moyens offensifs seront encore plus perfectionnés. Les dirigeables ont montré de sérieuses qualités comme éclaireurs et comme escorteurs de convois. En plusieurs circonstances, ils ont forcé l’ennemi à plonger, en le mettant dans l’impossibilité d’attaquer les bâtiments et lançant contre lui des bombes puissantes.

Le 30 mai dernier, un de nos dirigeables de la Manche orientale aperçoit l’ennemi naviguant en plongée : dix minutes après l’explosion de la première bombe lancée par le ballon, les remous qu’elle avait produits s’étant apaisés, un gros filet de matière huileuse monte du fond et s’étend à la surface. Des patrouilleurs viennent à leur tour lancer des charges d’explosif à cet endroit ; puis, à la suite d’un nouveau jet de bombes par le dirigeable, la nappe d’huile gagne en étendue. Les patrouilleurs ayant recommencé leur manœuvre d’attaque, on observa des bouillonnements qui durèrent une demi-heure, tandis que l’émission d’huile persistait toujours. Une-semaine après, 7 juin, on eut l’occasion d’en constater encore à la place où était le sous-marin. L’huile, c’est le sang du submersible. Celui-ci avait été atteint d’une hémorragie lente et mortelle.

Les bombes à empennage, employées par l’aéronautique maritime explosent au choc instantanément lorsqu’elles rencontrent un corps dur, comme l’acier d’un sous-marin, ou au contact de l’eau. Dans ce cas, par suite d’un retard pyrotechnique, il est possible de régler la détonation à la profondeur voulue, d’après la nature de la charge. Nous possédons plusieurs types de bombes, dont le poids d’explosif va en augmentant sans cesse.

Indépendamment de ses dirigeables qui exécutèrent, en juillet, 1 314 heures de croisière au-dessus de la mer, interdisant ainsi aux sous-marins ennemis, de jour du moins, des zones de plus en plus étendues, la marine française emploie des ballons captifs, soit dans les postes vigies, soit en mer à bord des petits bâtiments. Les ballons captifs ont fait, au cours du mois de juillet, plus de 5 500 heures d’ascension et de 150 sorties en mer, tant pour patrouilles que pour dragages de mines. C’est à un ballon captif que la goélette française Augusta dut de n’être pas victime d’un sous-marin dans la matinée du 8 juin au large de la côte de Bretagne. Ce sous-marin avait tiré de loin sur l’Augusta et celle-ci se défendait vaillamment, lorsque, au cinquante-septième coup, sa pièce se trouva momentanément hors de service. Un patrouilleur muni d’un ballon captif avait entendu le bruit du combat, et ses observateurs, immédiatement élevés à 350 mètres, avaient fourni toutes indications utiles, permettant au patrouilleur d’ouvrir le feu à très grande distance et ainsi de forcer l’ennemi à plonger.


Tous les appareils d’aviation et d’aérostation se sont d’ailleurs manifestés comme des chercheurs de mines de premier ordre dans les régions où les eaux sont claires. Ces mines automatiques, dont nous devons maintenant dire quelques mots, — redoutables pour nous-mêmes, quand elles sont semées sur la route de nos convois, — sont néfastes pour les sous-marins ennemis. Dès le début de la guerre, nous avons disposé des champs de mines pour barrer la route aux submersibles ; mais il y a quelques mois seulement que les Alliés sont entrés résolument dans la voie du mouillage des mines sur une grande échelle. A l’heure actuelle, nous sommes arrivés à immerger régulièrement des mines automatiques… comme on tire le canon sur le front terrestre.

Ces champs de mines, nous les avons multipliés partout où les fonds nous permettaient de les placer. Les Anglais en ont, pour leur part, posé plus d’un million. Rien n’est dangereux pour les submersibles comme ces engins mortels qui les guettent à la sortie de leurs bases. Il suffit que l’un d’eux heurte une mine, soit en plongée, soit en surface, pour provoquer l’explosion. Nul témoin n’assiste à ce drame obscur. Vainement l’Amirauté germanique attendra le retour du corsaire : il ne reviendra jamais plus. L’eau glauque a déroulé son voile morne sur ce naufrageur anonyme : le lâche meurtrier de femmes et d’enfants a ainsi payé sa dette sans éclat !

