L’Ève future/Livre 5/10

Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 257-259).


X

Effluves corporels


Sur les vagues, au« … les roses envolées
Sur les vagues, au loin, s’en sont toutes allées…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir. »

marceline desbordes valmore.


Au réveil de votre belle amie, nous lui dirons qu’elle a perdu connaissance, voilà tout : ce qui arrive à toute femme « distinguée » et, afin de prévenir tout nouvel accident de ce genre, Samuelson lui prescrira, dans une savante ordonnance, certains bains d’air chaud qu’il fait prendre dans un établissement par lui fondé.

Miss Alicia Clary s’y rendra dès le lendemain.

Une fois la transpiration obtenue, il recueillera, comme on recueille les acides au papier de tournesol, en des appareils très sensibles, les vapeurs totales des émanations corporelles de cette jeune femme, et ceci des pieds à la tête, en isolant chacune des parties transpirantes.

Puis il en analysera, chez lui, les précipités, à tête reposée. Une fois les équivalents chimiques relevés, il réduira simplement en formules les divers parfums de cette aimable créature. ― Nul doute qu’il n’arrive à des approximations infinitésimales, à un dosage tout à fait exact.

Ce résultat bien obtenu, on le fluidifie et l’on en sature la Carnation par un procédé de volatilisation, le tout membre à membre et en se conformant aux nuances de la Nature, ― comme, avons-nous dit, un habile parfumeur sature une fleur artificielle de l’odeur correspondante. ― Ainsi, le bras d’en haut est embaumé du tiède et personnel parfum de son modèle.

Dès lors, la Carnation, ainsi imbue de ces parfums et ceux-ci une fois recouverts par l’Épiderme, y demeurent plus indélébiles qu’en un sachet. Le reste, l’Idéal, vous le fournirez vous-même. Et je vous dis que ce diable de Samuelson a trompé, déjà plusieurs fois, sous mes yeux, l’odorat d’un animal, à force de vérité dans ses dosages : je l’ai vu contraindre un basset à s’acharner, en aboyant, et à mordre sur un morceau de chair-artificielle frotté des simples équivalents chimiques du fumet d’un renard !

Un nouvel accès d’hilarité, chez lord Ewald, interrompit l’électricien.

― Ne faites pas attention, mon cher Edison, s’écria-t-il ; continuez ! continuez. C’est merveilleux ! Je rêve ! Je ne puis m’empêcher, ― et, cependant, je n’ai pas envie ― de rire.

― Ah ! je comprends et je partage votre impression ! répondit mélancoliquement Edison ; mais songez au prix de quels riens, ajoutés les uns aux autres, se produit, parfois, un ensemble irrésistible ! Songez à quels riens tient l’amour même !

La nature change, mais non l’Andréïde. Nous autres, nous vivons, nous mourrons, ― que sais-je ! L’Andréïde ne connaît ni la vie, ni la maladie, ni la mort. Elle est au-dessus de toutes les imperfections et de toutes les servitudes ! Elle garde la beauté du rêve. C’est une inspiratrice. Elle parle et chante comme un génie, ― mieux même, car elle résume, en sa magique parole, les pensées de plusieurs génies. ― Jamais son cœur ne change : elle n’en a pas. Votre devoir, donc, sera de la détruire à l’heure de votre mort. Une cartouche de nitro-glycérine, un peu forte, ou de panclastite, suffira pour la réduire en poussière et rejeter sa forme à tous les vents du vieil espace.