Légendes pour les enfants/Geneviève de Brabant
NOTICE.
modifierSachez bien, petits enfants, que vos pères et que vos mères ont pleuré en lisant autrefois l’histoire que vous allez lire, et qu’avant eux leurs parents avaient pleuré aussi. Je ne crois pas qu’il y ait au monde un récit plus connu, et vous allez voir qu’il n’y en a pas beaucoup qui soient aussi intéressants.
Il faut que vous sachiez que, s’il n’y a pas de fumée sans feu ou de feu sans fumée, il n’y a pas non plus de légende qui ne découle de quelque histoire véritable.
Un savant d’Allemagne, Freher, a composé un recueil pour servir à l’histoire des origines des comtes Palatins. Eh bien, dans ce recueil, il y a, en latin, un récit qui n’est autre chose que le récit des aventures de notre belle et infortunée Geneviève. Freher prétend que ce récit a été écrit dès le huitième siècle ; il n’est pas nécessaire de lui assigner une date aussi ancienne, et il suffit de croire avec un autre savant d’Allemagne, Brower, qu’il remonte à l’année 1156.
Voilà donc une antiquité assez vénérable acquise à l’histoire lamentable des méchancetés du traître Golo.
Toutes les nations d’Europe, depuis que Geneviève a souffert, ont rendu un culte à sa mémoire. D’abord ç’a été la tradition qui, pendant longtemps, s’est chargée du soin d’instruire les générations de ses aventures ; puis l’imagination des enfants et des habitants de la campagne n’a pas été seule émue au récit de tant de misères, et les poëmes, les chansons, quelquefois même les pièces de théâtre ont choisi Geneviève pour leur héroïne. Bien plus, il y a eu des écrivains ecclésiastiques qui l’ont considérée comme une sainte, et on place sa fête au 2 avril.
Toutefois, on ne connaît pas sur Geneviève de légende populaire en prose qui ait été écrite dans le style des romans du moyen âge.
Le récit que vous allez lire ici est, à peu de chose près, l’œuvre du Père de Cerisiers, qui vivait sous Louis XIII et sous Louis XIV, et qui a publié en 1646 l’Histoire de Geneviève ou l’Innocence reconnue. En faisant disparaître quelques longueurs, en ajoutant quelques détails qui jettent un peu de clarté sur les parties les plus obscures de cette histoire, et enfin en retouchant un peu le style de l’auteur, on n’a pas altéré la couleur de son récit, et on n’a, au fond, rien changé que pour mieux conserver l’ensemble.
Petits enfants, apprenez donc à la fois, en lisant la vie de Geneviève de Brabant, à savoir souffrir sans cesser d’être vertueux et sans vous décourager, et aussi à raconter
simplement les belles actions.
I
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Vers le temps où la gloire du grand Clovis commençait à s’obscurcir, et où les enfants de ce monarque dégénéraient en courage, dans une des provinces de la Gaule Belgique, qui fut autrefois le pays de Tongres[1], naquit une fille des princes de Brabant. A peine cette petite créature vit-elle les rayons de la lumière, que ses parents la firent baptiser. Elle devint ainsi fille du ciel, et, par la grâce divine, elle reçut le doux nom, le beau nom de Geneviève.
Tout de suite de gracieuses vertus lui vinrent, et, avant toute autre vertu, une dévotion pleine de délicatesse. C’était assez d’être raisonnable pour n’être plus pécheur après l’avoir admirée. Le plus doux plaisir qu’elle connût, c’était l’amour de la retraite et de la solitude.
Cette inclination lui fit bâtir un ermitage au coin d’un jardin ; elle y dressait de petits autels de mousse et de ramée, et y passait en prière les belles journées de printemps, entre les lilas fleuris et les roses. Quand sa mère lui disait qu’il était temps d’avoir d’autres pensées, elle répondait : « C’est là que les plus grands saints sont allés chercher les traces du Seigneur. »
Ah ! Geneviève, vous ne savez pas d’où vous est venue cette inclination, et pourquoi Dieu vous l’a donnée ! Un jour viendra où vous suivrez l’exemple de cette grande pénitente[2] à laquelle l’Égypte a donné son nom ; vous prierez Dieu dans le désert. Ce sera alors que vous reconnaîtrez la Providence divine, qui dispose de vous par des moyens saints, inconnus à tout autre qu’à elle. Dieu a coutume de nous donner à la naissance des qualités qui font nos fortunes diverses et l’ordre entier de notre vie. Le grand archevêque de Milan, saint Charles Borromée[3], tout petit enfant qu’il était, bénissait ses camarades en leur imposant les mains.
Mais tous ceux qui remarquaient les dévotions de
notre petite vierge ne pénétraient pas dans les
desseins de Dieu, et ne voyaient pas ce qui ne
parut que longtemps après.
II
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Ne nous arrêtons pas à décrire les perfections de la jeunesse de cette grande et chère sainte, et arrivons tout d’un coup à la dix-septième année de l’incomparable Geneviève de Brabant. Disons seulement qu’il semblait que la nature eût fait des coups d’essai dans toutes les autres beautés de son siècle, pour donner dans la sienne un ouvrage accompli de sa puissance. Geneviève n’avait garde, dans le désir d’accroître cette beauté, d’y vouloir ajouter par les artifices qui sont faits pour embellir la laideur. Elle n’avait point d’autre vermillon que celui qu’une honnête modestie mettait sur ses joues, point d’autre blanc de fard que celui de l’innocence, et point d’autre senteur que celle d’une bonne vie. Aussi n’y avait-il point sur son visage de rides à réparer par le pinceau.
III
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Bien que Geneviève apportât fort peu de soin à faire ressortir sa beauté naturelle, cela n’empêcha pas qu’elle ne fût recherchée par un nombre infini d’admirateurs. Parmi ceux qui la demandèrent en mariage, Sigifrius, ou Sifroy, ne fut pas le plus malheureux, puisqu’il obtint ce que tant d’autres avaient désiré.
Le jeune seigneur, ayant appris de la renommée une partie des perfections de la princesse, en voulut plutôt croire ses yeux que le bruit commun.
Le voilà en chemin avec un équipage si magnifique, qu’il ne laissa à aucun de ses rivaux la possibilité de soutenir la comparaison.
Étant arrivé, il alla tout aussitôt faire la révérence au prince et à la princesse sa femme, qui lui permirent de saluer leur fille Geneviève, à laquelle il fit toutes les offres de services qu’on pouvait attendre d’un attachement sincère. « Je n’ai jamais rien contemplé de si suave ! » s’écria-t-il après l’avoir vue.
D’abord, il n’était attentif qu’aux charmes de sa figure ; mais il ne l’eut pas entretenue deux fois qu’il la trouva remplie de tant de douceur et d’une telle modestie, que son affection en fut doublée. Il alla donc trouver le prince et la princesse de Brabant, auxquels il déclara le motif de son voyage.
« Si vous êtes, leur dit-il, aussi favorable à mes projets que votre douceur me le fait espérer, je m’estimerais le plus heureux des hommes. Je ne suis point, grâce à Dieu, sorti d’une maison dont le nom ne puisse être cité avec honneur ; et, quand la gloire de mes ancêtres n’ajouterait rien à mon mérite, je ne suis pas, par moi-même, un parti à dédaigner. La fortune m’a donné assez de biens pour que je puisse soutenir la dignité de votre race ; et, quand ces biens seraient moindres, je ne pourrais vous taire la vive affection que j’ai pour la princesse votre fille, non pas tant à cause de sa beauté, qui est incomparable, qu’à cause de ses vertus qui sont sans exemple. C’est donc à vous de faire ma joie ou ma peine. »
Il est peu de sages filles qui ne soient inquiètes
quand on leur parle de contracter mariage et de
quitter le toit paternel. Geneviève fut bien troublée ;
mais ses parents accueillirent Sifroy, et par
obéissance elle devint dame palatine[4].
IV
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Rien ne fut oublié de toutes les réjouissances qui pouvaient honorer une noce si belle.
Tous ceux qui virent le bonheur de ce mariage le crurent éternel. Mais hélas ! il y a beaucoup d’épines pour une rose !
Après que les jeunes époux eurent passé quelques mois à la cour de Brabant, il fallut partir pour aller à Trêves[5]. Les parents de Sifroy reçurent Geneviève avec tout le respect que sa naissance et son mérite devaient attendre. Saint Hidulphe, qui était alors pasteur de cette grande ville, fut bien aise de voir sa bergerie accrue d’une innocente brebis.
Bientôt Geneviève quitta la ville pour aller habiter
une de ses maisons de campagne. Cette campagne
était un fort joli château, entouré d’un grand
parc vert où il semblait que le printemps régnait
toujours. Ce fut dans ce lieu plein de délices que
Sifroy et Geneviève vécurent quelque temps de la
plus douce et innocente vie.
V
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Il eût fallu que ce bonheur durât toujours. À peine deux ans s’étaient écoulés, lorsque Abdérame[6], roi des Maures, qui avait passé d’Afrique en Espagne, songea à satisfaire son ambition par la conquête de l’Europe entière. La France, pays voisin de ses campements, lui parut un friand morceau à prendre tout d’abord ; comme il craignait d’y trouver d’autres ennemis plus rudes que les Wisigoths[7]d’Espagne, il leva la plus formidable armée que l’Occident eût jamais vue. La renommée d’une telle armée, jointe à la vivacité des intérêts engagés dans la lutte, amena auprès de Charles Martel[8] une noblesse nombreuse qui était fière d’avoir à combattre des ennemis aussi terribles, et de les combattre sous le commandement d’un si glorieux capitaine.
