Lélia (1833)/Première Partie/XVII


H. Dupuy et L. Tenré (1p. 121-123).
◄  XVI
XVIII  ►


XVII



Vous aimez Sténio ! Femme, vous mentez. Songez à ce que nous sommes, vous, lui, moi. Vous aimez Sténio ! Cela n’est pas et ne peut pas être. Songez-vous aux siècles qui vous séparent de lui ? Vous, fleur flétrie, battue des vents, brisée ; vous, esquif ballotté sur toutes les mers, échoué sur toutes les grèves, vous oseriez tenter un nouveau voyage ? Ah ! vous n’y songez pas, Lélia ! Aux êtres comme nous, que faut-il à présent ? Le repos de la tombe. Vous avez vécu ! laissez vivre les autres à leur tour ; ne vous jetez pas, ombre triste et fugitive, dans les voies de ceux qui n’ont pas fini leur tâche et perdu leur espoir. Lélia, Lélia ! le cercueil te réclame ; n’as-tu pas assez souffert, pauvre destinée ? Couche-toi donc dans ton linceul, dors donc enfin dans ton silence, ame fatiguée que Dieu ne condamne plus au travail et à la douleur !

Il est bien vrai que vous êtes moins avancée que moi. Il vous reste quelques réminiscences des temps passés. Vous luttez encore parfois contre l’ennemi de l’homme, contre l’espoir. Mais croyez-moi, ma sœur, quelques pas seulement vous séparent du but. Croyez-moi, il y a bien peu de chemin à faire pour que nous marchions du même pas vers l’éternelle béatitude. Vous êtes bien plus près de moi que de Sténio, et puis, pour venir à moi, il faut avancer ; au lieu que, pour aller à lui, il faudrait retourner en arrière ; et cela n’est pas possible. Il est facile de vieillir, nul ne rajeunit.

Encore une fois, laissez l’enfant croître et vivre, n’étouffez pas la fleur dans son germe. Ne jetez pas votre haleine glacée sur ses belles journées de soleil et de printemps. N’espérez pas donner la vie, Lélia : la vie n’est plus en vous, il ne vous en reste que le regret ; bientôt, comme à moi, il ne vous en restera plus que le souvenir.