L’Âge d’or/Acte I Deuxième tableau

2e TABLEAU

LA CHAMBRE DE LA REINE MARGOT, AU LOUVRE

Le fond du décor forme un angle. Sur le pan gauche, fenêtre du Louvre. Sur le pan droit, porte donnant sur les couloirs du Louvre. Premier plan gauche, porte donnant sur un cabinet. Au-dessus, deuxième plan, le lit de la Reine Margot. À droite, premier plan, porte donnant sur un escalier secret. Au deuxième plan, porte donnant sur la chambre de Gilonne.


Scène première

La Reine MARGOT, les Dames d’Honneur, GILONNE
Chœur

Les Dames d’Honneur, tout en déshabillant la Reine Margot.

C’est le coucher de la Reine,
La Reine, la Reine.
Mais le coucher d’aujourd’hui,
Comme on dit, en vaut la peine.
La peine, la peine.
Qu’en pense le roi Henri ?

Une partie des Dames.

L’heure s’avance, allons, madame,
Allons, allons !
Pour votre époux qui vous réclame.
Pressons, pressons.

Les autres Dames, déshabillant la Reine.

Cette chemise virginale
Quittons, quittons !
Pour cette autre plus conjugale,
Changeons, changeons !

Toutes.

Une nuit d’hyménée,
Est une nuit de volupté.
Nous voulons, reine aimée,
Que votre Majesté
Soit belle, soit belle.
Belle à rendre fou d’elle
L’heureux qui la verra.
Qui sera
Le mari de la belle,
Le mari qui l’aura.

Les Dames.

Qui l’aura.

Une Dame.

Point de fanfreluches,

Toutes.

D’onguents, ni de fard.

Les Dames.

Ce sont des embûches

Toutes.

Qu’on laisse au rancart.

Une Dame.

Rien que la nature

Toutes.

C’est bien plus malin.

Une Dame.

Qui veut la capture

Toutes.

Du cœur masculin,

Une troisième Dame.

Des voiles très vagues,

Toutes.

Des tissu légers

Une Dame.

Qui semblent des vagues

Toutes.

Lorsque vous bougez.

Quatrième Dame.

De la toile fine

Toutes.

Voilant vos appas,

Une Dame.

Où tout se devine.

Toutes.

Voilà le programme
Par nous édicté,
Appliquant, Madame,
Cette vérité

Les Dames.

Cette vérité,
Que le grand attrait de la femme
Quand elle est belle, est sa beauté.

Reprise en Chœur. — C’est le coucher… etc.

Tout cet ensemble est accompagné par le tocsin qu’on entend en sourdine au loin.

Margot, (à Gilonne qui entre). — Qu’apportes-tu là, nourrice ?

Gilonne. — La fleur d’oranger comme il convient, Majesté et la pommade, (émue). Pauvre mignonne ! (Elle l’embrasse).

Margot. — Allons, voyons, Gilonne !… pas de vaine sensiblerie.

Gilonne. — Madame, c’est plus fort que moi ! Quand je pense que j’ai nourri la reine de mon lait… et qu’aujourd’hui !… tout à l’heure !

Margot. — C’est bien, Gilonne. Mesdames, vous pouvez vous retirer.

Les dames font la révérence et sortent par la gauche, tandis que l’orchestre reprend en sourdine le motif du chœur. Le tocsin se fait entendre plus fort.

Scène II

MARGOT, GILONNE

Margot. — Mon Dieu ! encore ce bruit de cloches ! On dirait un signal d’alarme !

Gilonne. — Oh ! non, Majesté !… Ce sont des sonneries de liesse en l’honneur du mariage de la Reine Margot avec le roi de Navarre.

On entend quelques coups de feu lointains.

Margot. — Mais ces mousquetades, au loin ?

Gilonne. — Des salves de joie.

Margot. — Dieu t’entende, Gilonne !… Mais, je ne sais pourquoi, un sombre pressentiment !… (bruit et cris au fond) Mais, tiens ! écoute !

Voix de Follentin. — Au secours !… au secours !… à moi !

Margot. — Mon Dieu ! Mon Dieu ! quels sont ces cris ?

Follentin (frappant à la porte des couloirs du Louvre). — Ouvrez ! Ouvrez !

Margot. — Ouvre ! Ouvre ! Gilonne !

Gilonne va ouvrir.

Follentin, se précipitant, affolé. — Madame !… On tue !… On égorge nos frères !… On veut m’égorger aussi !… Sauvez-moi !

Margot. — Mon Dieu ! Qui êtes-vous ? Que demandez-vous ? Au secours ! À l’aide !

Follentin. — Madame ! N’appelez pas ! Je suis Follentin !… Les assassins grimpent les escaliers derrière moi ! S’ils vous entendent, je sois perdu. Ah ! les voilà !

Il se précipite vers le lit.

Margot. — Mais, Monsieur ! C’est mon lit !

Follentin. — Ne craignez rien, Madame ! Mes intentions sont pures !

Il veut entrer dans le lit.

Margot. — Mais non ! Mais pas du tout ! Mais en voilà une idée !


Scène III

Les Mêmes, COCONAS, LA HURIÈRE, TROUPE DE GENS ARMÉS

Coconas entrant par la porte des couloirs. — Ah ! mordi ! Nous le tenons enfin !

Follentin. — Une arme ! une épée ! un poignard que je me défende !

La Hurière. — Sus au Huguenot, mes amis !

Tous. — Sus !

Follentin. — Quoi ?

Coconas (donnant un coup de poignard à Follentin). — Tiens !

Follentin. — Oh ! Oh ! que c’est bête !… (Tout haut, à Margot) Ah ! Madame, avec vos préjugés, vous m’avez perdu.

Margot. — Misérable ! Assassinerez-vous aussi une fille de France ?

La Hurière. — Madame Marguerite !

Coconas. — La Reine de Navarre.

Follentin (par terre, étonné). — Non, c’est vrai ?

Coconas et La Hurière. — Absolument.

Follentin, avec un sifflement d’étonnement. — Ffu !

Coconas. — Madame !… Excusez-nous ! Mais entraînés à la poursuite d’un hérétique.

Margot. — Les églises et les châteaux royaux sont lieux d’asile. Le Louvre est château royal ! Sortez !… Je vous l’ordonne !

Coconas. — C’est à la femme que j’obéis et non pas à la Reine. Nous sortons, Majesté, nous sortons !… Venez !… Venez !… Nous ne manquerons pas de besogne ailleurs.