Sifroy, en sa qualité de puissant chevalier, aurait eu honte de se reposer dans son bonheur pendant que d’autres songeaient au salut public. Mais comment quitter Geneviève ? Comment la résoudre à une séparation ? Ils pleurèrent longtemps avant de pouvoir s’y décider l’un et l’autre ; et, lorsque Dieu eut enfin envoyé à Geneviève une forte résolution, lorsque Sifroy quitta sa jeune et belle et bonne Geneviève, ils pleurèrent bien plus encore.
VI
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Les préparatifs étant terminés et le jour du départ
venu, le comte appela tous ses domestiques,
et, après leur avoir recommandé l’obéissance envers
sa chère femme, il prit son favori par la main
et, le présentant à Geneviève, il dit : « Madame,
voici Golo à qui je laisse le soin de vous consoler.
L’expérience que j’ai de sa fidélité me fait espérer
que l’ennui que va vous causer mon absence sera
en quelque façon tempéré par le zèle de ce bon serviteur. »
Mais Geneviève ne songea guère à Golo ; elle se pâma en voyant venir l’heure du départ ; on la releva, elle retomba par trois fois. Tous les domestiques coururent aux remèdes pour rappeler son âme qui semblait s’enfuir, soit douleur de voir partir Sifroy, soit crainte de demeurer sous la conduite de Golo.
Le comte, qui avait aperçu le changement qui s’était fait sur le visage de la comtesse lorsqu’il lui avait parlé de la fidélité de son favori, baissa les yeux et dit : « C’est à vous seule, reine du ciel, glorieuse mère de mon Sauveur, que je laisse le soin de ma chère Geneviève.
— Allez, Sifroy, reprit Golo ; allez hardiment où vous appelle l’honneur. Ne craignez pas qu’il arrive aucune disgrâce à votre femme ; vous ne pouvez la mettre en de plus sûres et en de plus fidèles mains que les miennes. »
VII
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Sifroy partit et arriva à l’armée, où il fut reçu
avec joie par le grand Charles Martel, et presque
aussitôt la campagne commença.
Geneviève recevait des messages fréquents qui lui
faisaient part des marches et des travaux de l’armée.
Ces nouvelles lui causaient une grande peine ; car
les Francs étaient fort en péril.
Charles Martel conduisit ses troupes vers la Loire, à peu de distance de la grande ville de Tours. Il ordonna aux habitants de n’ouvrir leurs portes qu’aux vainqueurs, et, pour ôter aux lâches tout espoir de fuite, il mit sur les ailes de son armée des corps de cavalerie chargés de couper les jarrets à ceux qui se retireraient des rangs pour prendre la fuite.
VIII
modifierAvant de commencer la bataille, Charles parla ainsi à ses soldats :
« Compagnons, je vois bien que vous brûlez d’en venir aux mains et qu’il ne vous faut point faire de longs discours.
« Ne cherchons pas dans les siècles passés des
exemples de courage et de vertu ; donnons-en plutôt
à la postérité. Et cela nous est facile aujourd’hui ;
il faut vaincre, amis, il faut vaincre. Quand nous
aurions résolu de rester insensibles à nos intérêts,
à la ruine de nos maisons, au carnage fait dans nos
villes, à la désolation de nos femmes, l’injure faite
à Dieu et à la religion chrétienne[9] suffirait.
« Compagnons, il s’agit de défendre ce Dieu que nous adorons, ces saints que nous honorons, cette religion que nous professons. Permettrez-vous à ces Maures[10] d’outrager chez nous notre Église ?
« Allez, chers compagnons, allez combattre pour la gloire de la France. Le glorieux saint Martin[11] est avec vous ; c’est sous les murs de sa ville que nous allons vaincre. En avant ! Pour notre Dieu et pour notre patrie qui doit un jour gouverner le monde ! »
Le frémissement des soldats s’était accru à chaque phrase. Ils s’écrièrent : « En avant ! » avec leur chef, et coururent au combat. Comme des lions ils écrasèrent l’armée des infidèles. Les Sarrasins s’enfuirent, laissant sur le carreau leur roi et trois cent soixante-quinze mille morts.
IX
modifierAprès cette heureuse journée, on présenta à Martel un grand nombre de genettes[12] qui sont de petits animaux noirs mouchetés de rouge ; Charles Martel voulut les faire servir de trophée à sa victoire, et il institua l’ordre de la Genette. Il y eut seize chevaliers de l’ordre, et Sifroy fut l’un d’eux. Aussi envoya-t-il un de ses gentilhommes à Geneviève avec une lettre que voici :
« Madame, je puis bien dire que je n’avais jamais connu les amertumes de la vie. C’est depuis que je suis séparé de vous qu’il m’a été donné de les connaître. Au souvenir de notre commune félicité, les regrets de l’absence deviennent bien cuisants, et je ne puis me rappeler que j’ai été le compagnon de votre existence sans me trouver présentement le plus malheureux des hommes.
« Si l’assurance que j’ai de vivre dans votre cœur ne flattait ma douleur, il y a longtemps qu’elle serait tout à fait maîtresse de mes sens et qu’elle ne trouverait plus de remède dans ma raison.
« C’est la confiance que vous avez dans les joies de notre avenir qui m’a enhardi au milieu des périls que je viens de courir. Grâce au ciel, je n’ai reçu aucune blessure, et je pourrai bientôt me consacrer tout entier au bonheur de ma femme chérie.
« Je vous en conjure donc, aimable épouse, essuyez vos larmes et arrêtez ces soupirs dont l’écho vient jusqu’à moi et me trouble. Prenez part à ma bonne fortune, réjouissez-vous de la grande victoire qui a glorifié nos drapeaux. Et, afin que vous ayez quelque sujet de le faire, je vous offre le présent dont il a plu à notre chef d’honorer mon courage et ma hardiesse.
« Je ne puis le présenter à une personne qui me soit plus chère, et, si vous le recevez avec la joie que je me promets, j’en tirerai autant de satisfaction que si l’on m’érigeait des statues, et que si toutes les bouches de la renommée étaient employées à parler au monde de mon mérite. Adieu, madame. »
C’était le chevalier Lanfroy qui était chargé de porter à Geneviève la lettre de son mari ; la diligence qu’il fit fut très-grande et bientôt il arriva auprès d’elle. Quand on vint lui dire qu’il était venu un gentilhomme de la part de Sifroy, elle ne put contenir sa joie et sur-le-champ demanda de ses nouvelles. « Madame, dit le chevalier, voici des lettres qui vous en instruiront de meilleure grâce que moi. »
Elle les ouvrit et les lut plusieurs fois de suite. Néanmoins sa joie ne fut pas aussi grande que si elle eût appris le prochain retour de celui qu’elle aimait. Elle interrogea Lanfroy, qui lui apprit que son maître allait quitter Tours, avec Charles Martel, pour se mettre à la poursuite des Sarrasins et faire le siège d’Avignon. Tous ces discours ne plaisaient en aucune façon à la comtesse, qui voyait que la guerre allait retenir son mari pour longtemps.
X
modifierElle pleura, et, lorsque le gentilhomme de Sifroy dut repartir, elle lui remit cette réponse :
« Cher Sifroy, si la lettre que vous m’avez écrite m’a donné quelque consolation, je n’en veux d’autre témoin que celui qui me l’a remise ; mais si elle m’a laissé concevoir de nouvelles craintes, il n’y a que mon amour qui vous puisse le dire. Je vous croyais sur le point de revenir au milieu de ces lieux qui étaient si joyeux naguère, et qui maintenant sont pleins de tristesse. Vous ne revenez pas, votre absence se prolonge, et peut-être mon malheur ira-t-il si loin que le temps de cette absence sera plus long que ma vie.
« Quand les nouvelles de cette grande bataille de Tours me furent apportées, je ne vous puis exprimer de combien de craintes mon cœur fut saisi : cette tempête est passée, cet orage est dissipé, et vous me jetez dans un autre désespoir.
« Hélas ! que vous avez l’air de peu appréhender ce qui m’expose au hasard cruel de perdre mon époux ! Considérez, cher Sifroy, que la fortune n’a pas de moyen plus extraordinaire pour faire sentir ses félicités que leur peu de durée. Sa constance, ne pouvant être assurée, doit être suspecte.
« Ne m’estimez pas ignorante à ce point des retours de la prospérité. Je les redoute, et je sais d’ailleurs que des ruisseaux de sang ennemi ne valent pas une goutte du sang de mon cher époux. Cette seule pensée me fait espérer que vous saurez modérer votre courage, qui est le plus redoutable de vos ennemis, de peur d’exposer aussi votre Geneviève à la mort. Si vous avez résolu de chercher les occasions de mourir, et si vous oubliez ma douleur, songez au moins à l’enfant dont je vais être bientôt mère. »
La douleur avait commencé cette lettre et la douleur la finit. Notre palatin était au siège d’Avignon[13] quand il la reçut. Vous dire le trouble que les dernières paroles jetèrent dans son âme, je ne l’essayerai pas.
XI
modifierGolo, à qui Sifroy avait donné plus d’autorité que Joseph n’en reçut de Pharaon, avait d’abord traité Geneviève avec le respect qu’il devait à sa vertu. Mais lorsque Sifroy fut parti depuis quelque temps, il trouva que sa douleur la rendait plus belle, et il sentit naître en lui une grande envie du bonheur de Sifroy. Il se permit de désirer la comtesse pour femme et il ne sut pas contenir sa passion naissante, de sorte qu’il tomba dans l’iniquité et conçut l’idée du crime le plus cruel.
