L’INTERNATIONALE - Tome III
Cinquième partie
Chapitre XII
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XII


De juin à septembre 1875.


D’Espagne, Rafaël Farga continuait à nous envoyer de temps à autre des correspondances que publiait le Bulletin. Dans celle du numéro du 8 août, il dit : « Les emprisonnements et les déportations continuent à être à l’ordre du jour ; jusqu’à présent, toutefois, nos gouvernants se sont bornés à envoyer les déportés aux presidios d’Afrique et des îles Canaries : c’est là qu’on expédie ceux qu’on appelle libéraux ; quant aux carlistes, on les interne à Estella (Navarre), c’est-à-dire dans la capitale même du territoire dont ils sont les maîtres. La chose ne laisse pas que d’être curieuse : je crois que c’est la première fois qu’un gouvernement, pour châtier des insurgés, les envoie précisément dans la région où l’insurrection domine... Malgré l’arbitraire sous lequel nous vivons, il y a eu ces jours derniers quelques grèves. À Grenade, on signale une grève des tisseurs ; on a emprisonné cent quarante des grévistes, mais les autres sont restés fermes et tiennent bon. Les cylindreurs et apprêteurs de Barcelone ont obtenu une augmentation de deux francs par semaine ; les charpentiers et les ouvriers en toiles imprimées (peones de estampados) sont aussi en grève, et ces grèves promettent de durer, car les patrons se sont coalisés : vingt ouvriers charpentiers, de ceux qui formaient le comité, ont été arrêtés. »

Dans une autre lettre publiée le 10 octobre, on lit : « Depuis ma dernière lettre, la grève des charpentiers et celle des peones de estampados de Barcelone ont continué, malgré la coalition des patrons de ces deux métiers. Les tisseurs de Grenade continuent également la grève. Les arrestations sont toujours à l’ordre du jour ; et ceux qu’on arrête restent souvent en prison toute une année sans voir venir le jugement ; c’est ce qui arrive, par exemple, à plusieurs ouvriers de Cadix, arrêtés en juillet 1874 sous l’inculpation d’association illicite (parce qu’ils faisaient partie de l’Internationale, selon le ministère public) : ils attendent encore leur jugement. Deux autres ouvriers, arrêtés à Madrid pour le même motif, ont été envoyés rejoindre ceux de Cadix ; et, comme si le chemin de fer n’existait pas, on leur a fait faire à pied, conduits d’un poste à l’autre par la gendarmerie, ce trajet de plus de sept cents kilomètres.

« Le crime du Saint-Gothard[1] a excité une grande indignation parmi les travailleurs espagnols ; ils auraient envoyé aussi leur obole pour les victimes, s’ils n’avaient pas chez eux, en ce moment, tant de misères à soulager et tant de compagnons persécutés qu’il faut secourir. »

Il avait été décidé en septembre 1874, au Congrès général de Bruxelles, que le Congrès général de 1875 se tiendrait à Barcelone, si les circonstances le permettaient. En juillet 1875, la Fédération espagnole fit savoir au Bureau fédéral (siégeant au Locle) qu’il ne serait pas possible de tenir un Congrès en Espagne, et l’invita à soumettre aux autres fédérations la proposition de supprimer le Congrès de 1875, auquel ni l’Espagne ni la France n’eussent probablement pu se faire représenter, et auquel l’Italie avait annoncé d’avance (par son manifeste adressé au Congrès de Bruxelles) qu’elle n’enverrait pas de délégués. La proposition fut soumise aux fédérations, et le résultat de cette consultation se trouve consigné en ces termes dans les procès-verbaux du Comité fédéral jurassien (séance du 8 septembre 1875) : « Communication du Bureau fédéral, nous annonçant que les Sections de Hollande, de Belgique, d’Amérique, d’Italie, et la Fédération jurassienne, ont accepté le renvoi du Congrès de 1875, proposé par la Fédération espagnole ; en outre il nous fait remarquer que les Anglais y ont ajouté l’idée de tenir un Congrès secret en Suisse, qui émettrait un manifeste sur la situation de la classe ouvrière au moment actuel. La Section de propagande de Genève, qui ne fait partie d’aucune fédération, est la seule qui demande la réunion du Congrès général. »

En Portugal, l’Internationale n’existait plus : mais il y avait un mouvement socialiste, qui se manifesta, dans l’été de 1875, par la création d’un journal ; le Bulletin du 26 septembre écrit : « Depuis quelques semaines paraît à Lisbonne un organe socialiste, qui s’appelle O Protesto (la Protestation). Nous lui souhaitons la bienvenue, et espérons qu’il contribuera au développement de l’organisation ouvrière parmi les travailleurs portugais. »


En Italie, le second des procès intentés aux socialistes à la suite des mouvements d’août 1874 fut celui des internationaux de Florence. Il dura du 30 juin au 30 août 1875, et se termina par la mise en liberté de tous les accusés, au nombre de trente-deux, parmi lesquels figuraient Gaetano Grassi, Francesco Natta, Aurelio Vannini. Garibaldi, cité comme témoin et autorisé à ne pas comparaître, à cause de son état de santé, répondit au magistrat qui alla l’interroger, à Cività-Vecchia, « qu’il était membre de l’Internationale, et que son opinion était que Mazzini aurait dû aussi adhérer à cette Association, s’il avait voulu suivre les indications du bon sens ».

Pendant que se jugeait le procès de Florence, la Cour de cassation annulait la sentence rendue le 8 mai contre les internationaux de Rome, et renvoyait la cause devant une section de la Cour d’assises de cette même ville (le nouveau procès eut lieu en mai 1876).

En même temps, sept accusés, parmi lesquels Errico Malatesta, comparaissaient, dans la seconde semaine d’août, devant la Cour d’assisses de Trani, qui les acquittait tous. Ce procès de Trani nous fut raconté par une lettre de Cafiero (Bulletin du 3 septembre), de laquelle j’extrais ce qui suit :

« Les débats durèrent cinq jours, et jamais la ville de Trani ne présenta un spectacle plus beau et plus émouvant que dans cette occasion. Toute la population s’intéressait vivement au procès, non seulement la partie instruite,... mais aussi ce qu’on appelle le « bas peuple », les souffrants et les opprimés... Le jury était composé des plus riches propriétaires de la province, et on avait déployé un grand appareil militaire... Le réquisitoire du ministère public fut ce qu’il est toujours, un tissu d’injures et de calomnies atroces. S’adressant aux jurés, l’organe du ministère public a dit ces propres paroles : « Si vous ne condamnez pas ces hommes, ils viendront un jour enlever vos femmes, violer vos filles, voler vos propriétés, détruire le fruit de vos sueurs, et vous resterez ruinés et misérables, avec le déshonneur au front ». Eh bien, malgré ces tirades ridicules par lesquelles on avait cherché à l’effrayer, le jury a rendu un verdict d’acquittement, et, après le jugement rendu, les jurés sont allés serrer la main aux accusés, et se sont mêlés à la foule qui a fait une véritable ovation aux socialistes à leur sortie de prison. Dans toute la ville, dans les réunions tant privées que publiques, nos amis ont été l’objet des plus cordiales démonstrations ; et, à en juger par les innombrables témoignages d’adhésion donnés à nos principes à cette occasion, nous devons conclure que dans la Pouille la propagande de l’Internationale a fait des pas de géant. Oh, que le gouvernement multiplie seulement les procès ! Ils pourront coûter à quelques-uns d’entre nous quelques années de prison, mais ils feront un bien immense à notre cause. »

Aussitôt qu’il eut recouvré la liberté, Malatesta prit le chemin de la Suisse, où il visita Cafiero à la Baronata, puis Bakounine à Lugano. Et ensuite, croyant, comme plusieurs autres de nos amis, qu’il y aurait quelque chose à faire en Hertségovine (voir à la page suivante), il s’y rendit, et y fit un séjour assez prolongé, au sujet duquel je n’ai pas de renseignements précis. À cette époque (entre l’automne de 1875 et le printemps de 1876), il fit aussi un voyage en Espagne, dans l’intention de faire évader Alerini, alors détenu à Cadix ; mais la tentative n’aboutit pas.