Inquiets de l’extension et de l’efficacité de nos champs de mines, les Allemands provoquent des campagnes dans les pays neutres pour exciter l’opinion publique contre l’Entente. Dernièrement, l’Amirauté annonçait par la T. S. F. de Nauen que le nombre des mines anglaises pochées sur la côte Ouest de la Suède allait croissant. Elle déclarait que, le 25 mai, on en avait trouvé dans les eaux territoriales et un journal à la dévotion de nos ennemis parlait du « grossier mépris des droits des neutres, » à l’occasion d’une mine placée dans une position dangereuse pour la navigation. Cette campagne ne nous surprend pas, car elle est de pratique courante chez les Allemands. Ce sont eux qui, les premiers, ont mouillé des mines à l’aide de leurs sous-marins sans préavis et sans souci des existences exposées. A plusieurs reprises, des bâtiments neutres ont sombré sur des mines allemandes en dérive qui ne remplissaient pas les conditions imposées par la Convention de la Haye. L’Allemagne trouvait à ce moment-là le procédé louable, parce qu’il servait ses desseins : il a cessé de lui plaire depuis qu’il se retourne contre elle. Comme nous jouissons de la maîtrise de la mer, il nous est possible de draguer les mines que posent nos ennemis, tandis que ceux-ci éprouvent les plus grandes difficultés à se frayer une route sûre à travers nos « champs de mort. » L’Entente a toujours été respectueuse des traités internationaux : elle est dans son droit strict en répondant au blocus odieux des sous-marins ennemis par des procédés de défense adéquats, universellement reconnus par des conventions diplomatiques.


Les engins explosifs sous-marins que nous venons d’examiner ne possèdent aucun moyen de propulsion qui leur soit propre. Les uns sont fixes comme les mines ; d’autres doivent être déposés en quelque sorte sur le submersible au moyen d’un avion, d’un dirigeable, ou d’un navire. De là vient la supériorité de la torpille automobile : elle présente l’avantage de parcourir sous l’eau un trajet de plusieurs kilomètres et de pouvoir être réglée en profondeur et en direction, de façon à atteindre son but jusqu’à six mille mètres du point d’où elle est projetée. Elle est un véritable petit navire qui se guide tout seul grâce à un gouvernail automatique.

On a employé, avec succès, la torpille contre les sous-marins en demi-plongée ; soit à bord des destroyers, soit surtout sur les sous-marins qui sont ainsi amenés à combattre contre leurs congénères. Cette lutte des deux frères ennemis s’attaquant sous l’eau, est une des nouveautés les plus saisissantes de la guerre actuelle. Les submersibles alliés attendent en plongée l’adversaire à la sortie de ses bases. Ils peuvent explorer la mer à l’aide du périscope sans être aperçus. Si, par bonheur, le submersible ennemi navigue en demi-plongée, le nôtre aussitôt décoche sa torpille. En revanche, s’il commet quelque imprudence, il risque d’être lui-même attaqué. Des deux amphibies, celui qui se montre le premier sera frappé par l’autre. Il y a eu, au reste, plusieurs combats entre sous-marins immergés qui se sont terminés par la victoire des navires anglais ou italiens, après des rencontres dignes de la plume d’un Wells. L’un de nos submersibles lança sous l’eau, dans la mer du Nord, contre un navire similaire, deux torpilles qui ne portèrent point, et en reçut autant de lui, ainsi que dans un duel où les antagonistes échangent leurs balles sans résultat.

Des unités austro-allemandes ont été également détruites à l’abordage, comme aux temps anciens. Un abordage bref, qui, en quelques secondes se termine par l’anéantissement du sous-marin coulant à pic. On peut citer comme exemple le cas récent du transport X… qui, faisant route sur Cherbourg, est attaqué à 0 à 45 par un sous-marin. L’escorteur du transport vient à toute vitesse, dès qu’il distingue l’assaillant à quatre quarts par tribord. Il lance un signal lumineux pour attirer l’attention du navire convoyé que le sous-marin n’aperçoit pas, toute l’attention de ce dernier étant retenue par le patrouilleur. Le transport aborde carrément le sous-marin par l’arrière de la coque à une vitesse de vingt nœuds et pense lui-même couler sous la violence du choc. Il fait stopper ses machines et s’écarte du sous-marin, qui s’abîme avec une plainte rauque. Le lendemain matin, un ruisseau gras et épais s’épanchait sur l’eau, du lieu du sinistre, dans le sens de la marée.