Il sort, ainsi que les gens armés.

Scène IV

MARGOT, FOLLENTIN, GILONNE

Margot. — Ils sont partis ! Maintenant, occupons-nous de ce malheureux ! Comment vous trouvez-vous, mon gentilhomme ?

Follentin. — Comment je me trouve ?

Margot. — Un de ces lâches ne vous a-t-il pas traversé de sa dague ?

Follentin. — Ah !… Oh ! ça n’a pas d’importance.

Margot. — Oh ! la noble réponse ! et qu’elle est bien celle d’un gentilhomme de France.

Follentin. — Oh ! ce n’est pas çà ! C’est que l’animal n’a traversé que ma redingote.

Margot. — Ah ! Dieu soit loué !

Follentin. — Ah ! Madame ! Que vous êtes bonne ! Vous m’avez sauvé ! Mais, mon Dieu ! Je ne suis pas seul ! Ma femme ! Ma fille ! Que sont-elles devenues ? Ah ! Madame ! Rendez-moi ma femme ! ma fille ! ma fille surtout !

Gilonne, qui a déposé l’aiguière sur un meuble, près de la fenêtre, regardant au dehors. — Justement, voici deux femmes qui se sont réfugiées dans la cour du Louvre et que des soldats entourent.

Margot et Follentin (courant à la fenêtre). — Deux femmes !

Follentin. — Mais oui !… C’est elles !… Ma femme !… ma fille !… (Ouvrant la fenêtre et appelant.) Caroline ! Caroline ! Marthe ! Mon Dieu ! elles ne m’entendent pas.

Margot (appelant). — Monsieur de Besme ! Monsieur de Besme, c’est moi, la Reine ! Laissez monter, Monsieur de Besme !

Follentin, s’approchant. — Monsieur de Besme ! (À Margot.) Mais il est sourd, de Besme ! Madame ! Je vous en prie !

Margot. — Vite, Gilonne ! Cours trouver Monsieur de Besme ! Et dis-lui qu’il donne l’ordre au nom de la Reine de Navarre de délivrer ces malheureuses.

Gilonne. — J’y cours, Madame,

Elle sort par la porte du couloir du Louvre.

Scène V

MARGOT, FOLLENTIN, puis le page OTHON

Follentin. — Ah ! Madame, comment reconnaîtrai-je jamais ? Qu’ai-je pu faire pour mériter tant de bonté ?

Margot. — C’est que tu es brave, Follentin, et je t’admire.

Follentin. — Est-ce possible ?


DUO

Margot.

Ah ! si tu t’étais vu, si tu t’étais vu,
Tout pâle et défait ici, tout à l’heure
Te précipitant le cœur éperdu,
Cherchant un refuge en cette demeure !

Follentin (parlé). — Ah ! vraiment, quand ?

Margot.

Si tu t’étais vu, si tu t’étais vu,
Calme, héroïque et résolu,
Tenant tête à cette cohorte
Ivre de sang à cette porte !
Ah ! Follentin, fier lionceau,
Ah ! tu étais beau ! Ah ! tu étais beau !

Follentin (parlé). — C’est vrai ?

Margot.

Alors, alors, est-ce le coup de foudre ?
Que se passa-t-il en moi ?
Je ne puis le résoudre,
Je n’ai plus vu que toi… que toi !

Follentin.

Que moi ?…

Margot.

Que toi. Follentin, si je n’ose
T’en dire plus long en français,
C’est qu’à l’aveu que je ferais
Ma pudeur de femme s’oppose.

Follentin.

Ah ! voyons ! Ça marchait si bien !

Margot.

Eh bien ! Eh ! bien !
Je ne vois qu’un moyen.

Follentin.

Oui, lequel ?

Margot.

Un moyen superbe,
Pour tourner la difficulté.
Puisqu’en latin, dit un proverbe,
Les mots bravent l’honnêteté,
Parlons latin…

Follentin.

Latin ! Ah ! diable !
C’est que pour moi grec ou latin,
Tout ça, pour moi, c’est bien lointain !

Margot.

N’importe, c’est bien plus convenable,
Ô Follentiné ! Ô Follentiné !
Cum te vidi ! té ! té !
O pulchré, pulchrior étiam,
Ah ! te amabam ! te amabam !

Follentin (transporté).

Ell’ m’amabam ! Ell’ m’amabam !

Margot.

Cet aveu que je te dis,
Tu l’as compris, tu l’as compris !

Follentin.

Ah ! Ah ! Si j’ai compris !… mais dame !

Margot (se frottant à lui).

Ô mon chéri !

Follentin (riant bêtement).

Hi ! Hi !

Margot.

Ô mon bébé !

Follentin (idem).

Hé ! Hé !

Margot (lui caressant la main).

Ta peau, qu’elle a de velouté !
C’est vrai. (À part.) Elle m’enjôle,
Sur ma parole !

Margot.

Ô mon chéri !

Follentin.

Hi ! Hi !

Margot.

Ô mon bébé !

Follentin.

Hé ! Hé !

Margot. — Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime !

Follentin, (avec transport).

Elle m’aime !
(Changeant de ton).
Oh ! tout de même,
Si j’avais pu me douter,
J’aurais pas fait dire à ma femme de monter !

Margot.

Aimons-nous ! aimons-nous ! aimons-nous ! ma chère âme !

Ensemble.

Aimons-nous ! aimons-nous ! profitons des instants !

Margot.

Tout semble ici protéger notre flamme,
Demain peut-être, il ne sera plus temps.

Ensemble.

L’amour, l’amour, voilà l’amour qui passe.
Profitons-en car l’amour est pressé.
Et s’il s’en va, tout s’effondre et tout casse,
Tout est fini ! Crac ! l’amour est passé.

Margot. — Amour, pssit, pssit !

Follentin. — Amour, pssit, pssit !

Ensemble.

Amour, de grâce !
Chez nous viens-t-en, petit, ne dis pas non !

Margot.

Amour !
(bruits de baisers)
Bssi ! Bssi !

Follentin.

Amour bssé ! bssé !

Ensemble.

Vois, l’on s’embrasse,
Nos cœurs unis t’ont préparé ta place
Bssé ! bssé ! bssé ! bssé ! bssé ! bssé ! bssé !
Amour d’amour, mon petit Cupidon,
Viens donc, chez nous, on sera bien mignon.
L’amour, l’amour, voilà l’amour qui passe,
etc…, etc… etc…

Follentin (après la reprise).