Son rêve fut d’empêcher le retour du comte, et de persuader à Geneviève que lui, Golo, était digne de devenir son époux. Toutefois, comme il fallait du temps pour arriver à l’accomplissement de ce rêve il commença par sonder le cœur de la comtesse. Un jour qu’elle regardait quelques tableaux qu’elle avait fait faire, il se rendit vers elle et s’occupa en apparence de ces peintures. Elle l’interrogea sur l’un des tableaux, qui était son propre portrait. Golo, qui ne cherchait qu’une occasion d’exprimer ce qu’il sentait, voyant que les demoiselles et les domestiques de la comtesse étaient trop éloignés pour l’entendre, lui dit : « Vraiment, madame, il n’est point de beauté qui approche de cette figure ; pour moi, je m’estime heureux d’y attacher à jamais toutes mes affections. »
En parlant ainsi, il tenait son regard arrêté sur Geneviève, qui s’en apercevait bien, mais qui fit semblant de ne rien comprendre aux paroles équivoques de son intendant. Golo devina la secrète pensé e de Geneviève, et voyant qu’elle entendait, quoiqu’elle s’en cachât, ce qu’il voulait lui dire, prenant d’ailleurs la sage dissimulation de sa maîtresse pour un consentement réel, il montra son visage plus à découvert, et ses soupirs se mêlèrent à ses paroles.
« Madame, dit-il, je ne vois rien d’aimable que vous ; j’ose croire que vous me jugez digne de votre amitié, et, s’il vous plaît, au cas que Sifroy meure, de m’accepter un jour pour époux, je ne me plaindrai pas. »
XII
modifierCes mots furent un coup de foudre pour Geneviève ; néanmoins, lorsqu’elle eut repris ses sens, sa colère et son indignation s’exhalèrent librement ; elle représenta à Golo la honte de son infidélité avec des reproches si amers, que, s’il avait véritablement aimé Geneviève, il aurait eu bien de la douleur en l’entendant lui exprimer son mépris.
Elle disait : « Misérable serviteur, est-ce ainsi que vous gardez la fidélité promise à votre maître ? Avez-vous bien osé former le désir de la mort de mon époux ? Avez-vous osé croire que je consentirais à devenir jamais votre femme, moi qui ai autant d’horreur de votre crime que d’envie de le punir ? Et comment avez-vous cru que mon silence devait vous encourager ? Gardez-vous désormais de me tenir de pareils discours : j’ai le moyen de vous faire repentir de votre folie. »
Que pouvait faire Golo en entendant ces paroles ? Il n’était plus temps de répondre, et déjà les serviteurs de la comtesse s’étaient aperçus de son émotion. Il comprit qu’il fallait dissimuler, et il s’excusa de cette façon ambiguë : « Madame, s’il y a de ma faute en ce que vous me reprochez, j’espère vous donner telle satisfaction qu’il y ait lieu de m’accorder mon pardon et de me faire miséricorde. »
Ceux qui entendirent ces paroles crurent que l’intendant l’avait offensée dans le service de la maison et qu’il promettait de réparer son offense.
XIII
modifierIl y avait au service de Sifroy un pourvoyeur qui avait gagné les bonnes grâces de Geneviève à cause de sa grande vertu et de son zèle. L’intendant, s’en étant aperçu, partit de là pour imaginer une trahison nouvelle et plus infâme. Il résolut de demander encore à Geneviève de consentir à l’exécution de ses projets, et se promit, si elle refusait, de l’accuser d’aimer son vertueux pourvoyeur et de songer avec lui à empêcher le retour de son époux. Sifroy apprendrait par lui que ce serviteur avait osé prétendre en secret à l’amitié et à la main de la comtesse, et que celle-ci ne lui avait pas témoigné d’aversion.
Geneviève portait alors en son sein l’enfant dont elle avait parlé dans sa lettre.
Un soir que la fraîcheur du temps invitait à la promenade, Geneviève sortit et se promena dans le jardin. Golo, feignant d’avoir quelque affaire à lui communiquer, s’approcha d’elle et, après plusieurs paroles lancées à dessein, il lui dit : « Madame, si je vous parle, ce n’est pas pour vous contraindre à m’aimer contre votre inclination, mais seulement pour vous disposer à être moins cruelle et à m’accorder la demande que je vous fais d’avancer ma mort avec ce fer, et de me punir du crime que j’ai commis. » En même temps il lui tendait un poignard.
Geneviève ne répondit pas. Piqué de ce silence, Golo se retira plein de rage. Quelques jours après, il fit appeler deux ou trois des plus anciens serviteurs de la maison, et, laissant couler de ses yeux des larmes perfides, il leur parla de la sorte :
« Mes amis, je ne saurais vous faire comprendre le déplaisir avec lequel je me trouve dans la nécessité de vous découvrir une chose que j’ai longtemps cachée. Je me tairais s’il ne s’agissait de notre maître, que Madame la Palatine a trahi.
« Oui, j’ai honte, et je n’ose qu’en me contraignant dire ce que j’ai vu. Mais quel moyen de vous cacher ce qu’à la fin vous-mêmes vous découvririez !
« Vous connaissez Raymond, le pourvoyeur. Eh bien ! cet hypocrite serviteur a conseillé à Geneviève une résolution criminelle. Ils ont formé le projet d’empêcher le retour de notre maître et de s’unir par le mariage. Déjà ils préparent les moyens nécessaires à l’exécution de ce projet coupable. J’ai surpris leur secret, moi en la fidélité de qui s’est reposé Sifroy.
« Ah ! traître et perfide pourvoyeur ! est-ce ainsi que tu couvrais tes pensées du voile de la vertu ? C’était donc là ce que promettait le zèle de ton service ! Il faut que ce monstre ait employé la magie et les sortilèges pour aveugler ainsi l’esprit de Geneviève.
« Voilà, mes amis, ce qui est. J’ai cru que je devais prendre vos avis sur une si triste affaire, afin de cacher l’infamie de cette maison autant que cela sera possible. Néanmoins, je dois et je vais donner avis à notre seigneur de la déplorable situation dans laquelle nous nous trouvons tous. »
XIV
modifierUn jour que Geneviève était encore couchée ; Golo appela le pourvoyeur et, avec des paroles qui avaient le son du tonnerre, il lui reprocha d’avoir employé la magie pour égarer l’esprit de la comtesse et l’amener à des résolutions voisines de la folie. Le pauvre Raymond eut beau protester de son innocence, prendre le ciel et la terre à témoin du respect qu’il avait pour la femme de son maître, il fallut qu’il se laissât conduire dans la prison que Golo lui avait fait préparer. Ce fut une chose bien triste que de voir le traître, après avoir fait enfermer le pourvoyeur, se rendre dans la chambre de Geneviève et lui dire que Raymond avait avoué sa part de leur crime commun. La sainte femme eut besoin de toute sa vertu en cette rencontre ; encore sa patience eut-elle quelques moments d’oubli : elle se plaignit. Mais Golo avait séduit ou convaincu tous les gens de la maison ; et personne ne l’écouta, personne ne fut ému de sa misère. Golo, l’ayant bien atterrée, la fit prendre et conduire en une tour voisine de celle où était renfermé Raymond. De là elle entendait ses cris.
Tant de peines pouvaient la faire mourir en l’état où elle se trouvait ; mais Dieu prit un soin particulier de la mère et de l’enfant qui allait naître.
Pauvre Geneviève, de quelles angoisses ses jours et ses nuits ne furent-ils pas remplis en cette prison cruelle ! Elle priait, elle pleurait, elle gémissait.
« Hélas ! mon Dieu, disait-elle, est-il possible que vous permettiez les maux que je souffre, vous qui avez une parfaite connaissance de mon innocence ? Que vous ai-je fait pour que vous me rendiez le triste sujet de tant de douleurs ? Ah ! Dieu plein de pitié, n’avez-vous pas de châtiments plus doux et moins honteux pour moi ? Au moins sauvez l’enfant qui m’est promis ; protégez-le lorsqu’il sera venu au monde ; ne l’enveloppez pas dans ma ruine. Je consens à mourir, mais qu’il vive ! Je consens à périr déshonorée, mais qu’il grandisse en gloire ! Frappez-moi sans que les coups retombent sur lui. Peut-être un jour votre miséricorde fera-t-elle que justice soit rendue à la mère misérable, affligée, mais innocente. »
C’est dans ces lamentations que Geneviève exhalait sa douleur nuit et jour, sans espérer aucun soulagement.
Golo veillait sur ce trésor ; il venait la visiter souvent, et alors, dans l’ombre et le silence de la tour, il lui parlait un langage coupable ; il essayait de la faire consentir au crime qu’il avait conçu et dont il accusait le pourvoyeur ; il usait à la fois des exhortations et des menaces. Si elle ne fléchissait pas, disait-il, nulle voie de salut ne lui était ouverte, et Sifroy ne la croirait jamais innocente. Elle n’avait donc qu’à l’écouter, lui, Golo, qui s’était fait son accusateur et son geôlier parce qu’elle refusait de devenir sa femme. Toutes ces importunités affligeaient Geneviève bien autrement que les maux de la prison.
Golo fit de nombreuses tentatives sans se laisser décourager par l’obstination des vertus de sa victime. Enfin il résolut d’employer une autre manœuvre ; il parla du retour prochain du comte, et annonça que Sifroy s’était embarqué et revenait par mer. Peu après, il dit que le vaisseau avait fait naufrage et que Sifroy était mort.
XV
modifierSur cette nouvelle il supposa des lettres qu’il fit arriver jusqu’à Geneviève, afin de la convaincre de la mort de son mari. Mais la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, révéla dans un rêve à la comtesse l’artifice de Golo.
Golo essaya d’employer la femme qui portait à
Geneviève sa nourriture ; il la conjura de gagner
le cœur de sa maîtresse et d’adoucir son esprit par
tous les artifices dont elle pourrait s’aviser. Il espérait
réussir par ce moyen ; mais il se trompa, car
il trouva que la vertu de Geneviève ressemblait à
un rocher. Si les vents le battent, c’est pour l’affermir ;
si les flots le frappent, c’est pour le polir.