Dans le courant d’août, les journaux socialistes italiens publièrent une déclaration datée du 15 août 1875 et signée du nom de quatre ouvriers qui avaient été jusqu’alors les tenants et les dupes du mouchard Terzaghi (Alfonso Danesi, Gaetano Didimi, Cesare Cesari et Lodovico Cattani) ; ils y annonçaient avoir rompu toute relation avec ce personnage, « parce que nous avons maintenant connaissance de faits et de documents qui prouvent qu’il est précisément tel que l’avaient déjà affirmé d’autres personnes qui l’ont connu avant nous ».


En France, les ouvriers parisiens s’occupaient des moyens d’envoyer une délégation ouvrière à l’Exposition universelle de Philadelphie, en 1876. Les chambres syndicales élurent à cet effet une commission de travail, qui se subdivisa en plusieurs sous-commissions, et qui nomma (22 septembre) une commission de contrôle chargée de veiller à l’exécution du règlement.

Pendant ce temps, les déportés de la Nouvelle-Calédonie continuaient à expier, là-bas, le crime d’avoir voulu émanciper le peuple français. Un groupe de proscrits socialistes publia, en feuilles volantes, pour tâcher de réveiller la conscience du prolétariat français et celle du public européen, des lettres et des fragments de lettres écrites par des déportés, et précédées d’une préface (rédigée, je crois, par Élisée Reclus) que le Bulletin reproduisit (no 42). Cette préface disait : « Il se commet un crime, et de ce crime vous êtes responsable… La Nouvelle-Calédonie est un abattoir d’hommes… Si vous avez en vous quelque bonté, quelque justice, vous agirez en ce qui vous concerne, ne serait-ce qu’en protestant dans votre coin, ne serait-ce qu’en racontant ce qui se passe. Et pour vous renseigner, vous lirez ces fragments de lettres que voici, et qui seront suivis de plusieurs autres ; vous réfléchirez… Nous avons parlé, parce que notre conscience nous l’ordonne. Il nous faut crier, il nous faut dénoncer le crime ; nous le voyons, nous l’entendons par delà les barrières des Alpes, par delà les horizons lointains ; nous les contemplons, ces figures tristes et fiévreuses ; notre regard rencontre ces regards douloureux… ; nous distinguons les soupirs étouffés des condamnés, les jurons affreux des garde-chiourmes, les fouets qui cinglent les épaules et meurtrissent les flancs de nos frères et amis… Car, nous sommes fiers de le dire, nous aussi nous sommes de ces gens-là ! »


En Belgique, on signala plusieurs grèves importantes dans l’été de 1875, entre autres celle des bouilleurs du Borinage, près de Mons, qui s’étendit à vingt mille ouvriers, et celle des bouilleurs de Flémalle-Grande, près de Liège. Ces derniers, n’ayant aucune organisation, succombèrent ; mais l’insuccès ouvrit les yeux de ces travailleurs, qui se mirent en relations, ainsi que tous les mineurs du bassin de Seraing, avec la Section internationale de Liège. « La Section liégeoise, écrivait l’Ami du peuple (journal socialiste de Liège), ne peut suffire à toutes les demandes de séances, meetings, etc., pour aller organiser les mineurs. On a déjà reçu des inscriptions par centaines à l’Internationale ; deux comités sont en formation, et nous espérons qu’une organisation ouvrière va se faire nombreuse et rapide, pour que la revanche des ouvriers ne se fasse pas longtemps attendre. »

À Bruxelles, une « Chambre du travail » s’était fondée ; une lettre adressée au Bulletin (no 27) nous disait : « Elle comprend déjà treize sociétés de métier, parfaitement organisées pour la résistance et l’étude des questions sociales ; elle se propose de créer un organe sous peu. Quelques-unes des sociétés composant cette Chambre du travail font partie de l’Internationale ; les autres, quoique n’en faisant pas partie, nous sont sympathiques et professent les mêmes principes que nous. »

Le Congrès annuel de la fédération des ouvriers marbriers, sculpteurs et tailleurs de pierres eut lieu le 1er août à Bruxelles : on y décida qu’il serait tenu désormais quatre congrès fédéraux par an. L’organe de la fédération, la Persévérance, exprimait nettement cette idée, que le mouvement ouvrier devait viser non pas seulement au relèvement des salaires, mais à la suppression du salariat.


En Angleterre, le mouvement conservait son caractère réformiste. « Le Comité des Trade Unions de Liverpool — écrivait le correspondant du Bulletin (n° 29) — est enchanté des nouvelles lois sur le travail présentées par le ministre, M. Cross, et assure celui-ci « de la gratitude des travailleurs du Royaume-Uni ». Le Comité parlementaire des Trade Unions n’est pas moins satisfait des changements qui ont été apportés au Conspiracy Act ; seuls, les ouvriers de Halifax restent mécontents, et jurent de continuer à protester jusqu’à ce que la loi soit complètement abrogée. » Une grève de cordonniers donna lieu (août) à un jugement que notre correspondant nota (n° 35) : « Un patron, encouragé par l’affaire des cinq ébénistes, a poursuivi un des ouvriers en grève pour picketing ; mais cette fois le juge n’a pas osé condamner l’ouvrier et a reconnu son droit ». C’était le résultat de la manifestation de Hjde Park (p. 264).


Aux États-Unis, la crise industrielle devenait toujours plus intense. « Pendant qu’on célèbre la série des centenaires des principaux événements de la glorieuse guerre de l’Indépendance, la situation, autrefois tant vantée, des travailleurs américains devient aussi misérable, sinon plus, que celle des travailleurs européens. » (Bulletin du 29 août.) Le nombre des sans-travail allait croissant ; et quant aux rares ouvriers qui pouvaient avoir encore de l’ouvrage, ils étaient à peu près trois fois moins payés que par le passé, et devaient s’attendre à voir leur salaire diminuer encore.


En Allemagne, l’élection d’un député au Reichstag dans le duché de Lauenbourg, en juillet, révéla que dans cette région agricole et éminemment conservatrice, où se trouvait la terre de M. de Bismarck (Varzin), et où il n’y avait pas eu une seule voix socialiste en 1874, les paysans étaient en train de se convertir aux idées nouvelles. Un journal de Hambourg écrivait : « Les progrès du socialisme sont véritablement quelque chose d’effrayant ! À Ratzebourg, le candidat socialiste a obtenu 121 voix sur 407 votants ; à Mœlln, 240 voix sur 528 votants ; à Lauenbourg même, 257 voix sur 537 votants, etc. ; si de telles choses arrivent dans un moment comme celui-ci, où on dit que le socialisme est paralysé par la crise industrielle, que sera-ce lorsque les affaires auront repris et que le socialisme refleurira de plus belle ? » (Bulletin du 1er août.)


En Danemark, le gouvernement avait fait emprisonner, en 1874, les trois « chefs » du mouvement socialiste, Pio, Brix et Geleff. À leur sortie de prison, une grande manifestation ouvrière fut organisée (5 juin 1875) ; les « chefs » y prononcèrent des discours, et Geleff dit, entre autres, que la constitution danoise contenait de bonnes choses, mais qu’elle n’était pas observée, et que, sans la résistance des travailleurs, le gouvernement l’aurait déjà supprimée[2]. (Bulletin du 18 juillet.) Un mouvement d’ordre économique, le mois suivant, fit contraste avec cette démonstration purement politique : à Copenhague, une grande grève des cigariers, victorieuse, força les fabricants à prendre l’engagement de n’occuper d’autres ouvriers que ceux qui étaient membres de l’Union cigarière ; les sociétés de province s’unirent à celle de la capitale pour constituer une Fédération des ouvriers en tabacs ; cette fédération réussit à constituer une branche dans la ville suédoise de Malmö, et les journaux suédois se plaignirent amèrement que par là « le socialisme eût été pour la première fois introduit pratiquement en Suède ». (Bulletin du 19 septembre.)