Ah ! d’une reine,
Ah ! quelle aubaine,
Je suis aimé !

Margot.

Laissons la Reine,
La souveraine,
Mon adoré !
Celle qui t’aime
Par cela même
Subit la loi,
Et, fille d’Ève,
N’a plus qu’un rêve,
C’est d’être à toi !

Follentin.

Ô douce parole,
Qui charme mon cœur !

Margot.

Viens, ô mon idole,
Marchons au bonheur !
Foin de la couronne,
Et foin de la Cour,
Je les abandonne,
Si j’ai ton amour.

Follentin.

Ô douce parole,
Qui charme mon cœur,
Allons mon idole,
Marchons au bonheur !

Margot.

Loin, loin, loin, loin, loin au bout de la terre
Nous nous aimerons hors de tout danger.
Moi, je serai ta bergère.

Follentin.

Et moi ton berger.

Margot.

Ta bergère,

Follentin.

Ton berger.

Ensemble.

L’amour, l’amour, voilà l’amour qui passe.
etc. etc. etc.

Musique à l’orchestre.

Follentin (dans les bras de la Reine). — Chut !… un trémolo !… qui cela peut-il être ?

Margot. — Un trémolo ! C’est quelqu’un qui vient !

Le Page Othon (accourant du fond). — Madame ! Madame !

Margot. — Qui est-ce, mon petit page aimé ?

Othon. — Sa Majesté le Roi de Navarre qui se dirige de ce côté ! Et comme je savais que vous n’étiez pas seule !…

Margot. — Le roi de Navarre ? Ici !

Othon. — Oui, ma Reine !

(Il sort).

Follentin. — Henri IV ! Mais c’est votre mari !

Margot. — Oui, depuis ce matin ! C’est ce soir notre première nuit de noces.

Follentin (à part). — Non !… Eh bien ! elle va bien, la reine, pour une jeune mariée !

Margot. — Vite ! Cachez-vous !

Follentin. — Mais où ça ? Où ça ?

Margot (indiquant la droite). — Là, dans ce cabinet !

Follentin (cherchant à ouvrir la porte). — Mais c’est fermé !

Margot. — Tenez !… la clef, là !… par terre !…

Follentin. — Oui ! Oui ! (Sa main tremble, Il ne peut mettre la clef dans la serrure). Je ne trouve pas le trou.

Margot. — Ne tremblez donc pas comme ça !

Follentin. — Si vous croyez que je le fais exprès ! allez donc trouver un trou de serrure quand on sent Henri IV à ses trousses !

Margot, indiquant le lit. — Ah ! trop tard !.. Tenez !.. là !

Follentin. — Comment, là ?… Mais votre nuit de noces… !

Margot. — Ne vous en occupez pas et ne bougez pas !

Elle le pousse contre le lit sur la partie face au public et le recouvre du rideau qui est un peu court et laisse voir les pieds de Follentin.

Scène VI

MARGOT, LE PAGE OTHON, HENRI DE NAVARRE, FOLLENTIN caché, DEUX PAGES
Deux pages entrent du fond, en portant des candélabres d’or avec des bougies de cire rose. Entrée du Roi de Navarre.

Margot, à Henri qui entre du fond. — Vous, Sire !

Henri. — Ventre saint-gris ! Madame, ma présence m’a tout l’air de vous surprendre ? Ne m’attendiez-vous donc pas ?

Margot. — Si fait !… mais…

Henri (fait signe aux pages qui se retirent). — Ne craignez rien, Madame. Je ne viens pas réclamer mes droits de mari. Je n’ai pas oublié le pacte qui nous unit !… Alliés et pas époux !

Margot (avec un soupir de soulagement). — Ah !

Henri. — Mais il importait, au point de vue politique, qu’on me vît entrer dans la chambre de la Reine la nuit de mes noces… et qu’en ce lit conjugal… (Il fait un pas vers le lit.)

Margot (s’interposant). — Sire !

Henri. — Mais la Reine me paraît bien troublée.

Margot. — Sire !… C’est que la présence de Votre Majesté… pour la première fois chez moi.

Henri. — Ouais ! Ouais ! (à part). Il y a quelqu’un ici. Ce doit être mon cousin le duc d’Alençon.

Margot. — À quoi pensez-vous, Sire ?

Henri (qui pendant ce qui précède a pris une cravache qui se trouvait sur un meuble). — À rien !… Je regardais le pommeau de cette cravache qui est vraiment d’une ciselure exquise. (À part, apercevant les pieds de Follentin). Ah ! Ah ! voilà des pieds qui appartiennent sûrement à quelqu’un !

Margot (à part, suivant le regard d’Henri et apercevant les pieds). — Dieu, ses pieds !

Henri. — Ah ! vive Dieu, Madame !… Ce sont aussi vos bottes de chasse que j’aperçois au pied de votre lit.

Margot. — Hein ?… Non… euh !… Oui, Sire.

Henri. — Ah ! mordi !… Il faut que votre bottier soit le dernier des ivrognes pour avoir ainsi vu double en vous prenant mesure ! Fi ! donc. Les pieds mignons de la Reine dans de pareils bateaux,

Il donne un coup de cravache sur les pieds de Follentin.

Margot. — Elles sont en effet un peu grandes, et je comptais en faire l’observation à…

Henri. — Un peu grandes ! C’est-à-dire qu’elles sont de taille à chausser le pied de notre cousin le duc d’Alençon.

Il donne un second coup de cravache.

Voix de Follentin. — Oh !

Henri. — Il n’y a pas de : « Oh ! »… Madame, votre bottier a de la chance de ne pas tomber sous ma main, car j’ai là une cravache qui me démange !… (le rideau tremble violemment). Mais voyez donc, Madame !… Il y a sûrement un courant d’air dans votre chambre. Voyez comme ce rideau s’agite !…

Margot. — Oui ! je sais. C’est un vent coulis qui vient de la porte.

Henri. — Comme c’est désagréable !

Il donne un énorme coup de cravache sur le rideau, à la hauteur du ventre de Follentin, qui, sous le coup, rentre brusquement le ventre, ce qui fait pointer la tête sous le rideau.

Margot. — Mon Dieu ! Le malheureux !

