L'art d'être Jolie - La question du corset
La beauté du corps
La question du corset
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Ce vêtement détestable, qui meurtrit les femmes et maltraite leur progéniture, n'annonce que des goûts frivoles. C'est une coquetterie de mauvais goût. (NAPOLÉON.)
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Il contient les forts, soutient les faibles, ramène les égarés. (ENSEIGNE D'UN CORSETIER AU XVIIIe SIÈCLE.)
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Une vieille querelle. — L'origine du corset. — Pour avoir trop bavardé. — Les « bricoles infâmes ». — Les adversaires du corset. — Ce qu'on peut dire pour sa défense. — Le choix du corset. — La gamme des corsets. — Tel corset, telle femme.
LA polémique au sujet du corset n'a jamais été si vive qu'aujourd'hui où cet accessoire de la coquetterie étant devenue la plus étroite des gaines, la Faculté part en guerre contre lui, tandis que la femme y trouve un surcroît de distinction et d'élégance.
D'où vient-il?
modifierLe corset n'est pas d'hier. Les femmes grecques et romaines s'entouraient le corps de longues bandes soutenant les seins, en linge très fin ou — quand elles étaient riches — en résille d'or. Cette coutume dura toute l'antiquité.
En France, sous Charlemagne, les corsages devinrent de véritables fourreaux cousus sur le corps et si serrés qu'ils remplissaient le rôle actuel de nos corsets.
Mais c'est au XIIIe siècle qu'apparurent véritablement les « cottes » ou robes de dessous, serrées par une ceinture allongeant la taille et fort étouffantes. Une légende rapporte qu'à cette époque un boucher appliqua le corset pour la première fois à sa femme, comme instrument de torture, en punition de sa loquacité. D'autres maris, dit-on, firent de même. Mais les femmes ne voulurent pas céder et, petit à petit, en s'y habituant, par esprit de contradiction, firent du corset un accessoire de toilette qu'elles enjolivèrent à qui mieux mieux. Au XIVe siècle, les corsets prirent plus d'ampleur, toujours ajustés à la taille et munis de manches. On en fabriquait, pour cérémonie, de merveilleux, de drap d'or et de fourrure.
Au XVIe siècle, dans les « barguines », sortes de corsages en forme d'entonnoirs garnis de fil de laiton, on plaça, pour la première fois, des buses au-dessous de la poitrine et au beau milieu, pour la tenir plus droite. Une ordonnance de 1541 tenta de les supprimer; les prédicateurs tonnèrent contre ces « bricoles infâmes » et l'aumônier de la Reine assura que « celles qui le revêtaient portaient le diable en croupe ».
Mais Catherine de Médicis importa d'Italie les « corps » ou corsets à buse et baleines juxtaposées. Ils devinrent de véritables cuirasses métalliques qui faisaient abominablement souffrir. Sous Henri IV, le corset devint grotesque par la façon exagérée dont on le busquait par le bas. Le « corps » revint à la mode sous Louis XIV, où les jeunes filles qui le portèrent mettaient même un collier de fer recouvert de velours noir pour redresser leur tête.
Mme de Maintenon favorisa les « corps » en faisant donner toutes sortes de privilèges à leurs fabricants. Ils étaient pourtant terriblement rigides, et c'est à eux qu'il faut attribuer les vapeurs si fréquentes à cette époque.
Sous Louis XV, pour la première fois, les corsets se lacèrent. Jean-Jacques Rousseau et Buffon firent campagne contre eux : on diminua la longueur du buse et le nombre des baleines.
Avec la Révolution, le « corps » fut réduit a quelques minces baleines et prit le nom officiel de « corset ». Il disparut sous l'Empire. Mais, en 1814, il reprit ses droits et fit fureur. Toutes les femmes voulurent en avoir. En 1830, il devint lourd et volumineux : on le laçait alors peu derrière, à la paresseuse. En 1842, il diminua de hauteur. Sous le Second Empire, les corsets s'échancrèrent du haut et se raccourcirent du bas, dégageant les seins et faisait valoir la taille. On essaya en vain d'importer la mode allemande qui remontait la gorge à la façon de pigeons gavés.
