L’Âme noire du prieur blanc

Édition du « Mercure de France ».


La nef de la chapelle du prieuré, vue prise du maître autel.

Une lumière polychrome, arc-en-céleste, arrivant des vitraux enjolivés de Saintes, éclaire la nef aux belles clefs de voûte, les piliers du transept et les bas-côtés dont on devine les tombeaux surmontés de statues en albâtre et les autels latéraux : les personnages se meuvent dans cette clarté multiple.

Au milieu, tout là-bas au fond, au-dessus des orgues, une rosace radieuse ; sous les orgues la massive porte d’entrée sur les vantaux de laquelle les écussons de l’Ordre.

Toute la nef, jusqu’aux premiers plans réunis de droite à gauche par une sainte-table, est remplie par des stalles en chêne sculpté dans lesquelles les Moines Blancs, comme taillés dans le roc, sont assis face au public ; un passage traverse ces rangs de stalles et les divise de la sainte-table à la porte du fond.

A partir du premier plan, l’avant-scène représente l’origine de l’abside, mais le maîtie-autel est invisible, ce maître-autel et l’extrême-chœur étant compris dans la partie de la salle occupée par les spectateurs. Le peu que l’on voit du chœur est indiqué, tant à droite qu’à gauche, par le retable.

Devant la sainte-table, à droite, un tantinet vers le milieu, s’élève sur un piédestal une statue neuve inaugurée ce jour même, celle du Prieur d’autrefois : statue naïvement coloriée comme celles des églises de villages, barbe blanche jusqu’à la ceinture, regards au ciel, bras mystiquement ouverts. Devant le piédestal une veilleuse pas encore allumée sur un trépied d’or ; un long vase sans fleurs sur un degré du piédestal.

A gauche, à hauteur de la sainte-table, attenant à un pilier de transept et faisant en quelque sorte pendant avec la statue du Prieur d’autrefois, une chaire flanquée de son mince escalier en caragol. Derrière cette chaire, la petite porte de la sacristie.

Çà et là fresques, lustres, bénitier, chandeliers, bannières, bas-reliefs, saints dans leurs niches, reliquaires, tableaux du Chemin de la Croix, châsse, etc.

SCENE PREMIÈRE

LE CARDINAL en chaire ; LE PRIEUR dans sa stalle vis-à-vis de la chaire ! L’ABBÉ, supérieur de l’Abbaye dont dépend le prieuré, ainsi que divers ABBÉS d’Ordres divers (tous ces Abbés mitre en tête et crosse en main) occupent les hautes stalles du retable ; çà et là dans le chœur sont assis les officiers du prieuré, c’est-à-dire

Le Prévôt, Le Cellérier, L’hospitalier. L’infirmier… ; Les Moines Blancs dans les

stalles de la nef.

Avant le lever de la toile, toutes les cloches du couvent sonnent à pleine volée Yalleluia ; puis, les cloches faisant silence, se distinguent les éclats d’une voix en chaire, — de telle manière que, la toile levée, on assiste à la péroraison du panégyrique prononcé par le légat du Pape.

Le Cardinal, poursuivant.

… En vérité, mes frères, il est, cet auguste Prieur qui vécut austèrement et dont l’âme servait à Dieu de miroir magnifique, il est la gloire souveraine de ce moutier de Moines Blancs. Sage, il était déjà saint ici-bas car le sage est le saint trerestre comme le saint est le sage céleste. Oh ! qu’il soit votre exemple cet ancien pasteur, et, de même que lui, renonçant aux faux éclats de la matière, sachiez-vous, les paupières closes, vendanger sous les noirs pampres de l’extase l’idée flamboyante de la Vérité ! Souvenez-vous, on croyait voir quelque Apôtre descendu d’un vitrail lorsque celui dont la parole enchantant la Vallée rendit plus blonds les blés et les arbres meilleurs traversait le long corridor où seulement fleurit une lampe d’argile. Aussi pût-il, ainsi que saint Jérôme et saint Bernard terrasser les Puissants de ce monde avec le simple rameau de sa sagesse et diriger les nations du fond de sa cellule. C’est pourquoi toutes les cloches lui font en ce matin d’apothéose leurs plus sonores génuflexions, et c’est pourquoi, quinze ans à peine après sa mort, je viens de la ville papale, moi, cardinal du consistoire, mandé par l’héritier suprême de saint Pierre, et c’est pourquoi je viens déposer dans vos sacrées archives le décret qui proclame au nombre admirable des Saints le Prieur d’autrefois.

Orgues.

Les Moines Blancs, debout, à l’unisson Gloria in excelsis Sando nostro !

Pendant ce chant, le Prieur quitte sa stalle, s’empare d’un encensoir présenté par un novice fait le tour de la Statue du Prieur d’autrefois en l’encensant à diverses reprises et regagne sa stalle.

Le chant fini, les Moines se prosternent.

Le Cardinal, toujours en chaire, récite les litanies du nouveau Saint que souligne la psalmodie grave des Moines auxquels se joignent les Abbés. Ces litanies commencées à voix basse, vont dans une enthousiaste ascension du cœur jusqu’à l’oraison finale.

Les orgues accompagnent les litanies, pour ne cesser qu’aux premières paroles de la scène II, jouant en sourdine ou fortement selon l’esprit du moment.

Le CARDINAL, ses yeux caressant la Statue.

Cœur d’argent !

Les Moines Blancs. Cœur d’argent !

Le Cardinal.

Esprit d’or.

Les Moines Blancs.

Esprit d’or !

Le Cardinal. Ame de diamant !

Les Moines Blancs. Ame de diamant !

Le Cardinal. Barbe de patriarche !

Les Moines Blancs, Barbe de patriarche !

Le Cardinal. Lèvres d’évangile !

Les Moines Blancs. Lèvres d’évangile !

Le Cardinal. Regards de firmament !

Les Moines Blancs. Regards de firmament !

Le Cardinal. Epaules faites pour la croix !

Les Moines Blancs. Epaules faites pour la croix !

Le Cardinal. Mains, douces palmes dans la brise !

Les Moines Blancs. Mains, douces palmes dans la brise !

Le Cardinal. Genoux usés par l’adoration !

Les Moines Blancs. Genoux usés par l’adoration !

Le Cardinal. Pieds meurtris par les ronces !

Les Moines Blancs. Pieds meurtris par les ronces !

Le Cardinal. Cygne de mansuétude !

Les Moines Blancs. Cygne de mansuétude !

Le Cardinal Corbeille de sourires !

Les Moines Blancs Corbeille de sourires !

Le Cardinal. Verger d’aumônes !

Les Moines Blancs. Verger d’aumônes !

Le Cardinal. Treille d’alleluias !

Les Moines Blancs.

Treille d’alleluias !

Le Cardinal. Olivier d’espérance !

Les Moines Blancs. Olivier d’espérance !

Le Cardinal. Cèdre de sagesse !

Les Moines Blancs. Cèdre de sagesse !

Le Cardinal. Chancelier des Missels !

Les Moines Blancs.

Prie pour nous !

Le Cardinal Prince du Rosaire !

Les Moines Blancs. Prie pour nous !

Le Cardinal. Héraut du sanglant Sycomore !

Les Moines Blancs. Prie pour nous !

Le Cardinal. Semeur au geste d’encensoir !

Les Moines Blancs.

Prie pour nous !

Le Cardinal Echanson du Calice Ardent !

Les Moines Blancs, Prie pour nous !

Le Cardinal. Sommelier du Saint-Ciboire !

Les Moines Blancs. Prie pour nous !

Le CARDINAL, tendant les bras vers la Statue.

Hôte de l’immarcescible Azur !

Les Moines Blancs, de même. Intercède pour nous !

Le Cardinal. Commensal des Harpes !

Les Moines Blancs. Intercède pour nous !

Le Cardinal. Jardinier des Roses Mystiques !

Les Moines Blancs. Intercède pour nous !

Le Cardinal. Abeille des Etoiles !

Les Moines Blancs.

Intercède pour nous !

Le Cardinal. Châtelain du Soleil !

Les Moines Blancs. Intercède pour nous !

Le Cardinal. Noble imagier de l’Arc-en-ciel !

Les Moines Blancs. Intercède pour nous !

Le Cardinal. Familier des Séraphins !

Les Moines Blancs.

Intercède pour nous !

Le Cardinal. Centurion de l’Absolu Diadème !

Les Moines Blancs. Intercède pour nous !

Le Cardinal. Archidiacre de la Très Sainte Trinité !

Les Moines Blancs. Intercède pour nous !

Le Cardinal.

Sceptre filial du Vieillard Essentiel et Primordial !

Les Moines Blancs.

Intercède pour nous !

Le Cardinal descend de la chaire et se dirige vers la Statue, suivi à distance par les Abbés et le Chapitre. Des servants apportent un cierge, des lys, etc.. Au cours de l’oraison, le Cardinal allume la veilleuse du trépied d’or et dispose les lys en éventail dans le vase placé sur une marche du piédestal.

Le CARDINAL, sur un ton d’oraison.

Propitiateur dont la radieuse image inclinera désormais nos fronts, j’allume cette flamme, emblème de ta foi, qui, suivant le vœu formulé, brûlera perpétuellement… et je t’offre ces lys qui chaque jour, en commémoration de ta vertu de continence, seront aussi pieusement renouvelés jusqu’à la fin des siècles 1

Les Moines Blancs.

Ainsi soit-il !

Le Cardinal s’approche d’une dame-jeanne que deux frères de la cellérie ont déposée sur un escabeau à gauche de la Statue, et la bénit.

