X

POÉSIE


Je terminais cet inventaire triste et doux, lorsque je mis la main sur un paquet cacheté avec soin ; le cachet était intact, l’adresse était écrite de ma main, le frêle envoi était resté dans ces tiroirs, comme un dépôt sacré que je ne pouvais violer sans délit. Cependant, par je ne sais quelle curiosité innocente, j’ouvris le paquet mystérieux. Il se composait d’un mouchoir de soie, dont la couleur appartenait évidemment à une mode passée ; le mouchoir était accompagné d’un simple billet soigneusement cacheté et encore tout empreint d’un parfum doux et faible, suave avant-coureur d’une lettre d’amour. J’ouvris cette lettre ; elle était d’une si belle écriture, que d’abord je ne pus la croire de ma main ; ce ne fut pas sans une émotion profonde que je relus ces vers depuis longtemps oubliés :


À MARIE.

Il te plaît, jeune fille ; eh bien ! je te l’envoie ;
Et la prochaine nuit, loin des yeux importuns,
Si tu veux confier à ses longs plis de soie
Tes cheveux doux et bruns ;

Si le sommeil, plus fort que ta coquetterie,
Endort ton frais sourire, un moment arrêté,
Pour ne laisser régner sur ta bouche fleurie
Que ta jeune beauté ;

Si, plus doux que les feux des deux frères d’Hélène,
Tes yeux sous leur paupière ont voilé leur clarté,
Et si les soupirs seuls de ta suave haleine
Troublent l’obscurité ;


Comme le chant léger d’un sylphe qui voltige
Sur les pas d’une fée aux pieds blancs et polis,
Et qui pose en passant, sans en courber la tige,
Ses ailes sur un lis ;

Une voix, doucement plaintive à ton oreille,
Te parlant dans la nuit sans te causer d’effroi,
Te dira bas, tout bas : « Enfant, tu dors, il veille ;
Il veille, et c’est pour toi !

« Il demande à la nuit les leçons de l’histoire,
De fabuleux récits, des pensers douloureux,
Et des accents de joie, et des chants de victoire,
Et des vers amoureux.

« Il cherche, pour te plaire, une palme suprême ;
Il veut sentir son front couronné comme un roi,
Pour se mettre à genoux et te dire : Je t’aime,
Je t’aime, c’est pour toi. »

C’est pour toi que je veux un nom grand et célèbre ;
Puis, à ton nom chéri prêtant l’appui du mien,
De l’avenir pour toi levant l’oubli funèbre,
Je lui dirai le tien.

Et tous les cœurs aimants, retrouvant leur folie
Dans cet amour vivant dont tu m’as enchanté,
Sauront ton nom plus doux que le nom de Délie,
Que Tibulle a chanté.


Oh ! mais, lorsque l’azur de ce tissu de soie
Pressera sur ton front tes beaux cheveux bouclés,
Eusses-tu renfermé tes plaisirs et ta joie
Sous mille et mille clés ;

Si de quelque rival enivré sur ta couche
Les baisers enflammés, qui me feraient affront,
Répondant en silence aux baisers de ta bouche,
L’écartaient de ton front ;

Plus forte que le cri de cet oiseau sinistre
Qu’une nuit orageuse évoque de son sein,
Plus triste que le chant du vieux et saint ministre
Qui trouble l’assassin ;

Cette voix te crira : « Prends garde ! ta folie
Peut-être aura demain de subites rougeurs ;
Son œil voit tout, prends garde ! un cœur qu’on humilie
Rêve des jours vengeurs. »

Ou plutôt si tu dois, dans une nuit profane,
En faire à ton amant un triomphe moqueur,
Livre au feu, dès ce soir, ce tissu diaphane,
Brûlé comme mon cœur !


Je refermai violemment mon tiroir, et sur la planche d’à côté je saisis mes pistolets : c’est une belle arme, montée par Stelein, et trempée dans le Furens. Je m’amusai à les contempler de nouveau, à regarder encore, gravée sur la platine, cette tête de sanglier, et machinalement mon sang s’échauffait, mon pouls battait plus fort ; j’étais heureux d’un bonheur si cruel, mais si vif ! Dieu merci, j’entendis frapper un léger coup à ma porte.

— Entrez, petite ! m’écriai-je.

Et la porte s’ouvrit.... J’étais sauvé !