L’Âme des saisons/Le réveil du bois
En juin, deux heures du matin. Les premières blancheurs de l’aube nacrent l’horizon. Le bois craque dans la rosée.
Tremble pas, mon bijou.
- Est-ce pas ?
- L’exquise collerette !
- Que de miel !
- On voit bien qu’on te chérit au ciel.
J’ai sommeil, moi. — La paix, là-haut !
- On peut siffler.
Le ciel est comme un champ de lis qui vont brûler.
- Verduron verdurette.
- On n’y est pas.
- On y est !
- C’est trop tôt.
- C’est défendu si haut !
Tu seras sûr grondé...
- Oser rire à cette heure !...
- C’est cela, la péronnelle pleure !...
- Cela va-t-il finir?
- Je ne crois pas.
- Ce qu’il fait mouillé dans les lilas !...
- On n’y voit pas.
- Mais si ! comme à travers
Une gaze d’eau bleue et de taffetas vert...
- Et nous de l’or en braises.
- Sérieusement, non !
Vous commencez trop tôt, mes enfants.
- Le bougon !
- Hélas ! O cruelle douceur !
Une flamme trop pure a consumé mon cœur,
Et nul ne comprendra son langoureux martyre.
Je suis pareil au vent nocturne qui soupire
Sa plainte harmonieuse aux flûtes des roseaux,
Et nul ne comprendra la peine de l’oiseau.
- Chut!
- Hélas ! elle m’a fui, l’ingrate !
Elle a broyé mon cœur de sa petite patte.
Et de son bec léger, puéril et perçant,
Elle en a fait jaillir une source de sang.
- Paix.
- Hélas ! toute musique est vaine,
Et le plus beau sanglot n’allège pas la peine.
- Mon cœur avait rêvé d’amour.
Les lilas étaient bleus sous la lune sereine ;
On entendait ronfler le rouet des phalènes ;
Les anges vaporeux balançaient leur essor
Parmi les seringas et les étoiles d’or,
Et mon cœur, alangui dans la douceur des choses,
But le philtre enivrant des feuilles et des roses...
Hélas ! tout est fini ! Les lilas sont glacés,
Les astres sont éteints et les anges blessés,
Le parterre est sans fleurs, sans parfums,sans phalènes,
Et dans la solitude où je traîne ma peine,
Je sens qu’à tout jamais, ô cruelle douceur !
Le clair de lune bleu est gelé dans mon cœur...
- Oh ! laisse-moi boire tes larmes pures !...
- Lanturlu, les cerises sont mûres.
- Va plus loin sangloter dans le bois.
Flûte-nous un air gai.
- O gué !
- Coucou.
- Tarare.
- Quoi de nouveau, mamour ?
- Parfaitement. Un rossignol notoire.
L’aïeul de son aïeul est cité dans l’Histoire.
Il vécut dans un parc appelé Trianon.
Je suis marquise...
- Point.
- Je suis marquise...
- Non.
- Turlurette.
Dont la coiffure est haute et la robe bouffante,
Et qui s’avance, comme une rose mouvante,
D’un pied mignard chaussé d’un soulier si petit
Qu’un roitelet des murs n’y ferait pas son nid.
- Ils sont tous un peu grands.
- Moi, j’en prends.
- Connais-tu leurs jolis pas de danse ?
- Si.
- Ah oui ! mais marquise et nymphe aussi.
- Bien sur.
- Voyons...
- C’est rose et cela nage.
- Si fait, dans le feuillage.
De haut en bas, de bas en haut. Voilà.
- Très bien.
- Mille choses :
Bergère, Célimène, et ma reine, et ma rose ! Ses mots sont comme fleurs parmi les taillis verts,
Et c’est des vers...
- Il fait des vers ?
- Mais oui, des vers.
- Lequel ? Ce drôle
Qui a des bottes et un tube sur l’épaule...
- ...d’où sort le tonnerre parfois ?
Mais ceux du rossignol fusent dans l’air, enivrent
Comme une tiède pluie qui tombe çà et là
Sur la poussière et sur les grappes des lilas.
- On s’en flatte !
Des chenilles avec une corne écarlate,
Du linge en liseron orné de romarin,
Des robes d’églantine et des chapeaux de thym,
Des éventails légers d’aile de sauterelle,
Des boas en duvet de cou de tourterelle,
Des manteaux en velours de papillon Vulcain,
Des épis de brillants sertis par le matin,
Des broches d’œil de guêpe à facettes polies,
Des pendeloques en corolles d’ancolies,
Des bagues en saphir fragile d’abdomen
De libellule, et puis des gâteaux de pollen,
De miel, d’œufs de fourmi pétris dans la rosée,
Des pâtés succulents de chenille écrasée,
Des salades de thym, de sauge, de mouron,
Des bigarreaux sucrés criblés de pucerons,
Et des...
- Grâce !
- Très bien. Si c’est comme cela,
Je me sauve.
- Non, non, fauvette !
- Tra la la.
- Un moment!...
- Tu nous rases !...
Et comme l’incendie immense d’un vitrail,
Et comme un éventail de flammes qu’on déploie...
- Déjeunons.
- Faisons un feu de joie.
- Des jupes de satin !
Nous nous sommes dressés en frémissant pour boire,
Selon votre très sage et sainte volonté,
Le vin d’opale et d’or de cette aube d’été.
Votre Œil en se fermant éteindrait le soleil,
Et n’était votre Droite auguste qui les couvre,
Il n’est esprit qui pense ou corolle qui s’ouvre.
Tout geste est illusoire et tout verbe mensonge,
S’ils ne se rangent pas avec simplicité
Au rythme éblouissant de votre éternité.
Notre écorce a saigné sous la lime des vers,
L’ouragan a tordu nos branches qui vieillissent
Et la foudre à nos troncs laisse des cicatrices.
Voici, dans la musique ardente de la sève,
L’unanime hosanna de la forêt qui lève
Ses mille bras vibrants et tumultueux vers
L’inaccessible azur où brûle votre gloire !
L'or de l'aurore fait largement irruption dans le bois, d’où s’élève une fumée d’encens.