L’Âme nue/Remords futur

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 189-190).
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REMORDS FUTUR


à ernest coquelin




Hélas ! les jours viendront de sénile atrophie
Où je déviderai l’autre bout de ma vie,
Maigre Hercule, filant aux genoux de la Mort.
Quinteux, goutteux, gâteux, plein de bile et plein d’asthmes,
J’engluerai de vers mous mes plats enthousiasmes,
Comme un chien trop repu bave sur l’os qu’il mord.


Suçant une dent jaune et mâchant mes gencives,
J’égoutterai, le soir, en sagesses poncives,
Froid devant la féerie ardente des tisons.
J’emplirai les printemps de l’effroi des automnes,
Usant avec lenteur les vieux mois monotones,
Conseillant la décence et vendant des maisons.

 
Les enfants auront peur de toucher mes doigts veules ;
Je serai le galant des caduques aïeules,
Épris des bonnets verts à coques d’organdi…
Et des femmes, partout, épouses, vierges, gouges,
Les seins bombés, les yeux luisants, les lèvres rouges,
Passeront : leur parfum fleurira l’air tiédi.


Les bustes évasés balanceront leurs grâces
Sur le socle mouvant et flou des hanches grasses ;
Les jupes aux longs plis recéleurs glisseront :
Leur effleurement doux, de mes reins à ma nuque
Fera courir un trouble et des frissons d’eunuque ;
Et les femmes, toujours, partout, repasseront.


D’autres mains d’homme iront dénicher les nichées
De désirs pépiant sous les toiles ruchées ;
D’autres lèvres iront boire aux festins rosés :
Alors, brusque, un remords hurlera dans ma bête
D’avoir rapetassé des chagrins de poète
Quand c’était l’heure chaude et pourpre des baisers !