Ni menace, ni flatterie, ni douceur, ni cruauté,
rien ne la fit succomber.
XVI
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Cependant le terme arriva auquel Geneviève eut un fils. Abandonnée de tous, Geneviève devint mère au milieu d’une grande désolation. « Hélas ! mon pauvre enfant, dit-elle, en quel triste moment viens-tu prendre ta part de la vie ? Tu ne sais pas combien ta mère souffre de douleurs ! Tu ne sais pas que mes misères seront les tiennes ! » Et elle l’embrassait, et elle mouillait de larmes ses petites joues tremblantes.
Craignant que le besoin ou la rigueur de Golo ne le fit mourir bien vite et hors de la grâce de Dieu, elle l’ondoya et le baptisa du nom de Bénoni ; puis elle lui fit des langes avec de vieux linges qu’on lui avait laissés.
XVII
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Sifroy ignorait toutes ces choses. Golo, voyant qu’un fils était né à Geneviève et appréhendant le retour prochain de son maître, résolut de ne plus retarder l’achèvement du malheur de la comtesse. Deux mois environ après la naissance de Bénoni, il appela un des serviteurs qu’il avait trompés, et le chargea, après lui avoir donné ses instructions, de porter au comte palatin une lettre ainsi conçue :
« Mon noble seigneur, si je ne craignais de publier une infamie que je veux cacher, je confierais un grand secret à ce papier. Mais tous vos domestiques, et particulièrement celui-ci, ayant vu le zèle dont j’ai usé et les artifices qui ont trompé ma prudence, je n’ai besoin que de leur témoignage pour mettre ma fidélité en lumière et mon service en estime. Croyez tout ce que vous dira Herman le jardinier, et mandez-moi votre volonté pour que j’y obéisse. »
Nous avons dit que le comte était au siége d’Avignon quand il reçut les premières nouvelles de sa femme. Jamais on ne vit étonnement pareil à celui que montra le palatin en lisant la lettre de Golo et en entendant le discours du messager. Il ne méditait que de hautes et cruelles vengeances. De la stupéfaction il tombait dans la colère, de la colère dans la fureur, de la fureur dans la rage.
« Ah ! maudite femme ! fallait-il si malheureusement attrister la joie de mes triomphes, si honteusement souiller la gloire que j’ai tâché d’acquérir pour toi ? Devais-tu employer tant d’artifices pour couvrir ta perfidie, et devais-tu feindre une âme si pieuse lorsqu’elle était si criminelle ? Eh bien ! puisque tu n’as tenu compte de moi, de toi je ne tiendrai compte. Je n’épargnerai ni ton sang ni celui de ton enfant. »
Après avoir bien pensé à la vengeance qu’il devait tirer du crime de sa femme (et sans songer à douter des assertions de Golo), il appela le messager, et lui ordonna de dire à son intendant qu’il fallait que Geneviève fût étroitement enfermée et que personne ne pût la voir. Quant à Raymond le pourvoyeur, on n’avait qu’à inventer le plus atroce des supplices pour punir le plus hideux des crimes. Golo reçut avec plaisir les ordres de son maître. Il commença par se débarrasser de Raymond, et, sans chercher un supplice public dont il craignait l’éclat, il le fit empoisonner. Ce fut le premier acte de la tragédie.
XVIII
modifierAyant appris que le comte devait revenir bientôt, Golo alla au-devant de lui jusqu’à Strasbourg[14]. Il y avait dans le voisinage de la ville une vieille sorcière, sœur de sa nourrice, dont il crut devoir se servir. Il alla en sa maison, et la pria d’user de ses artifices de façon à ce que Sifroy crût ce qui n’avait jamais été. Tout étant ainsi concerté, il se rendit au-devant du palatin son maître, qui le reçut avec mille témoignages de bienveillance. Sifroy le tira bientôt à l’écart et lui demanda des nouvelles de l’état déplorable de sa maison. Ce fut alors que Golo feignit une vive douleur et laissa couler de ses yeux des ruisseaux de larmes. Le comte louait infiniment la conduite de son intendant.
Enfin Golo lui dit : « Monseigneur, je ne crois pas que vous doutiez d’une fidélité que je voudrais vous témoigner au préjudice de ce que j’ai de plus cher et au prix de ma vie elle-même ; mais si vous voulez avoir d’autres preuves de cette mauvaise affaire, j’ai le moyen de vous faire voir comment se sont passées les choses. Il y a près d’ici une femme fort savante, qui vous instruira autant que le permettra Votre Seigneurie. »
A ces paroles, Sifroy se sentit surpris par une curiosité qui devait lui coûter des regrets ; il pria Golo de le conduire dans cette maison.
Sur le soir, le comte et son confident se dérobèrent du milieu de leur suite et se rendirent secrètement au logis de la sorcière. Le palatin lui mit dans la main une assez bonne quantité d’écus, et la conjura de lui faire voir tout ce qui s’était passé en son absence. La vieille rusée, qui voulait accroître son désir par un refus, feignit d’y voir des difficultés, et essaya de l’en détourner par mille raisons. Elle lui disait, par exemple, qu’il verrait peut-être des choses dont l’ignorance lui serait plus utile que la connaissance n’en était désirable, et qu’un malheur qui n’est pas tout à fait connu et n’est que soupçonné se trouve être par là moins affligeant. Tout cela n’était dit que pour aiguillonner Sifroy et rendre le piège plus sûr. Il répondit qu’il était résolu à tout connaître, quoi qu’il pût lui en coûter. Alors elle le prit par la main, et Golo de même, et elle les mena dans une cellule voûtée, pratiquée au-dessous de sa cave. Rien ne donnait de lumière que deux grosses chandelles de suif verdâtre.
Après avoir marqué deux cercles sur le sol avec sa baguette, elle mit Sifroy au milieu de l’un des deux, et prononça sur lui certains mots dont le son épouvantable faisait dresser les cheveux ; elle tourna trois fois à reculons autour de l’autre cercle, et arriva près d’un seau plein d’une eau noire et huileuse.
Elle souffla trois fois sur cette eau. Lorsque les rides formées par le souffle s’effacèrent, elle appela le comte, qui regarda. Il fit trois génuflexions sur son ordre, et après chacune des génuflexions un tableau se montra sur la face de l’eau. La première fois il aperçut sa femme qui parlait au pourvoyeur avec un visage riant et d’un air plein de douceur ; la seconde fois, il la vit qui le recevait en son particulier, et lui promettait d’être sa femme lorsqu’on aurait empêché le retour du comte ; la troisième fois, ils lui parurent complotant d’un bon accord et songeant aux moyens de se débarrasser de lui.
Quand un éléphant est en furie, c’est assez de lui montrer des brebis pour qu’il s’adoucisse. Golo, qui craignait que la colère de Sifroy ne fût pas assez grande, tâcha, en éloignant l’image de Geneviève et son souvenir même, de lui ôter toute occasion de pitié et de faiblesse, et il réussit : le comte maudit son innocente épouse. Alors Golo lui dit qu’il était à craindre qu’en voulant punir son crime d’une façon trop éclatante, il n’en rendît l’horreur trop publique, et il le pria de lui remettre, à lui Golo, son fidèle intendant, le soin de sa vengeance, tandis qu’il se rendrait en sa maison à petites journées.
XIX
modifierGolo, de retour au château, eut la sottise de révéler tout ce mystère à la nourrice. Il avait eu le soin de lui défendre d’en parler ; mais la providence de Dieu ne voulut pas permettre que cette femme fût plus discrète que les autres femmes, qui n’ont de silence que pour ce qu’elles ignorent. À peine eut-elle appris les détails des manœuvres de Golo, qu’elle en fit part à sa fille. Celle-ci, qui n’était pas dépourvue de louables qualités, avait pitié des misères de Geneviève ; elle pleurait lorsqu’elle se trouvait près d’elle. Un jour la comtesse lui demanda pourquoi elle était si triste.
« Ah ! madame, répondit la pauvre fille, je suis triste à cause de votre malheur ! Golo a reçu l’ordre de monseigneur de vous faire mourir.
— Eh bien, ma fille, dit la comtesse, il faut nous en réjouir ; c’est une faveur que la mort, et je l’ai demandée à Dieu depuis bien longtemps. La seule chose qui m’inquiète, c’est le sort de mon enfant.
— Madame, il doit mourir avec vous. »
À ces mots, Geneviève resta comme frappée de la foudre ; puis elle poussa un cri : « Ah ! mon Dieu, dit-elle, souffrirez-vous que cette petite créature, qui n’a pas encore péché, soit frappée ainsi, et lui ferez-vous un crime du malheur de sa mère ? »
En disant cela, elle baignait de larmes les joues de Bénoni. Lorsqu’elle se fut un peu remise, elle parla ainsi à la pauvre fille : « Ma mie, je ne sais si je te dois supplier de rendre un dernier service à la plus misérable de toutes les femmes. Tu peux m’obliger, cependant, et avec peu de peine et sans courir grand risque ; tout ce que je te demande, c’est que tu m’apportes de l’encre et du papier ; tu en trouveras dans le cabinet qui est près de ma chambre : tiens, voici ma clef, prends-y tout ce que tu désireras de mes joyaux. »
La fille ne manqua pas de faire ce dont elle avait
été priée. Elle apporta le papier et l’encre : Geneviève
écrivit un billet, que sa fidèle servante alla
glisser dans le cabinet de la comtesse.
XX
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Le lendemain, aussitôt que parut l’aurore, Golo fit venir auprès de lui les deux serviteurs qu’il croyait les plus dévoués à sa personne, et il leur commanda de conduire la mère et l’enfant dans un bois qui était à une demi-lieue du château, de les tuer en ce lieu écarté, puis de jeter leurs corps à la rivière. Les deux serviteurs, sur cet ordre, allèrent dans la prison, dépouillèrent Geneviève de ses habits, la vêtirent de vieux haillons et la conduisirent vers le lieu de son supplice.
