L’Âme qui vibre/L’Urne close

E. Sansot et Cie (p. 16-17).

L’URNE CLOSE

Je sais ce que je vaux et cela me suffit.
Je déteste le bruit de la place publique ;
La gloire qu’on y forge est une gloire oblique,
Le vrai poète en soi doit trouver son profit.

Mon âme a beau s’enfler aux souffles de la vie
Comme une éponge neuve au-dessous d’un fil d’eau,
Je ne la presserai jamais pour le badaud ;
On ne vend pas ce qui, peut-être, est du génie.

Je ne veux pas qu’on sache, au cours de mon chemin,
Que je suis différent de n’importe quel homme.
On goûte mieux ainsi l’incomparable arôme
De se sentir meilleur que celui qui vous plaint.

Quand on me dit parfois ; vous, vous êtes poète ?
Je réponds : non, tout court ; car ils n’ont pas besoin
De savoir que près d’eux parfois je suis si loin,
Qu’en leur causant de mort je peux rêver de fête.

Car ils n’ont pas besoin de savoir que mes yeux
Peuvent rire pendant que mon cœur est en larmes,
Et que c’est au moment où je mets bas les armes
Que la révolte en moi se déchaîne le mieux.

Quand un ami me dit : « Je compte dans la France,
« On m’aime, on me recherche, on proclame mon nom, »
Moi, refoulant ma voix dans mon être profond,
Je savoure l’orgueil divin de mon silence.