Le CARDINAL, à la Communauté.

Cénobites voués à l’eau du puits pareil, au mitan du préau, à quelque profond reliquaire de larmes tombées du Purgatoire, je bénis ce vin que le Souverain Pontife, allégeant la sévérité de l’Ordre, vous autorise à boire en ce jour de glorification, — et j’apporte aussi de Rome le pouvoir de vous relever du silence, de ce moment au crépuscule du soir.

Marche triomphale aux orgues. Les Moines Blancs, deux à deux et lentement, se dirigent par le passage du milieu vers la» porte du fond. L’Abbé, chef de l’Ordre, le Cardinal et le Prieui disparus un instant dans la sacristie, reparaissent vêtus de" somptueux ornements sacerdotaux et remontent à la suite de la Communauté avec les officiants, le Chapitre et les Abbés.

Durant la sortie, un joli moi-nillon, Bén’édict, ayant franchi l’issue de la sainte-table et pénétré dans le chœur, s’est arrêté devant la Statue du Prieur d’autrefois, — comme extasié par elle. Le Prieur qui ferme le cortège remarque Bénédict immo’ bile et descend vers lui.

La chapelle est déserte.

Les orgues cessent.

SCENE II

Le Prieur, Bénédict.

Le Prieur, appelant.

Bénédict !… (Le moinillon n’ayant pas entendu, le Prieur s’avance et lui pose la main sur l’épaule. La Communauté se rassemble sous les arcades du cloître pour, à l’angelus de midi, se rendre processionnellement aux lieux bénits qu’honora le Prieur d’autrefois.

BÉNÉDICT, sorti de l’extase.

Mon père, laissez de grâce le frivole invoquer le Bienheureux dont les vertus commandent l’admiration !… Une victoire si haute effraie l’oiseau chétif de mes désirs pieux, et j’ai besoin de consulter les fortes ailes de l’exemple.

Le Prieur.

Certes, mon enfant, difficile est la perfection. Fraîchement sorti du monde, périssable empire de l’erreur et de la vanité, tu devras sarcler ton corps à coups de discipline et chercher la lumière en le ciel contemplé.

Bénédict.

La lumière…

Le Prieur.

Ton âme naquit prisonnière des sens, ses seules armes libératrices seront les fleurs écloses au jardin de la Règle et par lesquelles, selon saint Jean Chrysostôme, sont anéanties les passions dont l’homme est menacé : le tournesol de la prière et le lys de l’aumône.

Bénédict.

Le tournesol de la prière et le lys de l’aumône.

Le Prieur.

Il n’eut pas d’autres armes mon sage prédécesseur que l’Eglise reconnaissante aujourd’hui canonise.

Bénédict, à la statue.

Nouveau patron de cet asile, inspire le berger venu du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches !

Le Prieur.

Le Juge, ne l’oublie pas, sera moins inexorable pour le berger du passé que pour le moine de l’avenir.

Bénédict, avec exaltation.

Je veux être un chevalier divin, comme disent saint Anselme et saint Bernard.

Le Prieur.

Interroge fervemment ton jeune cœur avant le choix irrévocable, ô mon fils, ce monastère étant la citadelle de la pénitence, de la solitude et du silence. La pénitence : ta faim devra se détourner des tables succulentes et ta soif ne s’étancher qu’au puits monotone du préau. La solitude : tu te résigneras, anachorète, aux rudes heures liturgiques tandis que lentement la barbe descendra vers tes genoux et tes chevilles, et le loisir unique de tes bras sera de creuser une tombe à tes os mortifiés. Le silence : oh ! le silence, mystérieux domaine de la voix éternelle !… Il faut avec le front labourer le silence pour entendre germer les pensées graves du Seigneur.

Bénédict, resolument.

Je choisirai la pénitence, la solitude et le silence.

Au dehors, sous les vitraux de gauche, s’élèvent de graciles bêlements.

Le Prieur. D’où te vient ce visage de cierge ?

BÉNÉDICT.

Entendez-vous, mon père ?

Le PRIEUR, remontant vers un vitrail de gauche.

On dirait que sainte Elisabeth l’Aïeule raconte à sa voisine de vitrail la visite de Marie la Vierge… (Ecoutant mieux.) Mais ce ne sont que des brebis bêlantes…

Bénédict, timide.

Ces brebis sont les miennes. — D’autres pour le cloître, laissent un blason riche de lions ou d’aigles, un fier donjon, des orfèvreries, des pierres princières…

Le PRIEUR, évoquant le passé.

N’ai-je pas déserté le manoir opulent de mon père pour une cellule misérable ?… O la grand’salle des aïeux de fer, et le dais de tilleuls, et le parc aux faisans, et le lac puéril aux tanches séculaires !… Inspiré que la seule joie demeure en Dieu, je remis au fourreau l’épée hautaine, dépouillai l’acier de gloire et les étoffes orgueilleuses, puis, revêtu de vile bure, appuyé sur un bâton de houx, je franchis le pont-levis où sanglotait mon écuyer fidèle et je vins, pèlerin de mon salut, m’humilier en ce mausolée de vivants.

BÉNÉDICT, humblement.

… Simple berger, je n’ai laissé que mon troupeau.

Le Prieur.

Les pâtres de Bethléem offrirent des agneaux et des ramiers à l’Enfant de la Crèche, mais ces ramiers et ces agneaux, l’héritier présomptif de l’Infini les aima plus que l’encens, la myrrhe et l’or des mages d’Orient.

Sous les mêmes vitraux une explosion de bêlements.

BÉNÉDICT, avec un élan vif vers les bêlements.

O mes fidèles !… D’habitude, au sortir de la bergerie, je les menais sur la roche sauvage, autour de cette vieille chapelle qui domine la Vallée… elles y paissaient l’herbe naïve durant que les psaumes des reclus à la voix surnaturelle envahissaient mon âme émerveillée. Une force mystérieuse m’attirait ici chaque jour davantage. Un matin, jaloux d’implorer votre hospitalité, je quittai la cabane et gravis la colline… or ma route était charmée par l’aile fraîche d’un ange invisible qui me conduisait. Croyant que leur maître montait vers l’herbe quotidienne, les brebis m’avaient suivi, pleines de respect pour mon silence étrange, à distance et sans bêler, si bien que je les ignorais derrière moi ; mais, au seuil du moutier, voici qu’elles m’entourent comme pour me faire prisonnier… Sans doute avaient-elles deviné !… des bêlements agonisaient dans leur gorge serrée… Alors je répandis un torrent de larmes et restai là, très malheureux, un dur moment. Une cloche tinta. Les écartant doucement de la main comme on écarte de la neige en hiver, je leur dis très vite afin de ne point fléchir : « Dieu m’appelle, mes innocentes, adieu ! » et déjà, telle une pierre de sépulcre, s’était fermée sur moi la lourde porte… (Les mains jointes.) Oh ! de grâce, ayez pitié de mes brebis en peine et ne les chassez pas des environs !… Je fus cruel peut-être et peut-être leur destin estil de revenir sans cesse, dans l’espérance du berger qui jamais plus ne reviendra !…

Le Prieur, paternel.

Ton holocauste est un sourire sur les lèvres du Seigneur. — Ces brebis-là, vois-tu, sont le troupeau symbolique des vanités éphémères que tu laissas à la porte. (Lui prenant les mains.) Mais sont-ce là tous tes regrets ?

BÉNÉDICT, abandonnant sa tête sur le sein du prieur.

O mon père, j’aimais… j’aimais une pastourelle blonde… celle à qui j’ai légué mon blanc troupeau : Magdeleine aux yeux de dimanche !… Elle a dû suivre mes brebis ou les guider vers la chapelle, et sans doute est-elle au pied de ces murailles, avec des larmes sur la joue… Magdeleine est la plus jolie fille de la Vallée…

Le PRIEUR, avec un sourire amène. La plus jolie fille de la Vallée…

Benédict.

Nos âmes orphelines s’étaient fiancées, près d’une margelle, au vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches.

Le PRIEUR, de rechef à son souvenir.

Lorsque, vêtu de bure, je descendis pour la dernière fois l’escalier du manoir, Yolande triste m’attendait sur le palier de porphyre et, derrière elle, grandiose un paon faisait la roue superbement. Cette vierge ducale en robe d’hyacinthe on eût dit une impératrice, et sous sa chevelure plus fine que la brise d’avril ses yeux paraissaient grands comme deux hirondelles. Sa beauté terrestre espérait en vérité retenir le chevalier appareillant pour la Beauté Divine. Un instant, subjugué par le sortilège de son chagrin, je m’arrêtai près d’Yolande et j’étais sur le point de tomber à ses pieds fleuris… alors vite je pris mon cœur entre mes mains et le broyai, puis, ayant salué très bas et simplement la damoiselle, je disparus parmi les saules de la plaine — sans me retourner vers ma promise en larmes.

Bénédict.

Votre esprit est un chêne, le mien un roseau. J’avais éteint le désir, voici poindre le regret. Craintivement je le confesse, après sept jours de prière et de lutte, je regrette… Bénédict regrette la plus jolie fille de la Vallée.

Le Prieur.

Jeune berger venu du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches, tu devras oublier la plus jolie fille de la Vallée.

Bénédict.

Si vous saviez !… Lorsqu’elle marche, Magdeleine semble la fleur de sa houlette… Ritelle ?on s’imagine que c’est la fête des mésanges.

Le Prieur.

Yolande était aussi belle qu’un reposoir du Jeudi-Saint, pourtant je l’eusse souhaitée plus belle encore pour sacrifier davantage à Dieu. — (Cruel.) La Femme, vase d’immondices !…

Bénédict, à voix basse.

