L’Âme nue/Clair de Lune

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 25-26).
◄  Les Atomes
LES LOIS



CLAIR DE LUNE


à émile guiter



Jadis, aux jours du Feu, quand la Terre, en hurlant,
Roulait son bloc fluide à travers le ciel blanc,
Elle enfla par degrés sa courbe originelle,
Puis, dans un vaste effort, creva ses flancs ignés.
Et lança, vers le flux des mondes déjà nés,
     La Lune qui germait en elle.


Alors, dans la splendeur des siècles éclatants,
Sans relâche, sans fin, à toute heure du temps,
La mère, ivre d’amour, contemplait dans sa force
L’astre enfant qui courait comme un jeune soleil :
Il flambait. Un froid vint l’engourdir de sommeil
      Et pétrifia son écorce.

Puis, ce fut l’âge blond des tiédeurs et des vents :
La Lune se peupla de murmures vivants ;
Elle eut des mers sans fond et des fleuves sans nombre,
Des troupeaux, des cités, des pleurs, des cris joyeux ;
Elle eut l’amour ; elle eut ses arts, ses lois, ses dieux,
     Et, lentement, rentra dans l’ombre.


Depuis, rien ne sent plus son baiser jeune et chaud ;
La Terre qui vieillit la cherche encor là-haut :
Tout est nu. Mais, le soir, passe un globe éphémère,
Et l’on dirait, à voir sa forme errer sans bruit,
L’âme d’un enfant mort qui reviendrait la nuit
    Pour regarder dormir sa mère.