L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789/II/V

CHAPITRE V

DES ESCLAVES CONSIDÉRÉS PAR RAPPORT AU DROIT CIVIL


« La servitude est l’annihilation de tous droits, comme de toutes facultés, une éternelle mutilation civile et morale. » (Schœlcher, Col. françaises, p. 54.)


I. — L’esclave n’est pas une personne. — Des effets du christianisme en ce qui le concerne : baptême, mariage ; articles 10, 11, 12, 13 du Code Noir ; — du sort des enfants ; — sépulture des esclaves.
II. — L’esclave n’est qu’une propriété. — De sa qualité mobilière ou immobilière. — Législation complexe à ce sujet. — Déclaré meuble en principe, il est, en fait, traité dans la plupart des cas comme immeuble. — Articles 44 à 54 du Code Noir. — Il ne peut généralement être saisi qu’avec le fonds. — De la destination des esclaves dans les successions et partages. — Il n’y eut jamais de jurisprudence absolument fixe sur les règles à appliquer aux esclaves considérés comme propriété.
III. — L’esclave n’a le droit de rien posséder en propre : article 28 du Code Noir. — De son pécule : article 29. — Portion de terrain qui lui est concédée. — Il ne peut recevoir ni donation, ni legs ; — ni faire lui-même aucune disposition entre vifs ou testamentaire.
IV. — Cas où l’esclave représente juridiquement la personne de son maître. — Conditions dans lesquelles il pratique un commerce. — Nombreuses précautions accumulées contre lui. — Des métiers qu’il est autorisé à exercer. — Esclaves tenant maisons. — Nègres de journée. — Colportage des esclaves.
V. — Les maîtres sont tenus des actes de négoce de leurs esclaves ; — jusqu’à quel point ? — De leur incapacité légale à divers points de vue. — De leur témoignage en justice.
VI. — De la capitation payée par les maîtres pour leurs esclaves. — Des réquisitions. — Conclusion.


I

Le titre de ce chapitre pourrait surprendre tout d’abord. Quelle peut être, en effet, la condition civile de celui qui ne s’appartient pas ? Elle ne saurait exister. « Les lois disent que l’esclave n’est pas une personne dans l’État », écrit Bossuet[1]. Et, en effet, théoriquement le droit est pour lui à peu près chose nulle. Pourtant, dans la réalité, nous voyons que la logique ne s’appliqua pas avec cette rigueur absolue. Quelque mépris que les hommes libres aient eu de l’esclave, ils ne sont pas parvenus à abolir en lui tous les caractères de l’être humain. D’abord l’intérêt même a conduit, ainsi que nous l’avons vu, le législateur à porter des peines contre les maîtres qui abuseraient de leurs esclaves. Puis le progrès des mœurs a fait adoucir leur sort dans une certaine mesure. Aussi, sans qu’il puisse être vraiment question d’un état civil pour les esclaves avant le xixe siècle[2] (loi du 24 avril 1833), il y a, malgré tout, un ensemble de mesures prises à leur égard, même sous l’ancien régime, qui nous ont paru ne pouvoir être mieux rangées que sous le titre ci-dessus.

Le Code Noir prescrit par l’article 2 de faire baptiser tous les nègres nouvellement importés d’Afrique. Il ne parle point des nègres créoles, c’est-à-dire naissant dans les colonies ; mais il est évident que cette obligation s’applique, à plus forte raison, à cette catégorie. C’était donc leur reconnaître implicitement une sorte de personnalité. Ils sont inscrits sur les registres des paroisses ; de plus, nous constatons que, sur les recensements les plus anciens que nous ayons conservés des Antilles[3], ils sont mentionnés avec leurs noms et surnoms. Il est vrai que ces états étaient surtout des états fiscaux dressés en vue de la capitation. Ce n’est qu’en 1784 que les procureurs ou économes gérants des habitations furent tenus d’inscrire sur un registre spécial les naissances et les décès des noirs[4]. Mais de cette inscription des nouveau-nés il ne résultait pour eux aucun droit, du moins du moment que la mère était esclave. Seulement, si la mère était libre, même le père étant esclave, il est spécifié par l’article 13 que l’enfant doit être libre.

À la condition d’être catholiques, les esclaves peuvent, en outre, contracter mariage dans les mêmes formes que les libres. Ce sont les articles 10, 11, 12, 13 du Code Noir qui réglementent cette question du mariage. L’article 10 rend l’ordonnance de Blois[5], de mai 1579, et la Déclaration de 1639 applicables aux esclaves comme aux personnes libres, avec cette seule différence que, pour eux, au lieu du consentement des père et mère, il ne faut que celui du maître. L’ordonnance de Blois avait pour but d’éviter les mariages clandestins. L’article 40 exige qu’il y ait proclamation de bans « par trois divers jours de fête avec intervalle compétent » ; qu’il y assiste « quatre personnes dignes de foi, pour le moins, dont sera fait registre » ; enfin, qu’il y ait consentement du père et de la mère, ou bien des tuteurs ou curateurs, si les intéressés sont en la puissance d’autrui. La Déclaration du 26 novembre 1639[6] rappelle les cérémonies prescrites par les conciles et n’est guère qu’une confirmation de l’Ordonnance de Blois. Elle ajoute seulement (art. 1er) que la proclamation des bans sera faite par le curé de chacune des parties contractantes. — L’article 11 du Code Noir interdit aux maîtres de marier leurs esclaves par contrainte, contre leur gré. On leur reconnaît donc une certaine volonté, mais combien limitée en fait. Il semble aussi que l’assimilation aux libres pour les formalités affirme leur personnalité ; c’est comme la reconnaissance d’une sorte d’état civil. Mais quels en sont les effets ? Ils n’en retirent qu’un seul bénéfice, ainsi que nous le constatons par l’article 47 du Code Noir, c’est que le mari, la femme et leurs enfants impubères[7] ne peuvent êtrë saisis et vendus séparément ; encore faut-il qu’ils soient tous sous la puissance d’un même maître. Ils ne peuvent pas davantage être séparés en cas d’aliénation volontaire. Sans doute, c’était quelque chose. Mais quelle famille que celle dont les différents membres sont exposés sans cesse à l’arbitraire d’un maître qui n’a d’autre souci que de tirer d’eux tout le profit possible[8] !

Ce qui importait surtout, c’était de déterminer le sort des enfants nés de ces unions. Par l’article 12, les enfants d’esclaves restent esclaves et appartiennent au maître de la femme. On reconnaît là le principe du droit romain : partus seqtuitur ventrem[9]. Il est appliqué aussi dans le cas où les conjoints ne sont pas de la même condition ; c’est toujours celle de la mère que suivent les enfants, d’après l’article 13. Il est à remarquer cependant qu’à Rome, lorsqu’on en fut arrivé à reconnaître aux esclaves le droit de contracter mariage, les enfants suivirent la condition du père. Suivant le titre des Décrétales : De natis ex libero ventre, les enfants ne sont affranchis que si la mère est libre. Les rédacteurs du Code Noir s’en sont tenus là, évidemment par raison politique, pour ne pas risquer de trop diminuer le nombre des esclaves. Il faut dire qu’à Rome, après avoir autorisé le mariage entre esclaves et libres, on se préoccupa de l’empêcher en raison du nombre trop fréquent de ces mésalliances qui risquait, sous l’Empire, de devenir un péril pour la sûreté de l’État. Le sénatus-consulte Claudien frappe de servitude la femme qui épouse un esclave[10]. Constantin la punit de mort, si c’est son propre serviteur, et l’esclave est condamné au feu[11]. L’homme libre pouvait cependant prendre une femme parmi ses domestiques ; mais il n’avait pas le droit de s’unir à l’esclave d’un autre. Ce dernier empêchement cessa lui-même sous l’influence du christianisme. « Le mariage de l’homme libre avec la femme esclave resta nul de plein droit : mais l’homme eut toujours la puissance d’en valider toutes les conséquences par un affranchissement suivi d’un acte solennel de mariage[12]. » La Novelle 78 veut que par le mariage l’esclave et les enfants soient affranchis. D’après les Constitutions ecclésiastiques, tout esclave marié dans l’Église devient libre. Suivant les Basiliques[13], qui datent de la fin du ixe siècle et ne sont, au fond, que l’abrégé des Institutes de Justinien, l’homme libre pouvait épouser une esclave en payant le prix de son affranchissement. On voit par là que les juristes du xviie siècle, tout en s’inspirant du droit romain et du droit canonique, se sont préoccupés de concilier autant que possible les préceptes divins et les intérêts des possesseurs d’esclaves. Ils ont respecté le principe : Quod deus conjunxit homo non separet. Mais ils ont sauvegardé légalement la propriété des maîtres en n’admettant pas que la femme esclave pût donner naissance à des enfants libres, à moins qu’elle ne fût régulièrement épousée par un homme libre. Or c’étaient là, nous le savons, des cas excessivement rares, beaucoup plus rares que dans l’antiquité ou dans les premiers temps du christianisme, par suite du préjugé de couleur, qui établissait dans les temps modernes une ligne de démarcation bien plus profonde qu’autrefois entre les libres et les esclaves.

Le dernier privilège qu’assurât aux nègres esclaves le fait d’être chrétien était celui d^être enterrés en terre sainte, tandis que ceux qui n’étaient pas baptisés devaient être enterrés, la nuit, dans quelque champ voisin du lieu où ils seraient décédés.



II

Ces hommes et ces femmes, auxquels l’Église administre les sacrements, ces chrétiens, frères spirituels de leurs maîtres, n’en restent pas moins leur propriété ; par là, de ce rang de personnes auquel ils semblaient un instant s’être élevés, ils redescendent au rang des choses.

Une question capitale qui se pose à leur sujet, qui a nécessité de fréquents règlements avant qu’on pût en arriver à une jurisprudence fixe, c’est celle de savoir si les nègres sont meubles ou immeubles.

Le premier texte auquel il nous ait été permis de remonter à ce propos est un arrêt du tribunal souverain de la Guadeloupe, du 4 septembre 1655[14], annulant la vente de deux négresses d’un habitant décédé, « comme contraire à l’usage ». Il est observé que cette vente serait nuisible aux progrès de l’agriculture et ordonné, en conséquence, qu’elles ne pourront être vendues que conjointement avec l’habitation. Ainsi donc, dès le début, les esclaves devaient être considérés comme immeubles par destination.

Pourtant la règle semble avoir fléchi bien vite. En effet, le 22 juillet 1658, à la Martinique, un règlement[15] entre Mme Vve Duparquet et les habitants stipule par l’article 10 qu’ « il sera permis auxdits habitants, après leurs dettes payées, d’enlever leurs nègres et autres meubles ». Le règlement de M. de Tracy, du 19 juin 1664, les considère aussi comme meubles, et il est confirmé par une ordonnance de M. de Baas, du 6 février 1671[16], qui autorise à les saisir pour dettes ainsi que les bestiaux.

D’autre pari, un arrêt du Conseil d’État, du 2 mai 1679[17], les déclare insaisissables pour le paiement du droit de capitation, et, le 30 avril 1681, le roi écrit à M. de Blenac, gouverneur général des îles : « J’ai approuvé la proposition que vous me faites d’empêcher la saisie des nègres[18]. » Suit, en conséquence, un arrêt du Conseil d’État qui interdit la saisie des nègres de culture[19]. Un règlement du Conseil de la Martinique, du 7 septembre 1683[20], est en conformité avec cet arrêt. Un autre du même Conseil, du 5 mai 1684, porte que les nègres et les bestiaux sont réputés meubles, quoique insaisissables[21].

Enfin, le Code Noir, par l’article 44, décide que les esclaves sont meubles et leur applique, par conséquent, la législation en vigueur relative aux biens mobiliers. Nous allons voir, d’ailleurs, à quelles difficultés diverses donnait lieu cette jurisprudence. À chaque instant, la question est diversement jugée à propos de cas spéciaux ; nous nous bornerons à en citer quelques-uns de caractéristiques.

