L’Équilibre des budgets sous la monarchie de 1830

DE


L’ÉQUILIBRE DES BUDGETS


SOUS


LA MONARCHIE DE 1830.


Séparateur



Les communications que M. le ministre des finances a faites à l’assemblée nationale, au moment de sa séparation, ont vivement préoccupé l’attention publique : elles méritent en effet au plus haut degré l’attention de quiconque s’intéresse à la prospérité de notre pays ; elles embrassent l’ensemble de notre situation financière ; elles ont pour objet de régler le passé et d’assurer l’avenir. Pour ce passé encore si court, la charge est déjà bien lourde ; les ressources deviennent bien difficiles pour cet avenir si prochain. M. le ministre des finances annonce à la fois la nécessité d’un nouvel emprunt pour alléger le poids de l’arriéré et la nécessité de nouveaux impôts pour équilibrer les recettes et les dépenses publiques. Quelques efforts qui aient été faits depuis dix-huit mois, ces efforts ne peuvent suffire, et la mesure des besoins dépasse encore celle des sacrifices. C’est en vain que des remboursemens onéreux ont amorti la dette flottante laissée par le dernier gouvernement, cette dette flottante est près de renaître : l’accroissement des dépenses, l’affaiblissement des recettes, la reconstituent tous les jours. Au 1er janvier 1848, elle était de 630 millions ; au 1er janvier 1850, elle sera remontée à 550 millions. Des voies et moyens extraordinaires et la suspension absolue de l’amortissement, malgré l’abaissement au-dessous du pair du cours de tous les fonds publics, auront fourni, en deux années, 780 millions[1] pour couvrir un déficit sans cesse croissant, et cependant M. le ministre des finances déclare que, même après l’épuisement de ces immenses ressources, les exercices 1848 et 1849 laisseront au trésor une charge de 256 millions[2], dont il prévoit même le notable accroissement. De toutes les prévisions ministérielles, ce sera, sans doute, la moins trompée : la publication du produit des revenus indirects pour le premier trimestre de 1849 donne déjà un démenti aux évaluations des recettes, et personne ne peut espérer que le crédit de 1,200,000 francs, qui figure seul dans les calculs du ministre, soit le dernier mot financier de l’expédition de Rome.

Dans de telles circonstances, la préparation du budget de 1850 a dû présenter de grandes difficultés. Depuis le 24 février, il a été inscrit au grand livre de la dette publique 62 millions de rentes ; aucune réduction de quelque importance n’a pu être opérée dans l’ancien budget des dépenses, et des circonstances impérieuses y ont introduit des augmentations considérables. En même temps, des réductions et des suppressions imprudentes dans les impôts indirects retranchaient 160 millions du budget des recettes, et les agitations dont la révolution de février a été suivie faisaient descendre les produits des impôts conservés bien au-dessous du niveau où de longues années d’ordre et de paix les avaient élevés.

Un mal si grave appelait un remède efficace. Nous n’avons pas le projet d’examiner ici les propositions du ministre ; nous nous contenterons de les exposer. Réduire la dette flottante à l’aide d’un emprunt de 200 millions, rétablir l’impôt des boissons avec de nouvelles formes de perception, plus tolérantes et non moins efficaces, remplacer par l’impôt sur le revenu et par de nouveaux droits d’enregistrement les pertes volontairement éprouvées sur l’impôt du sel, de la poste et du timbre, compenser l’affaiblissement du produit des impôts conservés par la suspension absolue de l’amortissement, exclure, les grands travaux publics du budget des dépenses, et leur affecter une dotation éventuelle à l’aide d’un emprunt spécial dont le ministre n’ose affirmer le succès et dont il ne réalise le gage que pour une année : telles sont les mesures à l’aide desquelles il rétablit dans la proposition du budget un équilibre qui se maintiendra jusqu’au règlement de l’exercice, si d’ici là la paix de l’Europe et la prospérité de la France nous préservent de tout mécompte dans les recettes et de toute surprise dans les dépenses.

Quelque effet qu’aient pu produire ces propositions sur l’opinion publique, trop peu préparée à les recevoir, nous approuvons sans réserve la franchise du ministre. Ce que nous redoutons le plus pour notre pays, et même, à vrai dire, la seule chose que nous redoutions pour lui, ce sont ses propres illusions. Il n’est point de fautes, il n’est point de pertes, si graves qu’elles soient, que ne puissent aisément réparer la richesse de son sol et l’industrie de ses habitans. Nul ne le traînera, malgré lui, à l’abîme ; il ne risque d’y tomber que s’il s’endort imprudemment sur le bord.

M. le ministre des finances ne se contente pas d’exposer dans toute leur réalité les embarras de notre situation financière ; il en recherche les causes. Quelque ruineuse qu’ait été, d’après lui-même, l’influence des derniers événemens, il remonte beaucoup plus haut. « Depuis dix ans, dit-il, l’équilibre du budget a cessé d’exister ; » L’exercice 1839 a clos la série des budgets réglés sans déficit ; l’exercice 1850 doit sans doute la rouvrir. S’il en était ainsi, M. Passy aurait eu en partage une heureuse destinée : ministre des finances en 1839, ministre des finances dix ans après, il aurait été le dernier défenseur de l’équilibre sous la monarchie, et il en serait le restaurateur sous la république. Nul ne désire plus vivement que moi qu’il obtienne cette dernière gloire ; mais je ne pourrais lui reconnaître la première sans lui sacrifier l’honneur d’un gouvernement que j’ai servi, et, ce qui m’est bien plus précieux encore, les droits de la justice et de la vérité. Ce n’est pas d’ailleurs une vaine discussion sur le passé qu’il s’agit d’entreprendre : le passé est ici un enseignement pour l’avenir. S’il était vrai que le gouvernement de juillet, malgré le rapide accroissement de ses revenus, eût laissé ouvert après lui le gouffre du déficit, il faudrait reformer d’urgence le régime nouveau, qui n’a fait autre chose jusqu’ici que d’ajouter à l’ancien budget des dépenses et de retrancher de l’ancien budget des recettes. S’il est vrai au contraire, comme nous espérons le démontrer avec évidence, que ce gouvernement, après dix-sept années remplies par tant de grandes entreprises, a balancé ses dépenses ordinaires par ses recettes ordinaires, et préparé pour ses grands travaux publics les ressources qui devaient en payer le prix, l’exemple, pour venir d’un gouvernement tombé, ne sera pas à dédaigner.

Le moment est venu d’ailleurs de discuter cette grande question avec des documens certains. Le règlement définitif du dernier exercice de la monarchie vient d’être soumis à l’assemblée. Nous ne connaissions jusqu’ici que des situations provisoires : ces situations font connaître le passé plus que le présent. Notre comptabilité se propose pour objet de rapporter à chaque année les faits de dépense et de recette qui la concernent, elle écrit l’histoire de chaque exercice ; mais, pour que cette histoire soit exacte, il faut que l’exercice soit terminé. Jusque-là, la comptabilité établit les situations sur des hypothèses : tous les crédits ouverts équivalent à des dépenses. À la fin de l’année l’exercice est clos pour les dépenses, mais il reste ouvert pour la comptabilité des délais successifs sont accordés pour liquider, pour ordonnancer, pour payer, et ce n’est que neuf mois après la fin d’une année que les comptes de cette année peuvent être réglés, et que, dans les écritures de la comptabilité, la réalité vient enfin prendre la place de ces hypothèses successives.

C’est là tout le secret de ces énormes déficits de la monarchie que le gouvernement provisoire proclamait comme les avant-coureurs infaillibles de la banqueroute ; On faisait le relevé de tous les crédits ouverts, et on le présentait comme l’addition de toutes les dépenses ; on confondait dans le même chiffre les dépenses ordinaires et celles des grands travaux publics, mais on avait grand soin de ne parler que des recettes ordinaires. Dans un écrit qui a produit une vive impression et qui a laissé un durable souvenir, M. Vitet, ici même[3], combattit avec autant de force que d’éclat ces exagérations malveillantes, et cependant il ne possédait pas encore tous les résultats définitifs, et sa sagacité a dû quelquefois y suppléer par des conjectures que le temps a vérifiées. Aujourd’hui, toute incertitude a cessé ; en prenant le 1er janvier 1848 comme la date finale de l’histoire financière de la monarchie, rien n’est plus facile que de dresser son bilan et d’en faire la balance.

