E. Sansot et Cie (p. 97-106).

PRIÈRE

I

Faites, Nazaréen, que brève et sans danger
Soit sa souffrance. Autorisez la Grande Sainte
À veiller au chevet de cette fille enceinte.
Excusez son amant qui vient vous déranger.

Ce que je veux ? Vous pouvez bien vous en charger :
Vous pouvez m’accorder que ne soit pas atteinte
La beauté de sa ligne, et, surtout, que l’empreinte
Du ma ! ne soit qu’un masque altérable et léger.

Vous voudrez bien aussi que les gens de l’hospice
N’aient pas l’air, en l’aidant, de faire un sacrifice,
Sa chair est à la peine, épargnez son esprit.

Donnez à son enfant, par avance proscrit,
La grandeur de porter hautement sa naissance.
Pour faire un honnête homme, il n’est pas deux essences.

II

Nazaréen ! Nazaréen ! Écoutez-moi :
Vous comprendrez alors pourquoi je sollicite.
Nazaréen ? Le fruit d’un amour illicite
Ne doit pas pour cela, je crois, mourir de froid ?

Pour cet enfant déjà meurtri, je vous incite
À la pitié, je vous demande un peu d’émoi.
Je lui ferai plus tard un bel acte de foi,
Quand il saura causer, pour qu’il vous le récite.

Il n’a pas su qu’il allait naître en plein hiver,
Qu’il n’aurait ni berceau, ni chants, ni lieu couvert,
Qu’il essuîrait le vent du nord, sitôt ! si jeune !

Tranquille, il est venu sans se douter de rien,
Sans savoir qu’il allait forcer sa mère au jeûne ;
Il est né comme vous : sans respect, sans soutien…

Vous avez fait pourtant un grand homme de bien !

III

Il va falloir le mettre aux Enfants Assistés,
Ne pas le voir grandir, l’immoler à la race
Plus simple que méchante. Il n’aura pas sa place
Au grand soleil : Il n’en a pas les qualités.

Nous aurons eu pour nous sa première grimace,
Pour nous aussi les premiers cris qu’il a jetés.
Je ne m’étonne plus après tant d’âpretés
Que la corde d’amour qui vibre en nous se casse.

Mais, puisqu’il faut quand même en faire l’abandon,
À vous, Nazaréen, le plus pur des apôtres,
Sa mère, en un élan de foi, vous en fait don.

Faites alors pour moi que mon amante ait l’air
Quand elle embrassera les beaux enfants des autres,
De baiser, les yeux clos, le doux fruit de sa chair.

IV

Mais toi ! mon doux agneau, qui vivras parmi ceux
Que le sort méconnaît ! Toi ! le vrai fruit du rêve,
Deviens un jour, pour leur bonheur, le digne élève
Du Grand Maître. Sois le Jésus des malchanceux,

L’Ange de Charité ; sois celui qui relève
Et soutient tous les cœurs qui chavirent. Pour eux :
Les méconnus et les blâmés, les sans aïeux,
Sois la bonté vivante et l’espoir qui se lève.

Sois comme un phare en mer. Sois l’apôtre du Vrai.
Porte un cœur insondable, une âme universelle.
L’Humanité n’est pas, mais sois humain pour elle.

Dis à Jésus, ton Maître : « Ô vous que je suivrai
« Dans le chemin du droit jusqu’à la délivrance !
« Ô vous vers qui s’en vont mes actes d’Espérance,

« Donnez-leur d’autant plus, que rien je ne prendrai !

V

« Donnez à mes amis, les lépreux d’aujourd’hui,
« Le dédain de l’orgueil, le mépris de la haine.
« Donnez-leur le besoin d’aimer ceux qu’on malmène,
« La grandeur de baiser le pied qui les poursuit. »

Dis-lui ça, mon petit, à ton maître, dis-lui !
Qu’il sache la valeur des désirs qu’on égrène ;
Car il ne faudra pas qu’un jour il se méprenne
Sur votre loyauté ; qu’il reste votre appui,

Mais qu’il n’ait jamais l’ombre offensante du doute,
Il a su par lui-même, hélas ! ce que vous coûte
Tout un renoncement pour le bonheur d’autrui.

Il devra vous aider à former la phalange
D’où naîtront ceux qui vont balayer notre fange :
Il sera le noyau dont vous serez le fruit.

VI

Pourtant, on vous dit sans vertus. Eh ! le sait-on ?
Savent-ils seulement, ces mauvais, que vous l’êtes
Sans vertus ? Vous, sans vertus ! Les doux prophètes
D’un avenir prochain basé sur le pardon !

Mais tous ces gens de peu de sens, que croient-ils donc ?
Que croyez-vous qu’ils sont les enfants que vous faites ?
Ils ne sont que l’effet des amours satisfaites,
Et les amours, me semble, ont toutes même fond !

Mais il faut l’oublier et n’accabler personne ;
Il faut avoir au cœur l’amour du bien pour tous,
Pour la main qui reprend et pour la main qui donne.

Et même, il serait grand, pour des cœurs comme vous,
De trouver une excuse à celui qui vous damne,
Et des airs de clémence à l’arrêt qui condamne.

VII

Oh ! soyez bons ! Oh ! soyez bon ! Oh ! désormais
Soyez l’Intégrité marchant vers la lumière.
L’ardeur du bien commun devient si singulière
Que les déchus vous aimeront comme jamais !

Ne faites pas ainsi que pour Christ a fait Pierre !
Orphelins de l’Amour, c’est en vous que je mets
L’Espoir de faire atteindre les plus hauts sommets
À la bonté qu’en vain j’appelle en ma prière.

VIII

J’ai parlé de Bonté parce qu’elle est pour moi
L’essence de mon âme. Ou, plutôt, que mon âme
Est la toute bonté dans un corps qui la blâme.

Mais que me font son blâme et son manque de foi ?
Le corps est l’ostensoir où repose l’hostie,
Et qu’est-ce que le corps, sans l’âme en lui blottie ?