En Hertségovine, au commencement de juillet, se produisit un mouvement insurrectionnel contre l’autorité turque. Cette révolte éveilla de nombreuses sympathies en Europe, non seulement chez les socialistes, mais aussi dans la bourgeoisie libérale. Des volontaires italiens, français, russes, polonais, allèrent se joindre aux insurgés. L’insurrection se prolongea pendant les deux années suivantes, mais sans prendre, comme l’avaient espéré ceux des révolutionnaires qui étaient allés lui apporter leur concours, un caractère socialiste.


En Russie, le gouvernement faisait tout son possible pour triompher du socialisme. En juin 1875, le comte Pahlen, dont j’ai mentionné la circulaire aux procureurs, fit distribuer aux diverses autorités un Mémoire secret, imprimé, relatif « à la propagande criminelle qui vient d’être découverte dans quelques parties de l’empire ». En transmettant ce document aux directeurs des universités et des gymnases, le ministre de l’instruction publique appela leur attention sur le fait que les jeunes gens, « au lieu de trouver dans leur entourage et dans leurs familles de la résistance aux doctrines exaltées et aux utopies politiques dont ils sont infectés, n’y rencontrent souvent, au contraire, que des encouragements et un appui ». En conséquence, c’était, disait le ministre, aux professeurs à remplacer les parents, et à donner à la jeunesse des avertissements salutaires. Le Bulletin reproduisit la lettre du ministre (11 juillet), et ajouta : « Les circulaires ministérielles, les exhortations des professeurs et des magistrats n’y feront rien. La Russie est dans une situation analogue à celle de la France du dix-huitième siècle ; et, de même que nulle digue n’aurait pu empêcher la propagation des idées de Voltaire et des encyclopédistes, de même aucun pouvoir humain ne sera capable de mettre obstacle à la diffusion des principes socialistes qui préparent en Russie, pour un avenir prochain, une explosion bien autrement formidable que celle qui a renversé la monarchie française au siècle dernier. »

Les lettres de Zaytsef, que continuait à publier le Bulletin, étaient pleines de détails sur les mesures répressives ; elles parlaient d’un « procès monstre » qui comprendrait 788 accusés, elles annonçaient de nouvelles déportations en Sibérie[3], elles racontaient les « désordres » dans les provinces, la misère des paysans. Elles contiennent (numéros des 5 et 12 septembre) des extraits du Mémoire secret de Pahlen, qui venait d’être réimprimé en russe à Genève et à Londres, et dont une traduction française allait paraître. C’est par ce Mémoire que nous apprîmes à connaître les noms de Mme Lioubotina, de Natalie Armfeld, de Varvara Batouchkova, de Sophie Perovskaïa ; de Kraftchinskv, de Rogatchof, de Voïnaralsky, etc. ; il constatait l’influence exercée par Bakounine : «Les œuvres de Bakounine et la prédication de ses disciples ont eu une influence positive et effroyable sur la jeunesse » ; et il montrait comment les révolutionnaires s’y étaient pris pour que la découverte d’un de leurs groupes n’entraînât pas celle des autres : « Le plan des propagandistes, dont les traits généraux sont exposés dans le programme du prince Pierre Kropotkine, offre ce danger que, quelque énergiques que soient les enquêtes et la poursuite des coupables, plusieurs groupes séparés resteront indubitablement non découverts et continueront infatigablement leur activité criminelle ». Ce qui effrayait surtout le gouvernement, c’était l’approbation donnée à ce mouvement par nombre de personnes qui n’y étaient pas directement engagées : « Le succès des propagandistes, disait le Mémoire, a dépendu moins de leurs propres efforts que de la facilité avec laquelle leurs doctrines étaient accueillies dans les différentes classes de la société et de la sympathie qu’ils y trouvaient ».


En 1873 et en 1874, le Congrès annuel de la Fédération jurassienne avait eu lieu en avril. En 1875, diverses circonstances le firent ajourner jusqu’à l’été. Dans son numéro du 3 juillet, le Bulletin annonça que le Congrès se tiendrait à Vevey. Une circulaire du Comité fédéral, du 14 juillet, convoqua les délégués pour le samedi 31 juillet, à l’hôtel des Trois Suisses ; on lit dans le Bulletin du 1er août : « Depuis la fondation de la Fédération jurassienne en 1871, tous les congrès ordinaires ou extraordinaires s’étaient tenus dans une des localités des montagnes du Jura, Sonvillier, Saint-Imier, le Locle, la Chaux-de-Fonds, Neuchâtel. Pour la première fois, un Congrès jurassien aura lieu sur les bords du Léman. C’est là un signe de l’extension qu’a prise de nouveau, depuis une année environ, la propagande socialiste dans la Suisse française. »

Le Congrès de Vevey s’ouvrit le samedi soir 31 juillet ; douze sections y étaient représentées par treize délégués. En voici la liste :

Section de Fribourg, Ch. Reydellet et Gobillot ;

Section de Vevey, Louis Mex et Louis Plessis ;

Section de propagande de Berne, Ch. Küpfer et Paul Brousse ;

Section de Neuchâtel, James Guillaume ;

Section de la Chaux-de-Fonds, J.-B. Baudrand ;

Section du Locle, François Floquet ;

Section de Sonvillier et Section de Saint-Imier, Adhémar Chopard ;

Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary et Section de Moutier, Adhémar Schwitzguébel ;

Section de Porrentruy, Pierre Froidevaux ;

Une Section d’Alsace, Frédéric Graisier.

La Section de Zürich (groupe socialiste révolutionnaire), n’ayant pu envoyer de délégué, avait écrit une lettre d’adhésion.


Dans la séance du dimanche matin 1er août, le Comité fédéral présenta son rapport par l’organe de Graisier. Ce rapport se félicitait des progrès accomplis : deux anciennes sections, Moutier et Porrentruy, désorganisées un moment par les politiciens, avaient repris vie, ainsi que celle de Vevey ; des sections nouvelles s’étaient fondées à Fribourg et à Zürich. Il constatait qu’au sein des deux principales associations d’ouvriers de la Suisse allemande se manifestaient des tendances qui paraissaient se rapprocher des nôtres ; et il émettait le vœu que la Fédération jurassienne entretînt de plus en plus avec ces deux sociétés des relations suivies et amicales.

À l’occasion du rapport présenté par l’administration du Bulletin, le délégué de Porrentruy fit une observation : sa Section, dit-il, n’aimait pas voir notre organe attaquer le gouvernement bernois, ennemi des curés catholiques romains, et désirait que le Bulletin attaquât davantage les ultramontains. Schwitzguébel et quelques autres répondirent ; et le Congrès vota la résolution suivante :


Le Congrès pense que le Bulletin ne doit pas avoir pour le gouvernement bernois plus de ménagements que pour les autres gouvernements, et il émet le vœu que l’organe de la Fédération jurassienne continue à frapper avec impartialité sur les ultramontains et sur les libéraux, sur les radicaux et sur les conservateurs.


Sur la proposition de Schwitzguébel, le Congrès décida en principe que, lorsque la situation du Bulletin le permettrait, l’administration et la rédaction seraient rétribuées.

