L’Ève future/Livre 5/15
XV
L’Épiderme
« Je veux boire au creux de tes mains,
Si l’eau n’en dissout point la neige. »
Edison, indiquant une longue boîte en bois de camphrier placée contre la muraille auprès du brasero :
― C’est là ! dit-il. ― C’est là que j’ai enfermé l’illusion même du derme humain. Vous en avez éprouvé la sensation lorsque vous avez serré la main solitaire qui est en haut sur la table. Je vous ai parlé de ces étonnantes épreuves photochromiques récemment signalées. Or, si le toucher de cette peau trouble tout être vivant, la matité de sa trame invisible et opaline est essentiellement réceptive de l’impression solaire ; elle devient parfois radieuse, comme le jeune éclat d’un teint virginal, sous l’action de la lumière.
Remarquez-le aussi ; les difficultés que présente la coloration héliochromique sont beaucoup moindres, ici, que lorsqu’il s’agit d’un paysage. En effet, dans notre race caucasienne, le teint ne comporte que deux nuances précises dont, solairement, nous sommes un peu maîtres : le blanc pâle et le rose.
Les verres coloratifs impriment donc sur cet épiderme factice (une fois celui-ci adhérent au moulage même de la carnation), la teinte stricte de la nudité que l’on reproduit : or c’est la qualité du satinage de cette molle substance, si élastique et si subtile, qui vitalise, pour ainsi dire, le résultat obtenu, ― et ceci au point de bouleverser complètement les sens de l’Humanité. Il devient tout à fait impossible de distinguer le modèle de la copie. C’est la nature et rien qu’elle : ni plus ni moins, ni mieux ni plus mal : c’est l’Identité. Le fantôme, par exemple, est inaltérable. Ayant reçu membre à membre, face à face, profil à profil et dos à dos la totalité du reflet de la vivante, il le garde assez profondément, s’il n’est pas violemment détruit, pour survivre à ceux qui l’ont vu.
Maintenant, milord, ajouta Edison en regardant lord Ewald, tenez-vous à ce que je vous montre ce textile derme idéal ? à ce que je vous révèle de quels éléments il se compose ?