Parfois, il faut mettre en œuvre des procédés compliqués et brutaux pour venir à bout du corsaire. Un hydravion a repéré un sous-marin reposant sur le fond. Aussitôt l’observateur fait un appel par la T. S. F. A dix milles de la, un destroyer et des chalutiers se détachent. Pendant que l’hydravion, tel un gigantesque oiseau de proie, tourne en cercle au-dessus du squale d’acier, if communique aux navires par la T. S. F. des instructions courtes et précises. Prenant leurs dispositions en conséquence, les chalutiers se placent aux quatre coins d’un rectangle, tandis que le destroyer surveille l’intérieur avec ses canons prêts à tirer si l’ennemi apparaît. Les chalutiers mettent leurs dragues à la mer, de longues aussières de métal, d’une force incroyable, avec un grand « prisme » au milieu pour maintenir leur ballant au fond de l’eau ; puis ils font route les uns vers les autres. Au moment où les navires se contre-bordent, leurs aussières s’accrochent sous l’avant et l’arrière du sous-marin et commencent à « forcer. » Alors les chalutiers croisent leurs câbles et le sous-marin est pris dans une sorte de tenaille. Il semble s’éveiller et essaie de sortir des anneaux qui l’étreignent… Mais ses efforts sont inutiles… « . On l’a ! » signale l’hydravion. « Merci ! » répond le destroyer.

Le temps passe, le sous-marin ne bouge toujours pas. Sur un signal par pavillons du destroyer, le chalutier qui est à bâbord devant et le chalutier qui est à tribord derrière crochent des petites boites rouges, pleines d’un puissant explosif, sur l’aussière, raide comme une barre de fer, et les laissent couler jusqu’à ce qu’elles touchent la coque du sous-marin. C’est alors à l’hydravion d’agiter un pavillon et immédiatement se déclenchent les mises de feu : deux masses d’eau s’élèvent, on entend le bruit d’explosions sourdes et étouffées. Maintenant l’hydravion tourne en rond autour de la masse d’huile qui s’élève ; il s’assure que le sous-marin est bien détruit et annonce l’heureuse nouvelle : « Destroyer ! All right ! »


LES RÉSULTATS OBTENUS

On voit par cet exposé que les Alliés n’ont rien négligé pour se débarrasser de leurs adversaires. Il n’existe pas, à vrai dire, d’arme spécifique pour la destruction des sous-marins ; c’est donc par la multiplicité des procédés qu’on est arrivé à obtenir un résultat d’ensemble intéressant. Tel système qui réussit aujourd’hui sera demain inopérant, quand l’ennemi aura, découvert les moyens de s’en prémunir. Il faut faire constamment preuve d’imagination dans cette lutte offensive, qui exige les plus précieuses qualités d’intelligence et où il convient d’allier le flair du trappeur à l’esprit du savant.

Quels sont maintenant les résultats de notre action offensive ? — Ce point est resté jusqu’à ces derniers jours entouré de mystère. Les Amirautés alliées jugeaient imprudent d’informer l’ennemi de ses pertes. Discrétion peut-être excessive ; car, les Allemands ne pouvant ignorer le nombre de leurs sous-marins qui restent en route, il importe seulement de ne point leur dévoiler dans quelles conditions ces navires ont disparu ; ce qui risquerait de leur permettre d’éviter les écueils sur lesquels ils vont se briser. Rompant le mutisme traditionnel, M. Lloyd George a informé, le 7 août, la Chambre des Communes, que la marine anglaise avait détruit « au moins 150 sous-marins dont plus de la moitié dans le courant de l’année dernière. » Ce sont nos amis anglais qui ont coulé la plus forte proportion de sous-marins. Les destructions opérées par les autres alliés ne dépassent pas 20 pour 100 des leurs : ce qui porterait à 180 le total des submersibles coulés au 1er août. Ce succès, ayant été contesté par la presse germanique, l’agence Reuter a publié le démenti suivant : « L’Amirauté possède des documents établissant que, depuis le début de la guerre, les Allemands ont perdu plus de 150 sous-marins. Les preuves en seront publiées en temps opportun. » C’est chose faite actuellement. L’Amirauté a donné une liste de 150 commandants de sous-marins allemands dont 116 sont morts, 27 prisonniers, 6 internés en pays neutres, un seul ayant réussi a rentrer en Allemagne.

