L’Âme nue/A Gaston Béthune

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 211-213).
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À GASTON BÉTHUNE

Envoi de quelques poèmes oubliés




Frère, le plus aimé de mes plus chers amis,
Esprit vibrant et souple où la nature a mis
Des grandeurs de poète et des douceurs de femme ;


Toi qui me consolais dans mes jours de rancœur,
Qui réchauffais mon âme aux chaleurs de ton âme
Quand le dégoût d’être homme humiliait mon cœur ;


Toi qui lis dans ma vie et qui sauras peut-être
Le lourd regret que nul ne doit jamais connaître
Et qui me fait pleurer le soir comme un enfant :

En mémoire de nous, je te donne ce livre
Où mon rut exalté se dresse, triomphant :
Ceux qui passeront là pourront m’entendre vivre.


J’ai tiré les rideaux de mon lit, grands ouverts :
Je n’ai honte de rien et je crie à pleins vers
Quand l’amour bienfaisant descend sur ma torture.


Plus corrompu que nous, le siècle n’aime pas
Qu’on se souvienne d’être un fils de la nature
Et qu’on dise tout haut ce qu’il pense tout bas.


Il veut qu’on soit poncif et qu’on chante les roses,
Les bois, les vingt printemps, l’âme et les vents moroses ;
On doit rougir d’être homme et renier sa chair.


Ah ! qui nous rendra l’âge où la grâce était nue !
L’âpre splendeur du vrai rendait le beau plus cher,
Et la pudeur dormait, hérésie inconnue.

Tous les bonheurs humains s’appelaient par leur nom,
Et nul n’aurait osé trouver leur culte immonde.
— « Tu vas châtrer ton art et mentir. » — Eh bien, non !


Le monde en rugira : nous méprisons le monde !