L’Âme bretonne série 4/Une cellule de l’organisme breton Conclusion


Édouard Champion (série 4 (1924)p. 67-68).


CONCLUSION.


L’heureux pays ! Le pays privilégié et peut-être unique que voilà ! Au terme de la longue enquête que je viens de conduire, j’essaie de dresser son image en moi, de ramasser mes souvenirs et d’en dégager une impression d’ensemble. Je revois en esprit ces costumes chatoyants et précis, ces intérieurs distribués sur un plan uniforme, ces noces collectives qui ressemblent à des mariages de clans, toute cette vie domestique si bien ordonnée et si bien accordée au rythme de la vie générale ; je songe aux chapellenies et aux breuriez qui encadrent l’individu dans son groupe spirituel, aux syndicats qui l’encadrent dans son groupe social ; je rapproche des extraordinaires qualités pratiques de ce peuple son attachement à la tradition, aux rites partout ailleurs périmés de la naissance, des fiançailles et de la mort, à tant de coutumes aussi anciennes que lui-même et qui nous reportent vers le mystère des origines ; j’évoque, entre leurs collines flexueuses, les coulées d’or de l’Auberlac’h, du Téven, du Caro, les vergers ruisselants de fruits, l’air qui sent la fraise et l’iode, les steamers qui appareillent dans la pourpre du couchant et qui laissent derrière eux un sillage parfumé ; solidement établie dans ces paysages arcadiens, j’aperçois une race forte, bien découplée, haute de stature, régulière de lignes, indemne de tares… Santé, richesse, aptitude au progrès économique, combinée avec l’attachement à la tradition, parfait ! accord de l’individu et de son groupe, de l’homme et du sol, qu’est-ce donc que tout cela, si ce n’est pas le bonheur ?

Et je crois bien, en effet, que les Plougastélois sont des gens heureux. Ils portent, comme on dit, leur bonheur sur leur figure ; ils sont gais, ouverts, d’humeur accueillante et facile ; ils dessinent, au milieu de la mélancolique Bretagne, comme un îlot d’optimisme. C’est, sans doute, qu’un ensemble de conditions naturelles aussi favorables s’est rarement rencontré : Cambry, qui visita Plougastel à la fin du XVIIIe siècle, l’appelait un paradis et souhaitait d’y finir ses jours ; mais c’est surtout que ces gens-ci sont merveilleusement équilibrés. Leur immobilité n’est qu’apparente. À l’écart des autres peuplades de la Cornouaille et du Léon, repliées sur elles-mêmes ou emportées par un vent d’anarchie, la peuplade plougastéloise n’a pas cessé un moment de poursuivre sa lente et régulière évolution. Il n’y a pas eu chez elle de déchirure ; elle n’a pas brutalement rompu avec le passé ; elle s’est développée selon l’harmonieuse logique de ces beaux arbres dont la ramure ne cesse de monter et de s’étendre, tandis que, par leurs racines, ils plongent plus profondément dans le sol maternel.