L'année liturgique (Guéranger, tome1)/Préface générale

Prosper Guéranger - L'année liturgique
Julien, Lanier, Cosnardet cie, éditeurs (1p. V-XXIV).
L’ANNÉE

LITURGIQUE



PRÉFACE GÉNÉRALE




La prière est pour l’homme le premier des biens. Elle est sa lumière, sa nourriture, sa vie même, puisqu’elle le met en rapport avec Dieu, qui est lumière[1], nourriture[2] et vie[3]. Mais, de nous-mêmes, nous ne savons pas prier comme il faut[4] ; il est nécessaire que nous nous adressions à Jésus-Christ, et que nous lui disions comme les Apôtres : Seigneur, enseignez-nous à prier[5]. Lui seul peut délier la langue des muets, rendre diserte la bouche des enfants, et il fait ce prodige en envoyant son Esprit de grâce et de prières[6], qui prend plaisir à aider notre faiblesse y suppliant en nous par un gémissement inénarrable[7].

Or, sur cette terre, c’est dans la sainte Église que réside ce divin Esprit. Il est descendu vers elle comme un souffle impétueux, en même temps qu’il apparaissait sous l’emblème expressif de langues enflammées. Depuis lors, il fait sa demeure dans cette heureuse Épouse ; il est le principe de ses mouvements ; il lui impose ses demandes, ses vœux, ses cantiques de louanges son enthousiasme et ses soupirs. De là vient que, depuis dix-huit siècles, elle ne se tait ni le jour ni la nuit ; et sa voix est toujours mélodieuse, sa parole va toujours au cœur de l’Époux.

Tantôt, sous l’impression de cet Esprit qui anima le divin Psalmiste et les Prophètes, elle puise dans les Livres de l’Ancien Peuple le thème de ses chants ; tantôt, fille et sœur des saints Apôtres, elle entonne les cantiques insérés aux Livres de la Nouvelle Alliance ; tantôt, enfin, se souvenant qu’elle aussi a reçu la trompette et la harpe, elle donne passage à l’Esprit qui l’anime, et chante à son tour un cantique nouveau[8] ; de cette triple source émane l’élément divin qu’on nomme la Liturgie. La prière de l’Église est donc la plus agréable à l’oreille et au cœur de Dieu, et partant, la plus puissante. Heureux donc celui qui prie avec l’Église qui associe ses vœux particuliers à ceux de cette Épouse chérie de l’Époux et toujours exaucée ! Et c’est pourquoi le Seigneur Jésus nous a appris à dire notre Père, et non mon Père ; donnez-nous, pardonnez-nous, délivrez-nous, et non donnez-moi, pardonnez-moi, délivrez-moi. Aussi, pendant plus de mille ans, voyons-nous que l’Église, qui prie dans ses temples sept fois le jour et encore au milieu de la nuit, ne priait point seule. Les peuples lui faisaient compagnie et se nourrissaient avec délices de la manne cachée sous les paroles et les mystères de la divine Liturgie. Initiés ainsi au Cycle divin des mystères de l’Année Chrétienne, les fidèles, attentifs à l’Esprit, savaient les secrets de la vie éternelle ; et sans autre préparation, un homme était souvent choisi par les Pontifes pour devenir Prêtre ou Pontife lui-même, afin de répandre sur le peuple chrétien les trésors de doctrine et d’amour qu’il avait amassés à leur source.

Car si la prière faite en union avec l’Église est la lumière de l’intelligence, elle est aussi, pour le cœur, le foyer de la divine charité. L’Âme chrétienne ne se retire pas à l’écart pour converser avec Dieu et louer ses grandeurs et ses miséricordes, parce qu’elle sait bien que la société de l’Épouse du Christ ne s’enlève point à elle-même. Ne fait-elle pas elle-même partie de cette Église qui est l’Épouse, et Jésus-Christ n’a-t-il pas dit : Mon Père, qu’ils soient un en la manière que nous sommes un[9] ? Et quand plusieurs sont rassemblés en son nom, le même Sauveur ne nous assure-t-il pas qu’il est au milieu d’eux[10] ? L’âme pourra donc converser à l’aise avec son Dieu qui rassure être si près d’elle, et dès lors psalmodier comme David, en présence des Anges, dont la prière éternelle s’unit dans le temps à la prière de l’Église.