Ainsi le Conseil supérieur de la Martinique, se fondant sur le Code Noir, réforme en appel, le 5 novembre 1686[22], une sentence du juge ordinaire au sujet de nègres réputés immeubles au moment de la célébration d’un mariage. Mais qu’allait-on faire au sujet des contrats de mariage ayant précédé l’enregistrement du Code Noir ? C’est ce que demande au Ministre l’intendant Dumaitz de Goimpy, par lettre du 18 décembre 1686[23]. Il fait observer que, dans ce cas, « il y aurait plusieurs enfants ruinés, le plus beau bien de la famille consistant en des nègres qu’ils seraient obligés de partager avec leurs beaux-pères, qui, la plupart, n’en avaient aucun avant de se marier ». Dans une autre lettre du même jour[24], il cite l’avis de Le Prestre, jurisconsulte fameux, d’après lequel (ch. lv, p. 174) une ordonnance n’a de valeur qu’après qu’elle a été enregistrée, à moins d’une disposition spéciale, qui n’existe pas dans celle de mars 1685. Or, aux Antilles, les seconds mariages sont fréquents. Beaucoup de conjoints n’ont nullement entendu faire entrer les esclaves dans la communauté. Ce serait un avantage indirect qu’une femme ferait à son mari au préjudice des enfants du premier lit, ce qui est défendu positivement par l’édit des secondes noces. Cependant le roi fait répondre en marge qu’il faut remonter avant l’enregistrement, toutefois « à condition que le partage n’ait pas déjà été fait ». Alors, à propos d’un autre cas particulier, les membres du Conseil supérieur écrivent au Ministre, le 16 juillet 1687[25] : « Pour les noirs, il est nécessaire de remonter à l’année 1673, dans laquelle les parties contractèrent mariage, auquel temps ils ont toujours été partagés conjointement avec la terre comme immeubles. »

Le point en litige fut tranché par un arrêt du Conseil d’État, du 22 août suivant[26]. Ledit arrêt rappelle les représentations qui ont été faites à Sa Majesté pour observer que les nègres, « ayant été auparavant considérés comme immeubles, les partages ont été faits sur ce pied ». En conséquence Sa Majesté déclare que tous les partages antérieurs à mars 1685 seront ratifiés, mais que l’ordonnance aura son effet à dater de sa promulgation. Cet arrêt est commenté par une lettre du Ministre à De Goimpy[27] de façon à ne laisser aucun doute possible. Ainsi donc, suivant l’article 44 du Code Noir, en tant que meubles, les nègres entrent dans la communauté, n’ont point de suite par hypothèque, se partagent également entre les cohéritiers, sans préciput ni droit d’aînesse. Ils ne sont point sujets au douaire coutumier ; en effet, « dans le dernier état de notre ancien droit, la législation du douaire portait sur la moitié des immeubles, et cette règle était très généralement consacrée par la plupart des coutumes[28] ». De même ils ne comportent pas le retrait féodal, qui ne s’applique qu’aux immeubles de l’héritage vendu ; ni les droits féodaux et seigneuriaux ; ni les formalités des décrets, « car il n’y a que les immeubles ou les biens réputés immeubles qui puissent être vendus par décret[29] » ; ni le retranchement des quatre quints en cas de disposition à cause de mort et testamentaire : en effet, pour les immeubles, la coutume ne permettant que de tester du quint des propres, les quatre quints revenaient de droit à l’héritier naturel[30].

À propos de cet article 44, Loysel, le petit-fils, écrit comme commentaire : « Les serfs, à proprement parler, ne sont pas meubles, mais choses mouvantes ; comme les chevaux, les moutons et les autres animaux sont compris sous ce mot de meubles et que, par la coutume de Paris, tout ce qui n’est pas immeuble est meuble, il n’y a que deux sortes de biens, meubles et immeubles. » Cette distinction est empruntée du droit romain. Ut igitur apparet, [lex] servis nostris exæquat qadrupedes, quæ pecudum numero sunt et gregatim habentur[31]. Ou encore : Moventium item mobilium appellatione idem significamus[32]. Dans l’Exode[33], l’esclave est assimilé à l’argent du maître : si celui-ci le frappe et qu’il le tue, il sera accusé de crime ; mais, si l’esclave survit un jour, il n’encourra pas de peine, quia pecunia illius est.

L’article 45 du Code Noir autorise les maîtres à stipuler leurs esclaves « propres à leurs personnes et aux leurs de leur côté et ligne ». Ce n’est évidemment là qu’une suite de la règle générale établie par l’article précédent.

L’article 46 règle la procédure de saisie relative aux esclaves. C’est, d’une manière générale, celle qui est suivie à l’égard des « autres choses mobiliaires ». Et pourtant il a fallu faire des exceptions ; par où se montre encore, une fois de plus, la monstruosité de l’esclavage, qui fait d’un homme la propriété d’un autre homme.

Nous avons déjà vu que l’article 47 interdit de saisir et vendre séparément le mari, la femme et les enfants impubères.

Mais voici surtout l’exception capitale nécessitée par le régime particulier de la propriété aux Antilles. En vertu de l’article 48, en effet, les esclaves travaillant dans les sucreries, indigoteries et habitations, ne pourront être saisis. « sinon pour ce qui sera dû du prix de leur achat », ou bien à moins que la propriété ne soit saisie réellement. Ledit article modifie singulièrement l’article 44, étant donné que c’était de beaucoup la majeure partie des esclaves qui travaillaient sur les habitations. Les voilà donc, en fait, considérés comme immeubles. L’article 49 en fait bien aussi réellement des immeubles, puisque le fermier judiciaire d’une habitation ne peut pas « compter parmi les fruits qu’il perçoit les esclaves qui seront nés des esclaves pendant son bail ». C’est la règle suivie par les Romains[34]. L’article 50 n’est guère qu’une confirmation du précédent.

L’article 51 englobe aussi les esclaves avec le fonds au point de vue du produit de la vente, tandis que le Mémoire de Blenac et Begon indiquait que le prix des esclaves devait être distribué séparément aux créanciers et comme provenant de biens meubles. Cette disposition paraît plus conforme au droit. Comme le remarque justement Moreau de Saint-Méry[35], « cet article ne peut avoir lieu qu’autant que toutes les dettes se trouveront privilégiées ou hypothéquées ; car, lorsqu’il y a des créanciers chirographaires, tant que les esclaves seront meubles, leur prix doit leur être partagé au sol la livre, ce qui se fait par ventilation, en cas que les esclaves aient été vendus avec le fonds ». Et il renvoie à l’article 46. D’ailleurs, l’article 52 ajoute immédiatement une restriction à l’article 51 en ce qui concerne les droits féodaux et seigneuriaux, qui « ne seront payés qu’à proportion du prix des fonds ». Il y a donc lieu de recourir à une ventilation, pour que ces droits ne soient pas perçus sur les esclaves, comme le veut l’article 44. L’article 53 ne fait que confirmer l’inséparabilité des esclaves d’avec le fonds. Enfin, l’article 54 est la suite naturelle des précédents[36] : les fermiers ou usufruitiers ne sont pas responsables des esclaves décédés sur leurs fonds, et ils n’ont pas la jouissance des esclaves qui y naissent. Mais, dans la pratique, on y dérogeait fréquemment. Par exemple, le 8 juin 1705, un arrêt de règlement du Conseil de Léogane[37] ordonne que les baux à ferme seront réglés d’après le Code Noir ; c’était à propos d’un bail, aux termes duquel un fermier paierait les esclaves venant à mourir et profiterait des enfants qui naîtraient. Le roi rappelle lui-même, dans une ordonnance au sujet des gardiens nobles et bourgeois usufruitiers, amodiateurs et autres[38], du 20 avril 1711, que l’article 54 n’est pas observé, et il ajoute qu’il consent à y déroger, lorsque les intéressés auront fait des conventions spéciales.

En somme, il ressort nettement du Code Noir que les nègres esclaves sont essentiellement de qualité mobilière, mais qu’en particulier pour ceux des habitations il y a lieu de leur appliquer, la plupart du temps, la jurisprudence relative aux immeubles.

Dans la pratique, la jurisprudence ne paraît pas avoir jamais été bien fixée. Nous avons trouvé la trace de nombreux procès à ce sujet, et les décisions rendues par les différents Conseils sont loin de s’accorder toujours. De plus, il y eut encore de nombreux Mémoires adressés par les administrateurs au roi sur la question. Nous allons extraire de ces divers documents les indications que nous avons cru devoir être retenues.

Voici, par exemple, un conflit qui se produit entre deux créanciers[39]. Le sieur Lefebvre fait saisir une négresse appartenant au sieur Bonnaud, son débiteur ; mais, en même temps, le sieur Giroult a fait de son côté saisir réellement l’habitation de Bonnaud. Aussi un arrêt du Conseil du Petit-Goave ordonne que la négresse sera remise sur l’habitation. On voit tout de suite les conséquences d’une pareille manière de procéder : le petit créancier est fatalement sacrifié au plus fort, car, pour faire saisir une habitation entière, il faut naturellement que le montant de la créance soit suffisant, et, dans bien des cas, les frais devaient absorber une partie des biens du saisi, si bien que la répartition au sol la livre pouvait n’être que fort peu rémunératrice. Cet inconvénient est signalé dans un mémoire sur l’immobilité des nègres[40], daté de 1700. Et ce n’est pas le seul. L’auteur anonyme dudit mémoire indique la liberté qui est laissée au débiteur de vendre secrètement ses nègres et d’abandonner ensuite sa terre, « qui n’est pas de grande considération aux îles ». Sans compter que les commerçants ne voudront plus prêter ; conséquence : il ne se fera plus de défrichements, la plupart des habitants qui viennent aux îles n’ayant aucun capital. Ce qui paraît singulier, c’est que notre auteur rappelle uniquement l’arrêt royal du 15 mai 1681, sans parler du Code Noir, et il observe que les trois conseils souverains, en l’enregistrant, ont ordonné que les nègres seraient réputés immeubles. Mais de ce fait il est résulté d’autres prétentions donnant lieu à procès, par exemple : que les nègres d’une terre féodale devaient être partagés comme un fief ; — qu’ils devaient être sujets à retrait lignager ; — qu’il faudrait les décréter pour purger l’hypothèque ; — qu’il faudrait le temps prescrit par la coutume pour la prescription des immeubles pour en prescrire la possession. Finalement, il est d’avis qu’il vaudrait mieux rétablir les choses comme elles étaient auparavant, « puisqu’elles allaient leur train sans faire de trouble ni de discussion ».

Il est à remarquer que ces observations existent déjà en note marginale sur l’exemplaire du Mémoire de Blenac et de Begon, qui est de 1683. Ceci nous prouve — ce qui nous a frappé bien des fois au cours de notre étude — que souvent l’on était peu au courant, aux îles, des changements survenus dans la législation. Ou bien, en effet, une mesure générale n’avait pas été envoyée dans chacune pour y être enregistrée ; ou bien on s’en tenait à des mesures locales ; et alors, sitôt qu’une difficulté surgissait, les discussions reprenaient sans qu’il fût tenu compte, pour ainsi dire, de ce qui aurait dû avoir déjà force de chose jugée. Autre exemple : Un acte de notoriété du Châtelet de Paris, du 13 novembre 1705[41], porte que les nègres attachés à la culture à Saint-Domingue sont meubles. C’est à propos d’une succession. Les héritiers du mari prédécédé ont demandé deux habitations qu’il possédait « avec les nègres, comme faisant partie desdites habitations, tanquam adjecti glebæ, destinés et attachés auxdites habitations, et qu’ils prétendent être réputés immeubles suivant l’usage de l’Amérique, la jurisprudence du Châtelet et la disposition tacite de la coutume de Paris, qui est suivie dans ladite île de Saint-Domingue comme la coutume de la ville capitale du royaume ; laquelle coutume a des dispositions approchantes comme les pigeons des colombiers et les poissons des étangs, qui sont réputés immeubles suivant l’article 91 et suivant les coutumes de Bourgogne, Nivernais et autres, dans l’étendue desquels les hommes de condition servile font partie des duchés, marquisats et autres terres régies par les coutumes, lesquels sont réputés immeubles… » Vient après la décision : « Suivant l’usage de la coutume de Paris, les bestiaux qui sont dans les fermes et métairies ne font point partie d’icelles, mais se vendent séparément, et dans les successions appartenant aux héritiers des meubles, les créanciers de la succession les distribuent entre eux par contributionau sol la livre de leur dû ; et comme, dans l’île Saint-Domingue on suit la coutume de Paris, il ne peut y avoir de difficulté que les nègres ne font pas partie du fonds. » Nous pouvons nous demander ici pourquoi les juges ont ainsi recours à des analogies et ne rappellent pas plutôt le Code Noir.