Il est facile de se rendre compte de l’exactitude du chiffre des sous-marins coulés, par l’identification de ceux qui demeurent en service. Au début de la guerre, l’Allemagne, — qui n’avait pas prévu elle-même l’usage qu’elle pourrait faire des sous-marins, — n’en possédait que vingt-huit ; en outre, une douzaine environ étaient en chantier, soit pour son compte, soit pour le compte de nations étrangères. Ce nombre n’a cessé de s’élever jusqu’au 1er juillet 1917. À cette époque, il devait dépasser le chiffre de 150 unités. Les Allemands avaient, durant toute l’année 1916, travaillé silencieusement à la constitution de ces forces sous-marines importantes, en vue de la guerre sous-marine à outrance. Pendant le deuxième semestre de 1917, il y a égalité entre les destructions et les entrées en service : mais à compter du 1er janvier 1918, l’effectif des sous-marins diminue brusquement par suite du succès de notre offensive ; succès qui se manifeste d’une façon particulièrement éclatante en mai 1918. On peut inférer, en effet, des déclarations des autorités compétentes que le nombre des pièces inscrites au tableau pour ce mois dépasse la quinzaine. Si en juin ce total est notablement inférieur, il faut considérer que l’activité des flottilles ennemies s’est ralentie au point que le tonnage marchand détruit est tombé à 250 000 tonnes environ.

Voilà donc un fait acquis : depuis le 1er juillet 1917, nous avons empoché la flotte sous-marine de grandir ; depuis le 1er janvier 1918 nous faisons mieux encore, puisque nous en diminuons la puissance combative en réduisant ses effectifs.

Si l’on envisage les destructions seules, on s’aperçoit que, durant les années 1914 et 1915, elles ne dépassaient guère en moyenne six à sept unités par trimestre. En 1916, ce nombre atteint huit ou neuf unités ; en 1917, la moyenne s’élève progressivement jusqu’au chiffre de vingt unités. La situation de la flotte sous-marine ennemie s’en est trouvée sensiblement affectée. En admettant que l’Allemagne ail pu construire 275 sous-marins depuis le début de la guerre et en retranchant de ce chiffre les 180 unités présumées détruites ou avariées, il n’en restait qu’une centaine prèles à naviguer au 1er août ; cet étal de choses nous ramène à la situation existant au mois de septembre 1916.

L’Allemagne s’efforce de rattraper cette infériorité numérique par une activité plus grande des unités disponibles, le nombre |de sous-marins en croisière, par rapport au total existant, étant plus élevé aujourd’hui qu’il y a un an. Une telle agitation, d’ailleurs préjudiciable au rendement des sous-marins, n’empêche pas cette vérité que l’Allemagne ne possède pas actuellement plus de sous-marins qu’il y a vingt-deux mois. Ce résultat en lui-même est tout à fait encourageant ; ce qui l’est plus encore, c’est, ainsi que nous venons de l’exposer, que nos victoires se placent surtout dans le courant de l’année 1918. M. Leygues a fait à ce sujet d’intéressantes déclarations : « Le nombre de sous-marins détruits, dit le ministre de la Marine, augmente progressivement depuis le mois de janvier, dans des proportions telles que l’effectif des escadrilles ne peut être maintenu au chiffre minimum réglementaire et que le nombre des sous-marins détruits en janvier, février et mars, est supérieur chaque mois au chiffre de sous-marins construits chaque mois : en avril, le chiffre des sous-marins détruits égale, moins trois unités, le chiffre total des sous-marins détruits au cours des trois mois précédents. »

D’ailleurs, si nous essayons de déterminer la courbe des sous-marins allemands en service depuis le début de la guerre jusqu’au 1er août 1918, nous la voyons suivre à peu près la marche suivante : partant du chiffre insignifiant de 28 ou 30 unités, la courbe s’élève au cours de l’année 1915 et décrit en 1916 une inquiétante hyperbole jusqu’au début de 1917 ; à partir de ce moment, cette courbe oscille pendant toute l’année 1917 autour d’un arc convexe dont le point culminant se place au milieu de l’année. Puis, le Ier janvier 1918, chute brusque et ininterrompue de la courbe qui descend pendant le premier semestre 1918 aussi vile qu’elle était montée en 1916. Espérons que cette descente vertigineuse ne s’arrêtera plus.