Henri. — Oh ! Voyez donc cette poussière dans les rideaux quand on tape dessus ! Regardez-moi ça, quelle poussière ! Voyez encore ! (coup de cravache) Tenez ! (On aperçoit sous le rideau la silhouette de Follentin, qui se retourne et présente son postérieur aux coups) ; Regardez-moi donc ça !… Regardez-moi donc ça ! (Il porte chaque fois un coup de cravache).

Margot. — Sire !… Assez ! Assez !

Henri. — C’est vrai, Madame ! Je vous fais avaler de la poussière !… (Il remet la cravache sur la table). Aussi bien la Reine doit être fatiguée, et je ne saurais lui infliger une plus longue nuit de noces. Tout ce que je demande à Votre Majesté, c’est de se souvenir qu’elle porte le nom du Roi de Navarre et qu’elle ne doit rien entreprendre qui puisse publiquement le ridiculiser.

Margot. — C’est juré !…

Henri (lui baisant la main). — Le reste ne me regarde pas ! Au revoir, Madame, et bonne nuit !

(Il sort par le fond).



Scène VII

MARGOT, FOLLENTIN

Margot (allant au rideau). — Mon pauvre ami !

Follentin (sortant de derrière le rideau et se frottant les reins). — Non ! vous savez, il est embêtant, votre mari !… Voyez-vous cette manière de flanquer des coups de cravache contre ce lit ! Tout cela nous montre que je ne saurais rester plus longtemps chez la Reine.

Margot. — Tu pars, Follentin ?

Follentin. — Excusez-moi !… Ce n’est certainement pas que je m’ennuie, mais Madame Follentin et ma fille peuvent se demander ce que je suis devenu. Il faut que j’aille les rejoindre.

Margot. — Tu as raison, Follentin ! Le Louvre est plein d’embûches, il vaut mieux que tu partes, mais auparavant…


Couplets de Margot.
I

C’est là-haut, c’eNous avons fait un trop beau rêve
C’est là-haut, c’eMais la réalité se lève.
C’est là-haut, c’eIl faut partir.
C’est là-haut, c’eCette idylle qui vient de naître,
C’est là-haut, c’eUn jour nous permettra peut-être
C’est là-haut, c’eD’y revenir.
C’est là-haut, c’eHélas ! Aujourd’hui l’heure sonne,
C’est là-haut, c’eAdieu donc, je frissonne,
C’est là-haut, c’eAh ! pense à moi.
C’est là-haut, c’eEn sortant d’ici tout à l’heure,
C’est là-haut, c’eLève tes yeux vers ma demeure,
C’est là-haut, c’eCher, et dis-toi :

C’est là-haut, c’eC’est là-haut, c’est là-haut,
C’est là-haut, c’eC’est là-haut, tout de même
C’est là-haut, c’eQue respire un être qui m’aime.
C’est là-haut, c’est là-haut, que pense à moi Margot.
C’est là-haut, c’est là-haut, tout de même,
C’est là-haut, c’eMargot, Margot, pauvre Margot.
La peine est extrême, tout là-haut, tout là-haut…
C’est là-haut, c’eLà-haut (ter)


II

C’est là-haut, c’eDemain, tu m’oublieras sans doute,
C’est là-haut, c’eJe fus un instant sur ta route,
C’est là-haut, c’ePuis au revoir,
C’est là-haut, c’ePourtant si parfois il t’arrive
C’est là-haut, c’eDe passer là, sur cette rive,
C’est là-haut, c’ePar un beau soir,
C’est là-haut, c’eQuand tu verras à ma fenêtre,
C’est là-haut, c’eUne lumière transparaître,
C’est là-haut, c’eDis-toi ceci :
C’est là-haut, c’eLà-haut, cette petite flamme,
C’est là-haut, c’eQui vacille, hélas ! c’est mon âme,
C’est là-haut, c’eQui brûle ainsi.

C’est là-haut, c’eC’est là-haut, c’est là-haut,
C’est là-haut, c’eC’est là-haut, tout de même
C’est là-haut, c’eQue respire un être qui m’aime,
C’est là-haut ; c’est là-haut, que pense à moi Margot
C’est là-haut, c’est là-haut, tout de même,
C’est là-haut, c’eMargot, Margot, pauvre Margot,
La peine est extrême, tout là-haut, tout là-haut !
C’est là-haut, c’eLà-haut (ter).

Margot. — Et maintenant, pars donc, Follentin ! Mais promets que je te reverrai !

Follentin. — Mordi, madame ! Je vous le promets ! (Il lui baise la main). Adieu, Madame !

Il se dirige vers le fond.

Margot. — Non, pas par là ! Il ne faut pas qu’on voie un étranger sortir de chez la Reine ! Tenez, prenez cet escalier.

Follentin. — L’escalier de service ?

Margot. — Non, un escalier secret qui ne sert qu’à la famille royale lorsqu’elle veut sortir incognito du Louvre. Allez, et que Dieu vous garde !

Follentin. — C’est ça ! Et on se reverra, hein ?

Il sort par le premier plan droite.

Scène VIII

MARGOT, puis FOLLENTIN, puis CATHERINE DE MÉDICIS et CHARLES IX

Margot. — Allons ! n’y pensons plus !… Cher Follentin ! Si Dieu m’écoute, je te reverrai !

Follentin (rentrant, vivement). — Ah ! mon Dieu ! Ah ! mon Dieu !

Margot. — Déjà !

Follentin. — Voilà Catherine et Charles !

Margot. — Qui ça !

Follentin. — Catherine de Médicis et Charles IX ! Ils viennent de ce côté !… Tenez, écoutez plutôt !… (musique à l’orchestre). On retrémole !

Margot. — La reine-mère, et le Roi ! Mon Dieu

Follentin. — Quel nouveau danger nous menace !

Margot. — Que diront-ils s’ils ne voient pas le roi de Navarre chez sa femme la nuit de ses noces ?… Si, à sa place ; ils trouvent un étranger.

Follentin. — Aïe ! aïe ! aïe ! aïe ! aïe ! aïe !

Margot. — Quelle idée !… Vous, allez sauver le roi de Navarre

Follentin, effrayé. — Moi ? Il va falloir se battre ?

Margot. — Non !

Follentin. — Alors, je veux bien !

Margot. — Entrez dans mon lit.

Follentin. — Moi ?

Margot. — Collez-vous la tête contre le mur ! et quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, ne bougez pas et dormez !..

Follentin. — Mais j’ai mes bottines !

Margot. — Oh ! nous avons bien le temps de nous occuper de ces bagatelles. Allez !

Follentin. — Ah !… bon !

Il se couche dans le lit.