La difficulté que le Code Noir semble avoir voulu éviter au sujet des saisies subsistait, ce qui était capital, à propos des successions. Comment procéder en effet pour les partages ? Diviser à la fois la terre et les nègres, il n’y fallait pas songer, car la plupart des cultures, étant donné la manière dont elles avaient été conçues, exigeaient de grandes exploitations. Séparer la propriété foncière et les nègres ? Encore moins. Ou alors c’était la ruine. Aussi voyons-nous, en 1712, le procureur général de la Martinique, le sieur de Hauterive, exposer dans un Mémoire[42] la nécessité d’avoir une explication à la coutume de Paris sur l’article des partages au sujet des nègres, car c’est la ruine des habitations que d’être obligé de les en séparer pour les partager entre les héritiers, il explique quel tort a fait aux îles la loi qui a rendu les nègres meubles. Il semble cependant que l’on soit en droit, dans ce cas aussi, de les considérer comme immeubles, si nous nous en rapportons aux Mémoire et Lettre du Conseil de la Marine et à une ordonnance des administrateurs des 20 octobre 1717 et 6 avril 1718[43]. La question se pose « par rapport aux nègres qui se trouvent dans les habitations possédées par les Anglais ou Irlandais dans les colonies françaises ». Nous jugeons nécessaire de reproduire intégralement la réponse du Conseil de la Marine, qui est des plus explicites : « Les nègres à la vérité, sont au rang des effets mobiliers par leur nature et de (sic) la déclaration de l’année 1685, dont l’article 44 les met au rang des meubles ; mais la même déclaration décide que ces mêmes nègres, étant attachés à une habitation, sont réputés immeubles, lorsqu’il s’agit de la saisie réelle de l’habitation ; et cette loi décide de la question dont il s’agit aujourd’hui. — Aux termes de cette déclaration, dès le moment qu’ils sont attachés par le propriétaire à la culture de son héritage, ils ne peuvent être considérés séparément ; ils sont attachés à cet héritage, de manière qu’ils participent à sa nature et deviennent immobiliers avec lui. La disposition de cette déclaration ne peut être regardée comme contraire aux principes, puisque, par les lois romaines, les esclaves destinés par le maître à la culture des terres ne pouvaient être détachés et que le fonds ne pouvait être vendu ni légué sans l’esclave, ni l’esclave sans le fonds (Titre : De Agricolis et Censitis). Par la jurisprudence française, même dans les coutumes où les servitudes réelles se sont conservées, les serfs sont si étroitement attachés à l’héritage mainmortable qu’ils sont censés en faire partie et qu’on doit même, suivant quelques-unes de ces coutumes, les comprendre dans les aveux et dénombrements comme étant, suivant les termes de M. Le Bret, membres et instruments de la terre ; et cette maxime s’observe même à l’égard des bestiaux destinés à cultiver une terre, que les arrêts ont jugé faire partie du fonds. (Vitry, 45. — Le Bret, De la souveraineté, liv. IV, ch. xi. — Henry, tit. II, liv. IV, n° 45. — Survin, Titre : Quels biens sont meubles ou immeubles.) — On ne peut douter que les étrangers qui acquièrent des immeubles situés dans les pays de la domination du roi ne soient soumis par rapport à la possession de ces immeubles aux dispositions des coutumes, de la situation et des lois du royaume, et les arrêts l’ont plusieurs fois décidé ; et, comme la déclaration de 1685 déclare les nègres attachés à une habitation par la culture de la même nature que l’habitation même, il en faut tirer la conséquence que ces nègres ne sont pas compris dans l’exception introduite en faveur des Anglais par le dernier traité, par rapport à leurs effets mobiliers seulement[44]. » En conséquence, les administrateurs Chateaumorant et Mithon font enregistrer le Mémoire et la lettre susdite au Conseil supérieur de Léogane et du Cap pour qu’ils servent de jurisprudence.

Après cela, il semblerait qu’il ne dût plus y avoir de doute et que la question fut définitivement résolue. Mais cette interprétation ne s’applique qu’à Saint-Domingue. Quelque temps après, l’intendant Blondel, de la Martinique, propose au Ministre de laisser saisir les nègres. Il est vrai que le pouvoir central paraît s’en tenir aux règles adoptées. En effet, le Ministre répond, le 22 février 1724[45] : « Il convient beaucoup mieux que vous continuiez les garnisons aux débiteurs de mauvaise volonté, et cela pourra faire le même effet. D’ailleurs, il n’y a point d’habitation aux îles où il n’y ait des sucres et autres denrées que les créanciers peuvent saisir. Si cependant, quand vous aurez pris une connaissance plus étendue du pays, vous persistiez dans le même sentiment par rapport à la saisie des noirs, je proposerai au roi de la permettre, mais elle ne peut être praticable qu’à la Martinique seulement, attendu que cette île est la mieux établie. Je vous observerai cependant qu’il est à craindre que cela n’empêche les cultures, sans rendre les habitants plus sages. »

Comme on ne pouvait pas saisir les nègres, il arrivait qu’on les prît en nantissement de sommes prêtées, ainsi qu’il ressort d’un arrêt de règlement du Conseil du Petit-Goave, du 14 mars 1726[46], qui interdit comme abusive cette façon de procéder. Le Procureur général avait, en effet, remontré que c’est « un gage et non une hypothèque » ; de plus, les prêteurs « prennent non seulement des nègres en hypothèque bien au-dessus de la valeur des sommes qu’ils prêtent, mais encore forcent ceux que le dérangement de leurs affaires contraint de recourir à de telles ressources de leur remettre ces mêmes nègres hypothéqués, qu’ils font travailler chez eux, sans en payer aucun loyer ni en courir aucuns risques, de sorte que le débiteur se trouve non seulement privé du fruit qu’il retirerait de son esclave ainsi hypothéqué, mais même dans la nécessité d’en fournir un autre en cas de mort, ce qui fait une usure si énorme qu’il requiert le Conseil d’employer son autorité par les peines ordinaires que les ordonnances royaux ont fulminées en semblable cas. » Aussi ses conclusions furent-elles adoptées.

À ce moment, nous constatons, d’après des lettres patentes du 6 avril 1726[47], qu’on avait adopté aux îles l’usage de partager la valeur des biens-fonds entre les copartageants ; « l’un des héritiers ou le survivant a eu le principal établissement ou tel nombre d’esclaves ou de bestiaux nécessaires à la culture des terres et l’entretien des manufactures, à la charge de faire à ses copartageants dans certains termes les retours dus sur le pied de l’estimation des biens qui composent les successions » ; mais on n’a pas tenu compte des formalités prescrites par les lois et ordonnances pour l’aliénation des biens des mineurs[48]. Cependant le roi approuve les partages ainsi faits et il admet que pour l’avenir cette forme soit suivie, « en observant néanmoins de les faire autoriser par délibération des parents et amis pour ce assemblés devant les juges des lieux en la manière ordinaire ». Les juges, sur l’avis d’un seul parent, pourront mettre les biens en adjudication. Mais, en tout cas, il sera loisible à celui des copartageants, à qui les biens auraient été laissés par les partages, de garder les nègres en offrant d’en payer le prix de l’adjudication.

Cette coutume n’était pas suivie partout. À Cayenne, en particulier, on partageait les nègres comme meubles[49], ce qui donnait lieu à de grands inconvénients. Par exemple, un père ou une mère viennent à décéder ; les enfants partagent avec le survivant l’habitation et les nègres. Mais un des enfants meurt ; les frères survivants n’héritent que du fonds de l’habitation qui lui appartenait, et les nègres retournent aux père ou mère survivants, comme héritiers des meubles de leurs enfants. Or, cette partie de l’habitation, privée de ses nègres, est généralement de nulle valeur pour eux. « Le seul remède à ce grand inconvénient serait de déclarer les nègres immeubles et partageables comme le fonds, au moins dans les cas de partage du fonds des habitations par droit de succession. »

Donc, à Cayenne, on s’en tient au Code Noir, malgré les dispositions nouvelles du gouvernement central que nous avons citées pour Saint-Domingue. Une exception est faite au point de vue de la saisie des nègres des habitations : c’est au sujet des esclaves appartenant aux « receveurs reliquataires, leurs cautions et certificateurs, pour les droits qui se poursuivent à Saint-Domingue au profit de Sa Majesté[50] ». Un arrêt du Conseil d’État ordonne leur saisie mobilière, parce que les receveurs abusaient de la perception des droits et qu’ils dissipaient les deniers du roi pour en acheter des habitations à leur profit. Le Ministre, en envoyant ledit arrêt à MM. de Larnage et Maillart[51], leur recommande de n’en user « à la rigueur que contre ceux dont le produit de la vente des nègres suffira pour payer leurs débets ». Ce fait nous donne — par parenthèse — une idée de la régularité de l’administration aux îles, puisque ces receveurs ne sont pas immédiatement révoqués et poursuivis. Il est juste de dire cependant que la mesure est ordonnée « sans préjudice des autres voies de droit acquises et établies contre eux ».

On voit, à chaque instant, les incertitudes qui continuent relativement aux successions. Les administrateurs de la Martinique sont consultés par le Ministre, le 24 octobre 1741[52], sur cette question particulière : « Les héritiers des meubles peuvent-ils les prendre en nature ou doivent-ils se contenter du prix de leur estimation ? » Il rappelle l’article 48 du Code Noir, plus les lettres patentes du roi du 15 décembre 1721, parle des difficultés qu’on éprouve à se faire payer aux colonies, déclare la question fort complexe et tâche de s’éclairer. La réponse des administrateurs est contenue dans deux Mémoires et deux lettres, des 10 et 11 mai 1742, de MM. de Champigny et de la Croix[53]. Ils développent une longue discussion de textes[54], et ils concluent qu’il n’est pas nécessaire de faire intervenir une nouvelle loi : les esclaves ne peuvent être séparés du fonds ; par conséquent, l’habitation doit être vendue avec eux, et les héritiers doivent toucher leur part en argent[55].

Le 16 février 1753, le Ministre écrit à M. de Laporte-Lalanne[56], pour lui faire des observations au sujet d’une ordonnance qu’il a jugé à propos de rendre et qui déroge à l’article 48 du Code Noir. Or la règle établie par cet article, dit-il, « a toujours été observée dans toutes les colonies, et il n’est pas permis aux juges de s’en écarter. Les gouverneurs généraux et intendants ne sont même pas en droit d’y déroger. » L’exception autorisée par l’arrêt du 6 août 1740 relativement aux receveurs reliquataires est la troisième et dernière qui ait été faite. Il lui demande cependant un Mémoire sur la question.

En 1758[57], à la Guadeloupe, une veuve, ayant renoncé à la communauté de son mari, réclame contre les héritiers bénéficiaires de la succession, en vertu de la clause de reprise portée par son contrat de mariage, outre des immeubles qui n’avaient point été aliénés, un certain nombre d’esclaves provenant d’avancement d’hoirie ou de successions et qui se trouvaient en nature dans la masse des biens de la communauté. L’arrêt du Conseil supérieur décide qu’elle reprendra ses esclaves, sans faire raison à la succession de son mari de la différence de la nouvelle estimation à l’ancienne. C’est là, on le voit, une application de l’article 45 du Code Noir.