Les deux innocentes victimes étant arrivées là où elles devaient mourir, l’un des ministres de cette barbare exécution levait déjà le bras en l’air et agitait le coutelas qui allait trancher la tête de Bénoni, lorsque la mère demanda à être frappée d’abord, afin de n’avoir point à mourir deux fois.
La vertu innocente et affligée, lorsqu’elle est parée des grâces du corps, a bien du pouvoir sur le cœur des hommes. Ceux que Golo avait choisis pour ôter la vie à la comtesse furent précisément ceux qui la lui conservèrent. Ses dernières paroles changèrent tellement leur courage en compassion, que l’un dit à l’autre : « Camarade, pourquoi tremperions-nous nos mains dans un si beau sang que celui de notre maîtresse ? Laissons vivre celle à qui nous n’avons rien vu faire de digne d’une si cruelle mort, sa modestie et sa douceur sont des preuves infaillibles de son innocence. Peut-être un jour viendra-t-il qui mettra sa vertu en évidence et améliorera notre sort. »
à la comtesse de s’enfoncer si avant dans la forêt que Sifroy ne pût jamais en avoir de nouvelles. Il était facile de se cacher dans un bois qui semblait n’avoir été fait que pour être la retraite des bêtes fauves. Son étendue effrayait ceux qui avaient à le traverser ; son obscurité était la demeure du silence ; on n’y entendait que le cri des hiboux et d’autres voix lamentables.
Allez hardiment, allez, Geneviève, dans ce lieu plein d’horreur, et remerciez Dieu qui autrefois vous apprivoisa au silence, à l’obscurité et à la solitude.
Quand les serviteurs furent arrivés à la maison, l’intendant crut qu’ils avaient exécuté son commandement, et il en ressentit une fort grande joie. Aussitôt il en donna avis au palatin, en la maison duquel il faisait le maître. Sifroy étant arrivé, on ne parla que de chasse, de récréations et de passe-temps, afin d’éloigner toutes les pensées qui pouvaient rappeler la mémoire de Geneviève.
XXI
modifierLaissons le comte chercher des consolations dans l’oubli, et allons vers Geneviève, dans le bois où nous l’avons laissée. Aussitôt que les serviteurs l’eurent abandonnée, ses premiers pas la conduisirent sur le bord de la rivière[15] qui passait près du château. Ce fut là qu’elle prit la bague que Sifroy lui avait mise au doigt avant son départ, et qu’elle la jeta dans le courant des flots, disant qu’elle ne voulait plus voir cette marque d’une union qui lui avait causé tant de malheurs.
Deux jours s’écoulèrent dans ces extrémités, sans que rien vînt consoler sa douleur. Le jour ne semblait luire que pour lui montrer l’horreur du lieu où elle était ; la nuit remplissait son esprit de sombres et noires pensées et ses yeux de ténèbres. Le soin de Bénoni augmentait de beaucoup ses craintes, et elle était bien triste de voir qu’il avait déjà couché deux nuits au pied d’un chêne, sans autre lit que l’herbe, sans autre abri qu’un peu de ramée.
Celui qui se rappellera que Geneviève était une princesse élevée parmi les délices d’une cour n’aura point de peine à s’imaginer ses ennuis. N’était-ce pas un spectacle bien digne de compassion, que de voir la femme d’un puissant palatin dans le manque même des choses dont les plus malheureux des malheureux ne sont pas privés ? que de voir son palais changé en une horrible solitude ? sa chambre en un taillis plein d’épines, ses courtisans en bêtes farouches, sa musique en hurlements de loups, ses viandes délicates en racines amères, son repos en perpétuelles inquiétudes, sa joie en larmes perpétuelles ? Qui eût pu entendre, sans en avoir le cœur brisé, toutes les plaintes qu’elle confiait aux échos de ce bois ? on eût dit que les arbres gémissaient avec elle, que les vents grondaient en courroux, et que tous les oiseaux avaient oublié leurs doux ramages pour pleurer son infortune.
Si les maux de cette pauvre princesse touchaient très-sensiblement son cœur, on ne saurait dire quels affreux tourments lui causaient ceux de son fils, surtout lorsque sa langue vint à se délier dans les premières plaintes de la douleur, et que ce petit innocent commença à sentir qu’il était malheureux. Geneviève le serrait quelquefois contre son sein pour réchauffer ses petits membres glacés, et puis, lorsqu’elle sentait que Bénoni se remuait, la pitié pressait si fort son cœur qu’elle en tirait mille sanglots, et que de ses yeux coulaient des larmes infinies. « Ah ! mon cher enfant, disait-elle, ah ! mon pauvre fils, mon ami, que tu commences de bonne heure à être misérable ! »
A voir l’enfant, on eût dit qu’il avait l’âge de la
raison ; car, à ces tristes paroles, il poussait un cri
si perçant que le cœur de Geneviève en demeurait
sensiblement blessé.
XXII
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Les années se passent. Pendant que Geneviève pleure et depuis vingt-quatre longs mois se désespère dans sa retraite, sortons un peu de ce bois et entrons pour quelque temps dans le château de son mari. Nous y voyons qu’il n’y a pas une servante qui ne soit contente, pas un laquais qui ne soit à son aise, pas un chien qui n’ait du pain plus que sa suffisance. Golo ajoutait tout ce qu’il pouvait d’artifices aux remèdes fournis par le temps lui-même pour guérir l’esprit de son maître. Il ne put néanmoins en faire disparaître tout à fait l’image des vertus de Geneviève. Sa modestie, son honnêteté, sa piété et sa constance, sa tendresse et son amour d’autrefois étaient autant d’agréables fantômes qui lui reprochaient sa dureté. Ce pauvre homme voyait incessamment l’ombre de Geneviève à ses côtés ; et, bien que son intendant sût éloigner adroitement ces pensées pleines d’inquiétude, néanmoins elles faisaient toujours quelque impression sur son esprit.
Trois ans après le retour du comte (trois siècles de misères pour sa femme désolée), Sifroy entra dans le cabinet d’où la servante de Geneviève avait tiré le papier et l’encre ; il se mit à parcourir les papiers qui s’y trouvaient, et tout à coup découvrit le billet que sa femme y avait fait glisser. Qui oserait décrire les regrets et les tristesses qui se répandirent dans son âme à la vue de cet écrit ? Sa bouche proféraient mille malédictions contre Golo ; ses larmes coulaient en abondance ; il se frappait la poitrine, il s’arrachait les cheveux et la barbe ; il faisait enfin tout ce qu’inspire la plus vive douleur. Et certes il eût fallu avoir une âme de tigre pour lire cette lettre sans regret : l’innocence l’avait conçue et la tristesse l’avait dictée. Voici ce qu’elle portait :
XXIII
modifier« Adieu, Sifroy, je m’en vais mourir, puisque telle est votre volonté ; je n’ai jamais rien trouvé d’impossible dans mon obéissance, quoique je trouve quelque injustice dans votre commandement. Je veux croire néanmoins que vous ne contribuez à ma ruine que par le consentement qu’on vous amène à donner à des projets que d’autres ont imaginés. Aussi puis-je vous affirmer que tous les motifs qui les déterminent, c’est la résistance que j’ai faite à des propositions criminelles, et mes efforts pour me conserver pure de toute tache. Tout le regret que j’emporte avec moi, c’est d’avoir eu un fils qui devient la victime de la cruauté de mes persécuteurs. Toutefois je ne veux pas que ce ressentiment m’empêche de vous souhaiter une heureuse et parfaite félicité.
« Je pardonne à l’homme qui m’a perdue.
« Adieu, Sifroy ; adieu, n’oubliez pas tout à fait votre infortunée, mais innocente,
« Geneviève. »
XXIV
modifierGolo, qui était aux écoutes, jugea qu’il fallait laisser passer cet orage et que la prudence devait l’éloigner pour quelque temps de Sifroy. Lorsqu’il crut le temps venu de reparaître, il se présenta et subit de la part de son maître une longue suite de reproches ; mais, comme il ne manquait pas d’habileté, il répondit :
« Quoi, monseigneur, vous vous repentez d’avoir ôté la vie à celle qui vous a ôté l’honneur ! Tous vos domestiques savent bien que votre action a été juste, et ils ne l’ont pas trouvée mauvaise. Toute la politique humaine ne vous peut blâmer de ce que vous avez fait. Voulez-vous être plus sage que les lois et condamner ce que la raison approuve ? » Ce discours était accompagné de feints témoignages d’affection ; il se glissa doucement dans l’esprit du palatin, en sorte que ses remords ne furent que comme des oiseaux de passage qui donnent chacun un coup de bec à la dérobée et se retirent, chassés qu’ils étaient par les raisonnements de Golo ou par ses artifices.
Puisque Golo trouve moyen de se tirer d’un pas si difficile, plaignons la pauvre Geneviève, dont la misère va sans doute durer toujours.
XXV
modifierCependant le désert où elle vit avec son fils n’est plus un affreux repaire de bêtes fauves : c’est une école de vertus, un asile de pénitence, un temple de sainteté.
Après qu’elle y eut souffert trois années d’hiver (le soleil n’y paraissait pas à cause de l’épaisseur du feuillage), l’habitude lui rendit ses maux si familiers qu’elle n’en avait plus d’horreur, et sa patience la perfectionna jusqu’à ce point qu’elle regardait ses maux et ses souffrances comme des délices. L’habitude rend toute chose facile ; ce qui semble au commencement plein d’effroi devient moins rude à la fin. Le poison tue, et néanmoins on a vu un grand roi[16] qui s’en nourrissait. Ne vous semble-t-il pas que Geneviève devait mourir au milieu de ces regrets et se noyer dans les larmes ? et voilà que tous les jours, les recueillant de ses mains, elle les offre à Dieu en sacrifice ; offrandes si agréables à sa bonté qu’il la veut récompenser autant de ces soupirs que si elle brûlait en son honneur tout l’encens de l’Arabie.