Mais trop de siècles déjà se sont écoulés depuis que les peuples, préoccupés d’intérêts terrestres, ont abandonné les saintes Veilles du Seigneur et les Heures mystiques du jour. Quand le rationalisme du xvie siècle s’en vint les décimer au profit de l’erreur, il y avait déjà longtemps qu’ils avaient réduit aux seuls Dimanches et Fêtes les jours où ils continueraient de s’unir extérieurement à la prière de la sainte Église. Le reste de l’année, les pompes de la Liturgie s’accomplissaient sans le concours des peuples qui, de génération en génération, oubliaient de plus en plus ce qui avait fait la forte nourriture de leurs pères. La prière individuelle se substituait à la prière sociale : le chant, qui est l’expression naturelle des vœux et des plaintes même de l’Épouse, était réservé pour les jours solennels. Ce fut une première et triste révolution dans les mœurs chrétiennes.

Mais, du moins, le sol de la Chrétienté était encore couvert d’Églises et de Monastères qui retentissaient le jour et la nuit des accents de la prière sacrée des âges antiques. Tant de mains levées vers le ciel en faisaient descendre la rosée, dissipaient les orages, assuraient la victoire. Ces serviteurs et ces servantes du Seigneur, qui se répondaient ainsi dans la louange éternelle, étaient députés solennellement par les sociétés encore catholiques d’alors, pour acquitter intégralement le tribut d’hommages et de reconnaissance dû à Dieu, à la glorieuse Vierge Marie et aux Saints. Ces vœux et ces prières formaient le bien commun ; chaque fidèle aimait encore à s’y unir, et si quelque douleur, quelque espérance, le conduisait parfois au temple de Dieu, il aimait à y entendre, à quelque heure que ce fût, cette voix infatigable qui montait sans cesse vers le ciel pour le salut de la Chrétienté. Bien plus, le Chrétien fervent s’y unissait en vaquant à ses fonctions ou à ses affaires ; et tous possédaient encore une intelligence générale des mystères de la Liturgie.

La Réforme vint, et elle frappa tout d’abord sur l’organe de la vie dans les sociétés chrétiennes : elle fit cesser le sacrifice de louanges. Elle joncha la Chrétienté des ruines de nos Églises ; les Clercs, les Moines, les Vierges, furent chassés ou massacrés, et les temples qui survécurent furent condamnés à demeurer muets dans une partie de l’Europe. Dans l’autre, mais surtout en France, la voix de la prière s’affaiblit ; car beaucoup de sanctuaires dévastés ne se relevèrent pas de leurs ruines. Aussi vit-on la foi diminuer, le rationalisme prendre des développements menaçants, et enfin, de nos jours, la société humaine chanceler sur ses bases.

Car les destructions violentes qu’avait opérées le Calvinisme ne furent pas les dernières. La France et d’autres pays Catholiques encore furent livrés à cet esprit d’orgueil qui est ennemi de la prière, parce que, dit-il, la prière n’est pas l’action ; comme si toute œuvre bonne de l’homme n’était pas un don de Dieu, un don qui suppose la demande qu’on en a faite et l’action de grâces qu’on en rend. Il se rencontra donc des hommes qui dirent : Faisons cesser les fêtes de Dieu sur la surface de la terre[11] ; et alors descendit sur nous cette calamité universelle que le pieux Mardochée suppliait le Seigneur d’écarter de dessus son peuple, quand il disait : Ne fermez pas, Seigneur, les bouches de ceux qui chantent vos louanges[12].

Mais, par la miséricorde de Dieu, nous n’avons pas été entièrement consumés[13] ; les restes d’Israël ont été réservés[14] ; et voici que le nombre des croyants s’accroît dans le Seigneur (5). Que s’est-il donc passé dans le cœur du Seigneur notre Dieu pour motiver ce retour miséricordieux ? C’est que la prière a repris son cours. De nombreux chœurs de vierges sacrées auxquels se joint, quoique en nombre bien inférieur encore, le chant plus mâle des fils du cloître, se font entendre sur notre terre, comme la voix de la tourterelle[15]. Cette voix prend de la force tous les jours ; c’est pourquoi le Seigneur fait briller son arc-en-ciel sur la nue. Puissent bientôt les échos de nos Cathédrales se réveiller aux accents de cette solennelle prière qu’ils ont répétée si longtemps ! Puissent la foi et la munificence des fidèles faire revivre les prodiges de ces siècles passés qui ne furent si grands que parce que les institutions publiques elles-mêmes rendaient alors hommage à la toute-puissance de la prière !