Voici le bilan du passé, tel que le présente M. le ministre des finances : « A la fin de l’exercice 1847, les découverts tombés successivement à la charge du trésor, dans le cours de huit années seulement, formaient un total de 897,764,093 francs, et le produit de la réserve de l’amortissement n’avait servi à les atténuer que dans la proportion de 442,249,115 francs[4]. » La conséquence se tire aisément : la monarchie de juillet est restée en déficit de 455,514,978 francs.

Quelles sont les causes de ce découvert ? M. le ministre en indique deux concurremment, et comme si elles avaient une part égale dans sa formation : l’extension des dépenses ordinaires et notamment de l’occupation de l’Algérie, et l’extension des travaux publics. Qu’est-ce à dire ? Est-ce que les revenus du trésor restaient annuellement au-dessous de ses services essentiels ? Etait-il obligé de créer des ressources extraordinaires pour payer les arrérages de sa dette, pour amortir la portion de cette dette qui était susceptible d’amortissement, pour entretenir son armée et sa flotte, pour tenir en bon état ses routes, ses ports, ses rivières et ses canaux, pour salarier l’administration, la diplomatie, la magistrature et le clergé, pour subvenir enfin aux dépenses de l’Algérie, et pour achever par la civilisation l’œuvre de la conquête ? S’il en eût été ainsi, nous le disons hautement, le dernier gouvernement eût manqué de prévoyance : au lieu de donner carrière à tant d’améliorations diverses que sollicitaient et que payaient, il est vrai, les progrès de la richesse nationale, il aurait dû renfermer sévèrement ses dépenses ordinaires dans la limite des revenus publics ; mais il n’en est rien : tous ces services, malgré leurs développemens, trouvaient des allocations suffisantes dans le budget des dépenses, et des ressources correspondantes dans le budget des recettes ; Sans doute, dans le cours de ces dix-huit années, qui ont eu tant de fortunes diverses, chaque exercice n’a pas pu se clore par une balance exacte ; mais les années les plus prospères ont défrayé les années moins favorisées, et au terme de cette longue liquidation on trouve, c’est M. le ministre des finances qui le déclare officiellement[5], que les services ordinaires de la monarchie n’ont laissé à la charge du trésor que 13,762,000 francs. 13,762,000 francs ! voilà donc, au lendemain de l’année la plus calamiteuse que la France ait supportée depuis trente années, tout l’arriéré d’un règne de dix-huit ans ! Qui l’eût dit en lisant les rapports du gouvernement provisoire ?

Mais ce n’est pas, nous nous empressons de le dire, la seule dépense qui ne fût pas couverte par les recettes ordinaires : 441,752,000 francs représentent la dépense des travaux publics extraordinaires exécutés dans les derniers temps de la monarchie. Hâtons-nous de dire aussi que des ressources spéciales, créées en dehors des recettes ordinaires, étaient assurées et réalisées en partie dans les caisses du trésor pour acquitter cette dépense. Personne ne prétendra certainement que ces vastes entreprises, qui développent pour des siècles l’activité, la richesse et même la puissance d’un grand peuple, puissent se paver, chaque année, sur les excédans des recettes ordinaires. Personne ne prétendra que ces grands ouvrages que le présent lègue à l’avenir doivent rester tout entiers à la charge des générations qui les exécutent, et passer comme un patrimoine gratuit aux générations qui doivent en jouir. Les peuples du moyen-âge, qui ne connaissaient que la richesse présente et qui n’avaient ni la science ni la possibilité même du crédit, élevaient, à force de temps et assise par assise, ces admirables monumens qu’un siècle voyait commencer et qu’un autre siècle voyait finir ; mais nos travaux, consacrés aux besoins impérieux du commerce et de l’industrie, n’admettent pas cette longue temporisation, et chaque jour perdu pour leur achèvement est un jour dérobé à leur utilité. L’emploi du crédit, qui associe les générations contemporaines avec leur postérité, peut seul réaliser ces deux conditions essentielles : la rapidité dans l’exécution des travaux, et l’égalité dans la répartition de la dépense. Une nation qui emprunte pour ses besoins périodiques et permanens trouve dans chaque emprunt la nécessité d’un emprunt nouveau, et elle est entraînée par son crédit même sur le penchant de sa ruine. Une nation qui supporte sans peine, à l’aide de ses revenus, non-seulement toutes ses charges accoutumées, mais même tous les incidens imprévus dont se compose la vie d’un grand empire, cette nation peut emprunter sans péril pour exécuter des travaux qui rapportent plus encore qu’ils ne coûtent ; elle augmente sa richesse au lieu de la compromettre et son crédit la pousse sur la voie de la prospérité.

C’est donc une grave erreur et un reproche injuste de dire que le dernier gouvernement, dans les huit dernières années de son existence, s’était irrévocablement engagé dans la voie des déficits, lorsqu’il est manifeste qu’il n’a fait appel au crédit que pour des dépenses extraordinaires et productives. Qu’on lui reproche le choix, l’exagération, le système de ses travaux, qu’on lui dise, en un mot, qu’il a trop fait et qu’il a mal fait, c’est tout simple : toutes ces objections ne lui ont pas été épargnées, et nous n’entendons pas en éluder l’examen ; mais du moins qu’il soit reconnu, dès ce moment même, qu’il a usé légitimement du crédit, et qu’il ne serait répréhensible que s’il en avait abusé.

Les principes ainsi établis, notre première pensée était de nous renfermer dans l’examen financier des huit années que M. le ministre des finances a choisies pour justifier ses reproches ; mais un mot nous inquiète dans la phrase que nous avons reproduite. M. le ministre parle de ces huit années seulement ; est-ce qu’il entend faire grace des autres ? en portant une accusation grave, est-ce qu’il en sous-entend une plus grave encore ? Si c’est une concession, il n’est pas nécessaire de l’accepter ; si c’est une insinuation, il est nécessaire de la combattre. Écartons donc tous ces artifices ; reprenons rapidement, dès son premier jour, l’histoire financière de la monarchie de 1830 ; disons simplement ce qu’elle a coûté et ce qu’elle a fait, afin que l’opinion publique lui assigne équitablement sa place parmi les gouvernemens de la France.

Les bons ou les mauvais gouvernemens laissent surtout des traces de leur passage dans le tarif des contributions et dans le grand-livre de la dette publique. Un gouvernement qui obère son pas croit doubler ses ressources en doublant les impôts qui les produisent, et il n’aboutit en réalité qu’à cumuler la gêne du trésor avec celle des contribuables. Un gouvernement qui obère son pays emprunte sous toutes les formes et pour toutes sortes de dépenses ; il épuise les ressources présentes, il anticipe sur les ressources futures, et, malgré tous ces sacrifices, il ne traverse une crise difficile que pour arriver à une crise plus difficile encore. Les bons gouvernemens se reconnaissent à une conduite opposée : ils n’empruntent que pour des nécessités suprêmes et passagères, ou pour des dépenses fécondes, et ils assurent, sur leurs recettes ordinaires, le service des intérêts et l’amortissement de leurs emprunts. Ils attendent l’élévation de ces recettes non de l’élévation des tarifs d’impôts, mais de leur plus fréquente application, et les accroissemens de leurs revenus, prélevés sur l’accroissement de l’aisance générale, se résolvent en emplois utiles qui font couler avec plus d’abondance la source où ils ont été puisés.

N’est-ce pas l’histoire financière du gouvernement de juillet que nous venons de résumer en quelques lignes ? On a souvent parlé de l’augmentation des impôts : les impôts se divisent en deux grandes catégories, — ceux qui atteignent directement la propriété, le champ, la maison, l’industrie, et qui pèsent sur le propriétaire, le locataire, le patentable, quelles que soient d’ailleurs les circonstances qui en allégent ou en aggravent pour lui le fardeau : ce sont les contributions directes ; elles sont fixes de leur nature et ne peuvent s’accroître que par le rehaussement de l’impôt ou par la création de nouvelles propriétés et de nouveaux contribuables. — Les contributions indirectes n’atteignent pas immédiatement ceux qui les acquittent ; elles frappent les denrées et les marchandises ; elles deviennent portion intégrante de leur prix et se proportionnent à l’étendue de la consommation, et, par conséquent, aux besoins ou plutôt aux facultés des consommateurs. Voyons quel mouvement s’est opéré dans ces deux catégories d’impôts sous le dernier gouvernement.