Le Congrès général de Bruxelles avait décidé que la question des services publics serait mise en discussion dans les sections et fédérations ; en conséquence, cette question avait été inscrite à l’ordre du jour du Congrès jurassien. Au nom de la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, Schwitzguébel présenta sur la question un rapport écrit ; Brousse lut ensuite des considérants contenant l’opinion de la Section de Berne. Après une courte discussion, le Congrès vota l’impression en brochure du rapport de Schwitzguébel, auquel devaient être ajoutés les considérants lus par Brousse[4].

Le rapport de la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, qui avait été rédigé entièrement par Schwitzguébel, expose d’une façon très claire l’opinion des militants de la Fédération jurassienne ; et, comme j’ai donné plus haut (pages 219-221) une analyse et des extraits des rapports de la Section bruxelloise et de la Section de propagande de Genève au Congrès général de 1874, je pense qu’il est à propos de résumer également les traits essentiels du travail de Schwitzguébel.

Deux grands courants d’idées — dit Schwitzguébel — se partagent le monde socialiste, l’un tendant à l’État ouvrier, l’autre à la Fédération des communes. L’État ouvrier, nous dit-on, administré par la classe ouvrière, aura perdu le caractère d’oppression et d’exploitation qui est celui de l’État bourgeois : il sera une agence économique, le régulateur des services publics. Mais toute cette administration se fera par l’intermédiaire de représentants : il y aura un parlement ouvrier, élu par le suffrage universel ; il y aura une majorité qui fera la loi à la minorité ; l’État ouvrier devra posséder la puissance de faire exécuter la loi, de réprimer toute tentative de rébellion ; il aura donc un gouvernement, une force armée, une police, une magistrature, etc. ; et les moyens de domination dont il disposera seront bien plus considérables encore que ceux de l’État actuel, puisqu’il aura entre ses mains toute la puissance économique. Donc l’autonomie de l’individu et celle du groupe ne seraient point réalisées.

Au Congrès de Bruxelles, la question a été mal posée. Demander « par qui et comment seront faits les services publics dans la nouvelle organisation sociale », c’était d’avance conclure à l’État ouvrier. Il aurait fallu se demander simplement quelles seraient les bases de la société nouvelle ; et on se serait répondu : Il y a nécessité de transformer la propriété individuelle en propriété collective ; or, le moyen le plus pratique, c’est que les travailleurs s’emparent des instruments de travail, et les fassent fonctionner à leur profit ; cette action spontanée des masses est en même temps l’affirmation pratique du principe d’autonomie et de fédération, qui devient la base de tout groupement social. Ce n’est plus l’État qui décide ce qui doit être service public et qui organise ce service public, réglementant ainsi l’activité humaine ; ce sont les travailleurs eux-mêmes qui s’organisent dans les conditions qui leur conviennent et que déterminent l’expérience et le développement de chaque jour.

L’action révolutionnaire variera sans doute d’un pays à l’autre, et aussi d’une commune à l’autre dans un même pays : on verra sans doute toutes les théories socialistes, le communisme, le collectivisme, le mutuellisme, recevoir une application plus ou moins restreinte ou générale, selon les grands courants qui se produiront. C’est ainsi que, dès aujourd’hui, nous voyons l’Allemagne s’attacher à l’idée de l’État ouvrier, tandis que l’Italie et l’Espagne veulent la Fédération des communes. En quoi cela pourra-t-il arrêter la marche révolutionnaire du prolétariat, que les Espagnols et les Italiens s’organisent d’une façon et les Allemands d’une autre, ou même qu’en France certaines communes conservent la propriété individuelle, tandis que la propriété collective triomphera dans d’autres ? Mais il est probable que l’organisation la plus favorable au développement des intérêts de l’humanité finira par être adoptée partout, et cette organisation c’est la Fédération des communes.

Schwitzguébel conclut ainsi :


On a reproché à la Fédération des communes d’être un obstacle à la réalisation d’une entente générale, d’une union complète des travailleurs, et de ne pas présenter, au point de vue de l’action révolutionnaire, la même puissance d’action qu’un État.

Mais comment se fait-il que les groupes travailleurs, librement fédérés dans l’Internationale, pratiquent la solidarité, s’entendent et se mettent d’accord ? C’est que la même situation économique les pousse à la pratique de la solidarité. Que sera-ce, alors que leur action sera débarrassée de toutes les entraves que lui oppose l’ordre actuel ?

Comment se fait-il que l’Internationale augmente en puissance d’action tant qu’elle est une fédération, tandis qu’elle se déchire sitôt qu’un Conseil général veut en faire un État ? C’est que les travailleurs ont la haine de l’autorité, et qu’ils ne seront puissants que par la pratique de cette large et complète liberté.

Oui, notre Association a été la démonstration de la fécondité du principe d’autonomie et de libre fédération ; et c’est par l’application de ce principe que l’humanité pourra marcher vers de nouvelles conquêtes pour assurer le bien-être moral et matériel de tous.


À la suite du rapport de Schwitzguébel, la brochure contient, ainsi que l’avait décidé le Congrès, les considérants lus au nom de la Section de Berne. Les voici, avec l’explication dont ils sont précédés :


Les délégués de Berne avaient reçu de leur Section, au sujet de la question des services publics, le mandat suivant, dont le Congrès de Vevey a décidé l’impression à la suite du rapport de la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary :

« Considérant que l’observation démontre que le travail perd tous les jours l’apparence du travail individuel pour se constituer en travail collectif ou social ;

« Que les services publics ne sont que cette partie du travail social qui, pour des causes qu’il serait intéressant de rechercher, s’est, la première, constituée collectivement ;

« La Section de Berne pense que la question doit être posée en ces termes :

« Quelle sera après la Révolution l’organisation du travail social ?

« Dans le cas où le Congrès jurassien aborderait la question en ces termes, les délégués de la Section combattront toute organisation par l’État ; ils repousseront l’État fédéral comme l’État centralisé[5]. »


Une assemblée populaire eut lieu l’après-midi dans la salle du Congrès. Le Bulletin en rend compte en ces termes :

« Plusieurs orateurs exposent, devant une foule nombreuse et attentive, les principes de l’Internationale. Le citoyen Beslay demande ensuite à faire quelques réserves sur les principes émis ; il n’est pas partisan de la propriété collective ; il pense que les instruments de travail peuvent et doivent être mis à la disposition de l’ouvrier au moyen du crédit. Le citoyen Élisée Reclus répond au citoyen Beslay : il dit que ce serait une duperie que d’attendre l’émancipation des travailleurs comme le résultat d’une conciliation avec la bourgeoisie ; il analyse la manière dont s’est formée la propriété individuelle, et montre que dans tous les pays elle repose sur le vol et l’exploitation ; et il conclut à l’établissement de la propriété collective, comme seul moyen de réaliser la justice et la liberté. Des applaudissements enthousiastes accueillent ce discours.

« Après une discussion assez vive et très intéressante, la résolution suivante, qui avait été votée il y a cinq ans dans un meeting tenu à Vevey le 8 mai 1870, est présentée à l’approbation de l’assemblée :


Le meeting de Vevey déclare que, pour établir l’égalité entre les hommes, il faut que chaque travailleur soit mis en possession de ses instruments de travail par la propriété collective. Pour le moment, le meeting recommande, comme moyen d’arriver à la constitution de la propriété collective, de travailler, en dehors de toute alliance avec les partis politiques, quels qu’ils soient, à la création de caisses de résistance dans tous les corps de métier et à leur fédération sans distinction de frontières et de nationalité[6].


« Cette résolution fut votée à l’unanimité moins une voix[7].