Mais cette prière liturgique deviendrait bientôt impuissante, si les fidèles la laissaient retentir sans s’y joindre de cœur, quand ils ne peuvent y prendre une part extérieure. Elle ne vaut pour le salut des nations qu’autant qu’elle est comprise. Dilatez donc vos cœurs, enfants de l’Église catholique ; et venez prier de la prière de votre mère. Venez par votre adhésion compléter cette harmonie qui charme l’oreille de Dieu. Que l’esprit de prière se ranime à sa source naturelle. Laissez-nous vous rappeler cette exhortation de l’Apôtre aux premiers fidèles : Que la paix du Christ tressaille dans vos cœurs : que le Verbe du Christ habite en vous en toute sagesse ; et vous-mêmes instruisez-vous et exhortez-vous mutuellement dans les Psaumes, les Hymnes et les Cantiques spirituels, chantant à Dieu dans vos cœurs, par sa grâce[16].

Assez longtemps, pour remédier à un mal vaguement senti, on a cherché l’esprit de prière et la prière elle-même dans des méthodes, dans des livres qui renferment, il est vrai, des pensées louables, pieuses même, mais des pensées humaines. Cette nourriture est vide ; car elle n’initie pas à la prière de l’Église : elle isole au lieu d’unir. Tels sont tant de recueils de formules et de considérations, publiés sous divers titres depuis deux siècles, et dans lesquels on s’est proposé d’édifier tes fidèles, et de leur suggérer, soit pour l’assistance à la sainte Messe, soit pour la réception des Sacrements, soit pour la célébration des Fêtes de l’Église, certaines affections plus ou moins banales, et toujours puisées dans l’ordre d’idées et de sentiments qui se trouvaient être les plus familiers à l’auteur du livre. De là encore la couleur si diverse de ces sortes d’écrits qui servent, il est vrai, faute de mieux, aux personnes déjà pieuses, mais demeurent sans influence quand il s’agit d’inspirer le goût et l’esprit de la prière à ceux qui ne l’ont pas encore.

On dira peut-être qu’en réduisant tous les livres pratiques de la piété chrétienne au simple commentaire de la Liturgie, on s’expose à affaiblir et même à anéantir, par des formes trop positives, l’esprit d’Oraison et de Contemplation qui est un des Dons principaux de l’Eglise de Dieu. À cela nous répondrons d’abord qu’en proclamant l’incontestable supériorité de la prière liturgique sur la prière individuelle, nous n’allons pas jusqu’à dire qu’on doive abolir les méthodes individuelles : nous voulons seulement les mettre à leur place. Nous dirons ensuite que si, dans la divine Psalmodie, on compte plusieurs degrés, en sorte que les inférieurs s’appuient encore sur la terre et sont accessibles aux âmes qui sont dans les labeurs de la Vie purgative ; à mesure aussi qu’elle s’élève sur cette échelle mystique l’âme se sent illuminée d’un rayon céleste et parvenue au sommet, trouve l’union et le repos dans le souverain bien. En effets ces saints Docteurs des premiers siècles, ces divins Patriarches de la solitude, où puisaient-ils la lumière et la chaleur qui étaient en eux, et qu’ils ont laissées si vivement empreintes dans leurs écrits et dans leurs œuvres, si ce n’est dans ces longues heures de la Psalmodie durant lesquelles la vérité simple et multiforme passait sans cesse devant les yeux de leur âme, la remplissant, à grands flots, de lumière et d’amour ? Qui a donné au séraphique Bernard cette onction merveilleuse qui coule en fleuve de miel dans tous ses écrits ; à l’auteur de l’Imitation, cette suavité, cette manne cachée qui, après tant de siècles, ne s’affadit jamais ; à Louis de Blois, cette douceur et cette tendresse inénarrables qui émeuvent tout homme qui voudra lui prêter son cœur, si ce n’est l’usage habituel de la Liturgie au milieu de laquelle leur vie s’écoulait avec un mélange de chants et de soupirs ? Que l’âme épouse du Christ, prévenue des désirs de l’Oraison, ne craigne donc point de se dessécher au bord de ces eaux merveilleuses de la Liturgie, qui tantôt murmurent comme le ruisseau, tantôt, comme le torrent, roulent en grondant, tantôt inondent comme, la mer ; qu’elle approche et boive cette eau limpide et pure qui jaillit jusqu’à la vie éternelle[17] ; car cette eau émane des fontaines mêmes du Sauveur[18], et l’Esprit de Dieu la féconde de sa vertu pour qu’elle soit, douce et nourrissante au cerf altéré[19]. Que l’âme séduite par les charmes de la Contemplation, ne s’effraie point non plus de l’éclat et de l’harmonie des chants de la prière liturgique. N’est-elle pas elle-même un instrument d’harmonie sous la touche divine de cet Esprit qui la possède ? Certes, elle ne doit pas entendre le céleste Colloque autrement que le Psalmiste lui-même, cet organe de toute vraie prière, avoué de Dieu et de l’Église ? Or, n’est-ce pas à sa harpe qu’il a recours, quand il veut allumer dans son cœur la flamme sacrée, et qu’il dit : Mon cœur est prêt, ô Dieu ! mon cœur est prêt ; je chanterai donc, je ferai retentir le psaume. Lève toi, ô ma gloire ! lève-toi, ô ma harpe ! Dès le matin, je m’éveillerai ; je vous chanterai, Seigneur devant les peuples ; je psalmodierai en présence des nations : car votre miséricorde est grande au-dessus des cieux, et votre vérité au delà des nuages [20]. D’autres fois, si, recueillant ses sens, il est entré dans les puissances du Seigneur[21], alors dans sa méditation même s’allume le feu[22] d’une sainte ivresse ; et pour soulager l'ardeur qui le consume, il éclate encore par un cantique : Mon cœur, dit- il, a conçu une parole excellente ; c’est au Roi même que je dédie mes chants ; et il redit la beauté de l’Époux vainqueur et les grâces de l'Épouse[23]. Ainsi, pour l’homme de Contemplation, la prière liturgique est tantôt le principe, tantôt le résultat des visites du Seigneur.