La Femme, vase d’immondices ?… (Interdit.) Cependant Magdeleine fut très bonne alors que, sévère pour ma naissance indigne, la foule m’aiguillonnait de regards méchants…

Le Prieur.

La foule est un essaim de guêpes malévoles, et ton père sans doute est un modeste pâtre aux béliers sans sonnailles ou bien quelque mendiant de carrefouis ?

BÉNÉDICT, honteux. Jamais personne ne connut mon père.

Le Prieur, le fixant.

i

Eh ! quoi, serais-tu né d’un vagabond ?

BÉNÉDICT, oppressé.

En entrant ici, dès le seuil j’ai trouvé vos bras ouverts comme ceux d’une croix charitable, je m’y suis crucifié dans une caresse filiale et m’avez adopté sans demander rien autre que mon nom de baptême. Aujourd’hui je dois à mon hôte la vérité qu’il ne demanda point. (Baissant le front.) Ma mère, une bergère qu’autrefois on appelait Magdeleine la Jolie… ma mère on l’appela, dès ma naissance, Magdeleine la Vilaine…

Le Prieur, tonnant.

Tais-toi !… ne prononce pas ici le nom de la perverse qui fut l’opprobre de la Vallée, — car tu ferais rougir le Bienheureux lui-même !…

Ce disant, il a montré la Statue du Prieur d’autrefois ; il écoute ensuite en se voilant la face d’un pan de son aube d"or.

BÉNÉDICT.

Grâce !… ma mère est morte après avoir expié, par d’innombrables angoisses, sa faute d’un moment… O ce supplice de plusieurs années !… D’abord à coups de pierre on la chassa de la Vallée… Un jour d’hiver elle tomba dans un champ d’ivraie… là je naquis avec pour langes des flocons de neige… Une âme samaritaine nous recueillit… depuis je grandis sous une pluie de larmes… Dès mes premiers pas, hélas, ma mère mourut… Je la revois inerte sur son grabat de feuilles sèches !… Je souriais, croyant que son maigre corps las reposait un peu…bientôt j’eus peur, car mes caresses se gelaient sur ses joues pâles : on ignore la mort quand on est très petit. Le soir venu, tout à coup la porte s’ouvre !… Alors s’avance un homme noir qui se penche vers la pauvre dormeuse et l’emporte à travers la nuit comme un voleur !.. .Je le suis dans les ténèbres, m’accrochantàson manteau et criant jusqu’aux étoiles — qui riaient. Enfin l’on s’arrête en un lieu de silence… le cimetière du village !… Là, je vis l’homme noir jeter ma mère dans un trou sinistre : la fosse des lépreux et des infâmes… Oh !… (Un silence.) Ici repose — indique le poteau qui remplace la croix — Ici repose Magdeleine la Vilaine !… Dès lors ma vie ne fut que déboires. Tout enfant, quand je passais avec les brebis maternelles, on me montrait au doigt malignement et j’entendais ce mot : bâtard ! bâtard !… Seule, Magdeleine —elle s’appelait comme ma mère et comme elle bergère — seule Magdeleine fut angélique et prit ma main fragile dans la sienne. Orphelins tous deux, nous fîmes des rêves ingénus… mais, au lendemain de nos fiançailles, me refusant soudainement à lui céder la moitié de ma honte, je vins ici,loin delà pastourelle, demander à Dieu le repos pour la mère et l’oubli pour le fils.

Le PRIEUR, implacablement.

Elle périt, voilà quinze ans rappelle-toi, le jour même où mourut le Prieur d’autrefois. Le Bienheureux fit ce miracle, ne voulant que, lui parti, la Vallée dont il était l’honneur pût garder la sacripante qui la souillait.

BÉNÉDICT, torturé.

Vos paroles m’entrent dans le cœur à la façon des poignards !

Le Prieur.

Soit ! prie donc pour Magdeleine la Vilaine, — à moins que sa damnation ne rende vaines tes prières.

Bénédict.

Damnée, ma mère ?… par pitié ne dites pas cela !… Dieu est si miséricordieux, etma mère a tant souffert !…

Le Prieur.

Puisses-tu dire vrai !… Mais on est damné pour une faute… et certains péchés trouvent nécessairement notre Juge impitoyable.

Bénédict.

Du moins notre immense douleur dut apaiser son courroux légitime… n’est-ce pas,ô grand Saint que j’invoque !…

Il se jette éperdument sur les marches du piédestal.

Le Prieur

Oui, tombe à genoux… qu’il soit ton refuge et ton médiateur celui dont nous avons fait vœu de chaque jour parer la Statue de fleurs candides et d’une lampe d’huile pure : emblèmes de sa continence et de sa foi !… Oui, jette-toi sur la dalle et tends vers lui tes mains imploratrices afin qu’il descende avec le conseil salutaire, les Saints daignant parfois répondre à l’appel des humains. Appelle !… il va venir… il vient… Déjà par ma voix il te dit : « Fruit du Serpent, si tu veux effacer ta double tache originelle, que double soit la pénitence !… Ton corps est fait avec deux fanges, pour le purifier il faut aux perles baptismales joindre celles du repentir. Que ton esprit dirige la matière… et, puisque la chair le péché la transforme en charbon futur, brise la chair et vanne sa poussière maléfique au vent de la prière, car les âmes vont au ciel, et les corps en enfer. Annule donc le poids qui nous entraîne vers l’abîme, ainsi tu deviendras un pur fantôme dégagé du limon damnateur, une âme prête à s’envoler vers Dieu, parmi les Trônes, les Vertus et les Dominations ! »

Une cloche argentine sonne V Angélus.

On entend les Moines Blancs chanter au dehors sous les arcades l’hymne du Commun des Confesseurs.

Les Moines Blancs.

Isie confessor Domini, colentes Quem pie laudanl populi per orbem, Hac die lœtus tneruit supremos taudis honores…

Le Prieur, rappelé à ses fonctions par le signal de la procession, laisse le moinillon sangloter sur les marches du piédestal et sort d’un pas tranquille par le fond.

Le chant des Moines Blancs s’émousse dans le lointain peu à peu.

SCENE III

Bénédict, seul.

Damnée, ma mère damnée !… Ce serait injustice, et le Tout-Puissant abhorre l’injustice !… (Aux saints et saintes de la chapelle ) Dites-moi que cela n’est pas, magnificences des vitraux et des bannières !… (A la Statue du Prieur d’autrefois.) Et toi, s’il est vrai que les Princes du Paradis daignent parfois répondre à la voix des humains, apparais, ancien Prieur de ce moutier de Moines Blancs, et viens dans ta splendeur de jeune Saint, oh ! viens dissiper ma peine et charmer d’un rameau mon océan de désespoir !… (Une dalle se soulève entre lemoinillon et la Statue, et dans un buisson de flammes surgit une hideuse Apparition couverte de chaînes. — Bénédict recule avec épouvante vers la gauche.) Anges du ciel ! ! !…

Visage décharné, membres ravagés, barbe et cheveux mi-consumés, la lugubre Apparition attend, immobile, les yeux exorbitants, tel un épouvaniail ! Elle est vêtue d’une robe monacale qui fut très blanche et n’est plus que haillons sales.

SCENE IV

Bénédict, L’apparition.

BÉNÉDICT, hagard.

Spectre ruisselant de chaînes sonores et qui répands une odeur de soufre, parle, — qui es-tu ?.

L’apparition, d’une voix sépulcrale. Ne devines tu pas ?

A la vue de la Statue, l’Apparition pousse une rauque exclamation de rage puis, saisissant les lys, elle les foule aux pieds et finalement crache, pour l’éteindre, sur la lampe votive du trépied d’or.

BÉNÉDICT, traçant une croix conjuratrice dans l’espace.

Arrière, sacrilège !

L’Apparition, gravissant les degrés du piédestal, lance s rudes chaînes autour de la Statue ensuite, se calant contre le piédestal, elle s’efforce de la renverser.

BÉNÉDICT, embrasé d’un courage mystique et courant sus à l’Apparition.

C’en est trop, misérable !

L’APPARITION, sacripantalement.

Or ça, beau moinillon, puis-je pas accomplir à mon gré ce suicide de pierre ?

Elle reprend ses chaînes

Bénédict.

Enfin quel est ton nom et d’où viens-tu ?… Par la Vierge, fantôme, je t’adjure de répondre !…

L’apparition, désignant la statue.

Je suis celui que tu priais et dont voici l’image.

BÉNÉDICT, comme foudroyé. Le Bienheureux ! ! !

L’APPARITION, avec un ricanement sinistre.

Bienheureux ! ! (D’une voix de tonnerre.) J’arrive de l’enfer et je suis un damné !..

Bénédict.

Damné !…

L’APPARITION, marchant sur Bénédict en hurlant.

Damné ! damné ! ! damné ! ! !

BÉNÉDICT, s’affaissant sur l’escalier de la chaire, d’une voix étranglée.

A moi, l’Archange au glaive fort, à moi !..

L’apparition, pacifique. Va, ne crains rien… je n’ai même pas le

pouvoir de te faire du mal… (On distingue quelques mots d’un verset chanté par les Moines Blancs… tAmavit eum Dominus et ornavit eum ; stolam glorice induit eum : et ad portas paradisi coronavit eum.) D’ailleurs la procession descend dans la crypte en ce moment… personne ne peut donc t’entendre…

BÉNÉDICT, se relevant.