A l’Amirauté britannique revient surtout l’honneur de cette magnifique campagne offensive. Ce sont les Anglais qui ont multiplié les barrages, les champs de mines et lancé sur les mers de puissantes escadrilles de chasse. Il ne faudrait cependant pas méconnaître le rôle joué par les marines alliées, italienne, américaine, japonaise, et enfin par la nôtre. Bien que la marine française se soit, comme nous l’exposerons, plus spécialement consacrée à la guerre défensive et à la protection des convois, elle a cependant puissamment coopéré à la destruction de l’ennemi. Pour ne citer que les exemples typiques, ses filets ont capturé un sous-marin au Havre, dans des conditions qui mettent en lumière les services rendus par les filets indicateurs dont nous avons eu l’occasion de parler. Ce sous-marin avait été assez imprudent pour venir rôder à l’entrée des bassins. Il se prit aux rets dont il ignorait la présence et qui dévoilèrent la sienne. Aussitôt les chalutiers accoururent de toutes parts, semant de grenades le lieu où se débattait l’ennemi. Ils l’obligèrent ainsi à remonter d’un bond et s’en emparèrent. Ce navire figure aujourd’hui dans les rangs de notre flotte sous le nom du Roland Morillot, en souvenir du valeureux commandant du Monge qui, lui, préféra s’engloutir avec son submersible plutôt que de le rendre aux Autrichiens. Depuis cette heureuse capture, nous avons continué à détruire des sous-marins en usant de tous les procédés offensifs en notre pouvoir. Nous avons relaté le triomphe de l’Oise dû à la grenade. Un de nos chasseurs d’escadre, le Bisson a coulé un sous-marin dans l’Adriatique avec une maestria remarquable. Il naviguait en ligne de file derrière deux contre-torpilleurs italiens quand il aperçut l’autrichien en demi-plongée. Le Bisson quitta la ligne à 25 nœuds et commença le feu à 3 000 mètres avec ses deux pièces de 100 millimètres. Après deux coups courts, le troisième porta en plein. Le sous-marin s’enfonça instantanément par l’arrière, l’avant dressé en l’air verticalement et coula en quinze secondes. Le commandant ne s’était pas pressé pour plonger, déclarant « qu’il en aurait bien le temps. » Dans cette même Adriatique, le sous-marin Circé a surpris, après de vaines attentes, un de ses congénères autrichiens et l’a coulé. Tout dernièrement, le chalutier Ailly envoyait un submersible par le fond. Nous avons parlé des exploits de notre aviation. Quant aux mines, nous en avons mouillé plusieurs dizaines de mille. Nos bureaux de renseignements ont fonctionné d’une façon parfaite, et nous savons quelle en est l’importance. Enfin, nous avons fait bénéficier nos alliés de la fertilité de notre imagination, de l’excellence de nos méthodes tactiques et de nos recherches fructueuses : nos amis anglais savent apprécier nos services ; étant donnés les effectifs de notre marine, nous pouvons affirmer que, sous le rapport du rendement, elle ne craint aucune comparaison.