La première faveur qu’elle reçut du ciel, après ses trois ans de solitude, ce fut celle-ci. Un jour qu’elle était à genoux au milieu d’une cabane d’herbes sèches qu’elle s’était construite, les yeux fixés vers le ciel dont l’admiration servait ordinairement de nourriture à ses pensées, elle aperçut une figure étrange. Son esprit avait trop de lumière pour ne pas reconnaître que ce devait être quelqu’une des intelligences du ciel, en quoi certes elle ne se trompait pas ; car c’était son ange gardien qui venait la visiter de la part de Dieu.
Il avait un visage où la beauté et la modestie demeuraient mêlées avec une majesté divine ; il tenait en sa main droite une précieuse croix sur laquelle était représenté Jésus-Christ, le Sauveur du monde, et d’un ivoire si luisant qu’il était facile de voir que ce n’était pas l’ouvrage des hommes.
Lorsque Geneviève fut revenue de l’admiration de tant de merveilles, l’ange lui présenta la croix et lui dit : « Geneviève, je suis venu de la part de Dieu vous apporter cette croix qui doit désormais être l’objet de toutes vos pensées et le remède souverain à tous vos maux. C’est le bouclier qui fera tomber tous les coups de l’adversité à vos pieds ; c’est la clef qui ouvrira le ciel à votre patience. »
Geneviève s’étant inclinée reçut cette croix pour y graver toutes ses victoires. Mais voici le prodige : ce crucifix, de lui-même, suivait notre pénitente partout. Si quelque nécessité l’appelait dehors, il sortait de la cabane avec elle ; si elle cherchait des racines, c’était en sa compagnie. Dans sa pauvre retraite, jamais il ne s’écartait de ses côtés. Ce miracle dura quelques mois, jusqu’au moment où il s’arrêta dans un coin de la grotte où se trouvait un petit autel que la nature avait formé dans le rocher. Aussitôt que quelque déplaisir attaquait son pauvre cœur, elle s’adressait à celui qui ne pouvait l’ignorer.
Un jour que le souvenir de ses malheurs se présenta à son esprit avec une force extraordinaire, elle se jeta au pied de la croix et dit :
« Jusques à quand, mon Dieu, jusques à quand souffrirezvous que la vertu soit si cruellement traitée ? N’est-ce pas assez de cinq ans de misère pour être content de ma patience ? Quand j’aurais renversé tous vos autels et brûlé vos temples, mes larmes devraient avoir éteint votre colère. Je croyais que mes malheurs vous donneraient lieu de faire paraître que vous êtes le protecteur de l’innocence aussi bien que le vengeur des crimes. Il y a cinq ans que j’endure un terrible martyre. On dirait que ma misère est contagieuse ; personne ne m’approche. La faim, la soif, le froid et la nudité sont la moindre partie de mes maux. Ah ! Seigneur, si vous voulez affliger la mère, que ne prenez-vous en main la protection de son enfant, puisque vous savez qu’il a été incapable de pécher ? Pardonnez-moi, mon Dieu, si la douleur m’arrache ces plaintes ; mais j’ai cru que, puisque j’ignorais la cause de tant de maux, je pouvais en chercher le soulagement dans le sein de votre miséricorde. »
Le petit Bénoni mêlant ses larmes à celles de sa mère, ils éclataient en gémissements si pitoyables que les rochers en semblaient touchés.
Enfin la pauvre Geneviève, continuant ses regrets et embrassant amoureusement la croix, disait : « Mon Dieu, que vous ai-je donc fait pour que vous me traitiez avec tant de rigueur ? » Pendant que Geneviève parlait, elle entendit une voix, celle du crucifix, qui disait : « Eh ! quoi ! ma fille, quel sujet as-tu de te plaindre ? Tu demandes quel crime t’a mise ici ? hé ! dis-moi quel crime m’a cloué sur la croix. Es-tu plus innocente que moi, ou tes maux sont-ils plus grands que les miens ? tu es sans crime ; j’étais sans crime. Tu n’as pas commis l’infamie dont on a voulu ternir ta réputation : peut-être que je suis un séducteur et un magicien, ainsi qu’on me l’a reproché ? Tu ne trouves aucune consolation dans les créatures : n’est-ce pas assez de celle qui te vient du Créateur ? Personne n’a eu compassion de tes maux : qui a eu pitié des miens ? Les êtres inanimés ont eux-mêmes horreur de ton affliction ; et le soleil n’a-t-il pas refusé de regarder la mienne ? La misère de ton fils augmente tes regrets ! crois-tu que la douleur de ma mère ait amoindri mes tourments ? Console-toi, ma fille, et laisse-moi le soin de tes affaires. Pense quelquefois que celui qui a fait tous les biens du monde en a souffert tous les maux. Si tu compares ton calice avec le mien, tu le boiras avec plaisir et tu me remercieras de la faveur que je te fais de vivre dans les douleurs pour mourir dans les joies. »
Ce serait une chose superflue que de vous dire
la confusion que ce petit reproche mit dans l’esprit
de notre sainte ; mais s’il la fit rougir, il lui
donna tant de courage et de résolution que toutes
les épines ne lui semblaient que des roses : aussi
était-ce le dessein de Dieu de l’animer à la patience.
Pour témoigner que sa vertu ne lui était pas inconnue et que son innocence était bien proche de celle que le premier homme possédait dans le paradis, Dieu lui soumit entièrement les bêtes féroces et les oiseaux, qui lui obéirent avec joie.
XXVI
modifierC’était une chose ordinaire, dès son entrée dans la forêt, qu’une biche vînt allaiter l’enfant et se coucher toutes les nuits dans la caverne avec la mère et le fils, afin de réchauffer leurs membres glacés ; mais, depuis cette dernière faveur, les renards, les lièvres, les louveteaux venaient jouer avec le petit Bénoni ; la caverne de Geneviève était un lieu où les sangliers n’avaient pas de méchanceté et où les cerfs n’avaient pas de crainte : au contraire, on eût dit que notre sainte comtesse avait changé leur nature par la compassion qu’elle inspirait et qu’elle avait donné quelque sentiment de raison aux bêtes pour comprendre ses malheurs.
Un jour qu’elle habillait son fils d’un vieux haillon fait de feuillage, un loup l’aperçut : il partit aussitôt et alla égorger une brebis dont il apporta la peau à Geneviève, comme s’il eût eu assez de jugement pour voir qu’il fallait un vêtement chaud à Bénoni.
XXVII
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Voici un autre trait qu’on ne saurait passer sous
silence. Il y avait auprès de cette retraite une fort
belle fontaine qui fournissait de l’eau à Geneviève
et à son fils. Je ne sais si la comtesse s’était jamais
regardée dans le cristal de cette fontaine ; mais
quand elle y eut une fois fixé les yeux, soit à dessein,
soit par hasard, et qu’elle eut aperçu les rides
de son front, elle eut de la peine à se reconnaître,
le souvenir de ce qu’elle avait été lui ôtant la
croyance d’être ce qu’elle était.
« Est-ce là Geneviève ! disait-elle. Non, sans doute : c’est quelque autre que moi. Comment se pourrait-il que ces yeux abattus et languissants eussent été pleins de flammes ? Ce front coupé de mille rides me dit que ce n’est pas lui qui faisait honte à l’ivoire ; ces joues flétries n’ont rien de pareil à celles qui étaient faites de roses et de lis.
« O cruelles douleurs ! ô misères de ma vie ! quelle étrange métamorphose vous avez faite ! Répondez-moi, impitoyables maux : où avez-vous mis la neige de mon teint ? Geneviève, Geneviève, pauvre Geneviève, tu n’es plus que la vaine ombre de toi-même ! »
Tandis que la comtesse se plaignait ainsi et qu’elle tâchait de se reconnaître dans le miroir de la fontaine, elle y vit une divinité toute semblable à ces nymphes qui, selon les discours des poëtes, habitent sous les eaux. Son esprit fut ravi d’admiration pour tant de majesté. Flottant entre la crainte et la confiance, elle entendit une voix et se retourna : elle vit alors la reine des anges, Marie, sa bonne avocate, qui lui dit :
« Vraiment, ma fille, tu as bonne grâce à te plaindre de la perte d’un bien qui est extrêmement désirable, n’est-ce pas, à cause des avantages qu’il procure ? Tu n’es plus belle. Ah ! Geneviève, si tu ne l’avais jamais été, tu serais encore heureuse : c’est ta seule beauté qui a été ton crime. Et quand même elle ne t’eût pas coûté de larmes, devrais-tu te plaindre de sa perte, lorsqu’il n’est pas bien de la désirer ? Si tu savais combien la noirceur de ton teint te rend agréable à mon fils, tu aurais honte d’avoir été autrefois d’une couleur différente. Reviens donc à toi, ma fille ; ne te plains plus de tes misères, puisque c’est de ces épines que tu peux composer ta couronne de gloire. »
A peine la reine du ciel eut-elle achevé sa remontrance, qu’une nuée plus belle et plus luisante que l’argent la déroba aux yeux de la sainte qui demeura pleine de confusion et de joie : de joie, pour avoir vu celle qui sera une partie de la béatitude des élus dans le paradis ; de confusion, pour avoir donné des regrets à sa beauté passée.
