L’Âme qui vibre/Des sœurs dans la rue

E. Sansot et Cie (p. 50-52).

DES SŒURS DANS LA RUE

J’ai remarqué trois sœurs également vêtues,
Rachetant le péché de la femme d’Adam.
De ces trois vierges survenues,
J’aurais fait, volontiers, un fruit mûr pour ma dent.

Elles avaient un air si bon, les religieuses,
Qu’en les voyant passer j’ai cru voir trois douceurs.
Puis elles m’ont changé de nos filles joyeuses,
Les sœurs.

J’ai suivi leur chemin comme un homme séduit,
Sans penser que l’on pût ainsi leur faire offense.
Elles ne sentaient pas les parfums d’aujourd hui :
Elles sentaient la pénitence.

Passantes, sœurs de charité
Ou d’autre chose,
Vos robes de sévérité
Me défendent que je vous cause.

Sans cela, sans cela,
Femmes de bien, j’aurais sans feinte,
Païennement,
À celle d’entre vous paraissant la plus sainte,
Demandé d’être ce jour-là
Mon épouse sans sacrement.

Je ne suis qu’un pêcheur,
Mes sœurs,
Sans ferme propos ferme ;
Mes péchés n’ont jamais,
Jamais,
Connu leur terme ;
Je ne suis qu’un pêcheur,
Mes sœurs,
Et j’ai suivi votre chemin.

Vous avez traversé la foule
Sans qu’un besoin d’en être à vos yeux eût parlé.
Sans que vos mains
Eussent quitté le chapelet
Où, pour nous, l’indulgence coule.
Vous avez croisé sans savoir
La rebelle aux voix du Seigneur :
L’impure.

Et l’impure a ri de vous voir,
Mes sœurs.

Mais votre âme, qui tout endure,
A prié pour ces femmes-là :
« Ave Maria, gratia plena… »

Et j’ai rebroussé mon chemin
À la porte de la chapelle,
Mon pauvre cœur tout barbouillé.
Si je ne suis allé moi-même à la chapelle.
C’est qu’en vous y voyant prier
J’eusse peut-être joint les mains.

Sœurs, sœurs, quand vous allez porter secours,
Et qu’un jeune passant, du regard vous foudroie,
Je voudrais bien savoir si votre cœur se noie
À l’étang de l’amour ?