Mais non, tu mens !… le diable me tend quelque embûche… je suis la proie d’un cauchemar affreux…

L’APPARITION, lamentablement.

La vision n’est, hélas, que trop réelle… Je suis bien le Prieur d’autrefois.

BÉNÉDICT, balbutiant dans l’effroi. Le Prieur… d’autrefois !…

Le réprouvé est pris d’une crise de sanglots devant laquelle l’effroi du moinillon fait place à quelque commisération.

BÉNÉDICT.

Tu pleures… je vous crois.

Le Prieur D’autrefois. Je pleure, mais sans larmes, — car le damné pourrait se rafraîchir au déluge de ses yeux et sa désespérance éteindre les bûchers de l’enfer.

BÉNÉDICT, n’en pouvant croire ses sens.

Eh quoi ! l’altier canonisé que célébrait le Cardinal… eh ! quoi, la raison vénérable des litanies harmonieuses… barbe de patriarche… prince du Rosaire… noble imagier de l’eArc-enciel… c’est cela !…

Le Prieur D’autrefois.

Enfant, tais-toi !… Panégyrique et litanies sont parvenus à mes oreilles, et chaque louange ajoutait une flamme à mon châtiment. Fantastiques témoins des souvenirs qu’elles évoquent sur la terre, nos âmes viennent marauder aux lieux où nous vécûmes. Aujourd’hui, parmi ces Moines dont je fus le pasteur, j’ai souffert ma plus vaste souffrance, ayant connu vraiment la grandeur de ma perte. Invisible, j’errais devant labarbacane lorsque ton appel m’a réalisé. Sorti de l’enfer, je t’apparais sans que pour cela ne cessent mes tourments, l’enfer étant partout où souffre le damné.

BÉNÉDICT, l’examinant.

Et ceci… fut ton corps ?

Le Prieur D’autrefois.

Oui, mais il est devenu mon âme elle-même. Ceci est mon âme apparente. En voyant ceci, tu vois mon âme.

BÉNÉDICT, se détournant.

Oh que ton âme est noire !

Le Prieur D’autrefois.

Ainsi, cause de notre perdition, le corps persévère afin que nous souffrions avec tous ses sens… De même immortalité que l’âme, il brûle sans se consumer jamais !

BÉNÉDICT, troublé.

Si Dieu donne l’enfer au pasteur, — quelle sera donc la part du troupeau ?

Le Prieur D’autrefois.

Dieu fut juste envers moi… Tous les moines qui trépassèrent sous mon priorat sont en Paradis… Longtemps j’eus l’âme blanche et méritai la palme ; mais je suis damné pour une faute qui ne trouva point de clémence.

BÉNÉDICT, à lui-même.

On est damné pour une faute…

Le Prieur D’autrefois.

Une seule faute dont le remords m’enserre entre ses pinces de crabe !… Orgueilleux d’un trésor de vertus péniblement amassé durant un demi-siècle, j’eus peur d’avouer certaine ignominie de ma vieillesse. Courant de confessionnal en confessionnal sans oser parler, je retournais dans ma cellule avec mon péché toujours plus lourd, — et la mort me surprit sans absolution. Cependant que d’années ferventes !… que d’heures vécues le front sur la dalle sous ces voûtes où persiste l’écho de mon passage !… (Regardant la Statue, puis çà et là.) O ma félicité perdue !… Voici le maître-autel où j’officiais en chasuble flamboyante… (Face au maître-autel, les bras en crois, il chante une phrase du Kyrie eleison ; des orgues fantastiques et comme sous terre l’accompagnent. Les pleurs l’empêchent d’achever la phrase du Kyrie ; il se ronge les poings désespérément.) Oh !… (Désignant la stalle du Prieur.) Dans cette stalle je chantais matines, vêpres et complies… (Allant à un pupitre où repose un livre.) Tiens, cet eucologe d’ivoire aux fermoirs d’argent… je me rappelle à sa première page une Madone au manteau bleu… je voudrais la revoir, la toucher rien qu’un peu… mais je ne puis… ah !… ce livre brûle mes doigts impurs !… (il fuit vers la chaire.) La chaire de laquelle, dimanches et fêtes, je propageais la manne… (il monte dans la chaire.) La dernière fois — c’était la nuit de Noël — je proclamai : (Sur le ton de la prédication.) « Pour racheter le monde, il vint sur de la paille entre le bœuf et lane. Elevons vers lui notre être misérable car il est le Roi de la Misère, remettons en lui le soin de nous défendre au jugement dernier car il est le Dieu de la Miséricorde ! » Lorsque je fus jugé par Dieu le Père, il était là… l’Enfant de la Crèche. La barbe ancestrale du Père se penchait vers le plateau de la balance où pesaient mes mérites nombreux, mais la mignonne main de l’Enfant de la Crèche montrait l’autre plateau souillé par mon unique faute.

Bénédict.

Il fallait crier à l’Enfant de la Crèche : « Miséricorde, ô toi qui, pour racheter le monde, vins sur de la paille entre le bœuf et l’âne, miséricorde !» — et vous étiez sauvé !

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, toujours en chaire.

Seul il fut inflexible, le petit Jésus !… Voyant que je tendais vers lui, suprême espoir, des bras mendieurs, il détourna son front de maïs et fit un signe… alors, tombant du plateau, mon péché plus lourd qu’un rocher m’entraîna vers l’expiation, — là-bas !…

BÉNÉDICT, frissonnant.

Là-bas !

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, en descendant l’escalier de la chaire.

D’espace en espace, à travers la caresse juvénile des étoiles, finalement je chois sur un seuil hérissé de sept anges verts, les Sept Péchés. Leurs ongles m’agrippent, une porte monumentale s’ouvre comme la gueule de Léviathan, et me voilà précipité dans les ténèbres rouges : l’Enfer !…

BÉNÉDICT, suffoqué.

L’Enfer !

Le Prieur D’autrefois.

L’Enfer !… c’est-à-dire le gouffre où grouillent et s’enchevêtrent toutes les hontes, tous les crimes, toutes les iniquités, tous les excréments des âges révolus !… D’abord je crois rêver atrocement, mais une grêle de verges s’abat sur mon crâne et j’entends ces mots : « Tu seras désormais la souffrance irrémédiable !… » Aussitôt une rafale pestilentielle m’emporte et me jette au milieu des réprouvés vomis là par des mondes et par des siècles depuis le gueux jusqu’à l’empereur. Je veux fuir, me cacher. Vainement. L’épieu des démons me traque sans relâche. Espérant souffrir moins à souffrir ignoré, je résolus alors de taire qui j’étais, mais le Déchu, reconnaissable au talon de la Vierge empreint sur ses écailles, Satan le Déchu survient félinement et me flagelle de mes titres passés…Un prieur en enfer !…Un ricanement formidable contracte toutes les mâchoires… et les geôliers aux pieds fourchus de me saluer avec dérision, les damnés mes frères de m’élire pour chef. Depuis je vais, prieur d’un monastère macabre où les bras et les têtes en feu tiennent lieu de candélabres, et j’ai pour nonnes des prostituées et pour moines des assassins !…

BÉNÉDICT, halluciné.

L’immonde sabbat !

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, arpentant le chœur, comme s’il marchait sur des charbons ardents.

Mon farouche cortège se déroule sans cesse à travers le dévasté royaume de l’abominable désolation. La face grimacière et les vertèbres tordues comme les bâtons d’un épouvantail dans l’ouragan, nous traversons des déserts de braise,on subit des avalanches de lave, on naufrage en des mares de poix fondue. Effarée par une soif inextinguible qui vous met un nœud de vipères dans la gorge la sarabande se précipite en désarroi_vers une onde apparue là-bas, les langues pendantes ainsi que des entrailles de tigres évenlrés, les regards plus longs que des rais de soleil… peine perdue ! cette onde est illusoire !… De toutes parts se dresse un ironique mirage de liberté… vite on s’y rue !… chimère encore ! car plus les vagabonds croient approcher, plus la liberté s’éloigne !… Alors c’est la panique, c’est l’orgie d’angoisses où chaque forçat exaspéré devient un volcan de blasphèmes !… Enfin, parmi le tintamarre des squelettes qui craquent et la brume nauséabonde des graisses qui fondent, s’élève l’universelle vocifération : « J’étouffe !… je brûle !… de l’air !… une goutte d’eau !… Rédemption, Seigneur, rédemption !… Mon corps flambe !… éteignez-moi !… de l’air !…une goutte d’eau !… de l’air !… » tandis que, tel un cou de monstre apocalyptique qui refuse, le balancier de l’Horoge Infernale grince sur les affres des maudits et sur la catastrophe des chaînes : « JamaisToujours !… Toujours-Jamais !… »

Ce disant, il simule avec ses bras ballants les vastes oscillations du balancier fantastique, puis il tombe épuisé.

A la suite de ce récit, Bénédict d’une pâleur de mort semble pétrifié.

Bénédict, se parlant.

Ce supplice est celui de ma mère, peutêtre !… Tout me pousse à lui demander : « N’avez-vous pas rencontré dans la fournaise une femme dont la chevelure fut jadis aussi longuement blonde que l’aumône d’un bon roy ?… » Mais je n’ose interroger…ayant peur de savoir… (S’apitoyant, au damné.) Je vous plains de toute ma pitié !…

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, avec un regard de gratitude.

Que ton ange te garde de l’Enfer !

BÉNÉDICT.

Certes je fis bien, en un jour d’abnégation, je fis bien de quitter ma promise et mes brebis.

Le Prieur D’autrefois. Tes brebis… ta promise ?…

BÉNÉDICT.