Les administrateurs continuent à réclamer pour que la législation soit modifiée. Ainsi l’intendant de la Martinique, prononçant un discours devant le Conseil supérieur, le 6 septembre 1763, s’exprime en ces termes : « Les augmentations prodigieuses qui, dans le cours des quatre dernières années de la guerre, sont survenues à la Guadeloupe dans le nombre de ses esclaves, dans celui de ses manufactures, dans ses plantations et ses productions en tout genre, rapprochées du petit nombre des nègres que la Martinique a pu se procurer pendant seize mois, dans des circonstances qui semblaient faciliter et provoquer les achats, achèvent de mettre dans la dernière évidence les inconvénients d’une loi qui, par elle-même, est exclusive de toute confiance, de tout crédit[58]. » Aussi demande-t-il l’abrogation de l’article 48, et le Conseil l’approuve[59]. Suivant les administrateurs de Cayenne, Maillard Dumesle et Fiedmond[60], la loi prohibitive de saisie est devenue « un moyen destructif » ; elle a miné le crédit ; une loi permettant la saisie bannirait la mauvaise foi. Et Dumesle le constate ensuite[61] : « Il n’y a jamais eu d’exemple ici de l’exécution d’une saisie réelle. Tous les jugements que l’on prononce ne servent proprement qu’à rendre la justice ou méprisable ou ridicule. »

À Saint-Domingue, une sentence de l’Amirauté du Fort-Dauphin ayant ordonné une saisie de nègres nouveaux destinés à la culture, un arrêt du Conseil du Cap déclare nulle ladite saisie[62], le 22 février 1768. Le même Conseil, par arrêt l du 27 novembre 1773[63], décide que « la vente des nègres d’une succession pourra être autorisée lorsqu’il ne se trouvera aucun immeuble dans la succession et que lesdits nègres n’excéderont pas le nombre de trois ; en conséquence, les poursuivans la vente seront tenus de joindre à leur requête l’inventaire de la succession, et ce tant pour les demandes des curateurs aux successions, vacations, que pour celles formées par les exécuteurs testamentaires… »

Vers la fin du xviiie siècle, si nous nous en rapportons au témoignage de l’administrateur Le Brasseur[64], « à Saint-Domingue, le mot meuble comprend tous les nègres domestiques et de jardin ». Et il fait observer que l’article 293 de la Coutume de Paris autorise un mineur de vingt-cinq ans à disposer par testament de la totalité des meubles : il serait donc nécessaire de rendre cet article inexécutable dans la colonie. Pourtant, la législation française généralement admise alors était que les esclaves ne pouvaient pas être séparés de la terre qu’ils cultivaient. En voici un exemple caractéristique : Un Anglais, habitant Sainte-Lucie, conquise par les Français, avait demandé à emmener ses nègres avec ses effets, parce qu’ils étaient réputés meubles par les lois anglaises. Mais les Administrateurs s’y sont opposés, et le Ministre, par dépêche du 21 mai 1784[65], les approuve. Même décision a été prise pour Tabago, Le 11 mai 1785, un arrêt du Conseil de la Guadeloupe[66] donne mainlevée d’une saisie faite indûment de plusieurs esclaves attachés à une vinaigrerie, infirmant ainsi la sentence du premier juge.

Régis Dessalles[67] résume assez bien ce qui ressort de cette diversité de la jurisprudence : « Toutes nos lois sont donc pour l’inséparabilité des esclaves du fonds où ils sont attachés ; et le législateur ne s’y est décidé qu’après un sérieux examen de la question. Les lois romaines ont été d’une grande considération dans son établissement… Ceux de la campagne (d’après les lois romaines) étaient tellement attachés aux fonds qu’ils étaient censés en faire partie, de sorte qu’ils ne pouvaient pas même être séparés par testament ; et, s’ils étaient légués séparément des fonds, le prix n’en était pas dû aux légataires par l’héritier des fonds, à moins que la volonté du testateur ne fût bien connue et bien expresse. »

Au moment où il s’agissait d’appliquer le Code civil aux colonies, un nommé Parmentier, auteur d’un long Mémoire sur la législation de la Guadeloupe[68], exprime l’avis qu’il y aurait avantage à déclarer les nègres immeubles, car le maître les traiterait mieux, et ils s’attacheraient davantage eux-mêmes à l’habitation. « Il est de fait, dit-il, que, depuis deux siècles, mille arrêts ont été rendus sur cette matière et qu’ils se sont si constamment contrariés qu’il n’y a point de jurisprudence fixe ; les plus savants jurisconsultes de la colonie purent avec des autorités également fortes se repousser mutuellement et se renvoyer à d’interminables procès semblables, dont la décision est toujours aussi incertaine. »

M. SuUy-Brunet, dans ses Considérations sur le système colonial[69], écrit : « La loi en vigueur fait de l’esclave un meuble. Elle défend cependant qu’un bien rural soit saisi sans que la saisie ne comprenne les esclaves qui le cultivent. Le propriétaire est_toujours libre de distraire de son immeuble tout ou partie des nègres qui y sont attachés. Cet état de choses n’a pas peu contribué à empêcher les progrès de la civilisation et à entraver les mariages. »

En résumé, il nous paraît juste de conclure avec M. Trayer[70] : « Il est certain que presque tous les textes nous présentent les nègres comme étant des meubles, mais soumis tantôt aux règles des immeubles et tantôt à celles des meubles. »



III

L’influence du droit romain se trouve encore nettement marquée dans la plupart des actes dont les esclaves devenaient capables en tant que représentant la personne de leurs maîtres. Comme on l’a bien dit à propos des esclaves romains, « il y avait toujours cette différence entre eux et les hommes libres, que l’homme libre avait le droit de faire tout, excepté ce que la loi lui défendait ; l’esclave rien, excepté ce que la loi lui permettait[71]. » « Dans tous les cas, l’esclave n’était qu’un intermédiaire, un instrument, la représentation de son maître[72]. » Il revêtait en quelque sorte son « masque juridique[73] ». Ce qui nous indique bien tout d’abord que, légalement, l’esclave n’est rien, c’est qu’il lui est interdit de posséder. L’article 28 du Code Noir est absolument formel sur ce point : « Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres, etc. » Tel est le principe. Mais nous constatons que le législateur y admet immédiatement une dérogation par l’article 29, où il est question du pécule des esclaves, « que les maîtres leur auront permis d’avoir ». En réalité, c’est ce qui avait lieu dans l’antiquité, les mœurs servant à corriger les rigueurs de la loi sur ce point. Partout on peut constater que l’esclave a eu la facilité de mettre quelque chose de côté, mais partout aussi ce vague droit de propriété a été subordonné au consentement du maître ; ce n’est qu’une sorte d’usufruit résultant d’une concession bénévole. Déjà dans les lois de Manou, il est dit : « Un brahmane peut, en toute sûreté de conscience, s’approprier le bien d’un soudra, son esclave ; car un esclave n’a rien qui lui appartienne en propre et dont son maître ne puisse s’emparer[74]. » En Grèce, la loi déniait à l’esclave le droit d’être propriétaire et permettait au maître de s’approprier tout ce que gagnait son serviteur. Il est vrai que les Athéniens n’usèrent jamais rigoureusement de cette faculté ; bien au contraire, ils laissaient presque toujours aux esclaves une partie de leurs gains et souvent même les intéressaient dans quelque négoce pour lequel ils fournissaient l’argent nécessaire[75]. Tout ce que l’esclave amassait de la sorte formait un pécule, sur lequel il avait des droits d’administration et de jouissance, mais dont le maître conservait également la pleine et entière propriété. Xénophon[76] assure que certains esclaves amassaient des fortunes considérables et qu’ils « vivaient dans le luxe et quelques-uns d’entre eux dans la magnificence ». À Rome, l’esclave ne jouit jamais de son pécule qu’à titre d’usufruitier précaire ; or le maître restait toujours libre d’en disposer à son gré. Alors même que l’empereur Léon accorda la propriété de leur pécule aux esclaves du domaine impérial, l’ancienne loi n’en subsista pas moins pour les autres.

En ce qui concerne les esclaves des Antilles, tous les textes législatifs ayant trait à leur pécule spécifient qu’il appartient à leurs maîtres[77]. Ce n’est donc guère dans les ordonnances ou règlements qu’il faut chercher des indications sur ce que les maîtres permettaient à leurs esclaves de posséder. Peut-être, à la rigueur, pourrait-on voir une exception à cette règle absolue dans l’ordonnance du 15 octobre 1786[78], concernant les procureurs et économes gérants des habitations situées aux Îles-du-Vent, titre II, article 2 : « Il sera distribué à chaque nègre ou négresse une petite portion de l’habitation pour être par eux cultivée à leur profit, ainsi que bon leur semblera. » De plus, il est stipulé que les produits ne serviront pas à leur nourriture, qui continue à incomber aux maîtres. Mais il n’est rien dit au sujet du pécule pouvant résulter pour les esclaves de la vente de ces produits. Nous avons bien vu déjà que les esclaves avaient ainsi, dès le début, dans la plupart des habitations, un petit lopin de terre, où ils faisaient pousser des légumes qu’ils allaient vendre au marché. Ils élevaient aussi des volailles, et, parfois même, mouton, chèvre ou cochon. De même, nous avons indiqué au chapitre iv du présent livre que certains faisaient des dépenses relativement considérables pour leur toilette, et nous avons cité les règlements curieux qui leur défendent d’avoir en propre des chevaux.

Toutefois, dans la pratique, il ne s’est jamais agi que d’une jouissance essentiellement précaire et toujours révocable. Ce ne fut que la loi du 18 juillet 1845, qui « autorisa les esclaves à être propriétaires même d’immeubles, mais non d’armes, ni de bateaux ; les droits du noir étaient alors exactement ceux d’un émancipé, ayant son maître pour curateur et capable de laisser une hérédité ou une succession ; le maître ne venait plus qu’à défaut de successibles et de légataires[79]. »

Les esclaves, incapables de posséder réellement, peuvent-ils recevoir ? Il semble que l’article 28 du Code Noir soit susceptible d’interprétations diverses sur ce point, quand il dit : « Tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit. » Ces mots comprennent-ils donations et legs ? C’est ce que paraissent en avoir généralement conclu les magistrats chargés d’appliquer la loi. Il faut dire que, dans la plupart des cas, les donations ou legs n’étaient pas faits à des esclaves, mais qu’ils n’étaient que la conséquence de l’affranchissement ; et cela se comprend, car le premier bien qu’on pût accorder à celui auquel on portait de l’intérêt n’était-il pas la liberté ? Pourtant nous avons trouvé dans les Annales du Conseil souverain de la Martinique[80], à la date du 15 juin 1736, l’annulation d’une donation entre vifs faite à une esclave et à ses enfants. L’arrêt porte que les biens seront adjugés à l’hôpital, conformément à la Déclaration du roi du 5 février 1726[81]. Or ladite déclaration ne parle que des esclaves affranchis et des nègres libres. Il est donc probable que, dans le cas présent, c’est d’une esclave affranchie par son maître qu’il est question, quoique le texte manuscrit ne le porte pas. La déclaration que nous venons de citer est particulièrement importante, car elle modifie complètement pour les Antilles les dispositions du Code Noir. En effet, les articles 56, 57 et 59 étaient beaucoup plus libéraux : ils prévoyaient le cas où un esclave était fait légataire universel par son maître, et pour lors il était affranchi ipso facto ; de plus, il était assimilé à peu près complètement aux personnes, libres. Mais déjà l’article 52 de l’Édit de mars 1724 avait dérogé à ces dispositions pour la Louisiane, et la Déclaration de 1726 y dérogeait d’une manière générale pour toutes les colonies à esclaves. On devine les motifs qui ont produit cette modification : c’est que le gouvernement voulait non seulement essayer de mettre un nouveau frein au libertinage, mais surtout empêcher les mulâtres de trop posséder, ce qui aurait rapidement conduit à l’annihilation de la population blanche. Cet inconvénient n’existait pas pour les donations ou legs faits aux esclaves, puisque, en somme, la propriété en revenait toujours aux maîtres.

Il va de soi, et c’est ce que dit aussi l’article 28 du Code Noir, que les esclaves, possesseurs transitoires de leurs biens, n’avaient nullement le droit de les transmettre par aucun acte entre vifs ou testamentaire, comme étant « gens incapables de disposer et contracter de leur chef[82] ». Tout au plus pouvaient-ils entre eux se faire quelques présents consistant en menus objets. Comment, dans ces conditions, auraient-ils été encouragés à économiser ? Aussi bien constatons-nous la plupart du temps qu’ils dépensaient au fur et à mesure ce qu’ils gagnaient, en objets de toilette et en festins. De là aussi des habitudes d’insouciance et d’imprévoyance que, sauf exception, gardaient souvent les affranchis, au moins à la première génération. Mais nous aurons à revenir sur la question des affranchis.


IV

Il est fatal qu’à chaque instant des difficultés naissent de la situation spéciale des esclaves qu’on fait agir dans certains cas comme des personnes, sans qu’ils en aient la capacité. Elles ont le plus souvent trait à ceux qui exerçaient un commerce, pratiquaient un métier ou bien étaient loués par leurs maîtres.