Au point de vue technique, il serait curieux, de calculer le pourcentage obtenu sur l’ensemble des destructions par chacun des procédés mis en œuvre ; mais c’est surtout ce qu’il importe de cacher à nos ennemis. Nous pouvons donner toutefois les quelques indications suivantes. Le feu de l’artillerie a fait dans les débuts beaucoup de mal aux sous-marins lorsque ceux-ci attaquaient en surface, et que les bateaux-pièges pouvaient les surprendre : bien que nos ennemis soient sur leurs gardes et que l’armement de leurs unités munies de pièces de 150 leur permette d’engager le combat à longue distance, le canon n’a pas cessé d’être le roi de la bataille, ne serait-ce que parce qu’il oblige l’adversaire à plonger et que, dans bien des cas, c’est lui qui donne le coup de grâce à la bête blessée. Les filets et les barrages, dans les mailles desquels bien des squales d’acier ont trouvé une mort atroce, n’offre plus autant de perspectives de succès. Le sous-marin à l’affût reste un élément sérieux de destruction. Quant aux champs de mines, ils deviennent de plus en plus funestes à l’ennemi : en vain essayerait-il d’y pratiquer une brèche ; la mine guette sa proie à l’endroit où l’on s’y attend le moins. Un, deux, trois navires peuvent passer librement là où le quatrième doit sombrer ; une déviation de quelques degrés dans la route fait naître la catastrophe. La grenade sous-marine aux mains de chasseurs rapides ou d’avions à grand rayon d’action, joue actuellement un rôle capital. Ceci est conforme à l’évolution de la guerre sous-marine qui devient de plus en plus « sous-marine, » si j’ose dire, en ce sens que les opérations offensives des sous-marins se pratiquent surtout en position de plongée. L’usage du microphone va encore donner plus d’extension à cette phase de la lutte.

Sans appareil d’écoute, en effet, combien est décevante cette recherche perpétuelle de l’ennemi dont on devine la présence sans être fixé sur le lieu de ses évolutions ! Un commandant de destroyer me racontait que, pendant plusieurs mois, il avait patrouillé en Méditerranée. Il me disait ses vaines attentes sur la passerelle par les journées calmes, monotones, ou par les soirs de tempête, quand l’embrun fouette le visage, lorsque tout à coup il se trouva en présence de la bête d’airain. C’était par une nuit claire, chargée d’orage. Les étoiles brillaient d’un éclat inaccoutumé. Et voilà qu’en regardant le long des bastingages, le commandant aperçoit la trace opaline du sous-marin qui traîne son sillon phosphorescent à quelques pieds sous l’eau. On voit les bulles d’air chassées par l’hélice monter et s’irradier comme un semis de perles sur l’écrin des vagues. Rencontre dramatique dans son impressionnante beauté et dont l’équipage reste un instant confondu. On se ressaisit, on s’empare des grenades. L’officier de quart manœuvre pour couper la route de l’ennemi qui se dessine, telle une voie lactée sur le bleu méditerranéen. Les impondérables animalcules qui fournissent cette lumière diffuse sont les complices de notre destroyer. On lance les grenades. Les matelots guettent dans l’angoisse une détonation, Rien n’explose ! Il y a un raté de détonateur, et le sous-marin s’évade devant le commandant du destroyer impuissant. Qui peindra la rage de cet officier ? Trop rares sont les occasions de bien placer une grenade : il est inadmissible que celle-ci ne soit pas d’un mécanisme absolument sûr. Il faut donc s’appliquer à perfectionner les grenades et lorsque d’autre part nous aurons des appareils d’écoute bien au point, le sous-marin ne connaîtra plus de repos.

Déjà les résultats obtenus par nos groupes offensifs d’écoute sont très concluants. On comprendra que je m’abstienne d’entrer dans des détails sur ce point : l’ennemi ignore nos moyens, et surtout nos procédés tactiques de recherche et de destruction. Je puis dire cependant que bon nombre de nos écouteurs ont pu révéler la présence d’un sous-marin qui aurait passé inaperçu sans eux, et provoquer sa perle. D’autres se sont attachés des heures durant, à la trace invisible et sonore d’un submersible qui fuyait sous l’eau comme un poisson devant le filet du pêcheur et finalement l’ont traqué au milieu d’une flottille de patrouilleurs, puis anéanti, la grenade au poing. Nul bâtiment ennemi ne peut se dire actuellement en sûreté. Partout sa présence risque d’être démasquée par un bruit discret qui causera sa mort. Nous nous perfectionnons chaque jour et n’épargnons rien pour la formation de nos guetteurs. A Cherbourg fonctionne une école microphonique de fond, qui a pour but d’initier les élèves à l’organisation des réseaux d’écoute côtiers. Elle vient d’être réorganisée par arrêté du 25 avril 1918. Il faut en effet une sérieuse éducation et une longue pratique pour faire un bon guetteur. Dans les mille bruissements de l’onde il importe de discerner le grésillement suspect, si peu sensible soit-il. Il ne suffit pas pour cela d’avoir l’oreille fine et une grande expérience : il faut encore de l’intelligence pour comprendre le rythme de la rotation de l’hélice du sous-marin et du sang-froid pour ne pas se laisser inconsciemment suggestionner par les mille voix confuses de la mer.