Je viens du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches, et j’aimais la plus jolie fille de la Vallée.

Le Prieur D’autrefois.

Insensé ! te crois-tu le privilège de résister aux embûches du regret, ce revers du désir ?… Ah ! puisque, jeune pâtre, il en est temps encore, vas aimer dans la libre nature avec ton être entier : l’amour est la prière efficace entre toutes, et Dieu préfère les cœurs mûris par le soleil. Ici la défense est mère des appétits, des passions, du péché ; ici, les vœux prononcés, un regard, un geste, une parole, tout est sujet de perdition. Le reclus apparaît deux fois coupable, et ce qui n’entache ni le rustre ni le soldat laisse une marque sur le front du prêtre, galérien de l’Azur. Vois-tu, chacun est jugé par sa propre conscience, cette succursale du tribunal divin. Non, tu ne fus point créé pour le froc mais pour la liberté. Ton cœur est un oiseau captif qui voudra s’envoler, ou bien un jour la délaissée viendra rôder autour de ces murailles et tu seras perdu pour un baiser jeté de ta prison de chasteté.

BÉNÉDICT, se rappelant.

O son œil pur !

Le Prieur D’autrefois.

Sache l’inutile moins près du Céleste Salaire que l’impie. Aussi laisse la creuse avarice du songe et déserte la mort lente des moustiers pour cultiver ta vigne et verser sa richesse à l’humanité. Prédestiné manœuvre de l’œuvre universelle, chaque être a sa mission de vie ; en conséquence vivre est la vertu première. Bien plus, ton corps étant à l’image du créateur, affirme ta forme au lieu de la nier, sois joyeux de ses droits, sois fier de ses devoirs : le moine, qui volontairement se fane, devient l’iconoclaste d’un reflet de Dieu.

BÉNÊDICT, de même. O sa joue de fruit !

Le Prieur D’autrefois.

Ici la chair : tison qui veille, inéluctable ! il faut que l’homme soit très faible ou très puissant pour le couvrir de cendres et l’endormir jusqu’à l’éteindre. — As-tu cette puissance ? as-tu cette faiblesse ?…

BÉNÉDICT, sondant l’avenir. Je tremble.

Le Prieur D’autrefois.

Alors sans hésiter fuis le cloître où l’on ne parle pas, descends au vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches, et vas sourire à la plus jolie fille de la Vallée.

Un grincement dans le silence : la porte du fond s’ouvre. Mouvement. Vite le Prieur d’autrefois se dissimule derrière sa Statue.

Entrent deux personnages qui trempent leurs doigts dans le bénitier et se signent.

BÉNÉDICT, les reconnaissant. Le frère portier et le frère cuisinier…

Le Prieur D’autrefois, à part.

Je les reconnais… quinze années ne les ont aucunement changés…

Sur un signe du Prieur d’autrefois, Bénédict se retire sous l’escalier de la chaire. Le Prieur d’autrefois reste caché derrière sa Statue.

SCÈNE V

Les Mêmes à récart, Frère Onésime, Frère Athanase.

Le frère portier, Onésime, est maigre, tout en angles, la figure en coup de vent et clair de lune : un trousseau de clefs pend à sa ceinture de corde. Par contre Athanase, le frère cuisinier, est rubicond et rond comme une pastèque.

Ces deux frères ont la figure rasée.

ATHANASE, s’arrêtant près du bénitier. Frère Onésime ?

Onésime. Frère Athanase !…

Athanase.

Sentez-vous pas comme une odeur de fricot brûlé ?

Ils descendent quelques pas, en reniflant bruyamment, dans le passage qui divise les stalles au mitan de la nef.

ONÉSIME, s’arrêtant au centre de la chapelle. Frère Athanase ?

Athanase.

Frère Onésime !

Onésime.

Sentez-vous pas plutôt comme une odeur de soufre ?

Ils descendent jusqu’à la saintetable en reniflant comme plus haut.

ATHANASE, se consultant.

Je penche pour une veilleuse qui fume.

OnÉsime, de même.

Ce se pourrait !… ou bien quelque chose tombée dedans un encensoir.

ATHANASE, acquiesçant.

Ce se pourrait encore !

Ils arrivent près de la damejeanne

Onésime.

Ah ! voici la dame jeanne.

Athanase. Portons-la donc au réfectoire.

Onésime.

Père Jamblique, l’archiviste de la Communauté, me disait tantôt qu’en notre prieuré on n’a pas bu de vin, de vin rouge, depuis cent septante sept ans. l^e Souverain Pontife d’alors, à l’occasion de son avènement à la chaire de .Saint Pierre — (Secouant ses clefs comme s’il sonnait l’Élévation.) Prestigieux parrain des portiers, ayez pitié de votre filleul infime ! (ter) — le Souverain Pontife d’alors, dis-je, avait pour un jour relevé tous les Moines Blancs de leur vœu d’abstinence… Aujourd’hui c’est derechef notre Saint Père le Pape qui nous relève mêmement, cette fois en l’honneur de notre ancien Prieur canonisé.

ATHANASE, se tournant vers la Statue.

Le saint homme !

Tous les deux —joignant leurs mains, Onésime sur son estomac, Athanase sur son ventre, et se tournant les pouces — contemplent la Statue.

Onésime,

On croirait — tant c’est lui — qu’il va parler.

Athanase.

Un véritable ascète !… Jamais au grand jamais il ne voulut manger le moindre morceau de viande, bien que la règle nous y autorise certaines fois l’an : « Brave frère Athanase, me disait-il chaque matin, une assiettée de haricots me suffira, rien de plus ! »

OnÉsime, la paupière haletante. Le saint homme !

Athanase.

Une seule fois il pensa pécher par gourmandise en me priant de lui servir un oignon et des pois chiches, — or c’était pour la fête des Rogations.

OnÉsime, pleurant d’admiration. Le saint homme !

Une pause.

ATHANASE, appliquant son nez au goulot de la dame-jeanne.

Frère Onésime ?

Onésime.

Frère Athanase !

Athanase.

Au nom de -saint Athanase, patriarche d’Alexandrie, mon digne patron, reniflez, je vous prie, reniflez ce fumet.

ONÉSIME, avec un geste d’énorme envergure. Vade rétro, Athanase !…

Athanase.

Puisque Sa Sainteté nous le permet… de grâce, reniflez !…

Onésime, capitulant, applique son nez au goulot de la dame-jeanne et traduit son impression par trois jeux de narines enthousiastes.

Hi !… ha !… ho ! ..

Les deux frères prennent la dame-jeanne chacun par une anse d’osier, font quelques pas, s’arrêtent au milieu du chœur, déposent la dame-jeanne sur la dalle et causent, celle-ci entre eux, avec la même attitude que plus haut touchant leurs mains et leurs pouces. La dame-jeanne semble à la longue prendre une ampleur de personnage malin.

Athanase.

Si je ne m’abuse, je n’ai plus savouré le jus du raisin depuis mon entrée dans cette pieuse maison, il y aura quarante-quatre ans à la Chandeleur.

Onésime.

Moi depuis trente-trois ans, à la Septuagésime. (Avec candeur.) Les simples frères n’ont pas le bonheur de dire la Sainte-Messe.

Athanase.

Aussi, frère portier, le goût du vin est totalement sorti de la mémoire de mon palais.

Onésime.

Vous me voyez logé à la même enseigne, frère cuisinier.

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, garanti par la Statue.

Qu’à cela ne tienne, camarades, buvez !

LES DEUX FRÈRES, nez à nez.

S’il vous plaît ?

Athanase.

Je n’ai dit mot.

Onésime.

Ni moi.

Athanase. Pardon, c’est vous.

Onésime. Permettez, c’est vous.

Le Prieur D’autrefois, toujours dissimulé derrière la Statue.

Trêve’de verbiage, et buvez donc !

Les deux frères se serrent l’un contre l’autre, dos à dos ; leur peur fait trembler le trousseau de clefs d’Onesime

LES DEUX FRERES, à voix basse. Quelqu’un a parlé !…

Athanase.

Pourtant la chapelle est déserte… toute la Communauté est à la procession…

Onésime.

Si c’était le Saint ?… j’ai cru reconnaître sa voix…

Athanase. Si c’était — le diable ?…

Les Deux Frères

Brrr…

ONÉSIME, se ravisant.

Miracle ou maléfice, n’importe ! Obéissons… car il faut obéir aux voix surnaturelles.

Cette idée les rassure.

Athanase.

D’ailleurs, à mieux considérer : (comptant sur ses doigts.) primo, c’est fête ; secundo, Rome autorise ; tertio, ce vin est bénit !…

Onésime.

Quarto, une lampée raffermirait nos jambes qui chancellent !

Les Deux Frères, s’inclinant l’un devant l’autre.

Ergo bibemus !

Ils prennent une coquille appendue à leur ceinture à côté du rosaire, l’emplissent à la damejeanne et boivent une première fois.

ATHANASE, faisant clapper sa langue.

Des framboises écrasées par des petits pieds d’archanges !

ONÉSIME, de même.

Ce nectar vous met un rosier dedans le gosier.

Ils remplissent leurs coquilles et boivent une seconde fois en roulant des yeux blancs.

ATHANASE.

De la pourpre en fusion !

Onésime.

Par mon patron saint Onésime qui conquit l’auréole du martyre en l’an nonante cinq de l’ère chrétienne, il me semble boire un coucher de soleil !…

Athanase.

J’y songe, cet écarlate vin surprendra quelque peu les Reclus voués à l’eau du puits.

Onésime.