Elle murmura ces paroles :
« Mon aimable époux, vous voulez que Geneviève souffre jusqu’à la fin. Eh bien ! j’en suis contente : je prétends demeurer aussi fidèle à vos divines volontés dans les plus fortes angoisses de ma douleur que dans les prospérités de ma fortune. Hélas ! où serais-tu, mon pauvre cœur, si Dieu t’eût abandonné à tes propres inclinations ? Sans doute la vanité te posséderait maintenant. Oh ! que j’ai un juste sujet de vous remercier de m’avoir fait tant de grâces ! Que pouvais-je espérer dans la maison de mon mari, sinon un esclavage volontaire, une honnête servitude ? Ah ! mon Dieu, je connais bien maintenant la douceur de votre providence. Que votre saint nom soit béni d’avoir sauvé cette pauvre créature qui n’eût jamais suivi vos attraits s’ils n’eussent été charmants, vos mouvements s’ils n’eussent été pleins de séduction. Je vous suis infiniment redevable de m’avoir fait cette faveur : toutefois, mon obligation me paraît encore plus grande si je considère que vous m’avez contrainte d’être si heureuse contre ma volonté, me faisant dans la solitude une image du ciel. »
XXVIII
modifierPendant que Geneviève s’abandonnait à ces pieuses et innocentes joies, Sifroy n’avait ni contentement ni repos. La nuit ne lui présentait que de tristes fantômes ; le jour ne l’éclairait que pour lui faire remarquer l’absence de Geneviève. Son esprit avait sans cesse des pensées mélancoliques, et son unique plaisir était dans la plus austère solitude.
Souvent on le voyait rêver en silence sur le bord des eaux, remarquant dans leur inconstance une image de l’agitation de son esprit. Et puis, comme si son humeur l’eût rendu sauvage, il se dérobait à ses serviteurs pour donner plus de liberté à ses soupirs dans l’horreur d’un bois. Sa conscience lui disait : « Tu as fait tuer ta pauvre Geneviève ; tu as fait massacrer ton fils et ôter la vie à ton serviteur. » Et il s’écriait : « Geneviève, où es-tu ? »
Cependant Golo fuyait la colère du comte ; dès
qu’il s’aperçut des vapeurs sombres qui chargeaient
l’esprit de Sifroy, il partit pour un long voyage.
XXIX
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Un soir que le palatin était couché, il entendit
quelqu’un qui marchait à grands pas dans sa
chambre. Aussitôt il tira les rideaux de son lit, et,
n’ayant rien aperçu à la lueur d’un peu de lumière
qui restait dans la chambre, il tâcha de s’endormir ;
mais, un quart d’heure après, le même bruit recommença,
si bien qu’il vit au milieu de la chambre
un grand homme, pâle et défait, qui traînait
un gros fardeau de chaînes avec lesquelles il paraissait
lié. Cette terrible apparition était capable
de faire peur à un homme moins hardi que Sifroy ;
mais le comte, inaccessible à la crainte, demanda
au fantôme ce qu’il voulait. L’esprit lui fit signe de
venir à lui. Sifroy se sentit aussitôt mouiller d’une
sueur froide. Il se leva néanmoins et suivit l’esprit
jusqu’en un petit jardin où le fantôme disparut tout
à coup, et le laissa seul. La lune se cacha et il se
trouva dans les ténèbres. Ne sachant ce que cela voulait
dire, il regagna son lit à tâtons. A peine couché,
il s’imagina qu’il avait ce grand homme, tout de
glace, étendu à côté de lui. Puis le spectre le serra
entre ses bras. Sifroy, épouvanté, appela ses serviteurs.
On accourut, mais on n’aperçut rien.
Mais, dès le point du jour, Sifroy se leva et retourna dans le jardin ; il fit creuser le sol. Au lieu où avait disparu le fantôme, on trouva les os d’un homme chargé de fers. Quelqu’un des domestiques dit que c’étaient là les restes de Raymond le pourvoyeur. Sifroy ordonna qu’on le fit enterrer et qu’on dît des messes pour son repos. Depuis ce temps-là on n’entendit plus de bruit, la nuit, dans le château ; mais Sifroy n’en eut pas l’esprit plus tranquille.
Il reconnut enfin que ces frayeurs étaient l’effet de quelque crime approuvé par lui. On entendit ces mots sortir de sa bouche : « Ah ! Geneviève, que de tourments tu me causes ! »
XXX
modifierCependant Bénoni, arrivait à sa septième année. Sa mère n’oubliait rien de ce qui pouvait servir à son instruction. Le matin et le soir elle le faisait mettre à genoux devant la croix, et jamais ne lui permettait de téter sa biche qu’après avoir prié Dieu à genoux. Une fois il lui dit : « Ma mère, vous me commandez souvent de dire : Notre père qui êtes aux cieux. Qui donc est mon père ?
— Ah ! mon cher fils, cette demande est capable de faire mourir votre pauvre mère. »
Elle se pâma en effet ; puis se relevant, elle l’embrassa et dit : « Mon enfant, votre père, c’est Dieu : le ciel est le lieu où il demeure.
— Me connaît-il bien ? reprit l’enfant.
— Mon fils, n’en doutez pas ; il vous connaît et vous aime.
— D’où vient donc qu’il permet toutes les misères dont vous vous plaignez ?
— Ces misères-là sont le plus grand signe de sa faveur. Les richesses ne sont que des moyens de se perdre, et qui souffre ici-bas est récompensé là-haut. Dieu est un grand et riche père de famille dont nous sommes tous les enfants. Il a des trésors infinis à donner à ceux qui restent purs de tout crime dans la vie qu’il leur donne à remplir. Ceux qui l’offensent, il les fait châtier dans l’enfer, qui est un lieu plein de fournaises et de tourments. Le lieu où sont récompensés ceux qui ont souffert, c’est le paradis.
— Et quand irons-nous, ma mère ? Je voudrais y être déjà.
— Cher enfant, nous irons après notre mort. »
XXXI
modifierL’innocent Bénoni était bien éloigné de comprendre tout ce que sa mère lui avait dit, si la bonté de Dieu ne lui eût servi de maître. L’expérience ne lui avait jamais appris ce que c’était que la mort ; mais peu s’en fallut qu’il n’en eût un triste et funeste exemple en la personne de sa mère, quelques jours après.
Enfin, Geneviève étant revenue d’une longue pâmoison, elle arrêta quelque temps ses yeux sur l’aimable sujet de ses douleurs, et, après lui avoir appris qu’il était le fils d’un grand seigneur, elle lui dit en pleurant :
« Je quitte le monde sans regret, ainsi que j’y ai demeuré sans désir. Si j’étais capable de quelque déplaisir, ce serait de te laisser sans ressource et sans appui, souffrant des peines et des misères que tu n’as pas méritées.
« A ne point mentir, cette considération me toucherait sensiblement le cœur, si je n’en avais une plus haute qui me contraint de mettre tes intérêts entre les mains de celui qui est le père des orphelins et le soutien des innocents. Je ne veux pas que tu aies souvenance d’une mère qui ne t’a mis au monde que pour que tu en souffres les maux et les douleurs.
« Je te conjure néanmoins, mon cher Bénoni,
d’ensevelir avec mon corps les ressentiments de mes
malheurs. J’espère que la miséricorde de Dieu nous
fera justice et qu’elle donnera à connaître à tout le
monde que tu es le fils d’une femme sans reproche.
« Au reste, mon cher fils, après avoir mis ce corps en terre, fais ce que Dieu t’inspirera. S’il veut que tu retournes vers ton père, obéis-lui. Tu as des qualités qui te feront reconnaître. Tu es son image ; en te voyant, il saura que tu es son fils. »
En disant ces mots, Geneviève fit mettre son Bénoni à genoux et mouilla son petit visage du reste de ses larmes. Représentez-vous la pitié que donnait ce spectacle : Geneviève, malade, mourante, attend la fin de ses misères, et elle est épouvantée de l’abandon où va être son fils.
La mort allait lui donner le dernier coup, mais Dieu l’arrête ; il veut que la justice commence pour elle.
Deux anges, brillants comme le soleil, entrent dans sa retraite et la remplissent de rayons et de parfums. « Vivez, Geneviève ! lui disent-ils, vivez, Dieu le veut. » Et ils disparaissent. Geneviève se relève guérie, heureuse, transfigurée.
XXXII
modifierEn ce moment, par un arrêt de Dieu, la mauvaise sorcière qui avait trompé Sifroy fut mise dans les mains de la justice. Condamnée à être brûlée et attachée au poteau infâme, elle demanda à faire des aveux ; on la détacha un instant ; alors elle confessa le plus grand de ses crimes, et déclara que rien n’était vrai dans ce que les charmes de sa magie avaient fait voir au comte.
Sifroy, instruit en diligence de cette confession, sentit son cœur traversé par les aiguillons ardents du remords.
Il y avait déjà deux ans que Golo, craignant un châtiment, avait quitté son service et qu’il vivait chez lui. Sifroy le fit prier d’être d’une grande chasse. Golo arrive sans défiance ; on le saisit, on l’enchaîne, on le jette dans la tour.
C’était le temps de la fête des rois. Sifroy voulut réunir toute sa famille à un grand banquet, et pour qu’il y eût bonne et belle venaison sur la table, il résolut d’aller à la chasse dans le bois.
Le jour qu’il avait choisi pour cette chasse étant arrivé, Dieu prépara les choses d’une façon pleine de douceur. Et voici comment Sifroy reconnut Geneviève.
XXXIII
modifierLe palatin entre dans la forêt ; bientôt il aperçoit la biche qui était la nourrice de Bénoni ; effrayée par le cheval de Sifroy, la biche disparaît dans les fourrés. Sifroy, voyant un si beau gibier, s’élança sur ses traces, et la rejoignit au moment où elle se retirait dans la caverne de Geneviève. Sifroy allait lancer son javelot ; il aperçoit un fantôme de femme nue ; il s’arrête.
