L’Âme des saisons/La Résurrection des rêves

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 56-60).
LA RESURRECTION DES RÊVES


Il fait une tiédeur comme au temps des lilas,
Lorsque les magnoliers fleurissent dans l’air gras,
Lorsqu’on entend craquer en terre les semences
Et lorsque, de minute en minute, il commence
A pleuvoir lourdement, pour cesser aussitôt...
Je transpire et je vais ôter mon paletot.
Des nuages d’ardoise et de rouille se tassent
Voluptueusement sur les campagnes grasses,
Dont les champs de blé vert et les bruns labourés
Ondulent doucement vers les bois empourprés
Où, dorant et bronzant les nuages qu’il perce,
Un faisceau de rayons tombe comme une averse.


Je gravis lentement la pente, en m’épongeant.
Un ruisseau dégringole en long ruban d’argent.
Il flotte un frais parfum d’herbe humide et de mousse.
Un coq bruyant poursuit une poule qui glousse.
Un moineau file, ayant au bec un brin de foin.
Puis le silence est tel que l’on entend au loin,
Du côté du village aux toitures vermeilles,
Le sourd bourdonnement continu des abeilles…
(Serait-ce que déjà les saules sont en fleur ?)
 
Voici le bois. — On est tout pâle de stupeur,
À cause du silence ardent et de la force
Mystérieuse qui soulève les écorces
Et çà et là déjà pointillé les buissons
De chatons duveteux et de gluants bourgeons.
Partout, sous le réseau violacé des aulnes,
Le bois est enneigé de fraîches anémones ;
Le taillis baigne dans un fauve clair-obscur ;
La fuite d’un lézard crépite dans l’air pur ;
Là-bas, d’un coudrier qui tressaille, s’élève
Dans un rai de soleil étendu comme un glaive,
Un nuage tremblant de pollen mordoré…

Et voici que soudain dans mon cœur, enivré
D’une mystérieuse et divine allégresse,


Je sens des mots d’amour et des cris de tendresse,
Comme si le printemps, tel qu’il était jadis,
Vert tendre, blanc de neige et bleu de paradis,
Tout le printemps, vêtu de rosée et de feuilles,
Avec ses rossignols, avec ses chèvrefeuilles,
Avec ses hannetons qui pendent lourdement
Aux lilas bleus, mouillés de roses diamants,
Avec le frais cristal, avec les folles perles
Qui s’égouttent du bec des cailles et des merles,
Tout le divin printemps que j’avais oublié
Se dressait devant moi au détour du sentier !...
J’aime ! Mon cœur est plein d’ailes et de corolles !
Je vais dire à présent de divines paroles !
Oh ! j’aime ! — Qui ? — Qu’en sais-je et qu’importe après tout !
J’aime de tout mon sang frénétique qui bout
Et de tous les sanglots de ma poitrine, Celle

Qui va venir en souriant sous son ombrelle...


PRIÈRE


Mon Dieu, vous voyez bien que je ne puis tenir
A la sorcellerie intime de la sève
Et que mon faible cœur va de nouveau fleurir
Comme un rouge glaïeul en un jardin de rêve...


Oh ! je n’ignore pas, malgré cette douceur
Insinuante qui circule dans mes veines,
Quels lendemains amers attendent le rêveur
Qui se fie aux conseils des sources et des chênes.
 
Mais qu’y faire ! Mon cœur, encor qu’il se propose
Le rythme pondéré d’une prudente loi,
Se plaît à l’onctueux et dangereux émoi
Comme un insecte à l’ombre odorante des roses…
 
Mon Dieu, voyez ! Déjà je me sens amollir,
Le printemps m’a jeté son tendre sortilège,
Et voici que mon cœur est prêt à défaillir
À cause du sous-bois aux étoiles de neige…

Ah ! s’il se prend à battre à grands coups pour si peu,
Que sera-ce en avril, quand s’ouvrent les pervenches,
Et que sera-ce en mai, lorsque, sur le ciel bleu,
Mousseront les vergers d’écume rose et blanche ?…

Sûrement, l’aventure est éparse dans l’air !
Je suis comme un pommier tordu dans la rosée
Qui va bientôt ouvrir ses fleurs couleur de chair,
Toutes et follement, d’une seule poussée !…


Et alors, ô mon Dieu, que va-t-il advenir ?
Le printemps passe, — et vient l’automne avec ses pluies...
Je sais les pleurs amers que la sagesse essuie
Si lentement, et j’ai gardé le souvenir...
 
Mon Dieu, vous savez bien que j’ignore les choses,
Que je n’y puis rien faire, et que c’est votre Main
Qui doit me diriger par l’unique chemin
Vers la Sœur, qui m’attend dans un jardin de roses...
 
Ainsi donc, bénissez ce printemps, ô mon Dieu !
Bénissez ces bourgeons jaunes et verts qui crèvent,
Bénissez cet afflux de sèves et de rêves
Et tout ce sang nouveau, qui s’inquiète un peu ;
 
Pour que ce faible cœur et l’autre, qu’il Vous plaise
Désigner, soient enfin fidèlement unis,
Comme deux rossignols qui bâtissent leur nid
Sous la dentelle verte et fraîche des mélèzes...


21 mars 1905.