Le corset a, ces dernières années, subi de nombreuses transformations, adoucissant ses ressorts, mais imprimant au corps des courbes hardies. Avec lui, il n'y a plus de ventre : la poitrine seule est en valeur.
Les ennemis du corset.
modifierIl en a beaucoup :
« Regardez, disent-ils, les statues antiques, ces chefs-d'œuvre qui représentent le corps humain dans sa beauté vraie. Ont-elles une ceinture étroite comme celle de la femme moderne ? Non, leur structure n'a été réduite par aucune gêne, aucune contrainte.
Mme Tallien dédaigna toute sa vie d'enserrer sa jolie taille dans une prison de baleines et de satin et fut considérée pourtant comme la femme la plus séduisante de son époque.
La Faculté est hostile au corset. Ne cause-t-il pas la saillie du thorax en avant, le rapprochement permanent des côtes inférieures? Il trouble l'appareil respiratoire en comprimant le poumon, l'appareil digestif en comprimant l'estomac qu'il rend vertical et en déplaçant le foie, l'appareil urinaire en comprimant le ventre. Il gêne la circulation, donnant par suite au visage de la couperose ou de la congestion. Il aplatit et froisse les seins.
Le squelette féminin, considérablement allongé, ne laissera-t-il pas songeurs, dans des milliers d'années, ceux qui fouilleront nos tombeaux !
Ses défenseurs.
modifierLe corset disent-ils, est le soutien de la femme. Il constitue en quelque sorte le dossier contre lequel toute la partie supérieure de son corps repose. Il est le point d'appui de la gorge, dont les fibres, sans lui, se distenderaient. Il protège les organes délicats de la femme contre la pression des vêtements. C'est l'accessoire indispensable pour soutenir les jupes et les vêtements inférieurs, dont le poids atteint 7 à 8 kilogr. Comment maintenir cette masse sans le corset ? Il est la nécessité imposée par le costume moderne.
Indispensable aux femmes très fortes, il contient l’excès d’opulence de leur corsage. Sans lui, pas de correction possible dans la toilette d’une grosse femme. N’est-il pas indispensable aussi à la femme très maigre ? Sans son secours, elle ne peut non plus avoir bonne tenue et semble déhanchée.
On n’a qu’à donner au corset assez d’élasticité et de flexibilité pour assurer le bien-être de celle qui le porte et laisser toute liberté, c’est-à-dire toute grâce, à ses mouvements. La taille ondule, se balance comme un roseau, s’incline sous le vent et ne nous afflige pas par sa raideur. Il a gardé du XVIIIe siècle cette grâce qui fait des tailles féminines comme de véritables tiges de fleurs !
Court ou long ?
modifierLe corset ne devrait être baleiné que dans le dos et sur le devant. Le coutil est bien rigide, le satin est préférable. Le rêve serait la peau de daim Il y a des corsets charmants de tulle grec pour l’été et des corsets caoutchoutés s’élargissant à volonté.
En principe, le corset court est préférable au long. Montant trop haut sous les bras, il fait des épaules hautes, ce qui est laid. Descendant trop bas, il allonge le buste disgracieusement, diminue les jambes, détruit l’harmonie des proportions. Le corset court de hanches, au contraire, laisse toute souplesse à la démarche.
La mode moderne pourtant impose ces longues gaines qui font ressembler à un automate. Les petits corsets ne sont plus de mode. Ils sont trouvés laids, rococo, en contravention avec l’esthétique féminine actuelle.
Aux bustes délicats d’aujourd’hui, il faut une cuirasse, une armure. Les courbes les plus esquises, les rondeurs les plus menues veulent être chastement emprisonnées, les tailles effilées veulent s’effiler davantage encore, les hanches timidement se dissimulent.
Une ligne serpentine, onduleuse, une fine et longue silhouette, voilà l’idéal moderne.