Des centimes ont été ajoutés au principal des contributions directes ; mais quelle a été la part de l’état dans le produit de ces centimes additionnels ? 11 millions à peine sur une contribution totale de 422 millions[6], car il ne serait pas juste de considérer comme une surcharge de l’impôt direct les accroissemens qui sont dus à l’accroissement même de la matière imposable. Si nos villes se sont agrandies, si le sol partagé entre un plus grand nombre de citoyens admis aux jouissances de la propriété s’est couvert d’habitations nouvelles, si la rapide extension du commerce a multiplié le nombre des commerçans, n’était-il pas juste que ces propriétés et ces industries de création récente ajoutassent leur tribut aux ressources publiques ? et n’est-ce pas un heureux symptôme que cette plus-value de 17 millions, due tout entière non à la pénible aggravation de l’impôt, mais à l’heureuse augmentation du nombre des contribuables ?

D’autres additions ont été faites, nous devons le dire, aux contributions directes ; mais qui les a votées et quel en a été l’emploi ? Elle ont été votées par les conseils électifs des département et des communes, pressés par les vœux des populations, qui acquittaient aisément des dépenses faites sous leurs yeux et pour elles. Les votes des conseils électifs ont ajouté 66 millions aux contributions directes[7]. Avant ces votes, les ressources départementales existaient à peine, et les ressources communales encore moins. Aussi, dans quel état se trouvaient, avant 1830, les divers services des départemens et des communes ! Les chemins étaient impraticables, les routes peu nombreuses s et mal entretenues ; il y avait peu d’hospices, peu de collèges et point d’écoles. Qui pourrait nier que, depuis 1830, les départemens et les communes aient changé de face ? Nous ne voulons point citer de chiffres : on les trouve dans toutes les statistiques ; mais l’évidence parle encore plus haut. Ne rappelons ici qu’un seul service : quelle est la ville, quel est le village, quel est le hameau que n’atteigne ce vaste réseau de routes de départementales et de chemins vicinaux, achevés avec tant de persévérance et au prix de tant de sacrifices par les départemens et les communes ?

Le gouvernement a donné son autorisation à ces sacrifices ; mais pouvait-il la refuser ? N’eût-il pas abusé, en la refusant, de cette tutelle administrative que des lois déjà très attaquées ont remise entre ses mains ? Le devoir de cette tutelle est de mettre un frein à l’entraînement des dépenses inutiles ou excessives : quelles dépenses furent plus utiles et plus modérées ? Si on veut connaître le point où les contribuables commencent à fléchir sous les charges même les plus acceptées, on n’a qu’à s’enquérir de la rentrée des impôts. Les contribuables obérés ralentissent leurs versemens, et même ils les refusent jusqu’à ce que les moyens de contrainte surmontent leur résistance. Qu’on apprécie, d’après cette règle, la perception des contributions directes depuis 1830 : le chiffre croissant des recouvremens et le taux décroissant des frais de poursuite manifestent d’année en année une rentrée plus prompte et plus facile de l’impôt[8].

La raison de ce progrès est sensible. Les dépenses utiles enrichissent ceux qui peuvent les faire. Les denrées, par exemple, ne valent pas seulement ce qu’elles coûtent à produire, elles valent encore ce qu’elles coûtent à transporter sur les lieux où elles se consomment ; l’élévation du prix de transport peut rendre inefficace la médiocrité du prix de revient, et ces denrées, ainsi renchéries ; rencontrent sur le marche une consommation restreinte ou une concurrence invincible. C’est là ce qui explique l’ardeur passionnée qui, depuis quelques années pousse la France vers les travaux publics : tout le monde comprend que l’économie faite sur les frais de transport est un bénéfice net qui se partage entre les consommateurs et les producteurs. Sur ce point, les fermiers pensent comme les économistes, et les conseils municipaux ont agi comme les chambres législatives. Il ne faut pas, d’ailleurs, se méprendre à la fixité apparente de l’impôt direct. C’est un prélèvement obligé sur le revenu : si le revenu s’élève ou s’abaisse, ce prélèvement devient plus léger ou plus lourd ; la diminution des fermages et des loyers est bien plus onéreuse que quelques centimes additionnels. Nous ne voulons faire aucune allusion politique aux événemens qui ont changé la constitution de notre pays ; mais, sous le point de vue fiscal, est-il un seul contribuable qui ne voudrait pas reculer de deux années ? L’impôt direct est cependant le même en 1847 qu’en 1849 : il est vrai ; rien n’est changé pour le percepteur, mais tout est changé pour le contribuable.

Nous venons de voir quelle faible part ont eue les dépenses générales de l’état dans l’élévation des contributions directes. Pour compenser et au-delà cette faible part, il suffirait de citer la suppression du produit de la loterie et des jeux, suppression qui, au prix de 18 millions, a purifié le budget des recettes ; mais combien d’autres compensations ne pourrions-nous pas citer encore ! Dans les contributions indirectes 30 millions sacrifiés en 1830 sur les droits des boissons, sacrifice moins regrettable si le consommateur et le producteur en eussent recueilli le prix ; dans les douanes, des dégrèvemens sur les fontes brutes, sur les houilles, sur l’huile d’olive, sur les laines, etc., etc. : on trouvera le détail et les effets de ces réductions dans un excellent mémoire, plein de renseignemens précieux et de solides appréciations, publié par M. Laplagne en réponse aux rapports de M. Garnier-Pagès. Nous nous contenterons de citer cette conclusion remarquable d’une comparaison minutieuse entre les budgets des recettes de 1829 et de 1846 : « Ainsi les contribuables en 1846, soumis aux taxes et aux tarifs d’impôts existant en 1829, auraient eu à supporter un sacrifice plus considérable que celui qui est résulté pour eux des modifications introduites dans ces taxes et ces tarifs[9]. »

Et cependant, de 1831 à 1848, une hausse rapide a élevé, d’année en d’année, les recettes ordinaires des budgets. Laissons à l’écart les contributions directes, dont le produit a été principalement grossi par des centimes additionnels ; ne voyons que les revenus indirects, qui n’ont reçu d’accroissement que de l’accroissement même des consommations. Quel magnifique développement de la richesse publique ! La restauration se vantait à bon droit d’avoir porté, en quatorze ans, de 397 à 583 millions, le produit des contributions indirectes : combien cette progression a été dépassée par la monarchie de 1830 ! En 1831, la crise politique et le dégrèvement de l’impôt des boissons avaient réduit de 59 millions les revenus indirects ; une plus-value de 304 millions a été le fruit des seize années qui ont suivi. La même sève de prospérité a vivifié toutes les branches de ce revenu. Admirable alliance de la richesse du trésor et de celle du pays ! Les capitaux nouvellement créés par l’épargne ou par le travail cherchent un emploi dans les placemens hypothécaires ou fonciers : leur existence se révèle par les produits croissans de l’enregistrement et du timbre[10]. L’extension des affaires crée des relations nouvelles et développe les correspondances : les produits de la poste participent à ce progrès[11]. L’activité du commerce et de l’industrie multiplie les salaires pour les classes laborieuses et les jouissances pour les classes aisées : des importations plus considérables grossissent le revenus des douanes[12]. La consommation des boissons s’étend comme celle du sucre et du café, et la population tout entière prend sa part dans le bien-être général[13] ; tout atteste ce bien-être jusqu’à l’augmentation plus lente des produits de l’impôt du sel, qui met en évidence l’accroissement régulier, de cette population qui prospère[14]. Jamais les fruits de l’ordre et de la paix n’ont été recueillis plus abondamment par un grand peuple, et, comme pour montrer avec éclat l’étroite union, de la politique et du bonheur public, le même coup qui a renversé les institutions a bouleversé toutes les fortunes. Un progrès inoui a été suivi d’une décadence sans exemple ; dix-sept ans de règne avaient ajouté 304 millions au revenu de l’état ; 142 millions ont été perdus en dix mois de révolution ; cet appauvrissement du trésor n’a été qu’un faible indice de l’appauvrissement du pays. Nous revoyons des jours meilleurs, et le trésor et le pays travaillent ensemble à réparer leurs pertes ; mais c’est à peine l’ombre du passé, et cependant nous ne serons pas surpris si ces tentatives d’une prospérité qui s’efforce de renaître inspirent plus de joie peut-être, que notre ancienne et longue prospérité, car il est dans notre nature que le sentiment du bonheur s’affaiblisse par sa durée : le bien-être de la santé se sent moins vivement que celui de la convalescence.