Ouais ! il va délier leurs langues, la parole humaine étant aujourd’hui permise enxe couvent où l’on ne parle pas… Les anciens bavarderont comme des vieilles femmes afin de raconter en une poignée d’heures leurs impressions de tant d’années coulées par leurs sabliers, — à moins qu’ils ne bégayent comme les marmots, ayant perdu l’usage de la parole…

Ils boivent une troisième fois et commencent à tituber dignement.

ATHANASE, les yeux brouillés.

Par Notre-Dame des Sept Douleurs ! je vois deux cher frère Onésime.

Onésime.

Et moi… deux cher frère Athanase ! Athanase.

Oh ! les Saints dans leurs niches qui dansent !…

Onésime.

Cela prouve que le ciel est dans la jubilation.

Les deux frères se prennent bras dessus bras dessous.

ATHANASE, comme regardant dans son imagination.

Phénomène bizarre ! il me semble… en buvant… que cette liqueur étrange me dévoile son histoire… Ainsi je me figure un immense vignoble… sur un coteau…

Onésime, même jeu.

Moi de même !… seulement mon vignoble est tout petit… et dans une plaine..

Athanase. Eh ! eh !… voici venir les vendangeuses !

Onésime. Effectivement… les voilà !…

ATHANASE, l’œil émerillonné.

Hu ! hu ! hu !… les belles brunes… avec des yeux tout noirs…

Onésime.

Ah ! mais non !… mes vendangeuses sont de jolies blondes… avec des yeux tout bleus…

Athanase, se prenant de bec.

Je vous donne ma parole de frère cuisinier qu’elles sont brunes !…

Onésime.

Je vous donne ma parole de frère portier qu’elles sont blondes !

ATHANASE, frappant du pied.

Brunes, monsieur.

ONÉSIME, de même. Blondes, madame !

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, formidablement, sans se montrer.

Silence, buveurs de vin maudit !…

LES DEUX FRÈRES, terrifiés.

Le Prieur d’autrefois ! ! !…

Ils tombent, la face contre terre, aux pieds de la Statue, claquant des dents.

Pause.

ATHANASE, avec componction, s’adressant à la Statue.

O pasteur tutélaire, calme-toi !… Nous avons toujours vécu selon la règle monastique !…

OnÉsime, risquant un regard. On peut le dire, Saint considérable !…

Athanase.

Et si j’ai, pour ma faible part, quelquefois prélevé le meilleur du bouillon destiné aux moines de l’infirmerie, va, je suis bien puni par mon encombrante bedaine !…

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, toujours caché par la Statue.

Et toi, maigre Onésime, n’as-tu rien à te reprocher ?

OnÉsime, se faisant petitàpasser par le trou d’une aiguille.

Que peut se reprocher le si brave homme que je suis… rien ! sinon d’avoir, certains jours, cultivé dans ma loge les cancans du couvent… et d’avoir, de temps en temps, regardé par la grille du judas les paysannes qui passent en chantant ?…

Le Prieur D’autrefois, de même.

Ainsi donc tu regardes passer des paysannes qui chantent !…

Onésime.

Avec un œil de marbre, croyez-le fermement, Saint mémorable !… Une seule fois, il y a vingt ans — j’étais jeune encore, et chaque matin je m’en confesse au Révérend Père Grégoire — une seule fois j’ai très innocemment pincé le menton rose d’une bergère qui venait déposer sur le seuil de la porte, à l’usage de nos pauvres, le lait de ses brebis…

Le Prieur D’autrefois, à part. Il y a vingt ans…

OnÉsime, se frappant la poitrine du poing.

Voilà toutes mes coulpes, mes très grandes coulpes !…

Le Prieur D’autrefois. Une bergère, dis-tu ?…

Onésime.

Blonde et gente à la façon d’une sainte Geneviève peinte de neuf… Elle est morte depuis, misérable et maudite…

BÉNÉDICT, sous la chaire, étouffant un cri, à part. Dieu ! si c’était…

Onésime. Cette bergère, on la nommait…

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, sans se mon- trer, l’interrompant.

Arrête !… Que ce nom reste au plus profond de ta gorge !… Maintenant, frères, allez, et faites pénitence !…

Les deux frères se relèvent et se passent la main sur les yeux et sur le Iront, comme dégrisés,

LES DEUX FRÈRES, réciproquement, hébétés.

Hein ?… qu’est-ce donc ?… Qu’ai-je dit ?… qu’ai-je fait ?…

ATHANASE, pirouettant sur luimême vite comme pour surprendre le mystère.

Quelque chose d’extraordinaire a dû se passer.

OnÉsime, cherchant sous un prie-dieu.

Me rappelle plus !… (Ses yeux rencontrant la Statue.) Ne vous semble-t il pas que le Bienheureux nous ait parlé ?

ATHANASE, se tâtant les membres.

Me souviens pas !… me souviens pas !..

OnÉsime, sautant comme un cabri.

Brr !… les piliers qui remuent…

Athanase. Quelque tremblement de terre !…

Ils saisissent la dame-jeanne chacun par une oreille, en tournant de tous côtés leur mine effarée.

Onésime, à voix basse.

O cette dame-jeanne !… Le diable s’y est peut-être logé, et son philtre esta n’en pas douter maudit !…

Athanase.

Ne proférez pas ainsi !… Le Prieur d’autrefois n’aurait qu’à nous ouïr !…

Ils remontent avec la damejeanne. A mi chemin du passage qui sépare les stalles au milieu de la nef, Onésime s’arrête et se retourne.

Onésime.

Voyez, frère Athanase, comme il nous regarde !…

Athanase. Qui nous regarde, frère Onésime ?

Onésime, désignant la Statue. Le Prieur d’autrefois !…

ATHANASE, le froid dans le dos.

Vite partons !…

Ils pressent le pas, en s’embronchant çà et là.

ONÉSIME, bâillant.

Allons prier !…

ATHANASE, titubant et s’étirant. Allons dormir !

Ils sortent par la porte du fond en oubliant, dans leur hâte, de tremper leurs doigts dans le bénitier.

Une fois la porte de la chapelle refermée, Bénédict et le Prieur d’autrefois se rejoignent au milieu du chœur.

SCÈNE VI

Bénédict, Le Prieur D’autrefois.

Le Prieur D’autrefois, à dessein. Ce spectacle, que t’en semble ?

Bénédict, absorbé.

Le combat se livre en moi plus grand… Si je retournais auprès de Magdeleine aux yeux de dimanche ?…

Le Prieur D’autrefois, sursautant. Magdeleine ?…

Bénédict.

Ma mie, la pastourelle, se nomme ainsi.

Le Prieur D’autrefois, bouleversé.

Cette faute me pèse comme une meule sur le cœur !… (Domptant son hésitation.) Sache enfin le scélérat que je fus, et puisse mon secret renverser tes moindres scrupules !… (Péniblement.) Cinq ans avant ma mort. J’étais le Prieur honoré et digne encore de l’être. Chaque jour, une jeune bergère, celle dont parla le frère tout à l’heure, apportait au couvent le lait de ses brebis. Son front matutinal avait la candeur de l’hostie. Elle venait aussi du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches, et c’était en ce tempsla plus jolie fille de la Vallée. Incontinent, à sa vision, les coquelicots du désir envahirent les blés de mon âme et les sarments de mes vieilles veines s’embrasèrent. Des semaines et des mois je lutte contre la tentation… la discipline roue mes épaules, le cilice me griffe la poitrine, mes sommeils se passent sur un fagot d’orties. Efforts superflus ! La concupiscence hantait ma chair folle invinciblement. Un jour… (Oppressé.) C’est ainsi que j’eusse dû parler au confesseur…

BÉNÉDICT, suspendu à ses lèvres. Achève !

Le Prieur D’autrefois.

Un jour… tous les moines priaient dans les cellules… j’éloigne le frère Onésimeet, me plaçant aux aguets derrière la grille du judas, j’attends…La vierge vint, suivant l’habitude… A peine a-t-elle déposé sa jatte de lait sur le seuil que, surgissant de ma cachette, je fonds sur la bergère, la bâillonne, l’emporte dans les soubassements du monastère, — et là, je la viole !…

BÉNÉDICT, écumant, de toutes ses forces. Misérable !…

Leurs yeux se rencontrent : choc des regards.

Le Prieur D’autrefois, la tête basse.

Oui, je fus infâme !… Crache-moi au visage, écrase-moi sous ton talon… tu le peux… tu le dois…

BÉNÉDICT, tranchant.

Continue.

Le Prieur D’autrefois.

Le crime perpétré, je jetai ma victime dehors, la menaçant d’une vengeance terrible à sa moindre parole.

BÉNÉDICT, avec acharnement.

Lâche !

Le Prieur D’autrefois.

Indignement ; lâche, car du haut de mon occulte hypocrisie j’assistai à son martyre sans essayer de la couvrir de mon pouvoir suprême… Les enfants excitent les chiens contre sa jupe de futaine, les vieillardes la frappent de leur quenouille, le prêtre lui interdit l’accès du porche même… La pauvre fille boit le calice jusqu’à la lie mais ne dénonce point le Prieur méprisable… Enfin, à la veille d’être mère, à coups de pierre on la chassa de la Vallée…

BÉNÉDICT, illuminé par ces mots.

Chassée de la Vallée !… (Bondissant vers le damné et le saisissant par ses chaînes.) Le nom, dis, le nom de ta victime… ?

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, fasciné par les yeux fous de Bénédict.

Ne me regarde pas ainsi !

BÉNÉDICT, le harcelant.

Son nom, son nom !…

Le Prieur D’autrefois, dominé.