Quelle transformation dans l’allure de la guerre navale ! Hier encore, la veille s’effectuait uniquement sur la passerelle ; les limoniers, respirant à pleins poumons l’air vif du large, scrutaient l’horizon avec leurs longues-vues bu leurs jumelles. Actuellement, c’est dans le silence du poste récepteur, l’oreille aux écoutes, que nos modernes guetteurs cherchent à surprendre la marche de l’ennemi. Si les yeux perçants des marins, en quête de la moindre fumée qui ternit le ciel, de la moindre voile blanche que nimbe le soleil, sont encore les meilleurs phares du capitaine, l’ouïe des signaleurs de la T. S. F. ou des microphones doit saisir les imperceptibles nuances des crépitements aériens ou des susurrements de l’onde. Guerre étrange où la surface de la mer lutte contre la profondeur insondable des océans !

Nous ne connaîtrons jamais les drames dont ils furent le théâtre. On ne se représente pas sans horreur le trépas de ces équipages de submersibles qui périssent sans témoins dans des circonstances atroces. Ils sont isolés et comme calfeutrés par l’opacité du milieu sous-marin où ils évoluent dans l’incertitude des heures lentes a s’écouler. S’ils se montrent à l’air libre, on fait feu sur eux. En plongée, ils se demandent à chaque instant s’ils ne vont pas heurter la mine qui doit les engloutir. Parfois, ils perçoivent le bruit sourd des grenades et la vibration de l’eau fouettée par l’explosion dont les volutes se rapprochent de plus en plus. Plus terrible encore est la fin des matelots de sous-marins qui furent pris dans les filets et restèrent là des journées à se débattre, pour périr ensuite étouffés. Et l’angoisse de ceux qui entendirent le grincement de ces dragues de chalutiers qui enserraient leur coque fragile comme dans le supplice du garrot ! À ces heures d’agonie, font-ils leur examen de conscience, et comprennent-ils que cette mort affreuse est une juste représaille de leurs crimes ? Sur la liste publiée par l’Amirauté anglaise et dont nous avons parlé plus haut, nous relevons parmi les noms des morts ceux des commandants de sous-marins Schwieger, Glimpf, Wagenfuhr, Schneider, qui détruisirent la Lusitania, le Sussex, le Belgian-Prinz[1] et l’Arabic. Non, ces pirates ne méritent pas de recevoir l’hommage dû au soldat mort en combattant. Laissons la mer étendre sur leur dépouille son suaire d’oubli et d’algues vertes…


Pouvons-nous prévoir ce que seront dans l’avenir les destructions par rapport aux constructions de sous-marins ? Nous sommes dans le domaine de l’hypothèse pour juger la capacité récupératrice de l’ennemi. Si une coque de sous-marin est facile à monter, autre chose est de mettre des moteurs au point, même en procédant par standardisation, et de subvenir à la consommation de plus en plus considérable de torpilles qu’entraînent les attaques en plongée.

Cependant ce serait un grave danger de sous-estimer l’ennemi. Depuis le début de la guerre il n’a cessé d’accroître le rendement de ses chantiers et la courbe des mises en service de sous-marins s’élève sans cesse. Le chiffre que nous avons donné de 275 sous-marins construits en quatre années dénote une production industrielle remarquable. Nos adversaires soutiendront cet effort : à nous de le neutraliser par une offensive sans cesse plus active et plus heureuse. Il faut enfin nous attendre à combattre les nouveaux croiseurs submersibles dont quelques-uns opèrent déjà et dont le nombre atteindra un chiffre respectable. Nous savons d’ailleurs dès maintenant qu’ils ne sont pas à l’abri de nos coups : l’un d’eux a été coulé le 11 mai à la hauteur du cap Saint-Vincent, alors qu’il se rendait au-devant d’un convoi. C’est à un sous-marin anglais que cet honneur échut. Il surprit l’adversaire étant en plongée et le torpilla. La mer était forte à ce moment. On ne retrouva point de survivant.