Voilà l’histoire des contributions publiques sous la monarchie de 1830 ; parcourons maintenant celle de la dette nationale.

La plus forte part de cette dette a été créée sous la restauration. L’empire s’est peu servi du crédit ; il n’en aimait pas l’usage, il n’en pratiquait pas les deux conditions essentielles, l’exactitude et la bonne foi. La dette perpétuelle de 63 millions qu’il a laissée à sa chute est presque en totalité antérieure à son avènement ; mais il transmit à la restauration la liquidation des dettes qui remontaient à ses victoires et qu’il fallut acquitter après ses revers. La France paya tour à tour l’invasion et l’affranchissement du son territoire. Cette liquidation de nos désastres pèse encore sur nos finances ; plus de 100 millions de notre dette perpétuelle n’ont pas une autre origine. Forcée de subvenir aux intérêts d’une dette si rapidement accrue en si peu d’années, la restauration était hors d’état de payer sur ses recettes ordinaires ses plus petites comme ses plus grandes entreprises ; tous ses travaux publics, toutes ses expéditions militaires, toutes ses mesures politiques ont été payés par des ressources extraordinaires. Elle a construit quelques ponts, elle a continué l’œuvre de la canalisation de la France : un emprunt de 134 millions remboursables en annuités a payé cette dépense. Elle a emprunté pour l’expédition d’Espagne ; elle a emprunté pour l’expédition de Morée ; elle eût laissé un emprunt à faire pour l’expédition d’Alger, si le trésor de la Casbah n’eût défrayé la conquête. Elle créa 30 millions de rentes pour mener à fin sa plus grande entreprise, l’indemnité des émigrés, et après seize années de durée, elle avait accru de 136 millions de rentes perpétuelles : et plus de 10 millions d’annuités la dette de la France[15]. Il est juste de reconnaître que, si elle avait aggravé la dette publique, elle en avait commencé le rachat, et que 37,503,000 fr. de rente inscrite au nom de la caisse d’amortissement auraient pu, le 31 juillet 1830, être rayés du grand livre[16].

Durant les dix-huit années de la monarchie nouvelle, plusieurs emprunts successifs ont fait inscrire 46,648,000 fr. de rentes perpétuelles[17] ; mais, pendant ce temps, la caisse d’amortissement a racheté 26,174,000 fr. de rentes[18], et les arrérages dus aux créanciers de l’état ne dépassaient, en définitive, la dette laissée par la restauration que de 20 millions environ. Ajoutons qu’une opération qui, sous le nom de consolidation des réserves de l’amortissement, a joué dans nos finances un grand rôle que nous essaierons d’expliquer, a fait inscrire au nom de la caisse d’amortissement une rente de 33,906,000 fr. ; mais cette opération n’a créé pour l’état aucune charge définitive : les rentes rachetées, les réserves consolidées, sont au fond de même nature, comme on le verra tout à l’heure ; l’état, sous des noms divers, en est débiteur et créancier, il ne les a irrévocablement engagées aucun service, il peut les annuler à toute heure. Le gouvernement nouveau demande l’autorisation de les rayer du grand livre ; l’ancien gouvernement avait la même faculté, et pouvait sans plus d’effets réaliser la même économie. Ajoutons enfin, car nous ne voulons rien omettre, que deux annulations de rentes rachetées par l’amortissement ont été opérées en 1838 : l’une de 5 millions pour fournir les fonds des premiers travaux publics, l’autre de 27 millions pour mettre en équilibre les budgets de 1834 et des exercices suivans.

Tel est donc l’ensemble des ressources que le crédit a fournies au dernier gouvernement. Si en définitive il a inscrit 20 millions de rentes nouvelles[19], s’il a disposé de 32 millions de rentés sur les économies du passé, il a largement désintéressé l’avenir par des travaux d’une valeur plus grande encore et dont l’avenir doit hériter. — Après avoir retracé l’ensemble de cette situation financière, indiquons-en les détails les plus importans.

Les commencemens de tout nouveau gouvernement sont difficiles et dispendieux. Les difficultés se compliquent et les dépenses s’aggravent lorsque le gouvernement qui s’établit hérite d’une révolution ; les résistances du dedans, les défiances du dehors, exigent de lui des précautions extraordinaires. Il faut qu’il se montre supérieur à toutes les attaques pour les éviter. Telle fut, pendant les trois premières années de son existence, la situation de la monarchie de 1830. Elle n’eut point pour auxiliaire le concert des rois comme la restauration, ni l’insurrection des peuples comme la république ; la guerre civile et la guerre étrangère pouvaient éclater à la fois. Pour dissiper les préventions de l’Europe, pour désarmer les ressentimens des partis, ce n’était pas trop de la force unie à la sagesse. Ni la force ni la sagesse ne manquèrent à cette œuvre, et elles l’accomplirent pacifiquement. Ce sera la gloire du gouvernement de juillet, et, pour parler comme l’histoire, ce sera surtout la gloire du roi Louis-Philippe d’avoir voulu la paix avec persévérance et de l’avoir maintenue avec dignité. Les armemens extraordinaires ne pesèrent que passagèrement sur nos finances : de 1831 à 1834, les désarmemens successifs qui ramenèrent l’effectif au pied de paix firent descendre les dépenses du ministère de la guerre de 386 millions à 255 millions[20], et plus tard même à 210 millions, et le grand livre de la dette publique, qu’il fallut bien ouvrir pour faire face à de telles dépenses, fut ensuite fermé, sauf pour les grands travaux publics.

Nous avons vu une seconde révolution, nous sommes encore dans la crise financière de son établissement. Nous pouvons calculer les charges qu’elle a imposées au trésor et prévoir celles qu’elle doit lui imposer encore. Nous pouvons enfin mesurer les pertes qu’a entraînées dans les fortunes privées la perturbation de la fortune publique. C’est un rapprochement fertile en utiles enseignemens que de comparer sous ce point de vue la révolution de juillet et la révolution de février.

La révolution de juillet a eu besoin de 521 millions de ressources extraordinaires[21], au prix de ce sacrifice, elle était fondée. La révolution de février a déjà beaucoup plus coûté au trésor, et son compte de premier établissement est loin d’être fermé ; mais que sont les pertes du trésor en comparaison de celles du pays ! Le crédit de l’état affaibli ses recettes plus affaiblies encore, ne nous révèlent que trop les souffrances publiques. La révolution de juillet n’imposa pas au pays de tels sacrifices. La secousse qui avait renversé une dynastie n’ébranla que faiblement les fortunes. Le crédit public remonta rapidement à son niveau, et, dès le mois d’août 1832, un emprunt en 5 pour 100 se négociait presque au pair (98 50) ; c’est au milieu même de la crise de 1831 qu’a pris naissance la progression si long-temps soutenue qui a élevé de 20 millions chaque année les revenus indirects. Les affaires privées on n’en a pas encore perdu le souvenir, s’associèrent bientôt à la marche ascendante de la fortune publique.

Nous signalons cette différence sans en vouloir rechercher les causes : nous n’écrivons pas sur la politique, nous n’écrivons que sur les finances ; mais il nous était impossible de ne pas nous arrêter un moment sur ce trait distinctif de la révolution de juillet. En trois ans, elle avait fondé un gouvernement, elle avait équilibré son budget, et, secondé par la confiance publique, même durant ses années d’épreuve, elle avait fait pénétrer partout le sentiment de sa durée.

