L’Âme des saisons/Hortus voluptatis

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 69-71).
III


Hortus voluptatis


O Dame, j’aimerais un jardin odorant,
Baigné de clair de lune ainsi que d’une eau pâle,
Un jardin vaporeux aux pelouses d’opale,
Où les roses mourraient d’amour en soupirant
Et où les rossignols feraient de doux arpèges
Parmi les seringas et les boules de neige.
 
Et là, parmi l’haleine agréable des fleurs.
J’aimerais, pour la joie et la paix de mon âme,
Qu’il y eût (puisqu’il faut parler selon mon cœur)
Une fée, — oh ! très simple et pas trop grande dame,
Sans voile mordoré. sans sceptre, sans hennin,
Mais toute jeune fille en souliers de satin.


Elle serait debout au bord de la pelouse,
Avec du clair de lune aux bouillons de sa blouse
Neigeuse, rougissant d’un aimable embarras
Et sur sa jupe unie et sombre laissant pendre,
Dans sa main finement ouvrée en cire tendre,
Une rose opulente et un brin de lilas.
 
Elle serait, ainsi qu’une pensionnaire,
Amusée et riant de ses yeux de lumière,
Mais toutefois émue à cause que la nuit
Craque dans les parfums sous la lune qui luit,
Et qu’on entend soudain, en longeant les verveines,
Ronronner sourdement le rouet des phalènes...

Parfois, l’arôme trop suave des taillis,
La voix des rossignols aux roulades trop mièvres,
Le feuillage bleuâtre aux frou-frous trop jolis
Attendriraient, un peu subitement, nos lèvres...
Je lui dirais : « Je t’aime... » Elle dirait : « Méchant... »
Et la lune rirait sous sa cape d’argent.


Donnez-moi ce jardin, douce Dame Marie !
Donnez-le moi, si c’est possible, je vous prie,
Avec la fée, avec la lune et les lilas...
Je ne serai jamais tranquille sans cela.
Car, malgré mes efforts et mes rudes promesses,
Le songe de mon cœur y retourne sans cesse !...