On l’appelait… Magdeleine la Jolie… Depuis on l’appela… Magdeleine la Vilaine…

BÉNÉDICT, fulgurant comme un justicier. Démon, c’est toi qui as flétri ma mère !

Le Prieur D’autrefois, béant. Ta mère !…

Bénédict.

Je suis le fils de Magdeleine la Vilaine par toi damnée !

Le Prieur D’autrefois, vivement.

Damnée, non pas !… Ta mère est devenue la plus jolie sainte du firmament.

BÉNÉDICT, ne pouvant en croire sa joie.

Sainte, dis-tu, sainte ?…

Le Prieur D’autrefois.

Morts tous deux le même jour, ensemble nous comparûmes devant le Roi des Rois. Au Jugement assistaient deux âmes : l’une, noire comme un corbeau, la mienne ; l’autre blanche comme une colombe, celle de ta mère : « Magdeleine la Vilaine, proclama la redoutable Majesté — ô cette voix d’harmonie pour les élus et de tonnerre pour les réprouvés ! — Magdeleine la Vilaine, redeviens Magdeleine la Jolie et monte à ma droite savourer les béatitudes des Choisis ! »

BÉNÉDICT. triompharement.

Elle est en Paradis !

Le Prieur d’autrefois et lemoinillon sont soudainement traversés de la même pensée.

Le Prieur D’autrefois, à lui-même. Mais… s’il est le fils de Magdeleine

BÉNÉDICT, de même.

Si je suis le fils de Magdeleine…

• Ils se regardent à la dérobée et vont comme pour se jeter l’un vers l’autre et crier : « Mon père !… Mon fils !… > mais ils s’arrêtent brusquement en face l’un de l’autre, et ces mots expirent sur leurs lèvres.

BÉNÉDICT, s’éloignant du Prieur d’autrefois. Non, jamais !… jamais !… jamais !…

Le Prieur D’autrefois, se jetant sur

la dalle avec un rugissement.

Hun !…

Un silence.

BÉNÉDICT, l’âme déchirée.

Ma mère est sauvée, — mais lui… mon père… il est damné !…

Le Prieur D’autrefois, sur la dalle,

dans une douleur poignante.

Tu me fuis… c’est juste… ton aversion fait partie de mon châtiment. Va, je ne demande ni ton indulgence, ni ton amour… Je me sais trop indigne du pardon et je sens bien que c’est au-dessus de tes forces… Du moins, oh ! du moins, enfant, ne me… ne me maudis pas ! La malédiction par toi me serait plus cruelle que la malédiction par Dieu, car Dieu fut mon père et ne l’est plus, mais toi, sache bien, toi tu es mon fils et resteras mon fils !

BÉNÉDICT, chancelant.

Supplice !…

Le Prieur D’autrefois, de même.

Ma torture est suffisante ainsi, n’ajoute rien à mon enfer. (A travers les sanglots.) Cependant ta pitié me viendrait un peu, si tu songeais à ce que l’on souffre là-bas, dans l’incurable nostalgie, parmi les grincements…O toutes ces dents qui grincent !… Le portail massif du prieuré ne s’ouvre qu’une fois chaque siècle, selon la règle de l’Ordre, pour une procession votive ; durant mon priorat, l’antique portail s’ouvrit une fois, or ses gonds rouilles grincèrent si formidablement que les paysans de la Vallée se signèrent croyant que se déchirait la montagne.. Eh bien, le grincement de ce portail est un chant de fauvette à côté du grincement des réprouvés !…

Bénédict.

Oh !…

Le Prieur D’autrefois, de même.

Songe encore à notre gorge écartelée par la soif tandis que les vautours et les hyènes de flamme s’abattent sur nos membres pantelants !… Ecoute. En un certain moment de mon ample éternité de malheur — je me rappellerai toujours — ta mère, plus radieuse qu’un ostensoir et portée par quatre chérubins, passa dans un pan de ciel au-dessus de l’enfer… Comme le riche de la parabole suppliant Lazare, j’élevai mes bras semblables à deux torches vers l’épiphanie sublime et j’implorai la goutte d’eau… Enfant, ta mère prise de pitié répandit deux larmes… Elles tombaient vers moi, dans l’infini, belles et grosses… J’allais enfin étancher ma soif dévorante lorsque, se précipitant, deux chérubins jaloux ressaisirent la rosée que j’espérais.

Bénédict— qui, le dos tourné, s’est jusqu’ici approché du Prieur d’autrefois par petits pas comme attiré — Bénédict se trouve main tenant près de celui-ci. Vaincu par la détresse du damné, ne pouvant se contenir davantage, il éclate en sanglots. Le damné rampe sur la dalle autour de Bénédict, lève sa tête misérable et tend ses lèvres consumées aux larmes filiales qui tombent, tombent, tombent…

Le Prieur D’autrefois, pantelant.

Oh ! pleure sur mes lèvres, pleure encore !

BÉNÉDICT, laissant enfin échapper le mot qui lui monte du cœur à la bouche irrésistiblement.

P… pa… papa !…

Puis, s’abandonnant, Bénédict se laisse choir sur les genoux du damné qu’il étreint éperdûment.

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, dans une suprême expansion.

Mon fils !… (Mangeant la jeune tête de baisers.) O minute d’azur éclose en mon désastre que cet ange futur dans les bras du damné !… Dis, n’estce pas, tu ne pouvais me maudire, toi mon péché vivant, toi ma faute incarnée, toi ma damnation faite homme ?… Laisse, que je boive tes larmes filiales !… Oh ! laisse, qu’elles pleuvent, perles de consolation, sur mon brasier de misère !…

BÉNÉDICT, sous sa parure de pleurs.

C’était donc vrai qu’une voix irrésistible m’appelait ici !… (Ses bras au cou du damné.) O père, père, parlez-moi… d’Elle !…

Le Prieur D’autrefois.

Pour la voir, mire-toi dans mes yeux… Tes boucles blondes et tes regards d’iris furent les siens… Souvent ta mère menait son troupeau sur la roche voisine, près de la chapelle… De ma cellule j’entendais ses brebis bêler… Parfois ta mère chantait un cantique à la madone qui s’épanouit dans une niche, là… (désignant la gauche) derrière ces murailles…

Dehors, au côté désigné par le Prieur d’autrefois, s’élèvent de grêles bêlements puis une voix de jeune fille entonne un cantique.

BÉNÉDICT, tressaillant. Ma petite Magdeleine !…

Le Prieur D’autrefois, de même. La même voix et le même cantique !…

BÉNÉDICT, remontant en écoutant.

Elle chante à la Madone de lui rendre son berger…

Le cantique de Magdeleine est souligné par les bêlements des brebis invisibles et par le chant lointain des Moines Blancs en procession.

La Voix De Magdeleine.

Vierge Marie Aux doigts de fleurs, Douce patrie A nos douleurs,

Sois attendrie Par mes longs pleurs, Sainte Marie Aux doigts de fleurs !

Les Moines Blancs.

Beatus vir qui suffert tentationem, quoniam, cum probatus fuerit, accipiet coronam vital. AileMal…

Durant les voix invisibles, Bénédict se dresse jusqu’au socle ouvert d’un vitrail, et le Prieur d’autrefois escalade la chaire, Tous deux s’efforcent d’apercevoir…

BÉNÉDICT, regardant au dehors.

O mes brebis !… ô ses mains jointes !…

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, se rejetant en arrière.

Fatalité !… Bénédict, elle ressemble à ta mère !…

BÉNÉDICT, criant vers la Voix de Magdeleine.

Magdeleine !… Magdeleine !…

Le Prieur d’autrefois redescend de la chaire et se tord lamentablement sur le rebord de la sainte-table.

Le PRIEUR D’AUTREFOIS, en proie à ses remords.

Magdeleine !… Magdeleine !… Magdeleine !…

Les voix invisibles se taisent. Bénédict descend vers le Prieur d’autrefois.

Le Prieur D’autrefois.

Tu le vois, mon fils, elle viendrait comme Vautre… Tu ne peux rester ici… Et puis à chaque instant ma statue serait devant tes yeux, avec son piédestal jonché de Moines abusés… Tu pourrais te trahir, laisser tomber l’atroce vérité… Non, cela briserait ton cœur !…

BÉNÉDICT, décidé.

Je serai dans ma bergerie ce soir même.

Le Prieur D’autrefois.

L’orpheline attend l’orphelin. Prends-la pour femme et sagement adorez-vous, pauvres d’esprit, le jour parmi le regard des bluets, la nuit sous le parfum des étoiles. — La Femme, vase de délices !…

BÉNÉDICT, l’âme bercée,

La Femme, vase de délices ?…

Le Prieur D’autrefois.

La femme, vois-tu, c’est la nécessaire. Exilé d’elle, on s’éprend aridement des diaphanes saintes des vitraux au sang de soleil. Vas à l’ange sans ailes : la femme d’ici-bas. Qu’il soit descendu des mondes Saphirs, qu’il soit monté des Rubis immondes, cet ange diversement nous aide à conquérir le Paradis, par la caresse pie ou par l’impie morsure qu’il nous apporte.

Les Moines Blancs, moins lointains, reprennent l’hymne du Commun des Confesseurs : Iste Confessor… Leurs voix graves se rapprochent de plus en plus, graduellement. Les Moines chantent jusqu’aux premières paroles de la scène VII, l’hymne s’achèvera donc au bas de la chapelle.

Le Prieur D’autrefois, soupirant.