Quant à la fabrication des torpilles, elle est malheureusement favorisée par le monopole que nous avons laissé prendre à l’Autriche dans la fabrication des torpilles Whitehead ; nos crédits budgétaires ont aidé à la construction des établissements de Fiume, quand il eût été si simple d’exiger, comme en Angleterre, la fabrication locale de ces engins. Néanmoins, la consommation prodigieuse à laquelle sont condamnés les assaillants, du fait de nos mesures de protection, rend le problème assez délicat à réaliser même pour une nation aussi bien outillée que l’Allemagne. Celle-ci doit délivrer à ses commandants plusieurs centaines de torpilles par mois ; il est probable que les matières premières nécessaires à leur usinage se trouvent difficilement ; en outre, le réglage de la torpille automobile nécessite beaucoup de temps et se heurte à bien des difficultés matérielles. Nous ne pensons pas en définitive que les Allemands puissent actuellement mettre en service plus de sept à huit sous-marins par mois et nous ne voyons pas pourquoi nous ne maintiendrions pas nos succès au niveau des chiffres atteints précédemment, surtout avec l’aide de l’Amérique et du Japon. Nous pouvons donc espérer que le nombre de sous-marins en service continuera à baisser.

Il est un point cependant qui mérite de retenir notre attention : presque tous les submersibles victimes de notre offensive ont été coulés le long de nos côtes. La majeure partie de nos procédés de destruction sont inefficaces au large : notamment les champs de mines, les barrages et l’aviation. C’est pourquoi les Allemands ont cherché à s’éloigner de ces zones critiques en portant la guerre en pleine mer, grâce à leurs croiseurs submersibles. On peut craindre que ces bâtiments n’échappent davantage à nos coups. Il est vrai que leur construction est plus laborieuse ; en outre, en croisant dans des régions où les navires sont plus clairsemés, leur puissance destructive sera moins grande qu’à la jonction des routes maritimes ; ces longues randonnées, pénibles pour le personnel, entraîneront une usure rapide du matériel. Ne nous dissimulons pas toutefois que c’est un nuage qui se lève à nouveau devant notre horizon.

Nous connaissons l’audace de ces nouveaux adversaires ; soyons « parés » à les recevoir : « les navires du programme américain, a dit Sir Eric Geddes le 31 août à la Chambre des communes, commencent à entrer en ligne et bientôt le courant des contre-torpilleurs et des bateaux employés contre les sous-marins qui vient des États-Unis se transformera en un torrent formidable. » Les unités auxquelles le premier Lord de l’Amirauté fait allusion sont les bâtiments spéciaux contre sous-marins que nous devons opposer en nombre croissant à nos adversaires sur toute la ligne de l’Atlantique.

Nous avons le ferme espoir que notre offensive ne se ralentira pas ; cet espoir est partagé par tous les hommes d’État et amiraux alliés qui sont au courant de la question. Le jour même où Sir Eric Geddes prononçait le discours auquel nous venons de faire allusion, M. Massey, premier ministre de Nouvelle-Zélande, après avoir assisté aux réunions du Comité impérial de guerre, déclarait expressément : « La flotte est maintenant à même de couler les sous-marins, quelle que soit la rapidité avec laquelle ils puissent être remplacés. » Cette opinion est celle de l’amiral de Jellicoe qui, meilleur prophète que le chef d’état-major général allemand, avait annoncé pour le mois d’août 1918, l’échec de la guerre sous-marine. C’est en vain que les antennes de Nauen lancent à travers le monde les démentis opposés à l’amiral anglais par von Hoeltzendorff, affirmant qu’il est inexact que nous coulions plus de sous-marins que l’Allemagne n’en construit Nous avons pris assez souvent l’Amirauté germanique en flagrant délit de mensonge pour ne pas nous laisser impressionner par une pareille dénégation.


RENE LA BRUYERE.

  1. Ce commandant, après avoir sabordé leurs embarcations, fit monter quarante hommes sur le pont du sous-marin et plongea, renouvelant le système de noyade du conventionnel Carrier.