Ce fut alors qu’à l’abri de l’ordre et de la paix fermement établis le gouvernement entra dans la carrière des grands travaux publics, qu’il a parcourue jusqu’au terme de sa durée. Les travaux publics de l’empire, à quelques exceptions près, étaient les instrumens de ses guerres ou les monumens de ses victoires Les uns, après avoir frayé la voie à la conquête, étaient devenus, par un retour de la destinée, la propriété des peuples conquis ; les autres semblaient suivre la fortune de leur fondateur, et leurs colonnades abandonnées étaient l’emblème de sa gloire interrompue. Préoccupée de projets utiles et facilement indifférente à des monumens étrangers à son histoire, la restauration ajouta à peine quelques pierres à ces édifices inachevés. Elle reprit l’œuvre de la canalisation, artificielle de la France ; mais, soit que l’activité où les ressources aient manqué à ses travaux, elle laissa l’œuvre imparfaite : elle n’avait pas eu l’honneur de la commencer, elle n’eut pas celui de la finir.

Une pensée grande et simple présida aux premiers travaux publics de la monarchie de 1830 : elle voulut achever. Elle se porta l’héritière de toutes les époques de notre histoire. Les canaux de la restauration, les routes de l’ancienne monarchie, la vieille basilique de Saint-Denis, le Panthéon moderne, l’Arc-de-Triomphe et l’église de la Madeleine destinés aux pompes militaires et aux pompes religieuses de notre gloire, le palais d’Orsay, le Muséum des sciences naturelles et l’École des Beaux-Arts, tous ces monumens, tous ces travaux entrepris pour l’utilité, pour la grandeur ou pour l’ornement de la France, et interrompus par un puissance ou par caprice, furent repris avec persévérance, et associèrent par leur achèvement l’époque présente à tout le passé de notre histoire. Ce ne fut pas seulement un heureux démenti donné à notre proverbiale inconstance, une intention politique dirigeait cette œuvre des beaux-arts : c’était toujours le système qui voulait réunir toutes les traditions et tous les intérêts de la France.

Aux entreprises terminées succèdent bientôt des entreprises nouvelles : les palais législatifs répondent à leur grande destination, la fondation de l’abbé de l’Espée trouve un établissement digne d’elle, l’hospice de Charenton cesse d’affliger l’humanité. Les grands services publics s’installent dans de nouveaux édifices ou dans leurs anciens édifices agrandis. Une restauration ingénieuse répare les ruines de nos cathédrales et leur restitue leur solidité première, sans leur ôter les caractères de leur vénérable antiquité ; rajeunie de six siècles par une main savante, la Sainte-Chapelle redevient la chapelle de saint-Louis. Les anciens canaux livrés au commerce aboutissaient à des rivières d’un régime difficile et incertain : l’art qui avait créé les canaux perfectionne les rivières. De grandes lignes manquaient au réseau de nos voies navigables, l’une complétant la jonction des deux mers et réalisant enfin la pensée de Riquet et de Vauban, l’autre, pour emprunter l’expression pittoresque d’un ingénieur, détournant un bras du Rhin à Strasbourg et l’amenant à Paris : ces deux grandes lignes sont entreprises. Les routes stratégiques de l’ouest viennent en aide à la civilisation plus encore qu’à la surveillance de ce pays de guerre civile : elles pacifient la Vendée en l’enrichissant. Nos petits ports sont améliorés et multiplient sur nos côtes les points de refuge devenus insuffisans par le progrès de notre commerce, nos grands ports sont agrandis, et la science construit les phares qui doivent en éclairer la route. De féconds encouragemens sont donnés aux premières entreprises de chemins de fer. Les travaux défensifs de la guerre ne sont pas plus négligés que les travaux reproductifs de la paix : nous relevons les remparts de nos places fortes, et nous remplissons nos arsenaux. Comment rappeler en quelques lignes tant d’ouvrages de nature si diverse que créait sur tous les points du territoire l’activité du gouvernement, armée de la puissance du pays ? Les chiffres de la dépense peuvent du moins donner une idée de l’importance des travaux accomplis. En dehors des ressources créées par les lois de 1841 et de 1842 ces ouvrages, dont nous n’avons offert qu’une énumération bien incomplète, avaient absorbé près de 650 millions[22].

À quelles sources le gouvernement pouvait-il puiser de tels trésors ? Il les puisait aux sources intarissables de la prospérité publique. Son budget des recettes, plus riche d’année en année, suffisait à la fois à un meilleur entretien des travaux exécutés et à l’ouverture de travaux neufs. Les fonds de l’amortissement, devenus disponibles en grande partie par la constante élévation de la rente 5 pour 100 au-dessus du pair, reçurent dans ces grandes entreprises l’emploi le plus conforme à leur destination première.

L’institution de la caisse d’amortissement remonte à 1816. Cette caisse ajouta successivement à sa dotation annuelle les arrérages des rentes qu’elle avait rachetées. Grace à cette accumulation, sa puissance s’accrut rapidement. La rente 5 pour 100 avait dépassé le pair, l’état ne pouvait plus continuer à l’amortir, sans payer sa libération d’un prix supérieur au maximum de sa dette. Dès 1825, la suspension de l’amortissement sur le 5 pour 100 devint une obligation légale. La création d’une rente 3 pour 100 lui rendit toute son activité, mais elle fut presque aussitôt détournée au profit de l’indemnité des émigrés. Après la révolution de 1830, l’amortissement fut rendu à sa première destination, et il profita à tous les fonds publics, tous cotés au-dessous du pair. Cependant le crédit de l’état reprit bientôt son essor ; sauf de rares et courte intermittences, tous les fonds publics, le 3 pour 100 excepté, restèrent au-dessus du pair, et jusqu’à la révolution de février, le 5 pour 100, le plus important de tous, ne redescendit jamais au-dessous. La portion de l’amortissement qui leur était destinée dut cesser de recevoir son affectation ; elle fut mise en réserve, jusqu’à ce que la loi, qui en interdisait l’emploi primitif, lui donnât un emploi nouveau. Quel devait être cet emploi ? Le fonds d’amortissement était consacré à éteindre les dettes anciennes ; la réserve de l’amortissement fut naturellement consacrée à prévenir des dettes nouvelles. Ses ressources accumulées fournirent 154 millions[23] aux besoins extraordinaires des trois premiers exercices de la monarchie de 1830 plus tard, elles formèrent le fonds extraordinaire des grands travaux publics ; au 1er janvier 1846, elles leur avaient fourni 182 millions[24].

Ce ne fut pas sans objection que passa cette double affectation des réserves de l’amortissement. Tout le monde n’admettait pas qu’il fût permis d’en disposer d’une manière absolue, comme d’une ressource libre et sans emploi. Si, par l’élévation du cours au-dessus du pair, disait-on, la rente cesse d’être rachetable, on peut suspendre l’amortissement, mais on ne doit pas le supprimer. Il faut accumuler la réserve durant les cours favorables ; si les circonstances ramenaient la rente au-dessous du pair, les réserves accumulées redoubleraient l’activité de l’amortissement et serviraient à la fois de point d’appui au crédit de l’état et de gage à ses créanciers.

Ce système prévalut d’abord[25] : le cours de la rente 5 pour cent n’était pas encore affermi dans l’opinion par l’expérience de plusieurs années, et le pair n’était pas tellement dépassé, qu’une chute au-dessous du pair parût presque impossible ; mais la marche ascendante du crédit public, la permanence des cours du 5 pour cent bien au-dessus du pair, modifièrent bientôt un système trop rigoureux. On voulait rester fidèle au principe fondamental de l’amortissement ; on voulait aussi donner un emploi utile aux réserves, qui, s’accumulant d’année en année, avaient déjà produit plus de 200 millions : on transigea entre une théorie trop rigoureuse et les convenances de la pratique ; les réserves de l’amortissement devinrent le fonds extraordinaire des travaux publics, et à mesure de leur emploi, la caisse d’amortissement dut recevoir en échange une inscription le rente correspondante au capital employé. Cette rente appartenait elle-même à la réserve et était affectée au même service. C’est ce qu’on a appelé la consolidation des réserves de l’amortissement[26]. On voit que les rentes que l’état créait par cette opération un peu compliquée ne constituaient point une dette obligatoire : comme les rentes rachetées, elles étaient à sa libre disposition ; il pouvait, à son gré, en servir les arrérages ou s’en affaiblir, suivant qu’il convenait mieux d’augmenter les ressources que les consolidations successives procuraient au service extraordinaire, ou de diminuer la dépense qu’elles imposaient au service ordinaire de ses budgets. L’état n’avait qu’une obligation, et jusqu’à la chute de la monarchie, il y est resté fidèle : c’était de restituer leur réserve aux fonds tombés momentanément au-dessous du pair. L’accomplissement de cette obligation ne lui a pas imposé, du reste, de grands sacrifices, car telle a été la stabilité des cours pendant les quinze dernières années de la monarchie, que cet amortissement exceptionnel n’a employé que 2,801,000 fr[27].