L’avilissement du travail libre avait ruiné de bonne heure les petits blancs, dont il ne s’était conservé qu’un faible nombre, cultivant de petites propriétés ou bien servant comme ouvriers. La plupart n’ayant pas la moindre mise de fonds, il leur avait été très difficile de monter une entreprise quelconque. Rappelons-nous aussi que les commerces ou industries possibles étaient en somme fort limités. Le grand commerce consistait, en effet, uniquement dans l’exportation des denrées de luxe des îles et l’importation des produits manufacturés du royaume ; mais il est des besoins journaliers auxquels il était incapable de suffire. Aussi, de bonne heure, voyons-nous des maîtres employer certains de leurs esclaves à vendre en particulier des produits alimentaires ou à pratiquer un métier qu’ils leur avaient fait apprendre. Ce motif de les y exercer fut même, — nous le verrons, — une des raisons principales pour lesquelles il fut permis de les emmener en France sans qu’ils devinssent libres.

Tous les règlements sur ce point durent naturellement viser à empêcher les fraudes de ces agents dans lesquels il était difficile d’avoir confiance, étant donné leur penchant instinctif au vol, leur moralité forcément très faible et le manque d’intérêt qu’ils avaient à réaliser des bénéfices uniquement au profit de leurs maîtres. D’autre part, du moment qu’ils faisaient des échanges, il fallait bien qu’en cas de tromperie dans le négoce il y eût quelqu’un de responsable, et c’est ici qu’intervient la responsabilité du maître.

La principale culture était de bonne heure devenue celle de la canne à sucre ; comme c’eût été, on le comprend, le produit le plus facile à dérober, l’article 18 du Code Noir défend expressément aux esclaves d’en vendre « pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres », fixe des peines à la fois contre l’esclave vendeur, le maître qui l’y aurait autorisé et l’acheteur. Pour toutes les autres denrées, l’article 19 prescrit la « permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues ». La vérification sera faite par deux personnes préposées à l’inspection des marchés (art. 20). En dehors même du marché, si un habitant quelconque a lieu de soupçonner qu’un esclave portant quelque marchandise l’a dérobée, il est en droit de demander la production des billets ou marques connues, faute de quoi il est autorisé à saisir ladite marchandise (art. 21).

Cette législation est assurément des plus simples. Mais il n’en fut pas moins très difficile de la faire exécuter ponctuellement. Nous remarquerons que, pour la période antérieure au Code Noir et durant un espace de vingt-cinq ans qui suivit sa promulgation, on ne trouve pour ainsi dire pas de textes à ce sujet. Nous n’avons à citer qu’un règlement du Conseil de la Martinique[83], du 4 octobre 1677, qui interdit aux nègres de traiter des cochons ou volailles, sans billets de leurs maîtres, et enjoint sous peine d’amende à ceux à qui un noir proposera un pareil trafic de l’arrêter ainsi que sa marchandise et d’en avertir le maître qui l’enverra quérir et le fera châtier. On peut se demander d’où provient la rareté des règlements sur ce point. En effet, puisque les Mémoires de Blenac et de Patoulet traitent la question et qu’on juge nécessaire de légiférer à ce propos par plusieurs articles du Code Noir, c’est apparemment pour réprimer les abus qui devaient exister déjà. Quant à la période de 1685 à 1710, il est permis d’admettre que les administrateurs et magistrats se trouvaient suffisamment armés par les prescriptions de cet Édit.

Le 1er août 1710, un arrêt du Conseil de Léogane[84] renouvelle pour la première fois les dispositions du Code Noir sur les ventes par les esclaves et commet des huissiers pour faire la police des marchés. Le même Conseil rend un arrêt identique, un mois après[85]. Voici une autre ordonnance[86], du 13 mars 1713, promulguée par le commandant en chef par intérim de Saint-Domingue, pour réparer une lacune du Code Noir : elle porte défense d’acheter des bois aux nègres et de leur vendre de l’eau-de-vie. Les nègres, y est-il dit, coupent, en effet, dans les bois « des pièces d’acajou, bois rouge ou autres qu’ils croient propres à être mis en œuvre ». On comprend que ce déboisement eût été funeste à l’île. Aussi tout acheteur de ces bois encourra 40 livres d’amende et plus grande peine en cas de récidive ; 500 livres d’amende pour les vendeurs d’eau-de-vie et, au besoin, peines afflictives. La même défense est faite à la Guadeloupe par un arrêt du Conseil supérieur en date du 6 septembre 1725[87], alors même que les nègres seraient porteurs de billets de leurs maîtres ; une note à cette pièce indique qu’une ordonnance promulguée à la Martinique, le 6 avril 1747, autorisa la vente, à la condition pour les esclaves d’avoir des billets de leurs maîtres ; appliquée à la Guadeloupe, elle fut révoquée par un règlement du Conseil supérieur de cette île, du 12 mai 1764. L’ordonnance du 6 septembre 1725 concerne aussi les cannes à sucre, sirops, etc., et, de plus, elle défend aux marchands de vendre des boissons aux esclaves après six heures du soir, ainsi que des pistolets, balles, poudre, etc., à moins toutefois que ce ne soit pour le compte de leurs maîtres et sur un ordre écrit.

Une ordonnance des administrateurs de la Martinique[88] défend aux habitants de faire vendre du café par leurs nègres. Même défense de la part des administrateurs de la Guadeloupe au sujet du coton[89]. À la Martinique, il est interdit aux esclaves d’être bouchers[90]. On leur défend aussi la vente du poisson[91]. En effet, ils se rendaient aux anses pour y attendre les pécheurs et les seineurs, auxquels ils achetaient tout le poisson ; puis, ils se répandaient dans des quartiers reculés, où ils le vendaient « non au poids, mais par lots et à la main, à un prix arbitraire, bien au-dessus du prix, et tel qu’il leur plaît de le fixer, ce qui ne peut être envisagé que comme le monopole le mieux caractérisé, le plus contraire au bon ordre et au bien public, et d’autant plus digne de punition qu’il est commis par des esclaves auxquels ledit arrêt du 11 septembre 1762 le défend expressément, sous peine de confiscation du poisson et de huit jours de prison ». À la Guadeloupe, une ordonnance des administrateurs[92] défend aux gens de couleur, libres ou esclaves, de faire du pain pour en vendre. Une autre[93] leur interdit d’être pharmaciens, et aux maîtres de leur faire connaître la vertu des plantes.

Ces diverses mesures s’expliquent par deux raisons : la première est la préoccupation de ne pas trop nuire au commerce des blancs ; la seconde est un motif de sécurité. Ce sont ces mêmes raisons qui ont inspiré une série de prohibitions, que nous rapprocherons d’après leur objet plutôt que d’après l’ordre chronologique.

La première a trait aux esclaves qui tiennent des maisons. Un arrêt du Conseil de la Martinique[94] le leur défend. C’est que la plupart du temps ces maisons n’étaient que des lieux où l’on se réunissait pour boire, pour jouer ; c’étaient des asiles pour les nègres marrons et des repaires de prostitution. Nous le constatons par un règlement du Conseil de Léogane[95] concernant la maréchaussée. L’article 29 est ainsi conçu : « Pour obvier aux désordres qui se commettent journellement par rapport aux jeux des esclaves et aux cabarets qui leur sont destinés, ordonne qu’il n’en sera établi que dans les villes et bourgs, et par des gens libres qui en feront eux-mêmes le débit. » Il est enjoint à tous nègres esclaves de fermer boutique dans huit jours, à peine « contre les maîtres des esclaves, de 100 livres d’amende pour la première fois, en outre de confiscation des meubles et liqueurs, en cas de récidive ». Les esclaves ne consommeront qu’à la porte. On ne paiera qu’en argent. Si des esclaves sont pris à jouer, l’argent du jeu sera confisqué. Il est interdit à toute personne libre de jouer avec des esclaves, sous peine d’un mois de prison pour la première fois et de peine plus grave par la suite.

Un arrêt du Conseil de la Guadeloupe[96] défend également de louer des boutiques ou logement quelconque aux nègres, même avec billet et permission de leurs maîtres. Dans les considérations précédant l’arrêt, il est dit : « … pour une somme convenue avec les maîtres ils s’affranchissent, pour ainsi dire, ils louent des maisons et des boutiques, et, comme les blancs, avec la même liberté, ils peuvent entreprendre tout commerce, toute profession, même jusqu’à prostitution, en sorte qu’en satisfaisant à leur engagement avec leur maître ils ont le pouvoir de faire valoir tous leurs talents, leurs ruses, leur adresse, leur malice pour se procurer de l’argent à quelques coins et à quelque titre qu’il soit ou qu’il vienne. » On montre ensuite que la plupart des articles du Code Noir sont impunément violés. Suivent des articles nouveaux : Défense de louer des maisons aux esclaves ; défense pour eux de s’immiscer dans aucun commerce ; d’accaparer les denrées comestibles pour les revendre ; de se louer.

Le même mal existait à la Martinique, ainsi que nous le voyons par un arrêt du 7 novembre 1757. Il est d’abord question des esclaves dont les maîtres exigent une certaine somme par mois ou par jour, moyennant quoi ils les laissent libres[97]. Les délinquants seront confisqués et vendus ; moitié de leur prix sera attribuée au dénonciateur, moitié aux réparations publiques. Les propriétaires qui leur auront loué seront frappés de 500 livres d’amende. Il est également défendu de donner gîte et retraite à aucuns esclaves, même avec la permission du maître, à l’exception des esclaves voyageurs, porteurs d’ordres de leurs maîtres.

On conçoit les inconvénients et même les dangers que présentait ce système des esclaves livrés à eux-mêmes moyennant une rétribution. Aussi un arrêt du Conseil du Cap[98] condamne pour ce fait un maître à 50 livres d’amende. Un autre arrêt de ce même Conseil[99], du 7 avril 1758, défend par l’article 14 de laisser les esclaves libres avec permission de travailler à leur gré moyennant redevance. On tâchait d’empêcher le plus possible les abus. Mais les circonstances obligeaient parfois de fermer les yeux. C’est ainsi que l’arrêt du Conseil de la Martinique, que nous avons déjà cité à propos de la condition matérielle des esclaves[100], constate qu’il n’est pas possible de remettre en vigueur les règlements qui défendent d’envoyer les nègres à la journée et de leur faire vendre des marchandises dans les campagnes. Le baril de manioc valant alors 60 livres, les maîtres étaient dans l’impossibilité de nourrir leurs esclaves. Force était donc de les laisser presque entièrement libres. Mais cette tolérance n’est que transitoire. Il y est mis fin bientôt après par une ordonnance des administrateurs[101] concernant les esclaves ouvriers. Elle rappelle le Code Noir, les arrêts du 3 novembre 1733, du 11 juillet 1749, du 7 novembre 1757. Les esclaves ouvriers, y est-il dit, vivent comme indépendants. La plupart des chambres qu’ils occupent à loyer sont des lieux de débauches, académies de jeux, retraites assurées pour marrons et voleurs. On leur interdit de les tenir. « Et, attendu qu’il ne serait pas juste que les maîtres des esclaves qui ont fait des dépenses considérables pour leur faire apprendre, soit en France ou en cette île, des métiers utiles à la colonie, perdissent le fruit de leurs dépenses, leur permettons de faire travailler dans leurs maisons et sous leurs yeux leurs esclaves ouvriers, en tant que leur profession pourra le permettre, si mieux ils n’aiment les louer au mois ou à la journée aux blancs ou affranchis exerçant les mêmes métiers. »

Mais pour ceux qui seront loués, on prend maintes précautions. C’est ce que nous montre d’abord une ordonnance des administrateurs de la Martinique, du 1er mars 1766[102]. Il y est dit que les marrons trouvent par ce moyen à se cacher et à se faire employer, surtout sur les navires, et même à s’enfuir. Aussi tous les propriétaires devront déclarer les esclaves qu’ils entendent faire travailler à la journée. Ceux-ci porteront une espèce de bracelet de cuivre numéroté. Ils ne pourront travailler que dans les lieux où ils auront été inscrits « si ce n’est pour aller en message » (avec billet). Il leur est défendu d’échanger ou de prêter leurs numéros. Ils ne doivent être loués à d’autres qu’à des blancs ou affranchis domiciliés. Un arrêt du Conseil de la Guadeloupe[103] enjoint également aux maîtres des nègres envoyés en journée d’en faire déclaration au commis à la police de leur quartier qui en tiendra registre. Dans un autre arrêt du même Conseil[104], il est question d’un nègre dont la journée est fixée à 3 livres. On voit par là que les maîtres pouvaient avoir un réel intérêt à louer leurs esclaves. Il est vrai que, sans doute, ils ne trouvaient pas à les louer sans discontinuité ; puis nous n’avons pu relever que cette unique indication au sujet du prix de location, qui devait être assez variable suivant les capacités du nègre. Mais il est néanmoins permis de conjecturer que, même en calculant le prix de l’amortissement du capital vivant représenté par le nègre, la rétribution que se faisait payer le propriétaire était largement rémunératrice. Un autre arrêt du Conseil de la Guadeloupe[105] condamne un habitant à payer les journées d’un nègre qu’il a gardé à son service, sans s’être fait représenter la permission par écrit du maître, à raison de 10 livres par jour pendant sept semaines.