« L’assemblée s’occupa aussi du massacre d’ouvriers accompli à Goschenen, dont la nouvelle venait d’arriver. Une résolution flétrissant le gouvernement du canton d’Uri fut adoptée à l’unanimité ; et un citoyen de Vevey, sous-officier[8] dans l’armée fédérale, proposa qu’il fût fait un tableau des noms des membres du gouvernement d’Uri et des militaires qui ont tiré sur les ouvriers, et que ce tableau fût affiché partout, afin de vouer ces noms à l’exécration publique. »

Je parlerai tout à l’heure du triste événement qui a conservé, dans les annales de la Suisse, le nom de massacre de Goschenen.

Après le meeting, il y eut soirée familière, avec discours, musique et chansons socialistes. Le peintre Gustave Courbet, qui habitait Vevey depuis 1872, vint se joindre à nous ; je ne le connaissais pas encore, et je considérais avec curiosité ce colosse bon enfant, qui s’assit, avec deux ou trois camarades amenés par lui, à une table bientôt chargée de bouteilles ; il nous chanta tout le soir, sans qu’on l’en priât, de sa rude voix de paysan, de rustiques et monotones mélodies franc-comtoises qui, à la longue, finirent par nous « raser », comme disait un autre communard qui ne l’aimait pas.

Le lundi matin, dernière séance du Congrès. La proposition, faite par la Fédération espagnole, de supprimer le Congrès général de 1875, fut adoptée à l’unanimité. Il fut décidé de créer, pour développer le goût de la lecture et de l’étude, une bibliothèque fédérale, et un règlement fut adopté à cet effet. Le siège du Comité fédéral fut maintenu à la Chaux-de-Fonds pour l’année 1875-1876 ; l’administration du Bulletin fut maintenue au Locle.

Le nouveau comité fédéral fut élu par la Section de la Chaux-de-Fonds dans sa séance du 17 août 1875 ; il fut composé comme suit : Numa Brandt, secrétaire correspondant ; Henri Felber, secrétaire des séances ; Frédéric Graisier, caissier ; Albert Nicolet, archiviste ; Ferdinand Wittwer, membre adjoint.


Les ouvriers, presque tous italiens, occupés au percement du tunnel du Gothard, du côté de Goschenen, sur le territoire du canton d’Uri, s’étaient mis en grève le 27 juillet, au nombre d’environ deux mille. Ils demandaient que les vingt-quatre heures de la journée fussent réparties, non plus entre trois, mais entre quatre équipes, dont chacune n’aurait par conséquent à travailler que six heures ; car huit heures consécutives de travail dans le gouffre noir et brûlant du tunnel, au milieu d’une fumée aveuglante, étaient une tâche au-dessus des forces humaines. En outre, l’entrepreneur, lorsqu’il remettait, avant la fin du mois, des à-compte aux ouvriers sur leur paie, leur donnait non de l’argent, mais des bons en papier ; et comme les aubergistes et marchands n’acceptaient ce papier qu’en déduisant un escompte, les travailleurs se voyaient obligés, s’ils ne voulaient pas subir cette perte, d’acheter leurs vivres et autres objets de consommation dans les magasins de l’entreprise ; cette obligation, source d’une nouvelle exploitation, leur pesait, et ils désiraient s’en affranchir : ils demandaient en conséquence que la paie eût lieu tous les quinze jours et non tous les mois, et fût faite toujours en argent et non en bons ; ils réclamaient en outre une augmentation de salaire de cinquante centimes par jour.

L’interruption des travaux était au plus haut point préjudiciable aux intérêts de l’entrepreneur, Louis Favre, de Genève, qui devait achever le percement du tunnel dans un délai donné, sous peine d’énormes amendes, et qui se trouvait déjà en retard de plusieurs mètres sur l’avancement normal ; à tout prix, fût-ce en versant du sang, il fallait obliger les grévistes à reprendre le travail immédiatement. Favre, accouru d’Airolo, se rend à Altorf pour réclamer l’intervention armée du gouvernement d’Uri. Comme celui-ci hésitait devant les frais qu’occasionnerait une levée de troupes, l’entrepreneur offre de l’argent ; son offre est acceptée, et aussitôt l’huissier cantonal réunit une trentaine de volontaires, qu’on habille d’uniformes, qu’on arme de fusils, et qu’on expédie en voiture à Goschenen, sous le commandement de l’adjudant de police d’Altorf. La petite troupe arriva à Goschenen le mercredi 28 dans l’après-midi ; les grévistes étaient calmes, et n’avaient commis aucune violence ; un certain nombre étaient groupés devant l’entrée du tunnel. Les militaires firent une charge à la baïonnette pour dissiper le rassemblement inoffensif ; voyant les baïonnettes croisées contre eux, les ouvriers, sans armes, se défendirent à coups de pierres ; alors les militaires ouvrirent sur la foule un feu nourri, qui en peu d’instants dispersa les grévistes. Il y avait quatre morts, une dizaine de blessés ; la troupe fit en outre treize prisonniers, qui, liés deux à deux, furent conduits à Altorf, et enfermés là dans la maison de force. Le gouvernement uranais envoya le lendemain, comme renfort, un détachement de cent hommes. Terrorisés, une partie des grévistes reprirent le travail ; les autres quittèrent le pays.

Il y eut chez tout le peuple travailleur une explosion d’indignation lorsqu’on connut l’exploit accompli par les guerriers d’Uri pour la défense des intérêts de M. Louis Favre. « Une chose manquait encore, écrivit le Bulletin (n° 32), aux gouvernants de la Suisse républicaine pour marcher complètement de pair avec ceux des pays monarchiques : un massacre d’ouvriers. Le massacre a eu lieu. Désormais, à côté des sanglantes fusillades de l’Épine, d’Aubin, de la Ricamarie, on pourra placer la fusillade de Goschenen. » Des assemblées de protestation se réunirent de toutes parts, et votèrent des ordres du jour de flétrissure à l’égard des assassins. Une souscription fut ouverte dans la Fédération jurassienne pour venir en aide aux familles des victimes (elle produisit 629 fr.45[9]). La presse bourgeoise, elle, se montra unanime, sauf deux ou trois exceptions, à féliciter les massacreurs. Le Nouvelliste vaudois, journal radical, après avoir affirmé que les ouvriers du tunnel étaient très bien payés et n’avaient aucun motif de plainte, ajoutait : « En général, on reconnaît la louable énergie déployée par le gouvernement d’Uri ; avec peu de monde, peu d’embarras, peu de frais et très promptement, il a terminé cette affaire ». Un autre journal radical, le Confédéré de Fribourg, écrivit : « Les trente miliciens n’ont fait qu’obéir à un ordre et remplir leur devoir ». On put constater chez les exploiteurs grands et petits une attitude cynique qui, à juste titre, provoqua l’exaspération des socialistes :


Quant aux bons bourgeois, conservateurs ou radicaux, qu’on entend deviser derrière une chope ou une absinthe dans les cercles et les cafés, ils sont unanimes à témoigner leur parfaite satisfaction au sujet du sang versé. — C’est bien fait ! Voilà ce que vous entendez partout.

Ah ! c’est bien fait, messieurs les bourgeois ? Vous trouvez qu’il faut tuer les ouvriers pour leur apprendre à vivre ? Soit : nous nous souviendrons que c’est vous, les premiers, qui avez fait appel à la violence ; et un jour viendra peut-être où nous dirons à notre tour en parlant de vous : C’est bien fait[10] !


Dans son numéro du 22 août, le Bulletin publia un article nettement antimilitariste, envoyé par un correspondant neuchâtelois, qui disait :


Tous les ouvriers qui font partie de l’armée suisse devraient se tenir le raisonnement suivant :

Le rôle que la discipline militaire nous fait jouer peut devenir d’un instant à l’autre celui d’assassins de grand chemin. Qui sait ? demain peut-être mon père ou mon frère seront forcés de se mettre en grève pour défendre leur paie, et alors, au moindre bruit, on me fera endosser mon uniforme et on me commandera de tirer sur eux ; ou bien ce sera moi qui ferai grève, et ce sera mon frère qui me fusillera !