Margot. — Poussez-vous, faites-moi une petite place !

Follentin. — Ah ! alors, vous aussi ?

Margot. — Mais oui, mais oui ! puisque vous êtes le Roi de Navarre !

Elle se couche à côté de lui dans la partie la plus proche du public.

Follentin. — Eh bien ! on m’aurait dit ce matin que je coucherais avec la Reine Margot !…

Margot. — C’est bon !

Elle ferme les rideaux du lit. La porte de l’escalier dérobé s’ouvre, quatre gentilshommes paraissent, laissent passer Catherine de Médicis et Charles IX et se rangent près de la porte.

Catherine. — Pas de bruit ! Venez, mon fils ! (aux gentilshommes.) Vous, Messieurs, gardez cette porte !

Les gentilshommes s’inclinent et sortent.

Charles IX. — Qu’est-ce encore, ma mère ? Quelle trame nouvelle contre ce pauvre Henriot ? Je vous ai déjà dit que je ne pouvais oublier que par son mariage avec une fille de France, il est devenu mon beau-frère.

Catherine. — Oui ! mais s’il ne l’était pas !

Charles IX. — Vous dites ?

Catherine. — Si je vous donnais la preuve que ce roitelet, la nuit même de ses noces, a déserté la couche nuptiale ?

Charles IX. — Mordi, Madame !… si cela était !

Catherine, l’entraînant vers le lit. — Venez donc, mon fils !

Margot, sautant à bas du lit. — Qui est là ?… Vous, Madame ! Vous, mon frère !

Catherine. — Margot, mon enfant ! ma fille ! Nous venons d’apprendre l’affront qui vient d’être fait en ta personne à la famille de France !

Margot. — De quel affront parlez-vous, ma mère ?

Charles IX. — Ah ! mordi ! Si la chose est vraie !… (Il frappe du poing sur un meuble).

Margot. — Plus bas, mon frère !… Vous allez éveiller le roi de Navarre.

Catherine. — Le roi de Navarre ?

Margot. — Tenez ! Voyez plutôt comme il repose. (Elle tire le rideau du lit. On voit le dos et le derrière de la tête de Follentin couché. Catherine et Charles se regardent.)

Margot. — Vous ne pouvez voir son profil, car il est tourné du côté de la ruelle, mais sa nuque, sa chevelure aux boucles soyeuses, la blancheur de son cou, ne les reconnaissez-vous pas ?

Charles IX. — Oui ! Oui !

Catherine (à part.) — Est-ce que je rêve ?

Charles IX. — C’est étrange ! Il me paraît plus gras que dans le jour !

Margot. — Chut ! C’est parce qu’il dort ! Le pauvre aimé est tout gonflé de sommeil ! (ronflement de Follentin.) Tenez, entendez-le comme il respire !

Charles IX. — Il ronfle !

Margot. — Oui. Eh bien ! dans ces ronflements, si vous les écoutez bien,… ne retrouvez-vous pas son accent béarnais ?

Charles IX. — Peut-être !… oui !… oui !

Margot. — Mais je vous demande pardon, ma mère, et à vous aussi, mon frère, vous étiez venus pour me parler. Qu’aviez-vous à me dire ?

Catherine. — Rien !

Margot. — Rien !

Catherine. — Recouchez-vous donc, ma fille,… que nous ne fassions pas tort à votre cher Henriot d’instants qui lui appartiennent.

Margot fait la révérence et se recouche.
Les rideaux retombent.

Charles (à mi-voix). — Eh ! Que me disiez-vous, ma mère ?

Catherine. — Ah ! Je n’y comprends rien : je ne sais qui se joue de moi, de ma police ou de ma fille.

Quatuor.

Scène IX

Les Mêmes, UN GENTILHOMME

Un Gentilhomme (rentrant). — Le Sire de Maurevel demande à être reçu par Votre Majesté.

Catherine. — Notre chef des pétardiers !… Qu’on le fasse entrer !… Nous allons peut-être savoir quelque chose.

Margot (passant la tête par les rideaux). — Ah ! Qu’est-ce qu’ils complotent encore ?

Follentin (passant également sa tête par les rideaux au pied du lit). — Ils n’ont pas l’air de vouloir s’en aller.


Scène X

Les Mêmes, MAUREVEL

Catherine. — Vous, Maurevel !… Vous arrivez bien !

Maurevel. — Majesté !

Catherine. — Qu’est donc venu me dire un de vos hommes que Sa Majesté, le roi de Navarre, était monté chez Madame de Sauves ?

Maurevel. — Eh ! bien, Majesté ?

Catherine. — Eh bien ! il ne saurait être chez Madame de Sauves, car il est là ! (Elle indique le lit.)

Maurevel. — Là ?

Catherine. — Là !…

Charles IX. — Qu’avez-vous à répondre, Monsieur de Maurevel ?

Maurevel. — J’ai à répondre, Majesté, que le Sire de Maurevel n’avance jamais rien qu’il n’ait d’abord contrôlé, que le roi de Navarre est bien chez Madame de Sauves, et que s’il y a un homme dans le lit de la reine, cet homme n’est pas le roi de Navarre.

Catherine. — Pas le roi de Navarre !

Charles IX. — Enfer et damnation !

Follentin (passant la tête à travers les rideaux). — Y a pas ! Ils manigancent quelque chose !

Maurevel. — Et à l’appui de ce que j’avance, je signalerai à Votre Majesté que tout à l’heure un homme, un huguenot poursuivi par de fidèles sujets de Votre Majesté s’est précipité dans l’appartement de la Reine ! (Tirant de derrière son dos le chapeau haut de forme de Follentin.) Voici un couvre-chef que, dans sa fuite, il a laissé tomber dans les couloirs du Louvre.

Follentin. — Mon chapeau !

Maurevel. — Et dont la forme étrange montre bien que son propriétaire n’est pas de Paris !…

Charles IX (prenant le chapeau). — Qu’il est drôle !… Et cela se met sur la tête !

(Il essaye le chapeau).

Catherine. — Mon fils, retirez cela ! Vous êtes horrible avec ! Voilà certes une mode qui ne prendra jamais.

Charles IX (ôtant le chapeau). — C’est égal ! C’est curieux ! Je m’en ferai un panier à papiers ! (Il le pose sur un meuble, reprenant son idée.) Mais alors, si cet homme qui est là n’est pas le roi de Navarre, c’est donc un étranger ?