Rien ne nous indique ce qui se produisait en cas d’accident survenu à un nègre loué. Qui était responsable ? Celui qui l’employait avait-il le droit de le châtier ? Dans quelle mesure ? Aucune indication ne nous est non plus fournie sur ce point.

Un des commerces les plus lucratifs paraît avoir été celui du colportage, dans ces pays où les habitants étaient généralement éloignés des villes et où, par conséquent, les marchands ambulants avaient l’occasion de débiter de nombreuses marchandises ; mais c’était aussi un de ceux qui pouvaient le plus facilement prêter au vol. On l’appelait le commerce des paniers. Il avait été longtemps toléré, jusqu’au jour où il fut supprimé à la Martinique par une ordonnance des administrateurs, du 10 août 1765[106]. Les petits marchands de détail blancs s’étaient plaints du préjudice qu’il leur causait. Les nègres vendaient, en effet, meilleur marché, soit qu’ils eussent volé, soit qu’ils recourussent au libertinage pour satisfaire leurs maîtres. Aussi ne leur accorde-t-on de vendre sur les habitations que jusqu’au 1er janvier 1760 ; après quoi ils ne seront plus autorisés qu’à vendre au marché des bourgs, avec billets de leurs maîtres. Cette ordonnance fut approuvée par une dépêche ministérielle du 14 juin 1770[107].

Le Ministre fait cependant observer que l’article 4 lui paraît trop rigoureux : il porte, en effet, suppression des esclaves qui accompagnent les blancs colporteurs ; or les blancs ne sauraient porter eux-mêmes leurs marchandises. « À cet article près, écrit le Ministre, les choses pourront rester en l’état, à moins que vous n’ayez des raisons de décider en faveur des négociants, et, en ce cas, vous voudrez bien m’en faire part. » Suit l’extrait d’un Mémoire qu’avaient adressé les négociants de Saint-Pierre-la-Martinique pour demander suppression de l’ordonnance. Il est sur deux colonnes, la première contenant les observations du gouvernement, la seconde les objections des marchands. Citons l’observation 6 : « Le motif principal de l’ordonnance a été d’assurer le repos et la sécurité de la colonie. D’ailleurs, les négociants ne nieront pas que le colportage a souvent servi de voile au recelage et au larcin par la facilité qu’avaient les nègres de convertir en argent des marchandises qui en nature ne pouvaient leur convenir. » En regard est l’objection : « Les marchandises colportées par les nègres sont des toiles, des dentelles, des mouchoirs et autres choses de cette nature : ce genre d’effets peut-il être un objet de friponnerie pour des esclaves la plupart sans chemise, allant nu-pieds et vêtus de grosses toiles ? Leurs vols se réduisent à quelques volailles, fruits et légumes évalués à environ 6.000 livres par an. La modicité de ces larcins peut-elle être mise à côté du débit immense des marchandises et du fruit que le commerce en retire ? » La huitième objection est celle-ci : « On compte à la Martinique près de 300 nègres ou négresses formés au colportage, dont le prix était de 3 à 4.000 livres, souvent même au delà ; ils perdent leur valeur. » Mais il y est répondu par l’observation suivante : « Les employer à autre chose. L’intérêt particulier doit céder au bien public. »



V

Ainsi, sur ce point, comme sur bien d’autres, la législation fut assez variable. Mais, du moment que le commerce ou les métiers furent généralement autorisés, quoique avec des restrictions, une question très importante se posait, à savoir qui était responsable des actes de négoce faits par les esclaves. Elle est résolue par l’article 29 du Code Noir, qui distingue deux cas : 1o les maîtres sont tenus de tout ce que leurs esclaves auront fait par leur commandement ; 2o pour tout acte fait sans leur ordre, ils sont « tenus seulement jusqu’à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit » ; sinon, c’est le pécule des esclaves qui en sera tenu. On voit là, comme l’a justement fait remarquer M. Trayer[108], la préoccupation excessive d’un jurisconsulte de la métropole d’appliquer aux esclaves de nos colonies les principes du droit romain, sans tenir suffisamment compte de la différence des lieux et des temps. Aussi bien renvoyons-nous à l’ouvrage de cet auteur pour l’exposé des théories juridiques relatives à l’action de in rem verso, — de peculio, ou à l’action tributoria, qui peuvent s’appliquer ici[109]. On sait que « l’action est le droit de poursuivre en justice la réclamation de ce qui nous est dû ou de ce qui nous appartient[110] ». Mais l’esclave ne peut pas plus contracter valablement que le mineur. Et comme, en somme, le père de famille ou le maître ne peuvent encourir la responsabilité de tous les actes de leurs fils ou de leurs esclaves, le droit romain avait établi que l’action pouvait être « intentée contre le paterfamilias, non parce qu’il aurait été responsable du fait de son fils de famille ou de son esclave, mais parce qu’il était leur représentant juridique ». C’est cette règle qui semble avoir été suivie aux Antilles. Il est probable que, la plupart du temps, c’étaient les maîtres qui louaient en leur nom les boutiques où devait s’exercer le commerce, de même qu’ils achetaient le fonds ; puis il est possible qu’ils laissassent ensuite une certaine liberté d’opérer par eux-mêmes à des esclaves intelligents, et qu’ils considéraient comme fidèles. Remarquons d’abord qu’en fait il ne s’agissait jamais d’un commerce très considérable ; ce qu’ils vendaient, c’étaient surtout de menus objets de consommation journalière. Nous avons déjà vu en particulier que les esclaves sont exclus des deux commerces les plus importants aux îles, ceux de boucher et de boulanger. Ainsi donc les engagements pris ne devaient jamais monter à des sommes bien fortes. Pour peu, d’ailleurs, qu’un maître surveillât son esclave, il lui était facile de l’empêcher de compromettre son fonds. Sa principale garantie était — disposition singulière — dans le pécule. Or nous savons que les esclaves — en droit — ne peuvent rien avoir en propre. Et pourtant nous nous trouvons ici en face d’une exception : à supposer en effet que ledit « pécule consistât en tout ou partie en marchandises, dont les esclaves auraient permission de faire trafic à part », le maître, devenu créancier de son esclave, n’a droit sur ledit pécule que « par contribution au sol la livre avec les autres créanciers ». Cette disposition particulière s’explique d’elle-même ; car, en admettant que, dans tous les cas, le pécule pût être en entier revendiqué par le maître, il lui aurait été trop facile de comprendre la plus grande partie des marchandises, qui lui appartenaient en propre, sous la dénomination factice de pécule de son esclave, pour les soustraire, en cas de mauvaises affaires, aux réclamations des créanciers.

En résumé, dans tous les cas que nous venons d’exposer, les esclaves ne cessent pas d’être des instruments. Il s’ensuit naturellement qu’ils ne peuvent pas agir là où la responsabilité doit être forcément personnelle. D’où l’article 30 du Code Noir. Ils sont incapables de tout office ou fonction publique, car ils seraient alors soumis à deux autorités ; il va de soi, d’ailleurs, qu’il est indispensable de s’appartenir. De même, ils ne sauraient « être constitués agents par autres que leurs maîtres pour gérer et administrer aucun négoce » ; il est en effet évident que leurs maîtres n’auraient pu subir les conséquences d’ordres qui leur auraient été donnés sans leur volonté. Comme arbitres ou experts, on jugeait qu’il leur manquait aussi fatalement l’indépendance nécessaire.

De nombreuses difficultés furent soulevées sur un point particulier, celui du témoignage des esclaves.

L’article 30 du Code Noir décide que, « en cas qu’ils soient ouïs en témoignage, leur déposition ne servira que de mémoire pour aider les juges à s’éclairer d’ailleurs, sans qu’on n’en puisse tirer aucune présomption, ni conjecture, ni adminicule de preuve ». C’était conforme au droit antique ; mais cette décision était souverainement impolitique et imprudente pour un pays où le nombre des esclaves était au moins dix fois supérieur à celui des blancs. D’abord elle permettait aux maîtres de maltraiter à peu près impunément leurs esclaves ; puis, en cas de délit ou de crime commis par quelque blanc, combien de chances y avait-il pour que le ou les seuls témoins fussent des noirs ! Aussi cet article fut-il immédiatement l’objet de remontrances de la part des Conseils souverains qui eurent à enregistrer le Code Noir. Un arrêt du Conseil d’État, du 13 octobre 1686[111], permit donc d’admettre le témoignage des nègres « à défaut de celui des blancs », et encore « hormis contre leurs maîtres ». Cette expérience servit pour la rédaction de l’Édit de mars 1724 concernant les esclaves de la Louisiane et qui n’est guère, d’ailleurs, que la reproduction du Code Noir avec quelques modifications[112]. L’article 24 dit en effet qu’ils « … ne pourront aussi être témoins tant en matière civile que criminelle, à moins qu’ils ne soient témoins nécessaires, et seulement à défaut de blancs ; mais dans aucun cas ils ne pourront servir de témoins pour ou contre les maîtres. » Une ordonnance du roi, du 9 juillet 1738[113], confirme purement et simplement les dispositions ci-dessus et les rend applicables à Saint-Domingue, où elles n’avaient point été connues.

Il est curieux de voir que, le 16 juillet 1665, il fut jugé à la Martinique, au procès d’un nègre du sieur Renaudot, qu’en matière criminelle le témoignage d’un seul nègre ne serait d’aucune considération contre les blancs. Le Conseil ignorait même l’axiome : testis unus, testis nullus[114]. Le Brasseur, commentant l’article 30 du Code Noir[115], dit que cette disposition est imitée du droit romain. Mais, à Rome, il y avait 10 libres contre 1 esclave, tandis qu’aux Antilles on comptait 20 esclaves pour 1 libre. Sur 20 crimes, il aurait fallu en laisser 19 impunis. Rappelant l’arrêt de 1686, il exprime l’avis qu’il y aurait lieu d’examiner dans quelle mesure le témoignage des nègres peut servir même contre leurs maîtres.

Naturellement les esclaves ne pouvaient ester en justice, tant en demandant qu’en défendant ; ils ne pouvaient non plus se porter partie civile ni poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auraient été commis contre eux. C’était uniquement à leurs maîtres qu’il appartenait d’agir (article 31 du Code Noir). Comme on disait en droit romain : Personam non habent, caput non habent.



VI

On les compte comme têtes, mais uniquement pour évaluer leur valeur et les soumettre à l’impôt. Les maîtres sont, en effet, assujettis à deux sortes d’impôts pour leurs nègres : la capitation et les réquisitions.

Dès le 15 janvier 1676, une ordonnance de M. de Baas[116] porte que la déclaration faite par les habitants du nombre de leurs nègres devra être fidèle, sans quoi les nègres omis seront confisqués. Le droit à payer par tête n’est pas indiqué à cette époque. Du reste, il fut assez variable suivant les nécessités du moment : d’une façon générale, nous croyons qu’il peut être évalué à 10 livres en moyenne. En vertu d’un règlement de l’intendant des îles, du 16 mars 1682[117], les nègres mutilés de mains ou de pieds seront réputés invalides et ne paieront point de droit (art. 3). — Seront également exempts ceux de soixante ans et ceux qui n’auront pas atteint quatorze ans (art. 10). De plus, le roi accorde l’exemption de 12 nègres pour chacun des 11 capitaines de milice, de 8 pour chacun des 11 lieutenants, de 6 pour chacun des 11 enseignes, de 4 pour chacun des 22 sergents, soit 374 en tout (art. 17). Le Code Noir ne parle point de la capitation, pas plus que des corvées.