Geneviève, interdite et défaillante, se jette à genoux et rassasie ses yeux du plaisir de voir son mari, qui ne la reconnaît pas. Toutefois, Sifroy, étonné de cette rencontre, la prie de s’approcher, et, sur sa demande, lui jette son manteau. Elle couvre sa nudité et s’approche.
« Qui êtes-vous ? lui dit le comte.
— Qui je suis ! une pauvre femme du Brabant que la nécessité a contrainte à se retirer dans ce désert. Je n’ai aucun autre asile. Il est vrai que j’étais mariée à un grand seigneur ; mais un soupçon qu’il eut trop légèrement le fit consentir à ma ruine et à celle d’un enfant qui n’avait pas reçu le jour dans le péché. Si les serviteurs qui avaient l’ordre de nous faire mourir avaient mis à exécuter cette sentence la précipitation qu’il avait mise à me condamner, je n’aurais pas, depuis sept longues années, vécu en cette solitude avec mon fils, sans autre nourriture que de l’eau et des racines. Je serais morte ; aussi bien nous allons mourir prochainement, mon fils et moi.
— Mais, mon amie, fit le comte, dites-moi votre nom.
— Geneviève.
— Geneviève ! »
A ces mots le comte se laissa tomber de cheval et courut l’embrasser. « C’est donc toi, c’est toi, ma chère Geneviève ! toi que je pleure depuis si longtemps ! Ah ! d’où me vient ce bonheur d’embrasser celle que je ne mérite pas de voir ? Et comment puis-je demeurer en présence de celle que j’ai tuée dans mon aveuglement ? Chère épouse, Geneviève, ma douce amie, pardonne à un criminel qui confesse son crime et connaît ton innocence. »
Aussitôt que l’extase et le ravissement lui donnèrent la liberté de continuer, il reprit : « Où est mon fils, où est ce misérable enfant d’un père qui a été moins méchant que malheureux ? »
La comtesse, émue de ces regrets, voulut rendre
le calme à l’esprit de Sifroy, et elle usa des mignardises
dont elle avait autrefois coutume de le
flatter. « Mon cher époux, dit-elle, effacez de votre
esprit le souvenir de mes maux, puisque nous n’avons
de pouvoir sur le passé que par l’oubli.
N’ajoutons pas à nos misères par des paroles impuissantes
à les guérir. Vivez satisfait, puisque
Geneviève vit, et votre fils également. »
XXXIV
modifier
Certes, Sifroy eut besoin d’une grande force pour modérer sa joie, lorsqu’il vit Bénoni qui apportait des racines à sa mère. Combien de douces et amoureuses larmes ne répandit-il pas ? combien de caresses et de baisers les suivirent !
Puis, soufflant dans sa trompe, il appelle les chasseurs. Toute la forêt retentit de sa voix. Enfin la chasse arrive jusqu’à lui. On s’arrête devant cette femme, devant cet enfant qui est suspendu au cou du palatin, et devant cette biche qui joue avec les chiens de la meute. Quelle admiration lorsqu’ils reconnurent Geneviève !
Tous les parents et amis du palatin ne manquèrent pas de se rendre au festin de la fête des Rois, et ils se réjouirent en revoyant la belle et bonne comtesse qui présidait à ce repas et qui était plus belle encore qu’autrefois. La fête dura une semaine entière. Ce qui étonna tout le monde c’est que Geneviève ne pouvait plus goûter ni chair ni poisson.
XXXV
modifierQuelques jours s’étant ainsi écoulés dans les plaisirs et les délices, le palatin commanda que l’on tirât Golo de prison. On l’amena dans la chambre où se trouvait la comtesse avec toute sa cour, qui était venue féliciter Sifroy. Là, ce traître fut saisi de toutes les frayeurs d’une mauvaise conscience. Les artifices ne lui servent plus de rien ; il ne peut nier un crime qui a les hommes, les animaux et les poissons pour témoins. Sans oser même arrêter la vue sur celle qu’il avait autrefois si indignement trahie, il tomba de peur et de faiblesse. Geneviève, ne pouvant sans pitié voir un misérable, tâche de faire révoquer la sentence de mort et dit à Sifroy :
« Mon seigneur, permettez-moi, je vous prie, de vous demander la vie de Golo. En un mot, mon cher Sifroy, je veux qu’il vive et qu’il doive à ses larmes le salut qu’il a refusé aux miennes. »
XXXVI
modifierGolo, voyant que Geneviève, au lieu de le condamner, intercédait pour lui, en fut tellement touché qu’il s’écria :
« Madame, c’est maintenant que je vois mieux que jamais la bonté de votre cœur et la malice du mien. Hélas ! qui eût osé l’espérer ? celle que tant de justes raisons devraient animer à ma perte désire mon salut ! Misérable Golo, c’est à cette heure que tu es indigne de la vie, puisque tu as voulu ravir celle de cette sainte princesse. Non, ma chère maîtresse, laissez-moi mourir ; il faut que la rigueur d’une honteuse mort venge la cruauté de mon crime. »
Golo prenait Geneviève par le côté le plus sensible ; mais, si elle avait beaucoup de pitié, Sifroy n’avait pas moins de colère : car Dieu, voulant faire pour ce coup un exemple aux hommes, roidit si fort l’esprit du comte qu’il n’y eut aucun pardon pour le malheureux Golo.
Sa condamnation confirmée, on le ramena en prison pour attendre l’exécution de sa sentence. Il y avait dans le troupeau du palatin quatre effroyables bœufs sauvages que la forêt Noire[17] nourrissait ; on les amena par son commandement, on les accoupla queue à queue, et le misérable y fut attaché par les bras et par les jambes, qui furent bientôt séparés de son corps et exposés à la voracité des corbeaux.
Ceux qui furent trouvés complices de Golo subirent des châtiments proportionnés à leur faute, et ceux qui s’étaient montrés favorables à l’affliction de Geneviève ne rencontrèrent pas moins de gratitude en elle que les autres de sévérité dans le palatin.
Non, jamais la douce innocence,
Si par hasard elle est victime d’une erreur,
Ne doit perdre la confiance
Que Dieu comme un parfum a versée en son cœur.
Les méchants sont punis, en ce monde ou dans l’autre.
Et les bons sont récompenses.
S’il vous faut un modèle, enfants qui grandissez,
Que Geneviève soit le vôtre.
- ↑ Il existe encore une petite ville de Tongres, en Belgique, dans le Limbourg, entre Liége et Maestricht.
- ↑ Sainte Marie l’Égyptienne. Cette sainte, après s’être convertie, vécut pendant près de cinquante ans dans le désert, priant et pleurant ses fautes passées. Il y avait à Paris, dès le quatorzième siècle, une chapelle placée sous l’invocation de sainte Marie l’Égyptienne. La chapelle a disparu ; mais le nom de la sainte a laissé sa trace dans le nom de la rue de la Jussienne, où la chapelle était bâtie.
- ↑ Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, né en 1538, mort en 1584, canonisé en 1610 par Paul V.
- ↑ Note 8 : Les anciens seigneurs du Palatinat s’appelaient palatins. Le Palatinat, divisé en bas et haut Palatinat, s’étendait autrefois sur les deux rives du Rhin, entre la Souabe, Bade et la Westphalie. Primitivement, les comtes palatins étaient des officiers chargés de rendre la justice dans les palais de l’empereur. Le Palatinat devint peu à peu leur domaine héréditaire.
- ↑ Note 9 : Ancien électorat et archevêché célèbre de l’Allemagne, sur la Moselle, dans la Prusse rhénane.
- ↑ Note 10 : Abdoul-Rahaman-Ben-Abdoullah-el-Gbafiki, vice-roi d’Espagne sous le calife Yésid, fut battu près de Tours, au mois d’octobre 733.
- ↑ Note 11 : Les Wisigoths, venus avec Ataulf, occupaient l’Espagne depuis le cinquième siècle, après l’avoir enlevée aux empereurs de Rome.
- ↑ Note 12 : Maire du palais sous les premiers rois fainéants ; il était fils de Pépin d’Héristal, et, comme lui, chef des seigneurs de la Gaule franque. Martel ou Marteau est le surnom qui lui fut donné lorsqu’il eut vaincu et pour ainsi dire écrasé l’armée des Arabes ou Sarrasins.
- ↑ Note 13 :Les Arabes voulaient conquérir le monde au nom du dieu de Mahomet.
- ↑ Note 14 : On appelait les Arabes du nom de Maures, parce qu’avant d’occuper l’Espagne, ils s’étaient d’abord établis, sur les côtes de l’Afrique, dans l’ancienne province de Mauritanie, qui comprend aujourd’hui l’Algérie, Tunis, Tripoli et une partie du royaume de Maroc.
- ↑ Note 15 : Patron de Tours.
- ↑ Note 16 : Groupe de mammifères carnassiers, démembré récemment du genre des civettes. La genette vulgaire se rencontre dans le midi de la France.
- ↑ Note 17 : Les Arabes avaient occupé l’ancien territoire que les Wisigoths avaient conquis dans le midi des Gaules, et qui s’étendait des Pyrénées au Rhône.
- ↑ Note 18 : En Alsace, sur la rivière d’Ill, près du Rhin.
- ↑ Note 19 : La légende veut sans doute parler ici de la Moselle.
- ↑ Note 20 : Mithridate, qui prenait certains poisons par petites doses, puis par doses plus considérables, pour n’en avoir pas à craindre les effets. Roi du royaume du Pont en Asie Mineure, il fut l’un des plus terribles ennemis de Rome et celui à qui elle fit la guerre la plus opiniâtre. Il vivait dans le premier siècle avant l’ère chrétienne.
- ↑ Note 21 : La forêt Noire, dans le Wurtemberg, a plus de vingt lieues de long. Elle est célèbre dans les légendes de l’Allemagne. On y voit des sites d’une sévérité magnifique.