La procession regagne la chapelle… Mon heure terrestre est terminée… l’enfer me réclame !…

BÉNÉDICT, l’enlaçant. Non, père, je ne veux pas !…

Le Prieur D’autrefois.

Toutes les forces humaines ne sauraient empêcher l’épouvantement de s’accomplir.

BÉNÉDICT.

Toutes les forces, mais non pas toutes les prières !

Le Prieur D’autrefois.

Pas davantage toutes les prières ! . Le TrèsHaut est sourd dès qu’on l’entretient des damnés ; je ne relève plus que du Très-Bas, — Satan.

BÉNÉDICT.

Magdeleine me donnera des bébés roses… je les ferai prier pour l’aïeul malheureux… L’Eternel aura pitié des tout-petits, car il doit être bon comme tous les vieillards, et son oreille écoutera…

Le Prieur D’autrefois.

Inutile, mon fils, les arrêts de l’au-delà sont irrévocables : on est damné pour l’immortalité !

Bénédict.

Eh bien, père, je pleurerai si longuement que mes larmes descendront te rafraîchir dans la fournaise.

Le Prieur D’autrefois.

Inutile, mon fils, les larmes d’ici-bas n’atteignent point Là-bas.

Bénédict. Eh ! quoi… plus d’espérance ?

Le Prieur D’autrefois.

L’espérance n’a plus de branches vertes pour moi.

Bénédict.

Ne dites pas cela !… Une fois au ciel, je veux obtenir de Dieu de racheter moi-même nos frères de l’enfer… alors je deviendrai le Christ des Damnés.

Le Prieur D’autrefois.

Il est écrit que les damnés n’auront point de Rédempteur.

Bénédict.

Ainsi, tu ne souriras plus jamais ?… Ainsi tu souffriras toujours ?…

Le Prieur d’autrefois, simulant avec

ses bras les oscillations du balancier de l’Horloge Infernale.

« Jamais-Toujours !… Toujours-Jamais ! ! ! »

(Se cramponnant tout à coup à Bénédict.) A l’aide !…

Satan m’appelle !… les ongles de ses vampires déjà m’agrippent !… Retiens-moi, mon enfant, garde-moi !… je serai ton esclave !… je serai ton chien !…

BÉNÉDICT, l’enveloppant de tout son être.

Père, je te défendrai contre Satan luimême !…

Des flammes grimpent aux jambes du Prieur d’autrefois.

LE PRIEUR D’AUTREFOIS, repoussant Bénédict.

Non,va-t’en !… voici jaillir les dards abominables !… Laisse-moi !… Fuis mon buisson très ardent !… Ta chair faite pour le ciel s’y brûlerait horriblement !… (Se tordant au milieu des flammes et hurlant.) Les scorpions rouges !… Eloigne-toi !… Les scorpions rouges !…

Il est entouré d’un cercle flamboyant.

BÉNÉDICT, affolé. Dieu Cruel !… (Les bras tendus dans la direction du

damné qui flambe.) Ah ! puisque rien ne peut te racheter, du moins écoute mon adieu. (Criant avec tout son cœur.) O vous qui pâtissez, mon père, je vous pardonne et je vous aime ! ! !…

Le Prieur D’autrefois, transfiguré.

Mon fils, tu viens de prononcer les phrases divines que les maudits n’osent plus espérer !… Merci !… Je les emporte avec moi dans l’abîme pour qu’elles embaument mon tourment sans fin de leur fraîcheur intarissable !…

Il est englouti dans un tumulte de chaînes.

BÉNÉDICT, lui envoyant des baisers à pleines mains. Adieu !…

Le Prieur D’autrefois, de Là-bas. Adieu !…

Bénédict pousse un cri de terreur et s’enfuit par la sacristie.

Dehors éclatent maintenant les chants de la procession. La porte de la chapelle s’ouvre. Dès ce moment les orgues se mêlent aux voix. La communauté entre et prend place dans les rangs de stalles. Le cortège est terminé par le Prévôt ou le Doyen, le Cellérier, l’Hospitalier, l’Infirmier, le Prieur les Abbés et le Cardinal. Des clercs se rangent en demi-cercle devant la statue du Prieur d’autrefois et l’encensent copieusement.

SCÈNE VII

Le Cardinal, Les Abbés, Le Prieur, Le Chapitre, Les Moines Blancs

Les Moines Blancs.

Gloria in excelsis Sancto nostrol…

La fin du cortège a pénétré dans le chœur.

Le Cardinal Et Le Prieur, arrivés devant la Statue, reculant tout à coup.

Profanation !

Le Prieur.

La lampe votive est éteinte !… les lys saccagés !…

Abbés Et Moines Blancs, terrassés. Profanation !…

Orgues et chants se sont arrêtés d’une manière discordante subitement.

Le Cardinal.

Un sacrilège est venu jusqu’ici braver le Saint et le souiller !…

LES AbbÉs, agitant leur crosse. Anathème sur lui !…

Les Moines Blancs.

Anathème !… Anathème !

Le Cardinal.

Que l’on sonne le tocsin et que l’on traque le coupable !…

Extrême agitation. Elle cesse devant l’entrée de Bénédict vêtu en pâtre et une houlette à la main que deux moines amènent.

Un silence étrange.

Tocsin sonné par une cloche grave.

SCÈNE DERNIERE

Les Mêmes, Bénédict.

Le PRIEUR, allant à Bénédict, après l’avoir reconnu. Qu’as-tu fait de ta robe sainte ?…

BÉNÉDICT, troublé par le fouillis de regards.

Prieur d’aujourd’hui, vous m’avez dit : demande conseil au Prieur d’autrefois. Le Prieur d’autrefois m’a répondu : « Fuis le cloître où l’on ne parle pas, descends au vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches et vas sourire à la plus jolie fille de la Vallée. »

Le PRIEUR, l’attirant à lui, inquisiteur.

Puisque tu restas en prière aux pieds de la Statue, Bénédict, n’as-tu pas vu l’infâme qui la profana ?…

Les Abbés, haletants.

Parle !

Le Cardinal.

Réponds !

Bénédict veut parler mais ne peut. Interdit, il baisse la tête.

Les Moines Blancs, l’observant. Il pâlit…

Le Prieur.

Tu te tais ?…

BÉNÉDICT, blafard.

De grâce, ne m’interrogez pas !…

Le PRIEUR, traversé d’un éclair, puis foudroyant. Ah vipère, — c’est toi ! ! !

BÉNÉDICT, les mains jointes et juste assez de voix pour se disculper.

Nenni !… Nenni !… Nenni… !

TOUS, imprécant.

Sacrilège !… Profanateur !…

Le Cardinal Et Les Abbés, agitant leur crosse. Anathème sur toi !

Le Prieur Et Les Moines Blancs.

Anathème sur toi !…

Les Moines entourent Bénédict qui tombe pâle et sans voix sous une forêt de bras menaçants.

Les orgues jouent le Miserere.

Le tocsin se précipite.

Le CARDINAL, lançant l’anathème.

Que le pain se change en crapaud dans ta bouche !

Abeés Et Moines Blancs. Anathème !…

Le Prieur, de même.

Que la foule s’écarte de toi comme on s’écarte du pestiféré !

Abbés Et Moines Blancs. Anathème !…

Le Cardinal. Sois maudit dans ta mère !

Abbés Et Moines Blanc ?. Anathème !…

Le Prieur. Et jusques dans ta race !

Abbés Et Moines Blancs. Anathème !…

Le Cardinal.

Qu’on le chasse du cloître où l’on ne parle pas !…

Le Prieur.

Et que la paille soit brûlée partout où ses pieds se sont posés !…

Deux Moines saisissent Bénédict et le poussent brutalement vers la porte du fond.

Le CARDINAL, gravissant l’escalier de la chaire.

Anathème sur l’impie qui vint du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches !

Les Abbés, avec de vastes gestes de tempête.

Anathème sur l’impie qui vint du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches !…

Les Moines Blancs. Anathème !… Anathème !…

Les deux Moines entraînent au dehors le jeune berger.

Le Cardinal, en chaire.

Et nous, mes frères, pour apaiser le courroux légitime du Bienheureux offensé, prosternonsnous et faisons une amende honorable.

Tandis que les orgues poursuivent le Miserere et que se forge un tocsin plus farouche, toute la communauté se prosterne .

Le Cardinal en chaire et le Prieur resté debout les bras en croix clament la fin des Litanies de la Scène Première.

La théorie de clercs agite ses encensoirs avec frénésie.

Le Cardinal Et Le Prieur, tournés vers la Statue et à pleine voix.

Châtelain du Soleil !…

Tous.

Sois-nous miséricordieux !…

Le Cardinal Et Le Prieur. Noble imagier de l’Arc-en-Ciel !

Tous.

Sois-nous miséricordieux !…

Le Cardinal Et Le Prieur. Familier des Séraphins !

Tous

Sois-nous miséricordieux !

Le Cardinal Et Le Prieur. Centurion de l’Absolu Diadème

Tous.

Sois-nous miséricordieux !

Toile.

Le Cardinal Et Le Prieur. Archidiacre de la Très Sainte Trinité

Tous.

Sois-nous miséricordieux !

Le Cardinal Et Le Prieur.

Sceptre filial du Vieillard Essentiel et Primordial !

Tous.

Sois-nous miséricordieux !

Ce pendant des Moines purifient avec de la paille enflammée les dalles où passa Bénédict, du chœur à la porte du fond.

La toile est baissée que l’on entend encore les orgues, le bourdon et les dernières exclamations des litanies montant en gerbe vers la Statue souriante et sereine du Prieur d’autrefois.

FIN