Les documents dans lesquels il en est question ont trait le plus souvent aux maîtres qui cherchent à éviter la taxe. Par exemple, un propriétaire de Nippes se voit imposer la confiscation de 2 nègres et 6 négresses non recensés ; il obtient cependant d’en être déchargé, moyennant une amende de 600 livres[118]. À propos de la succession d’un habitant d’Acquin, les administrateurs confisquent 43 nègres, dont 36 non déclarés et 7 portés faussement comme infirmes ou impubères[119]. L’héritier, pour les conserver, est contraint de payer une amende de 30.000 livres. Une ordonnance de l’intendant prononce également la confiscation de 68 nègres non recensés appartenant au sieur Gauthier, du Cul-de-Sac[120]. Ces cas-là étaient très fréquents, surtout dans les périodes difficiles, comme en temps de guerre, ou quand les récoltes avaient été mauvaises. Ainsi, à la date du 29 novembre 1758, l’intendant de la Guadeloupe, Nadau du Treil, adresse au Ministre un rapport détaillé sur cette question[121]. Il propose le remplacement de la capitation par un droit à établir sur la sortie des denrées, ce qui empêcherait les fraudes[122]. Mais sa proposition ne fut pas adoptée. Le 15 mars 1760, le Ministre écrit aux administrateurs de la Martinique[123], au sujet du droit de capitation en général, et il est d’avis d’augmenter celle qui frappe les nègres loués ; or la taxe n’était alors que de 9 livres en sucre ou 6 livres en argent. Aussi, par une ordonnance du 26 octobre 1763[124], le général et l’intendant la portent à 12 livres pour les nègres des villes et des bourgs ; c’était pour tenir lieu de taxe sur l’industrie. On avait besoin de 72.000 livres, et on avait évalué le nombre des nègres imposables à 6.000. À Saint-Domingue, la capitation atteignit jusqu’à 24 livres pour les esclaves ouvriers et domestiques, sans distinction d’âge ni de sexe, à la suite d’un règlement du 9 mars 1763 ; mais elle fut réduite à 12 dès l’année suivante[125]. Cette taxe spéciale portait sur 12.000 esclaves. Les nègres de manufactures furent imposés également à 12 livres ; on en comptait 4.000. Ceux qui cultivaient la terre, évalués à 19.000, furent taxés à 4 francs. Il faut dire que, si la capitation ordinaire ne suffisait pas, les administrateurs étaient en droit de mettre une imposition extraordinaire. Nous le constatons, pour la Guadeloupe, par une ordonnance de l’intendant, du 28 janvier 1765[126], qui porte « imposition de 35 sols par tête de nègre pour les besoins de l’île » ; il est question de 37.000 esclaves payant droit, et on fait remarquer qu’il devrait y en avoir davantage. À la Martinique, en 1788, la capitation pour les nègres domestiques fut portée à 33 livres[127]. Mais une ordonnance royale, du 15 février 1789[128], ne la fixe qu’à 10 livres pour les esclaves attachés aux sucreries, à 7 livres 10 sols pour ceux qui étaient attachés à d’autres cultures. Tel est bien, à peu près, le chiffre qui a été ordinairement adopté.

La capitation était perçue au profit de la colonie et non du roi. Une lettre du Ministre aux administrateurs de la Guadeloupe[129] stipule que le produit des confiscations et amendes prononcées pour fausse déclaration des nègres sujets à l’impôt doit être également affecté au budget de la colonie.

Dès l’origine aussi, les nègres paraissent avoir été requis pour certains travaux d’utilité publique. Une ordonnance du 8 novembre 1676[130] porte que le maître sera passible de 50 livres d’amende pour tout esclave qui fera défaut. L’intendant Patoulet écrit, le 22 septembre 1679[131], que tous les travaux de fortification ont été faits « par les nègres des habitants, dont on a toujours pris la douzième partie depuis plus de dix-huit mois, sans qu’on leur ait payé aucune chose. Cette corvée est fort à charge à ces habitants qui ne tirent leur subsistance que par le travail de leurs nègres, de sorte qu’on peut dire que la plus grande partie manquent de nourriture un mois de l’année et que d’autres en sont entièrement ruinés par la perte de leurs nègres qui meurent dans ces travaux ». Et, le 28 février 1680[132] : « Les habitants de cette île sont depuis longtemps fatigués des longues corvées auxquelles leurs nègres sont employés pour les fortifications du Fort-Royal ; cependant M. le comte de Blenac entreprend des travaux qui les y retiendront encore fort longtemps. » Rien n’est fixé pour les corvées dans le Code Noir, sans doute parce qu’on estimait que c’était là une question d’administration locale, quoique, plus tard, à diverses reprises, on en ait jugé autrement. D’après une décision du Conseil de guerre, tenu pour la défense de la colonie de Saint-Domingue, le 12 août 1702[133], il devait être fait, par chaque tête de nègre mâle, 50 fascines de 6 pieds de long et 100 piquets de 4 pieds de long, le tout en huit jours, à peine de payer 30 sols par chaque fascine et 15 sols par chaque piquet. Nous lisons dans une lettre du Ministre à MM. le Marquis de Sorel et Montholon, administrateurs de Saint-Domingue[134] : L’intention de Sa Majesté est que, « tous les ans, on continue de commander, comme il est d’usage, un quart ou un cinquième des nègres des habitants pendant la morte saison, qui est pendant les trois derniers mois de l’année, pour travailler à l’entretien des forts et aux ouvrages publics ». En 1764, le Conseil d’État rendit un arrêt[135] réglant les impositions à la Martinique en vue de relever la colonie. Tous les habitants devaient être exempts de toute corvée de nègres « pour raison des forts et autres ouvrages publics, à l’exception de ceux nécessaires aux chemins et à la correspondance des affaires du gouvernement ». Ceux des habitants qui avaient moins de 44 nègres furent exempts de la moitié du droit, et ceux qui en avaient moins de 25 jouirent d’une exemption de 15 livres sur 24. On accordait un dégrèvement de 9 livres par tête aux caféiers et autres cultivateurs ayant moins de 30 nègres, de 15 livres à ceux qui en avaient moins de 15, et du droit entier à ceux qui se trouvaient hors d’état de supporter aucune imposition. Mais, pour profiter de ces faveurs, il fut nécessaire de justifier qu’on avait augmenté le nombre de ses nègres et de ses cultures. Les esclaves nouvellement introduits étaient affranchis de tout droit pendant trois années, et, pour les trois suivantes, ils devaient payer seulement la même somme que ceux pour lesquels le maître profitait d’une des exemptions indiquées plus haut. Une ordonnance des administrateurs de Saint-Domingue, du 27 octobre 1770[136], prescrit que les nègres seront fournis sur le pied d’un par 20 et plus, s’il est nécessaire, jusqu’à l’achèvement de certains travaux reconnus nécessaires pour les chemins. Les réquisitions étaient laissées à peu près à l’arbitraire des administrateurs, suivant les nécessités de l’intérêt général.

Ainsi donc, pour nous résumer, l’esclave n’a pas d’état civil ; légalement, il n’est ni citoyen, ni époux, ni père. Il n’est guère qu’un reproducteur. Il ne compte que par les recensements pour être soumis à la capitation et aux corvées. L’Église l’inscrit pourtant sur ses registres quand elle le baptise. Elle lui accorde une âme. Mais, corporellement, c’est un bétail ; la loi en fait un meuble ; mais, dans la plupart des cas, elle déclare qu’il doit rester attaché à la terre qu’il cultive. Il est une propriété, et ce n’est que par un tempérament des mœurs qu’il possède lui-même quelque chose, un pécule, dont il n’est en quelque sorte que le détenteur usufruitier, de par la gracieuse volonté de son maître. Il est également incapable de recevoir et de donner. Il n’a de volonté, vivant ou mort, que celle de son maître. S’il agit, c’est qu’il le représente ; c’est uniquement par lui et pour lui qu’il exerce un métier ou un commerce. On n’a pas été jusqu’à lui refuser, au point de vue de la religion, le droit purement spirituel de faire son salut. Mais, dans la vie sociale, on le considère comme incapable de moralité, puisqu’on ne reçoit pas son témoignage, ou du moins qu’on ne finit par l’admettre qu’à défaut de celui des blancs. La justice ne lui permet de faire aucun acte d’homme. Il vit en droit hors la société, dont toutes les rigueurs s’appesantissent sur lui, sans qu’il puisse en retirer le moindre avantage. La loi ne saurait avoir pour lui la signification d’un contrat, elle se dresse simplement devant lui comme une contrainte perpétuelle. Il a un corps, c’est pour travailler, ou pour souffrir, ou bien encore pour servir au plaisir de maîtres dépravés ; quanta son intelligence, quant à sa volonté, il ne doit également les exercer que pour le profit de ce maître, la plupart du temps avide et tyrannique. Il subit le droit du plus fort exercé à son égard avec tout son révoltant cynisme.