Tel était l’état des choses, lorsqu’éclatèrent les événemens de 1840. Le budget des recettes ordinaires balançait le budget des dépenses ordinaires et fournissait même une partie de la dotation des grands travaux publics ; cette dotation était complétée par les réserves de l’amortissement. Les événemens de 1840 modifièrent cette situation. La question d’Égypte menaça l’Europe d’une conflagration générale ; des armemens extraordinaires devinrent indispensables ; la politique qui croyait à la guerre dut les faire, la politique qui croyait à la paix dut les maintenir. Dans les grandes crises, la force est nécessaire pour traiter comme pour combattre ; mais il est plus difficile de poser les armes que de les prendre ; les défiances réciproques survivent à ces formidables conflits, et la paix reste long-temps armée comme la guerre. On retrouve dans nos budgets les traces de cette situation incertaine. Pendant que les dépenses courantes restaient à leur niveau accoutumé, le ministère de la guerre porta rapidement les siennes de 241 millions à 367 millions en 1840, et à 385 millions en 1841, et le ministère de la marine de 99 millions à 124 millions à 130 millions[28]. Les années les plus difficiles qui suivirent la révolution de juillet firent à peine peser sur nos finances des découverts plus onéreux ; de 1840 à la fin de 1842, ces découverts, s’élevèrent à près de 400 millions[29]. Toutefois cet embarras du trésor, résultat passager d’une situation dont on entrevoyait le terme, n’ébranlait ni la sécurité, ni la prospérité publiques. La conservation de la paix était dispendieuse, mais la paix était de plus en plus assurée, et la confiance générale ne marchandait pas le prix de cette stabilité ; Même en présence d’emprunts inévitables, le cours des rentes montait sans cesse, et les revenus indirects, accélérant leur progression déjà si rapide, s’élevèrent en ces trois années de 93 millions[30].

Il fallait régler la situation du trésor : si cette situation demandait de la réserve, celle du pays excluait la timidité. Un ministre des finances renommé pour sa prudence, M. Humann, le comprit à merveille. En même temps qu’il reprenait, pour éteindre les découverts du trésor, les réserves de l’amortissement, il affecta aux grands travaux publics un emprunt de 450 millions[31]. Il attachait autant de prix, que personne à maintenir l’équilibre dans les budgets et l’abondance dans le trésor ; mais en possession d’un crédit qui allégeait les charges d’un emprunt, et de recettes croissantes qui en assuraient le service, il n’eût pas admis la pensée, d’abandonner ou même de ralentir ces grandes entreprises qui secondaient si puissamment l’essor d’une prospérité qui commençait à en payer le prix. Quelque prédilection qu’on accordât aux travaux utiles, le gouvernement et les chambres furent obligés de pourvoir aux travaux purement nécessaires. La crise européenne de 1840 avait donné des avertissemens qui ne pouvaient être perdus : il ne suffisait pas de féconder le territoire, il fallait aussi le protéger, et les fortifications de Paris devinrent le rempart de la France[32].

Jusqu’alors, la construction des chemins de fer n’avait eu qu’une faible part dans les travaux extraordinaires. L’exécution du vaste réseau proposé aux chambres en 1838 avait paru dépasser les forces de l’état ; l’industrie privée avait fléchi sous ses premières tentatives. Des questions de système avaient rempli sans fruit toutes les discussions. Tous les systèmes furent essayés en 1840. Le gouvernement fit quelques concessions à des compagnies, il en encouragea d’autres par des prêts, il exécuta quelques lignes à ses frais. Ces premiers essais honorent l’administration de M. le comte Jaubert, et ils ont porté plus tard les plus heureux fruits. Toutefois l’unité manquait encore à ces essais. Le réseau des chemins de fer de France n’était pas même trace par une loi.

Ce ne fut qu’en 1842 que le gouvernement aborda cette grande et difficile entreprise. Il n’était plus permis d’hésiter. L’activité de l’Europe devenait un danger et presque une honte pour l’irrésolution de la France. Une loi, souvent citée dans l’histoire de nos travaux publics[33], arrêta les grandes lignes qui devaient partir de Paris comme centre, et rayonner vers toutes nos frontières., Les frais d’établissement furent partagés entre l’industrie et l’état ; l’exploitation fut réservée à l’industrie. Ce système ne demandait pas assez à l’industrie ; mais, après tant d’ajournemens, une solution quelconque était un bienfait. L’expérience a prouvé que la solution qui prévalut pouvait être améliorée : à cette époque, elle était la seule praticable. La charge de l’état, quoique réduite, n’en était pas moins lourde ; des ressources extraordinaires étaient indispensables pour la supporter. L’appel fait récemment au crédit ne permettait pas, pendant quelques années, de recourir encore ; réserves de l’amortissement appartenaient aux trois exercices dont l’équilibre avait été rompu, mais le rétablissement de cet équilibre paraissait prochain ; les réserves de l’amortissement redevenaient la ressource de l’avenir, et la dette flottante fut la ressource provisoire qui permit de l’attendre.

Quoique ces prévisions aient été déçues, il ne fut pas téméraire de les concevoir. L’affermissement de la paix faisait décroître rapidement les découverts du trésor : l’exercice 1843 laissa moins de 40 millions à la charge de la réserve, qui s’élevait déjà à près de 70 millions ; l’exercice 1844 n’effleura pas même la sienne ; l’exercice 1845 eut un excédant de recettes, et les réserves de ces trois exercices eussent fourni aux grands travaux publics 178 millions si les charges imprévues des trois exercices précédens n’eussent absorbé d’avance cette ressource[34]. Cette pénible liquidation touchait à son terme, et l’exercice 1846 s’ouvrait avec une réserve disponible, lorsque les plus grandes calamites physiques vinrent fondre à la fois sur la France. Les désastres des inondations furent aggravés encore par la disette. Pendant que des crues presque sans exemple détruisaient les ressources de plusieurs départemens, l’insuffisance de la récolte en céréales et la hausse extraordinaire des prix désolaient tout te territoire. L’Europe entière était soumise à une crise commerciale compliquée d’une crise monétaire. Les salaires manquaient au travail, et les ressources à la bienfaisance. Le dévouement du gouvernement répondit à la courageuse résignation du pays. Il usa largement des crédits qui lui étaient alloués ; il ne craignit pas d’en demander de nouveaux. Il ferma, sans perdre un moment, les brèches des rivières débordées, et trouva ainsi dans le désastre même une occasion de soulagement pour les populations qui en avaient le plus souffert ; il redoubla d’activité dans ses travaux ouverts, et en ouvrit de nouveaux que, dans d’autres temps, il aurait ajournés ; il pressa, par ses encouragemens, toutes les communes de France à suivre son exemple, et les travaux des chemins vicinaux, subventionnés par l’état, créèrent un vaste atelier national dans tout le royaume. Il hâta les arrivages des grains en employant les vaisseaux de l’état à remorquer les bâtimens du commerce, dans les détroits des Dardanelles et de Gibraltar, et, admirablement secondé par les compagnies de chemins de fer et de canaux ; il suspendit les droit de péage qui grevaient des transports déjà si renchéris. Il donna enfin à la charité le concours de la bienfaisance publique. Sans doute, dans cette lamentable année, quelques désordres et de grandes misères ne purent pas être évités ; mais le pays supporta noblement ces maux, et le gouvernement put peut-être revendiquer l’honneur d’avoir servi dignement le pays. Des causes bien différentes ont ramené bientôt après la même détresse, et les populations furent éprouvées par les révolutions plus sévèrement encore que par les inondations et par la disette. Le trésor de l’état s’ouvrit de nouveau, et s’épuisa même pour les secourir ; elles pourraient dire aujourd’hui si elles furent mieux secourues par le gouvernement qui songeait surtout à les servir que par le gouvernement qui songeait surtout à leur plaire.

