L’Âme nue/Les Faibles

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 132).
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LES FORMES





LES FAIBLES


à joseph berho



Je n’ai d’amour au cœur que pour ceux qu’on torture,
Les tout petits enfants de l’immense nature
Qui vivent dans l’ennui, la tristesse ou l’effroi ;
Ceux qui n’ont pas de nid, le soir, quand il fait froid,
Qui tremblent dans le vent et gîtent sous la neige ;
Les faibles, ceux qu’on tue et que nul ne protège
Et dont le bon soleil lui-même est ennemi ;
Qui n’ont que la douceur d’avoir un peu dormi
Lorsqu’il faut s’éveiller encor pour vivre, et vivre…
Aussi, lorsque l’hiver met des robes de givre
Sur les troncs d’arbres noirs et les brins d’herbe roux,
Je rêve d’être un dieu paternel, grave et doux,
Qui pourrait, en faisant refleurir les pervenches,
Être aimé des oiseaux qui glissent sous les branches.