L’Âme nue/Résignation

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G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 90-92).
LES CULTES


RÉSIGNATION

à laurent tailhade


C’est Dimanche. Le vent court des landes aux roches ;
La douce mer d’Arvor joue avec les écueils,
Et les horizons gris tremblent du son des cloches :
Mais le village est noir comme un drap de cercueils.


Tout est brûlé : les toits, les celliers, les étables,
Les salles, les hauts lits enchâssés dans les murs,
Les vieux dressoirs, les bancs rangés autour des tables,
Les granges qu’embaumaient les foins et les fruits mûrs.

Il a crevé les fûts et bouilli dans les outres,
Le beau cidre écumant de rire et de chansons ;
Les grands bœufs calcinés sont couchés sous les poutres,
Et les vents ont vanné la cendre des moissons.


Les flammes ont taillé des gibets et des scies
Dans les arbres joyeux qui bombaient leurs arceaux,
Et les petits enfants, avec des mains noircies,
Sur les brasiers éteints se creusent des berceaux.


Tels les champs de bataille au soir des grands massacres ;
On croirait que tout veut mourir, mourir enfin,
Et l’on sent palpiter sur tout, dans les airs âcres,
La désolation, la misère et la faim !


Seule, l’église luit, claire entre les murs sombres :
Par-dessus le hameau funèbre, au plein milieu,
Comme un ange d’espoir qui surgit des décombres,
Rose et blanche, elle monte et rit vers le ciel bleu.

Et voici, rayonnant, venir, dans les cantiques,
Les bannières de soie et les saints d’or bruni,
Et le peuple en haillons chante autour des portiques :
« Soyez béni, Seigneur ; Seigneur, soyez béni ! »