Mais elle est surtout divine en ce qu'elle est à la fois le lait des enfants et le pain des forts ; en ce que, semblable au pain miraculeux du désert, elle prend à la fois tous les goûts de ceux qui s’en nourrissent. Ceux même qui ne sont pas du nombre des enfants de Dieu, admirent quelquefois en elle cette incommunicable propriété, et conviennent que l'Église Catholique seule connaît les mystères de la prière, et c’est parce qu’il n’y a pas à proprement parler de prière liturgique chez les protestants, qu’ils n’ont pas non plus d’écrivains ascétiques. Sans doute, le divin Sacrement de l’Eucharistie étant le centre de la Religion, son absence suffirait bien pour rendre raison de ce défaut absolu d’onction qui caractérise tous les produits de la Réforme ; mais la Liturgie est tellement liée à l’Eucharistie dont elle forme la glorieuse auréole, que les Heures Canoniales ont cessé, et devaient cesser en effet partout où le dogme de la Présence Réelle était aboli.

Jésus-Christ même est donc le moyen, aussi bien que l'objet de la Liturgie ; et c’est pourquoi l'Année Ecclésiastique que nous nous proposons de développer dans cet ouvrage, n’est autre que la manifestation de Jésus-Christ, et de ses mystères dans l’Église et dans l'âme fidèle. C’est là le Cycle divin où rayonnent à leur place toutes les œuvres de Dieu ; le Septénaire de la Création ; la Pâque et la Pentecôte de l’ancien peuple ; l’ineffable Visite du Verbe incarné, son Sacrifice, sa Victoire ; la descente de son Esprit ; la divine Eucharistie ; les gloires ineffables de la Mère de Dieu toujours Vierge ; la splendeur des Anges ; les mérites et le triomphe des Saints ; en sorte que l'on peut dire qu’il a son point de départ sous la Loi des Patriarches, ses progrès dans la Loi écrite, sa consommation toujours croissante sous la Loi d’amour, jusqu’à ce qu’étant enfin complet, il s’évanouisse dans l'éternité, comme la Loi écrite tomba d’elle-même, au jour où l’invincible force du Sang de l’Agneau déchira en deux le voile du Temple.