  1. Avertissement aux protestants, § 50.
  2. « La loi ne reconnaît pas d’état civil à l’esclave ; une circulaire du 6 nivôse an XVI (27 décembre 1803) renouvela cette déclaration de l’édit de 1685, lors de la promulgation du Code civil aux colonies. L’esclave existe aux yeux de la loi seulement par les recensements du maître. » Schœlcher, Col. françaises, p. 53.
  3. Arch. Col., G1, vol. 468 à 472.
  4. Ord. royale pour Saint-Domingue. Trayer, op. cit., 27. — En 1833 et 1835, on imposa le recensement régulier et la constatation des naissances, mariages et décès des esclaves… L’ordonnance qui commandait le recensement des esclaves, considérée par les planteurs comme un moyen d’établir un état civil pour les noirs, rencontra une résistance opiniâtre. À la Martinique, la Cour d’appel refusa, par 38 arrêts successifs, de condamner les délinquants ; renvoyés devant la Cour de la Guadeloupe, ils furent également acquittés (Leroy-Beaulieu, op. cit., 223).
  5. Cf. Moreau de Saint-Méry, I, 10-11.
  6. Id., ib., 44.
  7. On entendait par là les enfants de moins de douze ou quatorze ans. Mais, en fait, il arrivait qu’on vendait des enfants de sept ans. Rapport de la Commission instituée pour l’examen des questions relatives à l’esclavage, p. 133.
  8. Le vrai mariage n’exista jamais pour les esclaves. Les auteurs grecs n’emploient pas le mot γάμος pour désigner les unions d’esclaves. Wallon, I, 288. D’après le droit romain, il n’y a pas connubium, mais seulement contubernium (Paul, Sentent., II, 19, § 6. Col. 12. 1, 2) ; c’est une simple cohabitation, qui resta longtemps sans effet au point de vue civil. Dans le droit canon, le mot conjugium n’exprime également que le mariage sous le rapport physique.
  9. Cf. Cod. De rei vindic., I. — De liber, causa, I, 42. — Colum., I, 8.
  10. Cf. Wallon, op. cit., III, 390 et sqq.
  11. L., I (326). Code Th., IX, ix.
  12. Wallon, III, 391.
  13. Cf. Fabrot, Les Basiliques, 1647. — Voir Biot, op. cit., p. 214 et 270, au sujet des lois des Barbares relatives au mariage des esclaves.
  14. Arch. Col., F, 236, p. 433.
  15. Arch. Col, , F, 247, p. 319.
  16. Ib., ib., 211.
  17. Ib., ib., 324.
  18. Ib., ib., 346.
  19. Ib., ib., 333, 5 juin 1681.
  20. Ib., ib., 381. Article XI. — « Lorsqu’une habitation, sucrerie ou indigoterie, sera saisie réellement, les nègres et bestiaux servant actuellement sur lesdites habitations, sucreries ou indigoteries, seront compris dans ladite saisie et désignés, savoir : les nègres par leurs noms et âge, et les bestiaux par leurs poils, et le tout sera vendu et adjugé conjointement. »
  21. Ib., ib., 397.
  22. Arch. Col., F, 250, p. 87.
  23. Arch. Col., C8, 4.
  24. Ib., ib.
  25. Ib., ib.
  26. Moreau de Saint-Méry, I, 460.
  27. Arch. Col., B, 13, p. 69, 25 août.
  28. Glasson, article Douaire, dans Grande Encyclopédie, XIV, 976.
  29. Cf. Guyot, Répertoire de jurisprudence, art. Décret d’immeubles. Il y avait le décret volontaire et le décret forcé. « Le décret volontaire était celui qu’un acquéreur faisait faire afin de purger les hypothèques, droits réels ou servitudes que l’on pouvait avoir sur les biens par lui acquis. » « Le décret forcé est celui par le moyen duquel les créanciers qui ont fait saisir réellement les biens de leurs débiteurs les font vendre judiciairement au plus offrant et dernier enchérisseur. »
  30. Dessalles, op. cit., III, 49.
  31. Dig., liv. IX, tit. II, Ad legem Aquiliam, § 2.
  32. Ib., liv. L, tit. XVI : {{lang|la|De verborum significatione, § 93.
  33. Ch. XXI, § 20-21.
  34. In pecudum fructu etiam fetus est, sicuti lac et pilus et lana : itaque agni et hœdi et vituli et equuli statim naturali jure domini sunt fructuarii ; partus vero ancillæ in fructu non est ; itaque ad dominum proprietatis pertinet ; absurdum enim videtur hominem in fructu esse, cum omnes fructus rerum natura hominum gratia comparavit.Institutes, liv. II, tit. I, § 37. Cf. le Commentaire d’Ortolan, p. 300-301, n° 409. « … Bien que l’esclave fût au rang des choses, c’eût été descendre au dernier degré de la dégradation que de la considérer comme destinée au croît et d’assimiler son enfant à un fruit. En fait, et prenant l’origine de la question, on voit que c’est un sentiment de dignité pour l’homme qui l’avait fait soulever par les jurisconsultes philosophes [Gaius, Ulpien] et qui avait dicté la décision insérée aux Institutes. »
  35. Arch. Col., F, 236, p. 674.
  36. Cf. encore Digeste, VII, ii, 68 : Vetus fuit quæstio an partus ad fructuarium pertineret : sed Bruti sententia optinuit fructuarium in eo locum non habere ; neque enim in fructu hominis homo esse potest.
  37. Moreau de Saint-Méry, II, 15 ; et ib., 40 et 73, deux autres arrêts analogues.
  38. Durand-Molard, I, 70-71.
  39. Cf. Arch. Col., F, 269, p. 85, 5 juillet 1688.
  40. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F 90.
  41. Moreau de Saint-Méry, II, 41.
  42. Arch. Col., C8, 23.
  43. Moreau de Saint-Méry, II, 597. La lettre du Conseil répond à une autre de MM. Chateaumorant et Mithon, du 30 mai 1717.
  44. Par le traité d’Utrecht, le roi exemptait les sujets de la Grande-Bretagne du droit d’aubaine par rapport à leurs meubles et marchandises.
  45. Arch. Col., B, 47, p. 674.
  46. Moreau de Saint-Méry, III, 163.
  47. Arch. Col., C8, 36.
  48. Cf. Durand-Molard, I, 170, Déclaration du roi défendant aux mineurs émancipés de vendre leurs nègres ; — Code Noir, édit. de 1742, pp. 303 et suiv., autre Déclaration analogue du 15 décembre 1721.
  49. Arch, Col., C14, 14, p. 74, Mémoire du sieur d’Orvilliers, 1728.
  50. Moreau de Saint-Méry, III, 614, 6 août 1740.
  51. Arch. Col., B, 71, p. 75, 21 septembre 1740.
  52. Arch. Col., F, 257, p. 171.
  53. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90.
  54. Ils citent, entre autres, une Déclaration du Roi touchant les déguerpissements, du 24 août 1726. Moreau de Saint-Méry, III, 189.
  55. Cf. Dessalles, op. cit., III, 249. « Nul doute qu’ils (les héritiers) ne doivent seulement se contenter de leur prix : il paraît extraordinaire que les nègres, étant meubles, n’appartiennent pas à l’héritier des meubles ; mais il est de règle que personne ne puisse user de son droit de façon à préjudicier aux droits d’autrui. Les droits de l’héritier des propres sont préférables à ceux de l’héritier des meubles… » Il est fait une exception pour le cas d’un partage de communauté : le survivant reprend les esclaves qu’il a apportés, car « ils ne sont attachés au fonds que par une espèce d’emprunt ». — Une déclaration du roi, du 25 novembre 1743, porte à l’article 20 qu’en cas de donation à des communautés les nègres ne sauraient être réputés meubles et seront regardés comme faisant partie des habitations que le roi défend de donner aux communautés. Durand-Molard, I, 481.
  56. rch. Col., F, 144.
  57. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90. Extrait d’un rapport au Conseil supérieur de la Guadeloupe.
  58. Arch. Col., F, 145. Extrait des registres du Conseil supérieur de la Martinique.
  59. Dessalles, III, 244, rapporte que le Conseil prit une délibération analogue, le 8 janvier 1773. Il montre, à ce propos, « qu’un propriétaire, qui sait qu’on ne peut jamais lui saisir les nègres de son habitation, s’embarrasse fort peu d’acquitter ses engagements ». Et cependant, ajoute-t-il, « l’intérêt de la colonie, celui de tous les colons, l’humanité même semblent en quelque sorte s’opposer à la saisie des nègres attachés à la culture de la terre ». — Les lois anglaises autorisaient la saisie des noirs, comme des autres meubles, mais seulement à défaut de ceux-ci, et tout en les considérant comme immeubles. Trayer, op. cit., p. 68.
  60. Arch. Col., F, 146. Lettre du 7 novembre 1766.
  61. Ib., ib. Lettre du 15 mars 1768.
  62. Moreau de Saint-Méry, V, 162.
  63. Id., ib., 481.
  64. Arch. Col., F, 157. Tableau de l’administration des Îles-sous-le-Vent, p. 172.
  65. Durand-Molard, III, 588.
  66. Arch. Col., F, 232, p. 643.
  67. Op. cit., III, 248-249.
  68. Arch. Col., F, 267.
  69. Paris, 1840. Cité par Schœlcher, Col. françaises, pp. 55, 56.
  70. Op. cit., p. 67.
  71. Ortolan, Les Institutes, II, 39.
  72. Id., ib., 41.
  73. Id., ib., III, 175.
  74. Lois de Manou, VIII, 416-417. Traduct. de Loiseleur-Deslongchamps.
  75. Wallon, op. cit., I, 291. — Cf. Plaute, Asinaire, II, iv, 425. — Mercator, III, i, 115.
  76. Rép. Ath., I, 10.
  77. Cf. Lettres patentes d’octobre 1716, sur les esclaves conduits en France, art. 8 et 10. Moreau de Saint-Méry, II, 525. — L’article 23 de l’Édit de mars 1724, relatif aux esclaves de la Louisiane, reproduit l’article 29 du Code Noir.
  78. Durand-Molard, III, 696.
  79. Trayer, op. cit., 44.
  80. Arch. Col., F, 244, p. 237.
  81. Durand-Molard, I, 260, et Moreau de Saint-Méry, III, 139.
  82. Moreau de Saint-Méry rapporte cependant (Description… de Saint-Domingue, I, 75), que les maîtres leur laissaient une certaine liberté de tester.
  83. Trayer, op. cit., p. 33.
  84. Arch. Col., Code Saint-Domingue, F, 269, p. 405.
  85. Ib., 417, 1er septembre.
  86. Moreau de Saint-Méry, II, 345.
  87. Arch. Col., Recueil des lois particulières à la Guadeloupe, F, 236, p. 703.
  88. Arch. Col., F, 256, p. 232, publiée par Durand-Molard, I, 380.
  89. Arch. Col., F, 251, p. 85. Ordonnance du 15 avril 1735.
  90. Durand-Molard, II, 240. Ord. du 1er septembre 1763. « Défendons aux esclaves de faire le métier de boucher ni de revendre la viande qu’ils pourraient avoir achetée des bouchers, à peine de fouet et du carcan, et, en outre, de confiscation de l’esclave au profit du roi, s’il est prouvé que le maître l’ait autorisé à faire ce trafic : n’empêchons néanmoins qu’ils ne puissent continuer à l’avenir, comme par le passé, de vendre et débiter le cochon dans les places publiques, en la manière accoutumée et au prix ci-dessous fixé » (soit 15 sols la livre, — le bœuf, le veau et le mouton étant à 22 sols 6 deniers).
  91. Id., ib., 443, 27 janvier 1766.
  92. Arch. Col., F, 228, p. 865, 1er juillet 1768.
  93. Arch. Col., F, 228, p. 647.
  94. Durand-Molard, I, 377.
  95. Moreau de Saint-Méry, III, 531, 17 janvier 1739.
  96. Arch. Col., F, 226, p. 473, 2 septembre 1749.
  97. Durand-Molard, II, 34. « Dans les circonstances présentes, les nègres de journée, ne trouvant plus à travailler, ont recours à toutes sortes de moyens pour payer leurs loyers à leurs maîtres, lesquels, pour n’être pas privés des profits qu’ils en retirent, les soutirent tenir des maisons et des chambres particulières, contre les dispositions des arrêts en règlement des 3 novembre 1733 et 11 juillet 1749, qui défendent à tous maîtres de laisser vaguer leurs esclaves et de permettre qu’ils tiennent des maisons particulières sous quelque prétexte que ce soit. »
  98. Moreau de Saint-Méry, III, 458.
  99. Moreau de Saint-Méry, IV, 225.
  100. Arch. Col., F, 259, p. 965.
  101. Durand-Molard, II, 396.
  102. Id., ib., 450.
  103. Arch. Col., F, 228, p. 731, 18 novembre 1767.
  104. Ib., F, 231, p. 109, 5 mars 1777.
  105. Ib., F, 232, p. 195, 3 septembre 1782.
  106. Durand-Molard, II, 400.
  107. Arch. Col., B, 135, Îles-du-Vent, p. 36. À MM. le comte d’Ennery et de Peinier.
  108. Op. cit., p. 37-38.
  109. Cf. Digeste, XV, iii et i ; XIV, iv.
  110. Grande Encyclopédie, article Action.
  111. Moreau de Saint-Méry, I, 447. Nous constatons que, malgré cela, le Conseil de la Martinique adresse encore de très humbles remontrances à la date du 1er octobre 1687 et supplie précisément le roi d’admettre le témoignage des nègres à défaut de celui des blancs, sauf contre leurs propres maîtres. Arch. Col., F, 248, p. 1087.
  112. Cf. Moreau de Saint-Méry, III, 88.
  113. Durand-Molard, I, 407.
  114. Dessalles, III, 116.
  115. Arch. Col., F, 157, p. 184. Tableau de l’administration des Îles-sous-le-Vent.
  116. Arch. Col., F, 248, p. 163.
  117. Moreau de Saint-Méry, I, 364.
  118. Moreau de Saint-Méry, III, 778. Ord. des admin., 3 décembre 1743.
  119. Id., ib., 839. Ord. du 24 novembre 1745.
  120. Id., IV, 182, 19 juin 1756.
  121. Arch, Col., F, 20. « La circonstance malheureuse des temps empêche, malgré tous mes soins, que les droits de capitation ne puissent être acquittés exactement ; les habitants, obérés par le prix excessif des denrées d’Europe et par le bas prix des leurs, font à peine de quoi fournir à leur subsistance. »
  122. « D’ailleurs, la loi serait plus égale, car tel habitant qui a 100 nègres sur une terre médiocre fait souvent moins de revenu que son voisin qui n’en aura que 30 sur une bonne terre, et celui-ci encore peut n’en déclarer que moitié, lorsque l’autre de bonne foi n’en soustraira aucun. »
  123. Ib., F, 259, p. 451.
  124. Durand-Molard, II, 272.
  125. Cf. Moreau de Saint-Méry, IV, 740. Procès-verbal de l’Assemblée du Conseil supérieur du Cap et des divers ordres de son ressort composant l’Assemblée coloniale tenue au Cap, du 11 au 14 juin 1764. Voir aussi V, 313, Procès-verbal de l’assemblée coloniale tenue au Port-au-Prince, 20 et 31 octobre 1770.
  126. Arch. Col., F, 228, p. 33.
  127. Ib., F, 263. Ordonnance du 3 janvier 1788.
  128. Ib., ib.
  129. Arch. Col., F, 233, p. 881, 17 août 1789.
  130. Ib., F, 248, p. 199.
  131. Ib., C8, II.
  132. Ib., ib.
  133. Moreau de Saint-Méry, I, 692.
  134. Arch. Col., B, 45, p. 669, 8 février 1722.
  135. Durand-Molard, II, 292, 25 février.
  136. Moreau de Saint-Méry, V, 328.