L’Âme nue/L’Absente

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 194-195).
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L’ABSENTE


 



Sur le coteau piqué de pins et de genièvres,
Parmi les rocs verdis de lichens, les genêts,
Et les plants de bruyère où vont brouter les chèvres,
Lorsque je reviens seul vers l’arbre où tu venais ;


Et dans le ravin gras, près du ruisseau des mûres,
Où l’eau brune, étalant l’huile de ses reflets,
Tremble entre les granits et filtre sans murmures,
Lorsque j’éveille seul l’ombre où tu m’appelais :

Alors, brusque, d’un coup, tu m’apparais : tu bouges,
Tu parles, tu me prends au col, et tu me tends
Ton chaud sourire ouvert dans tes lèvres trop rouges,
Et ta gorge qui bat sous mes doigts irritants.


Voici monter vers moi le flux de tes tendresses,
De tes parfums, de tes luisants rosés, bronzés…
Et le ruisseau se prend à chanter des caresses,
Et la brise qui glisse effeuille des baisers.


Puis, tu pars, secouant ta jupe provocante :
Et toi, la fleur du vice et des rites pervers,
L’âme de courtisane et la chair de bacchante,
Je te revois dans un logis à rideaux verts.


De gros enfants joufflus s’accrochent à ta robe ;
Et, ravaudant tes jours usés, tu t’assoupis
Dans la banalité d’un ménage très probe,
Aux ronflements d’un chat qui dort sur le tapis.