Si les ouvriers suisses qui font partie de l’armée fédérale ne veulent pas descendre au rang des mercenaires des armées permanentes, qu’on soûle d’eau-de-vie et qui ensuite fusillent le peuple qui les nourrit, il faut que ces ouvriers protestent avec la dernière énergie contre le massacre de Göschenen et déclarent bien haut qu’ils ne souffriront pas qu’on transforme nos milices en un aveugle instrument de répression dirigé contre la classe ouvrière.


La Fédération des graveurs et guillocheurs, sous l’inspiration de quelques-uns de ses plus énergiques militants, voulut qu’on ne se bornât pas à des protestations platoniques ; elle demanda qu’on se concertât pour aviser à des mesures pratiques, et adopta, dans une assemblée générale, la résolution suivante :


L’assemblée des graveurs et guillocheurs tenue à Auvernier, le 5 septembre 1875, déclare se joindre aux protestations qui ont surgi des différentes organisations ouvrières contre la fusillade des ouvriers du Gothard, et invite le Comité central de la fédération, pour le cas où l’intervention militaire se renouvellerait en cas de grève, à provoquer une entente entre les organisations ouvrières en Suisse, sur l’attitude à prendre par la classe ouvrière au cas d’un pareil événement.


Le Comité central de la Fédération des graveurs et guillocheurs (qui était placé cette année-là au Val de Saint-Imier), se conformant au mandat qu’il venait de recevoir, adressa à toutes les organisations ouvrières de la Suisse un appel pour les inviter à se concerter en vue d’une action commune. « Nous vous proposons, disait-il, une entente formelle pour l’attitude générale à prendre en cas d’intervention militaire dans les cas de grève. Si vous êtes prêts à seconder notre initiative, nous vous invitons à donner mandat au comité central ou fédéral de chaque organisation de s’entendre avec nous sur les démarches à faire pour aboutir à un résultat pratique. » Nous verrons plus loin quel accueil cet appel reçut de la part de l’Arbeiterbund.

Vingt jours après le vote de la résolution du Congrès des graveurs et guillocheurs, « l’intervention militaire se renouvelait » : c’était à Reigoldswyl (Bâle-Campagne). Deux ou trois cents ouvriers, employés eux aussi au percement d’un tunnel, sur une ligne du Central suisse, réclamaient leur salaire arriéré, que l’entrepreneur n’avait pas payé depuis longtemps : ils se présentèrent en masse, le samedi 25 septembre, aux bureaux de l’entreprise ; le gouvernement cantonal, prévenu par télégramme, autorisa le Conseil communal à mettre sur pied la milice pour « rétablir l’ordre » ; et on faillit voir se renouveler le drame sanglant de Göschenen. Heureusement les ouvriers, gardant tout leur sang-froid, quittèrent Reigoldswyl, laissant les miliciens tout seuls, et se rendirent en colonne paisible au chef-lieu, Liestal, pour y exposer leur affaire. Le gouvernement, les voyant si pacifiques, n’osa pas répondre par des coups de fusil à leur modeste requête : il invita la Compagnie à faire droit aux réclamations des ouvriers, et ceux-ci, après avoir reçu chacun un à-compte de trois francs, s’en retournèrent le dimanche aussi paisiblement qu’ils étaient venus, et reprirent le travail le lundi.

Vers la fin d’août, la « Section de propagande » de Berne, à la suite de circonstances que j’ai oubliées et de difficultés d’ordre intérieur, prononça sa dissolution ; mais elle se réorganisa immédiatement sous le nom de « Section de Berne » .

Le 12 septembre eut lieu à Bienne une réunion ouvrière à laquelle assistèrent des délégués de Berne et de Sonvillier ; elle eut pour résultat la reconstitution d’une section dans cette ville.

Nous eûmes le regret de perdre, à cette époque, un de nos meilleurs camarades, le menuisier Samuel Rossier, de Vevey. Le dimanche 19 septembre, il se noya par accident dans le port de Montreux, en revenant du Bouveret où il était allé faire une promenade en bateau à vapeur ; il avait à peine trente-cinq ans : « D’un caractère franc et cordial, Rossier était aimé de tous ses camarades ; l’Internationale perd en lui un membre dévoué et actif, et tous ceux qui le connaissaient, un ami » (Bulletin).

Une lettre écrite par moi, le 10 septembre, à Joukovsky (momentanément émigré à Lausanne), avec lequel je continuais à correspondre de loin en loin, bien que la Section de propagande de Genève se fût séparée de la Fédération jurassienne, fera voir la manière dont j’envisageais les choses à ce moment :


Mon cher Jouk, Popof m’a remis ta lettre. Nous lui avons donné l’hospitalité comme nous avons pu. C’est par lui que j’ai appris que tu avais quitté Genève pour Lausanne. Il paraît qu’à Genève il n’y a plus rien en fait de Section, ou pas grand chose. Ce n’est pas étonnant.

Pour nous, nous continuons d’aller notre train. Sans faire de bruit, et par des moyens infiniment plus modestes qu’autrefois, nous avons gagné pas mal de terrain. Au lieu de nous battre les flancs pour amener les corporations ouvrières à faire en bloc une adhésion purement nominale à l’Internationale, nous travaillons — et nous avons réussi dans la plupart des cas — à amener à nous les hommes actifs de chaque corporation. Et je t’assure que, sans qu’il y paraisse, nous avons beaucoup plus de force réelle qu’il y a quatre ans. Le Bulletin est notre baromètre ; or, le nombre de ses abonnés va toujours en croissant.

Tu devrais, mon cher, travailler un peu autour de toi à faire connaître notre organe. J’espère que toi, du moins, tu sais voir assez clair pour reconnaître que c’est un organe purement impersonnel, et que l’esprit de coterie que les mauvaises langues nous prêtent est une absurdité gratuite.

En attendant le plaisir de te revoir, je te serre la main.

P. S. Si tu as quelques sous en poche, tâche de venir à notre réunion familière de Bienne, le dimanche 3 octobre prochain.


Nettlau a retrouvé dans les papiers de Joukovsky la minute de la réponse faite par celui-ci à cette lettre, et il en a publié l’extrait suivant : « Je prépare une brochure en français sous ce titre : La propagande socialiste-révolutionnaire en Russie. Nous tenons plus que jamais ferme au drapeau de l’Anarchie et propageons l’idée de l’abolition de tous les « généraux de la Révolution », qu’ils soient intelligents comme Bakounine ou bêtes et malhonnêtes comme Ross[11] ; du reste ce dernier doit appartenir à la classe des Jacobins, qui correspond à celle des plésiosaures ou ichthyosaures des périodes géologiques. Tu liras la brochure, tu en jugeras[12]... En fait de sections, il n’y en a pas beaucoup à Genève. Toutes celles qui appartiennent à la « fabrique » sont déroutées, anéanties, réduites à rien. Celles du bâtiment existent encore et tiennent à appartenir à l’Internationale. Mais point de manifestations, pas de journal, pas de réunions ; elles existent sans exister — c’est comme le calorique latent qui ne chauffe pas... La Section de propagande se trouve isolée, elle n’a aucune action immédiate ;... mais ce n’est pas pour Genève qu’elle travaille. »


Parmi les articles qui parurent en Variétés dans le Bulletin pendant ce trimestre, je veux citer des extraits d’un livre que de Paris m’avait envoyé, deux ans auparavant, F. Buisson : Notes morales sur l’homme et sur la société, par Georges Caumont (Sandoz et Fischbacher, 1872), et que je présentai ainsi à nos lecteurs : « L’auteur (mort depuis, croyons-nous) n’était pas un socialiste : c’était un bourgeois et un chrétien, mais l’amour de la vérité l’avait amené à renier les doctrines de l’économie officielle ». Voici, entre plusieurs, trois de ces « Notes », d’un style amèrement ironique, que le Bulletin reproduisit :

« 88. — Tout m’éloigne du socialisme. Mes instincts y répugnent, mon intérêt s’y oppose, mes préjugés m’en dégoûtent, et les socialistes me le font haïr. Une toute petite considération plaide seule au fond de ma conscience pour ce pelé, ce galeux, et elle doit paraître si faible à mes contemporains que je ne sais, en vérité, si je dois l’énoncer : c’est que le socialisme est la justice.