Combien nous voudrions pouvoir raconter dignement les merveilles saintes de ce Calendrier mystique, dont l’autre n’est que la figure et l’humble support ! Que nous serions heureux de faire bien comprendre toute la gloire qui revient à l’auguste Trinité, au Sauveur, à Marie, aux Esprits bienheureux et aux Saints, de cette annuelle commémoration de tant de merveilles ! Si l’Église renouvelle chaque année sa jeunesse, comme l’Aigle[24], c’est parce que, au moyen du Cycle liturgique, elle est visitée par son Époux dans la proportion de ses besoins. Chaque année, elle le revoit enfant dans la crèche, jeûnant sur la montagne, s’offrant sur la croix, ressuscitant du sépulcre, remontant à la droite de son Père ; et les grâces de ces divins mystères se renouvellent tour à tour en elle, en sorte que, fécondé selon le besoin, le Jardin de délices envoie à l'Époux en tout temps, sous le souffle de l'Aquilon et de l'Auster, la délicieuse senteur de ses parfums[25]. Chaque année, l’Esprit de Dieu reprend possession de sa bien-aimée, et lui assure lumière et amour ; chaque année elle puise un surcroît de vie dans les maternelles influences que la Vierge bénie épanche sur elle, aux jours de ses joies, de ses douleurs et de ses gloires ; enfin, les brillantes constellations que forment dans leur radieux mélange les Esprits des neuf chœurs et les Saints des divers ordres d’Apôtres, de Martyrs, de Confesseurs et de Vierges, versent sur elle de puissants secours et d’inexprimables consolations.

Or, ce que l'Année Liturgique opère dans l'Église en général, elle le répète dans l'âme de chaque fidèle attentif à recueillir le don de Dieu. Cette succession des saisons mystiques assure au Chrétien les moyens de cette vie surnaturelle, sans laquelle toute autre vie n’est qu’une mort plus ou moins déguisée ; et il est des âmes tellement éprises de ce divin successif qui est dans le Cycle catholique, qu’elles parviennent à en ressentir physiquement les révolutions, la vie surnaturelle absorbant l’autre, et le Calendrier de l'Église celui des astronomes.

Puissent donc les lecteurs catholiques de cet ouvrage se garder de cette tiédeur de la foi, de ce sommeil de l’amour qui ont presque effacé le Cycle qui était autrefois, et qui doit toujours être la joie des peuples, la lumière des doctes, le livre des humbles ! De tout ceci, le lecteur conclura avec raison que, notre intention n’est pas du tout de mettre en œuvre les ressources de notre esprit tel quel pour bâtir un système, et faire de l’éloquence, de la philosophie, ou toute autre belle chose, à propos des mystères de l'Année Ecclésiastique. Nous n’avons qu’un but, et nous demandons humblement à Dieu de l’atteindre ; c’est de servir d’interprète à la sainte Église, de mettre les fidèles à portée de la suivre dans sa prière de chaque saison mystique, et même de chaque jour et de chaque heure. À Dieu ne plaise que nous nous permettions jamais de mettre nos pensées d’un jour à côté de celles que notre Seigneur Jésus-Christ, qui est la divine Sagesse, inspire à son Épouse bien-aimée ! Toute notre application sera de saisir l’intention de l’Esprit-Saint dans les diverses phases de l’Année Liturgique, nous inspirant de l’étude attentive des plus anciens et des plus vénérables monuments de la prière publique, et aussi des sentiments des saints Pères et des auteurs Ecclésiastiques approuvés ; en sorte qu’à l’aide de tous ces secours, nous puissions offrir aux fidèles la moelle des prières Ecclésiastiques, et réunir, s’il est possible, l’utilité pratique et cette agréable variété qui soulage et qui réjouit.

Dans cet ouvrage, nous insisterons sur le culte des Saints, parce que c’est un des grands besoins de la piété dans tous les temps, mais surtout au temps présent. La dévotion à la personne adorable du Sauveur a repris, chez nous, une nouvelle vigueur ; le culte de la Sainte Vierge s’étend et s’accroît ; que la confiance dans les Saints renaisse aussi, et alors auront disparu les traces de cette déviation dans laquelle l’influence sourde du Jansénisme entraînait la piété française. Néanmoins, comme il faut savoir se borner, nous traiterons rarement des Saints que le Calendrier Romain ne porte pas.

Toutefois la Liturgie Romaine, base sacrée de cette Année Liturgique, ne sera pas la seule dont nous emprunterons les formules ; l'Ambrosienne, la Gallicane, la Gothique ou Mozarabe, la Grecque, l'Arménienne, la Syrienne, déposeront tour à tour le tribut de leurs richesses dans notre trésor de prières ; en sorte que jamais la voix de l'Église ne se sera fait entendre plus pleine, ni plus imposante. Le moyen-âge des Églises d’Occident a produit, dans le genre liturgique, des merveilles d’une onction ineffable ; un de nos premiers soins sera d’initier les fidèles qui nous liront à ces sources intarissables de tendresse et de vie.