Maurevel. — C’est un étranger ; Sire !

Charles IX. — Mordi ! Nous allons réveiller cet insolent et lui faire sur le champ justice !

Catherine. — Gardez-vous en bien !… Ce serait là de mauvaise politique ! Laissons notre bien-aimé Henriot se charger de cette besogne ! (À Maurevel.) Monsieur de Maurevel, vous allez faire garder toutes les issues de cette chambre !… Et si cet homme en sort ; n’oubliez pas que les couloirs du Louvre sont bâtis de telle sorte que les détonations des arquebuses n’y ont pas d’écho.

Maurevel, s’inclinant. — J’ai compris, Majesté !

Catherine. — Allez ! (Il sort par le fond ; à Charles.) Quant à nous, mon fils, nous allons faire prévenir immédiatement notre cher Henriot qu’il ait à descendre chez sa femme, la Reine de Navarre.

Reprise de l’ensemble du quatuor.
Catherine et Charles IX sortent par la porte de l’escalier dérobé.

Scène XI

MARGOT, FOLLENTIN

Margot (sautant à bas du lit). — Partis !… Ils sont partis !… Vite !… venez !…

Follentin. — Ah ! On se lève ! (se levant) Eh bien ! vous savez, sauf leur respect, ils sont rudement embêtants dans votre famille !

Margot. — Maintenant, vous pouvez partir. D’ailleurs, il le faut, chaque minute augmente le danger !

Follentin. — Mais, dites donc, maintenant, je suis signalé. Et si l’on me voit sous ce costume !…

Margot. — C’est juste !… Attendez !

Elle frappe sur un timbre.

Follentin. — Que faites-vous ?

Margot. — J’ai mon idée.


Scène XII

Les Mêmes, OTHON

Othon (paraissant). — Majesté !

Margot. — C’est messire Follentin qui voudrait quitter notre palais du Louvre sans être reconnu. Or sous son costume, ce n’est pas possible. Vite ! mon fidèle Othon ! J’en appelle à votre dévouement ! Déshabillez-vous et changez de costume avec lui.

Othon. — Hein ?

Follentin. — Comment ! Je vais me mettre en page ?

Margot. — Nous n’avons pas le choix des moyens ! Allez ! Allez ! Je ne regarde pas !

Elle remonte et regarde à la fenêtre.

Othon. — J’obéis, Majesté !

Follentin. — Bon !

Les deux hommes commencent à se déshabiller.

Follentin. — Non ! La tête de ma femme quand elle me verra demain en Charles IX.

Othon. — Voici mon pourpoint, messire !

Follentin. — Merci !… Je vous le ferai reporter demain par un commissionnaire. Voici ma redingote !

Othon. — Redin ?

Follentin. — Gote !

Othon. — Ah !

Follentin. — Et voilà… mon gilet.

Othon. — Voici mon haut-de-chausses.

Follentin. — Et moi… mon pantalon.

Il se trouve en caleçon-maillot beige, il enfile le haut-de-chausse, pendant que le page enfile le pantalon.

Margot (au fond, sans se retourner). — Eh bien cela avance ?

Follentin. — Ça va ! Ça va ! Là !… le pourpoint !

(Il le met).

Othon, passant la redingote. — La Redingote !… le gilet ! (Il le met par dessus la redingote, à Follentin, lui présentant son épée) et maintenant mon épée (Il l’attache à la ceinture de Follentin).

Follentin (pendant qu’il la lui met). — Vous savez, si ça ne vous fait rien, une autre fois quand vous vous mettrez en redingote, mettez donc le gilet par dessous.

Othon. — Ah ! vous croyez ?

Follentin. — J’en suis sûr !

Othon. — Voici ma toque !

Follentin (il la met). — Et voilà mon chapeau !… (Il l’enfonce sur la tête d’Othon). Là !… ça y est ?

Margot (se retournant). — Ah ! Follentin, que tu es beau comme ça !

Follentin. — N’est-ce pas ? Je crois que ça y est ! (Arpentant la scène.) Ah ! Ah ! Tripe del papa ! par la corbleu ! Sandi ! Mordi !… Mercredi !… Jeudi !… à Chantilly, Messieurs ! À Chantilly ! Tout le monde descend !

Margot. — Ami ! Ami ! Ce n’est pas le moment de plaisanter !

Follentin. — Ah ! Ah ! et Othon ! Regardez donc Othon ! A-t-il une touche comme ça !

Othon. — Je me sens tout gauche dans ce costume. (À Margot.) Je demanderai à Votre Majesté la permission de remonter jusqu’à ma chambre pour changer d’accoutrement.

Margot. — Allez, mon joli page ! d’autant que si une de mes dames d’honneur vous voyait !… Allez !

Othon sort par le fond.

Margot. — Et vous, mon beau Follentin, vous n’avez qu’à sortir comme si de rien n’était. En reconnaissant la tenue des pages du palais, personne ne s’avisera de vous demander qui vous êtes.

Follentin (s’inclinant et lui baisant la main). — Majesté !

Margot. — À bientôt ! Follentin !

Follentin. — À bientôt !

Il remonte. Coup de feu à la cantonade, au fond.

Follentin. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Othon, rentrant du fond, affolé. — Au secours ! Au secours !

Margot. — Qu’y a-t-il ?

Othon. — Là ! Là ! les gardes, le chef des pétardiers ! ils ont tiré sur moi !

Follentin. — Sur vous ?

Margot. — Vous n’êtes pas blessé ?

Othon. — Je ne sais pas !… Si !… Là !… mon chapeau.

Il plonge sa main dans l’intérieur et fait passer un doigt par le trou de la balle.

Follentin. — Oh ! mon numéro un ! Eh bien ! Ils vont bien !… On voit que cela ne leur appartient pas !…

Othon. — Je ne pourrai jamais regagner ma chambre tant que je serai dans ce costume !… (À Follentin.) Messire, si c’était un effet de votre bonté de vouloir bien me rendre…

Follentin. — Votre costume ? Ah ! non, merci ! Pour que ce soit sur moi qu’on tire !

Margot, à Othon. — Il y a peut-être un moyen ! Vous allez venir avec moi dans ce cabinet (À Follentin.) Quant à vous, ne perdez pas de temps ! Partez !

Follentin. — C’est ça !… C’est ça !…

Margot, à Othon. — Venez !

Ils entrent dans le cabinet.