« 89. — Le socialisme est la justice. Il faut qu’on s’habitue à ce refrain. Pétrole, exécutions, pelotons en délire, Raoul Rigault, brutalité de la foule, bonds rugissants de la bête humaine déchaînée, l’ivresse galonnée guidant la tuerie, et la débauche en jupe versant à boire à la férocité[13] ; tout cela est vrai, tout cela hurle, sue, saigne et fume encore. Mais le socialisme est la justice.

« 93. — Aux yeux d’un homme qui est économiste, les « décès par inanition » sont tout simplement une petite colonne dans un registre de statistique. La colonne est-elle courte ? Il en ressent une joie honnête. Est-elle longue ? Il en éprouve une tristesse modérée. — Aux yeux d’un économiste qui serait homme... mais que vais-je supposer là ? »


À Lugano, Bakounine s’occupait aux travaux commencés à la villa du Besso ; il n’avait pas seulement voulu transformer le terrain de la plantation de mûriers en jardin potager et fleuriste, il faisait aussi agrandir le bâtiment d’habitation ; et il devait déjà une grosse somme à l’entrepreneur Zaviati.

En août 1875, les relations entre Bakounine et Cafiero étaient encore ce qu’elles avaient été l’hiver précédent. Voici un billet de Cafiero à Bakounine (en français) qui le prouve :


11 août 1875.

Reçu votre lettre et les deux pièces que vous me rendez, aussi bien que le paquet de livres pour Ross. Je lui expédierai ce paquet lorsque j’aurai son adresse. Car il n’est plus à Zürich ; il est en Herzégovine avec beaucoup de Serbes et Russes, d’où il écrira des correspondances pour le Bulletin. Je n’ai pas défait le paquet, et je le lui enverrai tel qu’il se trouve, en y ajoutant son adresse. S’il faut faire autrement, veuillez bien me le dire. Je vous envoie ci-jointe la souscription pour les condamnés de Rome. Salut. — Carlo.


Ross, en effet, comme le dit ce billet de Cafiero, avait quitté Paris au commencement de juillet 1875 ; par Zürich, Munich et Agram, il était allé en Hertségovine, afin d’y prendre part à l’insurrection qui avait éclaté dans ce pays contre les Turcs. Kraftchinsky l’y rejoignit. Ils n’y restèrent que deux mois.

Sur ces entrefaites, Malatesta, remis en liberté, se rendit (voir p. 288) auprès de Cafiero, à la Baronata, où il passa trois ou quatre jours (seconde moitié d’août). Il fit ensuite une visite à Bakounine, qui lui parut bien changé (interrogé vingt ans plus tard à ce sujet par Nettlau, Malatesta résuma son impression en disant que Bakounine, à Lugano, en août 1875, était « en décomposition »). Cafiero et Bakounine parlèrent à Malatesta l’un de l’autre sur un ton amical : la colère était passée, et le rapprochement, désormais, ne devait plus tarder à se produire.

Les embarras financiers de Bakounine étaient toujours grands. Le 17 août, on le voit essayer d’emprunter 300 fr. à Bellerio, auquel il écrit (en français) : « Avant d’aller en paradis, il faut passer par le purgatoire, dit-on. Il en est ainsi pour nous. À la veille de devenir riches, puisque Sophie est sur le point de vendre notre forêt, si elle ne l’a pas déjà vendue, nous restons ici sans le sou. » Bellerio lui envoie tout ce dont il peut disposer, soixante francs ; Bakounine les refuse (21 août), puis se ravise et les accepte (22 août), en écrivant : « J’aurai des paiements à faire et je n’ai pas le sou ; ce ne sera pas pour longtemps, je t’assure, car les portes du paradis sont déjà ouvertes, et nous les entrevoyons d’assez près ». Enfin il obtient de Gambuzzi, le 9 septembre, un prêt de 3400 fr., qu’il comptait rembourser, ainsi qu’un prêt antérieur de 2200 fr., sur le prix de la coupe de la forêt de Priamoukhino.

Lorsqu’ils s’étaient rendus en Hertségovine, Ross et Kraftchinsky avaient pensé que l’insurrection avait ou pourrait prendre un caractère socialiste. Bientôt désabusés, ils quittèrent ce pays et vinrent en Suisse en septembre, ils s’arrêtèrent à Locarno, chez Cafiero, et passèrent quelques jours avec lui ; de là ils allèrent à Lugano visiter Bakounine, que Ross n’avait pas revu depuis le 25 septembre 1874, et que Kraftchinsky ne connaissait pas encore. Bakounine les accueillit amicalement tous les deux ; leurs entrevues eurent lieu au café (c’était là que Bakounine recevait habituellement ses visiteurs, à Lugano). Nettlau a enregistré (note 3814) le témoignage de Kraftchinsky, communiqué par Pierre Kropotkine, au sujet de cette visite : « Bakounine avait beaucoup impressionné Kraftchinsky, qui avait gardé de lui un profond et excellent souvenir. Son immense intelligence l’avait surtout frappé. » Ross se rendit ensuite à Genève, où il se fixa, et d’où il vint me voir[14]. Dans le Bulletin du 10 octobre, je publiai les lignes suivantes : « Un de nos amis, qui a passé quelque temps chez les insurgés de l’Herzégovine, nous communique l’impression qu’il en a rapportée. Le mouvement, dit-il, a deux mobiles essentiels : le fanatisme religieux et l’amour du pillage. Les insurgés sont de véritables troupes de brigands, qui brûlent les villages et égorgent tout ce qu’ils rencontrent. C’est se faire illusion que de croire ces gens-là capables d’accomplir une révolution sérieuse. Si la population de la Serbie se mettait de la partie, ce serait différent, car il y a là des éléments socialistes. » — Quant à Kraftchinsky, je ne sais pas ce qu’il devint, durant l’année qui suivit son retour de la Herzégovine. Nous le retrouverons, vers la fin de 1876 ou au commencement de 1877, dans le midi de l’Italie, où il s’était rendu avec Mme Volchovskaïa gravement malade.