Quant au système que nous suivrons dans chacun des tomes de cette Année Liturgique, il est subordonné au genre spécial des matières qu’il se trouvera contenir. Nous réserverons pour nos Institutions tout ce qui tient à la partie purement archéologique de la Liturgie, nous bornant ici aux détails nécessaires pour initier les fidèles qui nous liront, aux intentions de la sainte Église dans chacune des saisons mystiques de l'année. Les formules saintes seront expliquées et adaptées à l'usage commun, au moyen d’une glose dans laquelle nous tâcherons d’éviter les inconvénients d’une froide traduction, et aussi la pesanteur d’une paraphrase lourde et affadie.

Comme, ainsi que nous l’avons dit, notre but est d’offrir aux fidèles la partie la plus substantielle et la plus nourrissante de la liturgie, nous avons été dirigé dans le choix des pièces par cette intention même ; nous avons donc négligé tout ce qui n’allait pas directement à notre but. Cette observation se rapporte principalement aux morceaux empruntés aux livres d’Offices de l’Église Orientale. Rien de plus riche et de plus pieux que cette Liturgie, quand on ne la connaît que par extraits ; rien aussi de moins attrayant, si on veut la lire dans les sources elles-mêmes. Les redites y abondent trop souvent d’une manière fastidieuse, et le sentiment s’y épuise dans des répétitions sans fin. Nous n’avons donc pris que la fleur, et glané seulement dans cette moisson trop exubérante. Ceci s’applique particulièrement aux Menées et à l’Anthologie de l'Église Grecque. Les pièces liturgiques des autres Églises de l'Orient sont généralement rédigées avec plus de goût et de sobriété.

Afin de nous conformer aux volontés du Siège Apostolique, nous ne donnons, dans aucun des volumes de cette Année Liturgique, la traduction de l’Ordinaire et du Canon de la Messe : nous tâchons d'y suppléer, en fournissant aux personnes qui n’entendent pas la langue latine le moyen de produire des actes qui les mettent en rapport immédiat avec tout ce que le Prêtre accomplit et récite à l’autel.

La première partie de l’Année Liturgique est consacrée à l’Avent. La seconde renfermera l’explication du service divin, de Noël à la Purification, La troisième conduira la Liturgie, de la Purification au Carême. La quatrième sera consacrée aux quatre premières semaines du Carême. La cinquième renfermera seulement la Semaine de la Passion et la Semaine Sainte. La sixième aura pour objet le Temps Pascal. La septième expliquera les offices divins depuis la Trinité jusqu’au mois d’Août. La huitième comprendra la Liturgie durant les mois d’Août et de Septembre. Enfin, la neuvième conclura l’année et aura pour objet les mois d’Octobre et de Novembre. Chacune de ces parties renfermera un Ordinaire spécial, un Propre du Temps et un Propre des Saints.

Qu’il nous soit permis, en terminant cette préface générale, de rappeler à nos lecteurs que, dans un travail de la nature de celui-ci, l'œuvre de l'écrivain est tout entière sous la dépendance du divin Esprit qui souffle ou il veut[26], et non de l'homme auquel appartient tout au plus de planter et d’arroser[27]. Nous osons donc supplier les enfants de la sainte Église qui s’intéressent au retour des traditions antiques de la prière, de nous aider de leur suffrage auprès de Dieu, afin que notre indignité ne soit point un obstacle à l’œuvre que nous entreprenons, et que nous sentons si fort au-dessus de nos forces.

Il ne nous reste plus qu’à déclarer que nous soumettons notre œuvre, tant pour le fond que pour la forme, au souverain et infaillible jugement de la sainte Église Romaine, qui seule garde, avec les secrets de la Prière, les Paroles de la vie éternelle.

  1. Joan. viii. 12.
  2. Ibid. vi. 35.
  3. Ibid. xiv. 6.
  4. Rom. viii. 26.
  5. Luc. xi. 1.
  6. Zach. xii. 10.
  7. Rom. viii. 26.
  8. Psalm. cxliii.
  9. Joan. xvii. 11.
  10. Matth. xviii. 20.
  11. Psalm. lxxii. 8.
  12. Esther. xiii. 17.
  13. Thren. iii. 22.
  14. Isaïe. i. 9.
  15. Cant. ii. 12.
  16. Col. iii. 15. 16.
  17. Joan. iv. 14.
  18. Isaï. xii. 3.
  19. Psalm. ixii 2.
  20. Psalm. cvii 2.
  21. Ibid. lxx.
  22. Ibid. xxxviii.
  23. Ibid. xliv.
  24. Psalm. cii.
  25. Cant. iv. 16.
  26. Joan. iii. 8.
  27. I. Cor. iii. 6.