L’Âme nue/Alma parens

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 101-104).
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ALMA PARENS


à charles morice




Puis, un rayon posé sur un toit de chaumière,
Un bois où le ciel bleu fait des trous de lumière,
Un nuage qui court vers le soleil levant ;
Et là, paisible et pur, comme un saint dans sa fierte,
Droit dans sa châsse d’ombre aromatique et verte,
 Un muguet qui se berce au vent ;

Puis, la fuite indécise et blonde des collines,
Où de blanches vapeurs traînent leurs mousselines,
Comme des jours de Pâque aux marches des parvis ;
Et la mare aux tons d’huile où s’endorment les raines,
Et l’herbe où deux pinsons vont picoter des graines
 Autour d’un brin de chènevis ;


Et, sur l’inclinaison des ravines fleuries,
C’est un ruissellement de folles pierreries :
La plaine, sous l’éclat des bijoux et des fards,
Regarde en souriant pendre sa robe neuve,
Dont la frange se mouille aux vasques du grand fleuve
 Qui descend sous les nénuphars.


Et c’est la mer, là-bas, la mer omnicolore,
La vaste fleur que chaque aurore fait éclore,
L’immense voyageuse aux somptueux courants
Qui joue avec la lune et qui chante aux étoiles,
Et qui tout en chantant jette ou porte les voiles
 Sur des mondes exubérants :

 
Sur des pays où l’or micace les rivières,
Où l’éclair des oiseaux fait trembler les paupières,
Où l’on entend sonner dans l’air lourd de parfums
Et glisser le beau corps onduleux des crotales,
Où les corolles ont de si larges pétales
 Qu’on y peut coucher les défunts ;


Et c’est l’immensité des déserts et du pôle,
Les forêts de bambous où le tigre miaule,
Les steppes où s’enfuit le troupeau des bisons ;
C’est le miroitement limpide et bleu des glaces
Et le soleil qui tourne avec des lenteurs lasses
 Sur l’argent mat des horizons.


Feu des soirs, bleu des nuits, midis blancs, matins roses,
C’est la communion de l’air avec les choses !
C’est l’hymne hyménéal et l’éternel Avé
Des formes aux senteurs et des sons aux lumières,
Tout ce qui s’est perdu des époques premières,
 Et tout ce qu’on n’a pas rêvé !

— Ô Nature ! ô splendeur ! ô richesse infinie !
Qui rendra par des mots l’œuvre de ton génie ?
Tout notre effort s’épuise et râle vers le beau,
Et toi, Mère, toujours jeune et toujours féconde,
Tu poses en riant à tous les coins du monde
 Un chef-d’œuvre toujours nouveau.

 
Notre plume se rompt, notre pinceau se brise,
Et notre seule gloire est de l’avoir comprise,
Nous qui voudrions tant et qui pouvons si peu !
Reine unique de l’art, c’est ton doigt qui nous mène,
Et quand nous te chantons, la poésie humaine
 Chante le poème de Dieu !