La dépense des services du budget ne fut pas moins affectée par les circonstances que la situation générale du pays. Il fallut fortifier la surveillance pour assurer la libre circulation des grains et la libre fréquentation des marchés. Il fallut mettre à l’abri du découragement ou des tentations de la misère les agens les moins rétribués qui veillent à la sûreté publique ou à la perception des impôts. Le renchérissement des vivres et des fourrages fit plus que doubler les dépenses les plus importantes de la guerre et de la marine. Tous ces efforts à faire, tous ces sacrifices à subir ont dû laisser de profondes traces dans les comptes des ministères sur qui pesa principalement le poids de ces deux années : le ministère de l’intérieur fut obligé d’élever ses dépenses de 112 millions à 120 millions la première année, et 142 millions la seconde ; celui des travaux publics, de 61 millions à 66 millions, et à 70 millions ; celui de la guerre, de 302 millions à 331 millions, et 353 millions ; celui de la marine, de 114 millions à 130 millions, et à 132 millions[35]. Qui pourrait s’étonner, dès-lors, que les exercices 1846 et 1847 aient laissé un découvert, le premier de 41 millions, le second de 109 millions, et que les réserves de ces deux exercices aient été absorbées par cet excédant de dépenses si imprévu et si accablant ?

Ce fut ainsi que les réserves de l’amortissement échappèrent encore aux grands travaux publics, au moment même ou cette ressource leur paraissait enfin assurée. D’heureuses modifications venaient d’être introduites dans les conditions financières de ces travaux Le succès inespéré des chemins d’Orléans et de Rouen avait ranimé l’industrie privée. Sur les lignes les plus importantes, l’état était affranchi de tout concours dans la dépense d’exécution. Une compagnie lui achetait le chemin du Nord et se chargeait de construire divers embranchemens ; une compagnie lui remboursait le prix des travaux faits sur le chemin de Lyon, et se chargeait de les terminer ; une compagnie entreprenait à ses frais le chemin de Lyon à Avignon. Ainsi dégagée d’obligations importantes, l’administration redoublait d’activité sur les chemins dont l’exécution lui restait confiée ; mais cette activité même imposait au trésor un lourd fardeau : privé, par un ajournement momentané, des réserves de l’amortissement, il faisait provisoirement supporter le poids de ses dépenses par la dette flottante. Cette situation provisoire ne pouvait plus s’aggraver sans danger : l’administration des finances dégagea le service de la trésorerie en négociant, avec l’autorisation législative, un emprunt de 250 millions[36]. Au milieu de la crise du commerce européen, lorsque la Banque de France, pour la première fois depuis bien des années, avait haussé le taux de ses escomptes, lorsque la banque d’Angleterre avait limité les siens, même en en relevant considérablement le taux, lorsqu’une baisse générale déprimait le cours de tous les fonds publics dans toutes les bourses de l’Europe, le gouvernement de juillet, encore en plein crédit trois mois avant sa chute, adjugea sans peine son emprunt un peu au-dessous de 4 p. 100. C’est le dernier acte financier de la monarchie. Il n’échappa point aux critiques de ceux qui la renversèrent depuis, et qui, après l’avoir remplacée, se sont trouvés très heureux d’obtenir, pour 5 francs de rente, exactement le même capital que la monarchie avait obtenu pour une rente de 3 francs.

Telle eût donc été la situation financière du dernier gouvernement, si elle eût pu être liquidée tout à coup au 1er janvier 1848 tous les découverts du service ordinaire étaient éteints, à une légère différence près, qui allait disparaître dans l’exercice suivant ; toutes les avances du service extraordinaire étaient couvertes par des ressources assurées, et déjà même en partie réalisées. Pourquoi donc M. le ministre des finances, dans l’exposé des motifs du budget de 1850, fait-il ressortir, à la date que nous venons d’indiquer, un découvert de 441 millions imputable aux travaux publics ? Pourquoi s’autorise-t-il de cette circonstance pour reporter en partie sur le dernier gouvernement la responsabilité de la situation à laquelle il est obligé de faire face avec tant d’efforts et au prix de tant de sacrifices ?

Cette allégation nous a jeté dans un pénible surprise. Qu’est-ce donc qu’un découvert ? n’est-ce pas une dépense faite sans une ressource correspondante, une avance sans gage, qui doit être supportée par la dette flottante jusqu’à ce qu’il soit créé une ressource pour la couvrir ? S’il en est ainsi, le service des travaux extraordinaires n’a laissé, au 1er janvier 1848, aucun découvert à la charge du trésor. M. le ministre des finances additionne avec soin toutes les dépenses de ce service ; mais il en oublie toutes les ressources. Il compte dans les découverts 136 millions pour les travaux des chemins du Nord et de Lyon, et il oublie que deux compagnies en devaient et avaient même payer le prix ! Il compte dans les découverts les prêts faits aux compagnies de chemins de fer, et il oublie que ces prêts sont remboursables et qu’ils sont remboursés par à-compte chaque année ! Il compte dans les découverts toutes les dépenses faites pour le chemin de Tours à Nantes, et il oublie que la compagnie concessionnaire de ce chemin est débitrice du prix des terrains que l’état a payés pour elle ! voici une omission plus importante encore : l’état pouvait disposer du produit de l’emprunt de 1847, puisqu’il laissait dans le service ordinaire les fonds suffisans pour en servir les arrérages et l’amortissement ; 82 millions avaient été versés à-compte sur cet emprunt ; cet à-compte figurait, le 24 février 1848, dans l’encaisse du trésor ; 162 millions restaient à verser, et M. le ministre des finances passe sous silence ces immenses ressources, et il accable le gouvernement déchu sous la responsabilité d’un découvert de 441 millions ! Il semble ne pas soupçonner que des recettes, nées des travaux mêmes, compensent une grande partie de ce découvert et le réduisent à près de moitié, et que l’autre moitié est couverte et au delà par des ressources réalisées ou prochainement réalisables[37]. Singulière inadvertance ! Parcourez le budget de 1850, vous y verrez figurer, à titre de recettes ordinaires, les versemens des compagnies, tandis que les travaux extraordinaires dont ces versemens sont le prix figurent, à titre de découverts, dans l’exposé des motifs ! Que les écritures doivent être tenues ainsi, cela se peut, et nous ne voulons y contredire ; mais, dans l’exposé des motifs, il s’agit de la responsabilité du dernier gouvernement, et non pas de l’ordre des écritures. Le gouvernement provisoire a long-temps abusé contre les finances de la monarchie de cet art de grouper les chiffres : il était digne de la loyauté de M. le ministre des finances d’empêcher que l’opinion publique fut plus long-temps trompée par les fausses apparences d’une comptabilité qui met les avances au passif de la monarchie et les recouvremens à l’actif de la république.

Nous avons donc le droit de conclure que, pour tous les services, les finances de la monarchie étaient parfaitement liquides à sa chute. Que seraient-elles devenues dans l’avenir ? Nous sortons ici du domaine des faits pour entrer dans celui des conjectures ; n’importe, nous y suivrons les plus ardens ennemis du dernier gouvernement, nous démontrerons la fausseté de leurs hypothèses ; mais c’est avec ces hypothèses même que nous essaierons de dire quel eût été l’avenir.

Trois accusations ont été dirigées contre le dernier gouvernement : il a, dit-on, exagéré les dépenses ordinaires, et il ne pouvait plus désormais régler un budget sans déficit ; il a exagéré la dépense extraordinaire des travaux publics, et il avait contracté des engagemens qu’il n’aurait pas pu remplir ; il a exagéré enfin la dette flottante, et il avait par-là préparé pour lui-même les embarras financiers sous lesquels a fléchi le gouvernement qui l’a remplacé.

Examinons successivement ces trois reproches.

Les dépenses ordinaires se sont accrues sous la monarchie de 1830 : le fait est incontestable. Quelles sont les causes de cet accroissement ?

Le budget des dépenses se divise en plusieurs parties : la dette publique, les frais de perception du revenu public, les restitutions opérées sur ce revenu, les services généraux des divers départemens ministériels.

La dette publique représente les engagemens du passé et les emprunts faits à l’avenir. Nous avons vu quelle était la part du gouvernement de juillet dans la dette publique ; nous nous contentons de rappeler qu’il a largement payé cette part par plus de 1,500 millions de grands travaux exécutés pendant sa durée[38].