Follentin. — C’est égal, c’est de la chance tout de même qu’on ait tiré sur lui ! Si cela avait été sur moi !… J’ai cinq centimètres de plus, je l’aurais dans la caboche, bien obligé !… Filons !… (Il sort par la porte de l’escalier dérobé, la scène reste vide un instant — trémolo — puis il rentre affolé.) Henri IV !… C’est Henri IV !… un trémolo, j’aurais dû m’en douter !… Dieu ! qu’ils sont collants dans cette famille !… Où me cacher ? Ah ! (Il se précipite dans le lit.)


Scène XIII

FOLLENTIN, HENRI DE NAVARRE

Henri, entrant, par la porte de l’escalier dérobé, un billet à la main. — Mordi ! Que m’écrit la reine-mère ! « Un homme est en train de prendre votre place chez votre femme ! » Pour qu’elle me le signale, ce ne saurait être mon cher beau-frère, le duc d’Alençon ! Par les cornes du diable ! Nous allons bien voir ! (Il va au lit et ouvre les rideaux. On voit Follentin assis sur le rebord du lit.) Ah !

Follentin, à part. — Zut !

Henri. — Un page du palais ! Que faites-vous ici, vous ?

Follentin. — Mais… m… ais !…

Henri. — Ne bêlez pas ! Où est la Reine

Follentin, voulant se montrer aimable. — Elle va venir !

Henri. — Hein ?

Follentin. — Elle a été un petit instant dans son cabinet de toilette.

Henri. — Elle va venir !… Vous osez ? Il avoue ! Enfer et damnation ! C’est un affront qui ne se lavera que dans le sang !

Follentin. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Henri, tirant son épée. — Allons, debout, manant !… et flamberge au vent !

Follentin, descendant du lit. — Je vais vous expliquer.

Henri. — Pas d’explication !… Allons, Monsieur ! J’ai failli attendre !…

Follentin. — Ah, ça ! ce n’est pas de vous !

Henri. — Qu’est-ce que vous dites ?

Follentin. — Rien ! (À part.) A-t-il mauvais caractère !

Henri. — Allons ! Allons ! Faut-il vous mettre l’épée dans les reins pour vous forcer à vous battre ?

Follentin, cherchant son épée qui a tourné et se trouve derrière lui. — Voilà ! Voilà ! Attendez.

Henri. — Allons ! flamberge au vent ! Qu’est-ce que vous cherchez ?

Follentin. — Mais… ma flamberge !… Je l’ai dans le dos ! C’est mon ceinturon qui a tourné.

Henri. — Trêve de facéties ! Vous y êtes ?

Follentin, tirant son épée. — Voilà ! Voilà ! (À part.) Quelle fichue idée j’ai eue d’entrer dans le Louvre !

Henri. — À nous deux, Monsieur ! (Ils croisent le fer.)

Follentin. — Dites donc, ça pique, ça !

Henri. — C’est votre peau que je veux !

Follentin. — Ma peau ! Ma peau ! Il est bon, lui ! (Parant un coup de Henri.) Eh là ! Attendez donc ! Je n’y suis pas ! (Tout en se battant.) Un duel avec Henri IV ! Quelle page d’histoire !

Henri. — Allez ! Parez celle-là !

Follentin. — Oh, là !

Henri. — Et celle-ci !

Follentin. — Oh, là ! Ah ! non ! Vous savez !

Il attrape l’épée d’Henri.

Henri. — Hein ! Voulez-vous lâcher mon épée ! la main gauche est défendue !

Follentin. — Ah ! ça m’est bien égal ! ce n’est pas moi qui ai demandé à me battre, n’est-ce pas ? (Lui portant des coups d’épée.) Eh ! allez ! Eh ! allez donc !

Henri. — Ah ! misérable, traître ! Il m’a tué ! (Il tombe.)

Follentin. — Mon Dieu !

Henri. — Au secours ! à l’assassin !

Follentin. — Taisez-vous donc, mon Dieu ! (Voyant Henri immobile.) Est-ce que je l’aurais tué ? (Posant son oreille sur la poitrine d’Henri.) Je n’entends plus le cœur, ni à gauche, ni à droite ! (Avec éclat.) J’ai tué Henri IV ! J’ai tué Henri IV !… Non, c’est pas possible ! Et Ravaillac alors ! Mais je ne peux pas le laisser là !… On peut venir !… Si on le trouve ! Où le cacher ! Où le cacher ! (Il prend Henri à bras le corps et exécute une vraie valse avec lui.) Mon Dieu ! du monde ! (Apercevant la banquette en bois sculpté.) Ah ! cette banquette !… elle forme coffre !… Un pied dans le crime ! (Il traîne Henri jusqu’à la banquette.) Ce qu’il est lourd, cet animal-là ! (Il ouvre la banquette et le met dedans.)


Scène XIV

FOLLENTIN, GILONNE, MADAME FOLLENTIN,
MARTHE puis MARGOT

Gilonne. — Si vous voulez entrer, mesdames !

Madame Follentin, entrant avec sa fille. — Ah ! Adolphe, mon ami !

Margot. — Papa ! mon petit papa

Follentin. — Oui ! bon ! vite, filons !

Madame Follentin. — Hein ! déjà !

Follentin. — Oui, oui, déjà, nous ne pouvons pas attendre.

Margot. — Comme tu es drôle en Charles IX !

Madame Follentin. — C’est bien mieux qu’à l’Elysée.

Follentin. — Ce n’est pas le moment de rire ! vite ! venez !… (Apercevant Margot qui sort du cabinet.) Nom d’un chien ! la Reine.

Margot. — Tiens ! (Saluant.) Mesdames !… (Les deux femmes saluent.) Ah ! Ce sont ces dames qui…

Follentin. — Oui, parfaitement ! (Les présentant, très rapidement.) Madame Follentin !… Ma fille. (À Madame Follentin et à Marthe.) Madame de Navarre !

Madame Follentin. — Ah ! la reine, peut-être !

Follentin. — La reine… oui ! oui ! allons, venez ! venez !

Madame Follentin. — Mais attends donc ! (À Margot.) Ah ! Madame, très honorée ! (À Marthe.) Salue, Marthe !

Marthe. — Madame !

Madame Follentin. — Et Sa Majesté le Roi de Navarre va bien ?

Margot. — Mais…

Follentin. — Très bien ! très bien ! Il va très bien ! Il repose ! Allons-nous-en !

Un Gentilhomme, paraissant. — Leurs Majestés !

Follentin, à part. — Allons, bon ! Il ne manquait plus qu’eux.

