L’Âme nue/Le Vaisseau

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 224-225).
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LE SOIR







LE VAISSEAU


à florent scheving




En rêve, dans un rêve étrange, au temps des rêves,
J’ai vogué sur les flots d’un océan sans grèves.

Les vents étaient sans haine et l’hiver sans frimas :
J’ai rencontré, vers l’aube, un grand vaisseau sans mâts.

Énorme et bas, fleuri de fleurs d’or et de palmes,
Il croisait lentement au milieu des mers calmes.

Sous l’ennui bleu du ciel, au hasard des destins,
Il cinglait vers des buts lointains, jamais atteints.


Filant, puis revenant sur son propre sillage,
Il refaisait sans fin son tranquille voyage.

Le grand vaisseau sans mâts n’allait vers aucun port,
Et nul être vivant ne chantait à son bord.

Il avait oublié les labeurs, les orgies,
L’espoir, la guerre, et la douleur des nostalgies.

Pilote, passagers, mousses et matelots,
Tous dormaient, confiants dans la douceur des flots.

Et la mer les berçait, berçait sur sa clémence,
J’ai souhaité dormir dans cette paix immense.

Et j’ai voulu monter sur le vaisseau perdu ;
Et j’ai crié vers lui, mais rien n’a répondu.

J’ai vu six lettres d’or sur sa plaque d’ivoire,
Puis il s’en est allé… « Croire ! » Il s’appelait Croire.