Si Bakounine se croyait à la veille de sortir de la détresse financière dans laquelle il se trouvait depuis un an, et « entrevoyait les portes du paradis d’assez près », Cafiero, lui, définitivement ruiné, et ne pouvant continuer à vivre à la Baronata faute de ressources, avait été obligé de se mettre en quête d’un emploi qui lui donnât de quoi manger. En septembre 1875, il crut avoir trouvé ce qu’il lui fallait : il s’était abouché avec un photographe de Milan, qui lui promit de le prendre comme employé. En conséquence, il décida de quitter la Baronata[15] pour se rendre à Milan ; sa femme voulait, de son côté, retourner en Russie pour s’y consacrer à la propagande. Le mobilier de la Baronata, qui allait devenir ainsi en partie disponible, pouvait être utile à Bakounine pour sa villa de Lugano ; on a vu que celui-ci, dès septembre 1874, s’était « entendu avec Cafiero pour lui acheter tous les meubles, ustensiles et linges de la Baronata dont il aurait besoin » (p. 235). C’est probablement cette question de mobilier, sur laquelle il était difficile de s’expliquer autrement que sur place, qui détermina Bakounine à rendre visite à Cafiero, et amena ainsi le rapprochement que tous deux souhaitaient et dont l’occasion ne s’était pas encore présentée. Quoiqu’il en soit, vers la fin de septembre, Bakounine, encouragé à cette démarche par les visites qu’il venait de recevoir successivement de Malatesta et de Ross, se rendit — seul — de Lugano à la Baronata. Il y fut reçu affectueusement par Cafiero et par sa femme (celle-ci ignorait, comme je l’ai déjà dit, le refroidissement momentané qui s’était produit entre son mari et Bakounine), et il y resta plusieurs jours. Cette visite rétablit, entre les deux amis, les relations sur l’ancien pied, et le tutoiement recommença. Sur la question du mobilier, on se mit facilement d’accord : Cafiero se réserva seulement quelques meubles, parce qu’il voulait conserver à la Baronata un pied-à-terre. Bakounine, de retour à Lugano, s’employa obligeamment à faciliter à Lipa l’obtention d’un passeport pour la Russie (lettre à Adolphe Vogt du 2 octobre 1875). Une lettre de Cafiero, du 9 octobre, commençant par « Mon cher Michel », annonce qu’il a reçu de Berne le passeport de Lipka, et que leur départ à tous deux est fixé au surlendemain ; il donne la liste des meubles qu’il pourra céder à Bakounine, et termine par ces mots : « Je t’embrasse avec Lipa et Filippo[16] ». Le 10, Cafiero et sa femme écrivent chacun à Bakounine un billet d’adieu ; celui de Lipa, en russe, très chaleureux, commence par les mots « Bien cher petit père Michel Alexandrovitch » ; voici le billet de Cafiero, en français, écrit au verso de celui de sa femme :


10 octobre.

Nous recevons, Michel, ta dernière lettre. Pourquoi me devrais-je refuser à me rencontrer avec Mme Antonie ? Au contraire, je serais bien aise, si je pouvais lui être utile à Milan. Je t’écrirai, Michel, aussitôt arrivé là-bas. Je t’embrasse, Michel, je t’embrasse bien fortement, je t’embrasse encore.


On peut deviner, par ce billet, que Bakounine avait exprimé le désir que Cafiero et sa femme lui rendissent visite à leur tour, avant de partir, et avait laissé voir qu’il craignait un refus à cause de la présence de Mme Bakounine à Lugano. La visite eut lieu. Mme Olympia Cafiero-Koutouzof m’a écrit (2 septembre 1907), en réponse à une question à ce sujets ce qui suit :


Avant mon départ pour la Russie, nous sommes allés à pied à Lugano, Carlo et moi, avec deux ou trois amis, dont Filippo Mazzotti, faire nos adieux à Bakounine. Avant cela, Bakounine était venu passer quelques jours à la Baronata. Nos rapports étaient les meilleurs. De Lugano nous revînmes à la Baronata. Ensuite je partis pour la Russie, et Carlo m’accompagna jusqu’à Milan, où il resta.


Cafiero ne devait revenir en Suisse qu’en octobre 1876, quatre mois après la mort de Bakounine.




  1. Voir plus loin, p. 296.
  2. On verra, dans le prochain volume, ce qui advint, en avril 1877, de deux des « chefs » du parti socialiste danois, MM. Louis Pio et Paul Geleff.
  3. « Le prince Alexandre Kropotkine, pour avoir écrit à un de ses amis, habitant l’étranger, une lettre désagréable au gouvernement, et pour avoir montré du mépris pour le procureur qui l’avait accompagné à une entrevue avec son frère emprisonné, vient d’être déporté, par ordre administratif, à Minossinsk (province d’Iénisséi, Sibérie). » (Bulletin du 1er août 1875.)
  4. Cette brochure parut peu de temps après sous ce titre : « La question des services publics devant l’Internationale (Rapport présenté au Congrès jurassien tenu à Vevey, les 1er et 2 août 1875, par la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary) ». S. l. n. d. — La brochure ne porte pas de nom d’imprimeur ; elle a été imprimée chez L.-A. Borel, à Neuchâtel, l’imprimeur du Bulletin.
  5. Le rapport de Schwitzguébel sur les services publics (avec, à la suite, les considérants de la Section de Berne) a été réimprimé dans le volume Quelques écrits, par Adhémar Schwitzguébel, Paris, Stock, 1908.
  6. Voir t. II, p. 38. C’est moi qui avais proposé à l’assemblée du 1er août 1875 de voter à nouveau la résolution qu’avait présentée Samuel Rossier au meeting du 8 mai 1870 ; il m’avait semblé utile d’affirmer par là que nos principes n’avaient pas varié depuis l’époque où cette résolution avait été adoptée à l’unanimité, y compris les voix de Grosselin, Henri Perret et J.-Ph. Becker, comme le résumé du programme de l’Internationale.
  7. Celle de Charles Beslay.
  8. Une erreur avait fait imprimer, dans le Bulletin, au lieu du mot « sous-officier », le mot « officier ». Aussitôt les officiers suisses habitant Vevey, au nombre de vingt-trois, s’empressèrent de publier une Protestation, pour déclarer qu’ils « avaient été indignés à la lecture du compte-rendu du dernier meeting de l’Association internationale des travailleurs réuni à Vevey », qu’ils « protestaient énergiquement contre l’inique proposition qui y avait été faite, et repoussaient toute solidarité avec le soi-disant officier veveysan encore inconnu qui devait en être l’auteur ». La Section de Vevey répondit, après avoir expliqué qu’il s’agissait d’un sous-officier : « Cela ne fait du reste rien à l’affaire. La proposition n’a ni plus ni moins de valeur pour avoir été faite par un militaire d’un grade plus ou moins élevé... Nous donnons acte à messieurs les officiers de Vevey du zèle avec lequel ils ont pris la défense du gouvernement d’Uri qui a commandé le massacre et des soldats qui ont eu le courage de fusiller des ouvriers sans armes. Seraient-ils désireux d’imiter cet héroïque exemple ? »
  9. C’est seulement en mai 1876 que la répartition de la souscription put être faite. Les familles de Salvatore Villa, à Strambino, J.-B. Gotta, à Locana, et Costantino Doselli, à Calestano, reçurent chacune un quart (156 francs) de la somme recueillie. Quant à la quatrième victime, Giovanni Merlo, il avait été impossible d’obtenir aucun renseignement sur sa famille, et l’argent qui lui était destiné resta en dépôt entre les mains du Comité fédéral jurassien. En août 1877, le Congrès de Saint-Imier décida que le solde non distribué de la souscription de Goschenen serait versé en faveur des familles des internationaux emprisonnés en Italie.
  10. Bulletin du 15 août 1875. — Félix Pyat nous envoya de Londres, avec 10 francs pour sa souscription, une lettre éloquente, qui parut dans le Bulletin du 5 septembre.
  11. Joukovsky était ici l’écho des rancunes de Ralli et d’Œlsnitz, ses collaborateurs au Rabotnik.
  12. Cette brochure n’a pas paru, autant qu’il m’en souvient.
  13. On voit de reste que ce n’est pas un communard qui parle. (Note du Bulletin.)
  14. Il existe une lettre de Ross à Bakounine, du 30 septembre 1875, où il dit : « Demain, je vais aux Montagnes », et donne son adresse ainsi : « Alfred Andrié, monteur de boîtes, à Saint-Aubin, canton de Neuchâtel. Pour Marie. »
  15. Il cherchait à vendre cette propriété. Je le mis en relation avec Claris, qui avait fondé à Genève une agence pour la vente et la location d’immeubles, et qui se chargea de lui chercher un acquéreur. Mais il ne s’en présenta point dans les trois années qui suivirent. La Baronata ne fut vendue qu’en 1879, ou même plus tard, et non pas par l’intermédiaire de Claris.
  16. Filippo Mazzotti, de Bologne.