Margot. — Le roi et la reine-mère !

Madame Follentin. — Du monde ! Je ne voudrais vraiment pas être indiscrète. Adolphe, si on s’en allait ?

Follentin. — Elle a raison ! Nous sommes indiscrets ! Nous sommes indiscrets !

Margot. — Du tout ! Du tout ! (Comme une chose sans importance.) La famille !

Follentin, à part. — Mon Dieu, que j’ai chaud !


Scène XV

Les Mêmes, CHARLES IX, CATHERINE

Charles IX et Catherine, entrant et apercevant les Follentin. — Hein !

Margot. — Vous, ma mère ! et vous, Charles ! Quelle charmante surprise !

Catherine, bas à Charles. — On n’a donc pas prévenu le roi de Navarre ?

Charles IX (idem). — Qu’est-ce à dire, ma mère ?

Catherine. — Je n’y comprends rien !

Margot, présentant les Follentin. — Quelques amis à moi, Madame.

Catherine. — Ah ! Ah !

Margot. — Monsieur et Madame Follentin et leur fille. Sa Majesté ma mère, la Reine Catherine, et mon frère, le roi Charles IX.

Madame Follentin, saluant. — Madame ! (Bas à Marthe.) Quel monde on reçoit au Louvre !

Follentin. — Allons bon ! Leurs Majestés qui sont assises sur Henri IV.

Gémissement dans la banquette.

Tous. — Qu’est-ce que c’est que ça !

Autre gémissement.

Catherine. — Vous avez des borborygmes, Charles ?

Charles IX. — Non, ma mère ! Cela doit être vous !

Nouveau gémissement.

Follentin, à part. — Nom d’un chien ! C’est le Béarnais qui se réveille.

Voix d’Henri, sous la banquette. — À moi ! Au secours !

Tous. — Hein !

Madame Follentin. — On a crié « au secours ! »

Follentin, à part. — L’animal ! Il va me faire pincer.

Voix d’Henri. — Au secours ! Au secours !

Tous. — Où ça ? Où ça ?

Margot. — Qui crie « au secours » ?

Follentin. — C’est moi ! C’est moi ! je suis ventriloque !

Madame Follentin. — Toi !

Voix d’Henri. — À moi ! À moi ! Henri ! Dans le coffre !

Tous. — Dans le coffre !

Madame Follentin. — Ça vient du coffre en bois !

On se précipite vers la banquette qu’on ouvre.

Follentin, à part. — C’est bien malin ce qu’il fait là !

Tous, reculant devant l’apparition d’Henri, pâle et défait, qui se met sur son séant. — Dieu !

Henri, désignant Follentin. — Là ! Là ! Assassin ! Lui ! Il m’a tué ! Il m’a tué !

Tous. — Vous ?

Madame Follentin. — Tu as tué Henri IV, toi ?

Follentin. — Mais non ! mais non !

Charles IX. — Vous avez tué le roi de Navarre ?

Follentin. — Je vais vous expliquer !

Tous, excepté sa femme et sa fille. — Pas d’explication !

Catherine, ouvrant la porte du fond. Appelez notre chef des pétardiers !

Follentin. — Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’on va me faire !

Madame Follentin, désespérée. — Adolphe a tué Henri IV ! Adolphe a tué Henri IV !

Catherine, à Maurevel-Bienencourt qui paraît. — Emparez-vous de cet homme ! C’est l’assassin du roi de Navarre !

Follentin. — Mon Dieu !

Madame Follentin. — Adolphe !

Marthe. — Papa !

Bienencourt, à Follentin. — Au nom du roi, je vous arrête !

Follentin. — Bienencourt ! Ah ça ! Où me menez-vous ?

Bienencourt. — En place de Grève.

Monsieur et Madame Follentin et Marthe. — En place de Grève.

Bienencourt. — Faites entrer le bourreau !

Les Follentin. Le bourreau !

Catherine, au bourreau qui a paru masqué. — Bourreau ! Tu vois cette tête ! Je te la donne !

Follentin. — Comment, elle la donne !… Mais… elle est à moi !

Sur un geste de Catherine, le bourreau s’avance et met la main sur l’épaule de Follentin.

Madame Follentin. — Grâce, Monsieur le Bourreau ! (À Marthe.) Toi qui es plus jeune, demande-lui.

Marthe. — Grâce ! Monsieur le Bourreau !… Papa !

Follentin. — Je suis marié et père de famille !

Le Bourreau-Gabriel, bas. — Taisez-vous, je vous sauve !

Follentin. — Gabriel !

Gabriel. — Chut ! (Il remet son masque.)

Follentin. — C’est Gabriel !… Alors, qu’est-ce que je risque !… Adieu, mes enfants. Marchons ! Monsieur, je suis à vous ! Vive la ligue ! (Nuit.) Grand Dieu ! Je suis aveugle !

Voix du Temps. — Follentin ! Follentin !

Follentin, qui est seul en scène. — Bon, qu’est-ce que c’est encore !

Voix du Temps. — Follentin ! Follentin !

Follentin. — Le Temps ! C’est le Temps !

Changement à vue.
Obscurité. Le Temps paraît dans les nuages.

Le Temps. — Tu n’es pas content de l’époque où je t’ai mené, Follentin ?

Follentin. Ah ! non, alors !

Le Temps. Eh bien ! désignes-en donc une autre ! Tu vas pouvoir choisir !

Changement.
Les nuages se dissipent.
Royaume des époques.
Les époques sont rangées au fond avec les Siècles à leurs pieds.
CHŒUR DES ÉPOQUES

Le Temps. — Quelle époque choisis-tu, Follentin ?

Follentin. — J’aime mieux m’en rapporter au hasard.

Le Temps. — Soit !

Le Temps fait paraître la Destinée qui tient la roue du Destin.
GRAND AIR DE LA DESTINÉE

Le Temps. — Nous allons faire tirer par le plus jeune de la société.

C’est le XXe siècle qui sort, représenté par un enfant de six ans. Il tourne la roue qui amène Louis XV.

La Destinée. — Louis XV.

Le Temps. — Eh bien ! tu ne vas pas t’ennuyer.

Arrivée d’un cortège de postillons qui viennent chercher le nouvel hôte du règne. Parmi eux paraît Bienencourt en postillon.

Bienencourt, à part. — Tu croyais m’échapper, Follentin, mais tu comptais sans moi.


GRAND FINAL
RIDEAU