La gamme des corsets.
modifierVers 10 ans, c'est la simple brassière de coutil, ébauche d'un corset sans baleine avec ganses s'élargissant à volonté. A 16 ans, la brassière se renforce de quelques baleines sans ganses. A 18, le corset proprement dit apparaît en batiste légère et en baleines souples ; le corset nuptial est de satin blanc, avec baleines.
Puis la femme qui a les moyens d'avoir une garde-robe complète possède toute une série de corsets :
Celui de bal est en satin de couleur assortie à la toilette, mais très étroit. Il doit faire gagner cinq centimètres de tour de taille par un laçage progressif.
Le corset du matin, brassière en batiste peu baleinée. — Le corset usuel en satin noir, ou bleu pâle, ou rosé, ou mauve. — Le corset de repos, sorte de ceinture directoire. — Le corset de nuit en peau de Suède sans baleine, se bouclant sur le côté. — Le corset de grossesse élastique, sans baleine avec des attaches en caoutchouc. — Celui de nourrice à pont-levis. — Celui de voyage, très lâche, avec des pattes permettant de l'élargir la nuit si l'on veut dormir.— Celui de cheval en coutil écru avec large élastique sur la hanche, très long et très fort. — Celui de bicyclette, une ceinture en tissu élastique, sans buste ni baleine, lacé devant, derrière et sur les côtés pour soutenir la taille et laisser aux mouvements toute leur liberté.
L'art de se corseter.
modifierSoignez vos corsets, qu'ils soient toujours de la plus grande fraîcheur. Abritez-les sous le cache-corset, pour éviter qu'ils se fanent vite.
Le corset ne doit pas être choisi au hasard ; son armature mal placée peut froisser les chairs, produire des plaies. Adressez-vous à une corsetière sérieuse, essayez-le bien et voyez si toutes les parties du buste emprisonné sont à leur place sans souffrance ni gêne.
En mettant le corset le matin, lorsque vous vous levez, ne le serrez pas trop, laissez le corps se caser, se mettre à l'aise et serrez progressivement le lacet; vous arriverez ainsi, en ayant soin de vous corseter tous les jours régulièrement, à gagner quelques centimètres et à retarder la marche de l'embonpoint. Moins une femme est serrée, plus elle paraît mince, plus elle est gracieuse et simple.
Le port intermittent du corset est une absurdité. Il n'y a que la grossesse qui doive supprimer le corset, six mois avant, un mois après.
Sous les robes empire seulement, on tolère les ceintures délicatement taillées dans les soieries anciennes, brassières minuscules et élégantes qui ne laissent pas les reins livrés à leur propre poids.
La psychologie du corset.
modifierChez la fillette, c'est une petite ceinture de coutil et de satin blanc, qui sert à attacher le pantalon, les jupons, les bas, qui fileraient faute de hanches. Il est hérissé de boutons, de fronces, d'agrafes., d'élastiques. Il sert de troisième poche, cache les lettres du petit cousin et les mauvaises notes, la clef du pupitre et le sachet parfumé chipé à la grande sœur.
Chez la jeune fille, il est de coutil blanc; c'est lui, d'ailleurs qui renferme les plus jolies choses. Il est ordinairement simple, éventaillé en soie et garni d'une petite dentelle, se laçant derrière avec beaucoup d'œillets.
Le corset décent est en satin blanc, avec quantité de buses, long, haut, une véritable harmonie, sans parfum, sans jarretelles.
Le corset de combat au contraire est doux, souple, pas trop serré, garnis de dentelles et violemment parfumé; d'autres corsets se dégrafent d'un seul coup, destinés à revenir, le matin, plié dans quelque journal.
Le corset distingué est souple, chatoyant, agrafé d'argent, festonné de valenciennes, avec une pointe de parfum. Le corset de la femme de sport est en peau de daim gris pâle, souple, bordé de satin bleu, garni de dentelles anciennes, permettant l'aisance des mouvements.
C'est en satin noir brodé, ou rouge, ou bleu, de teinte criarde, éventaillé d'or et d'argent, solide, élégant et très laid qu'est le corset de la femme commune; les austères y mettent de la lavande, les autres de l'opoponax. Beaucoup n'y mettent rien du tout.
Tel corset, peut-on dire, telle femme.