Les frais de régie et de perception du revenu public se proportionnent naturellement à l’importance de ce revenu. Toutefois la progression de la dépense ne doit pas être la même que celle de la recette : le taux de la rémunération doit décroître à mesure qu’il reçoit une application plus étendue ; mais, si cela est vrai pour la perception du revenu qui a son origine dans un monopole, et qui est le prix d’un service rendu par l’état aux contribuables. La fabrication du tabac, par exemple, a pris un accroissement considérable ; mais cet accroissement, source d’une dépense, a été la source d’une recette beaucoup plus considérable. L’administration de la poste aux lettres a amélioré tous ses services ; elle a augmenté le nombre de ses lignes, la rapidité de ses transmissions, la fréquence de ses distributions : une augmentation de 18 millions dans les frais de régie a payé le prix de ces améliorations ; mais, si les dépenses se sont élevées, les recettes ont monté encore plus haut : l’état a un peu gagné, le public a gagné beaucoup plus. Comparons maintenant les deux termes dans lesquels se résume cette question : l’administration a perçu 992 millions en 1829, et elle a dépensé 128 millions pour les percevoir ; l’administration a perçu 1,334 millions en 1846, avec une dépense de 154 millions : la proportion de l’augmentation dans les frais ne reste-t-elle pas, malgré le perfectionnement des services, bien au-dessous de celle de l’augmentation dans les recouvremens ?

Le trésor ne recouvre pas pour lui seul, et même il ne garde pas tout ce qu’il recouvre pour son compte. Il est le percepteur et le caissier des communes : il reçoit et il leur rend le produit des centimes additionnels imposés pour payer leurs divers services ; c’est une recette purement nominale ; elle s’élève ou s’abaisse suivant l’activité des travaux communaux ; elle atteint aujourd’hui 50 millions. Le trésor reçoit les droits de douanes sur toutes les matières premières extraites de ses entrepôts ; mais si ces matières premières sont exportées sous forme de marchandises fabriquées, il restitue les droits qu’il a perçus. Sans cette restitution, la concurrence sur les marchés étrangers serait et interdite à nos fabricans. Le revenu public est privé d’un bénéfice, mais le travail national bénéficie d’une main-d’œuvre. Ainsi, dans les frais de perception, l’accroissement de dépense indique un accroissement plus considérable de recettes ; dans les restitutions, l’accroissement de dépense est indifférent ; il est couvert par une recette exactement équivalente. C’est donc fausser la comparaison des dépenses de deux exercices que d’y comprendre ces deux parties du budget.

Tout l’intérêt de cette comparaison se concentre sur les services généraux des départemens ministériels. Considérons séparément les services militaires ; ils se règlent par d’autres causes que les services civils ; il arrive presque toujours qu’on n’est pas libre d’accroître les uns ; c’est presque toujours volontairement qu’on accroît les autres. À la rigueur, une nation peut s’arrêter et reculer même dans la voie des améliorations intérieures ; dans la détermination de ses forces, elle ne peut pas ne pas tenir compte des exigences de sa sûreté et des éventualités de la politique.

En 1829, les dépenses du ministère de la guerre se sont élevés à 214 millions, et celles du ministère de la marine à 73 millions ; en 1845 (nous écartons les deux exercices suivans, comme trop fortement influencés par l’énorme enchérissement des vivres et des fourrages), en 1845, ces dépenses se sont élevées à 302 millions pour le premier, et à 9 millions pour le second ; de nombreuses améliorations dans la flotte et dans l’armée ont une part dans cet accroissement considérable, mais à quoi bon les énumérer ? Cet accroissement s’explique presque tout entier par deux grands faits politiques : l’agrandissement de notre puissance navale et la conquête de l’Algérie.

On ne peut pas nier que l’extension de nos armemens et de nos établissemens maritimes a été conforme au vœu du pays. Sur cette question, à toutes les époques, le gouvernement a été en arrière de l’opinion publique, il la retenait au lieu de l’exciter : il n’ignorait pas que la force maritime d’un grand état ne se mesure pas d’une manière absolue, et qu’elle réside principalement dans sa relation avec celle des autres puissances ; il n’ignorait pas qu’un armement à Brest ajouterait peu de chose à notre force navale, s’il provoquait un armement à Portsmouth, mais il connaissait la susceptibilité nationale sur la prépondérance maritime ; il savait que c’était le dernier vestige de la rivalité qui a si long-temps divisé la France et l’Angleterre, et que l’opinion publique désavouerait une amitié qui semblerait achetée par un sacrifice. Or, sa politique, était d’unir les deux pays dans une entente cordiale ; elle a été continuée avec abandon par ceux qui la lui ont si long-temps reprochée. Sous la monarchie de 1830, elle a plus d’une fois rencontré une assez vive résistance dans des ressentimens mal éteints. Pour servir le pays, en la pratiquant, le gouvernement a risqué plus d’une fois de lui déplaire, et on reconnaîtra sans doute qu’il n’eut été ni patriotique ni habile d’aggraver les difficultés de cette politique en refusant aux préventions du pays quelques satisfactions qui servaient, après tout, à la protection et au développement de son commerce maritime.

Nous n’appelons pas un préjugé national la passion de la France pour l’Algérie. Cette passion lui a donné un empire et une armée. Quelle sera la grandeur de cet empire ? nul n’oserait le prédire encore ; mais qui oserait contester que l’armée d’Afrique a sauvé la France ? Elle a donné son sang à toutes les nobles causes ; elle a pacifié et illustré le pays, elle est notre force et notre gloire. L’occupation d’Afrique a agrandi l’influence plus encore que les possessions de la France ; elle a montré que nous avions l’esprit de suite comme l’esprit d’entreprise ; puisse-t-elle montrer aussi que nous avons l’esprit de colonisation comme l’esprit de conquête ! De tels succès ne portent guère leurs fruits que pour l’avenir ; le présent n’a que les efforts et les sacrifices. Il eût été juste peut-être de rejeter sur les générations qui doivent nous suivre une partie du fardeau financier. Le gouvernement ne l’a pas voulu, l’occupation d’Afrique a été constamment une dépense ordinaire. Durant dix-sept années, la monarchie de 1830 a vaincu, pacifié, civilisé l’Afrique sans emprunts. La restauration avait donné Alger à la France ; la monarchie de 1830 lui a donné l’Algérie ; l’une n’est tombée que le lendemain de sa victoire, l’autre n’est tombée qu’au terme de sa conquête. C’est une ressemblance dont elles peuvent s’honorer toutes deux.

L’accroissement de la dépense des services civils n’a pas été aussi considérable que celle des services militaires. Avant d’en examiner les causes, il importe de remarquer que la marche ascendante des dépenses ordinaires est un fait normal dans un pays en progrès. Comme les individus qui s’enrichissent, les peuples qui prospèrent changent leur vie avec leur fortune. Leur civilisation devient plus élégante et plus chère ; dans l’ordre moral, dans l’ordre matériel, ils ont des goûts et des besoins nouveaux qui ne sont satisfaits que par de nouvelles dépenses. Si l’administration réalise par elle-même tous ces progrès, et si la comptabilité centralise toutes les dépenses, tout accroissement du bien-être figure en accroissement de charges au budget de l’état ; mais dans les pays où les localités s’administrent sans contrôle, et même où l’industrie privée occupe une grande place dans les services publics, la dépense de ces améliorations successives se dissimule sous des péages ou se dissémine dans les comptes des autorités locales. Qui n’a entendu parler des chemins vicinaux et des routes, de l’Angleterre ? On a dit avec raison qu’on ne trouverait pas une ornière dans tout le royaume. À la construction des voies de terre a succédé celle des canaux, à la construction des canaux a succédé celle des chemins de fer. Ces travaux gigantesques ont coûté plusieurs milliards ; leur entretien seul coûte des centaines de millions. Cherchez dans les budgets du royaume-uni la trace des frais d’entretien ou de premier établissement ; à quelque époque que vous remontiez, vous ne la trouverez nulle part : ce sont les taxes levées sur les propriétaires, ce sont les péages levés sur les voyageurs et sur les marchandises qui ont créé ces merveilleux travaux. Combien d’autres exemples ne pourrions-nous pas citer encore ! Qui ouvre ces musées, ces cours publics, ces écoles ? qui fonde ces chapelles, ces hospices, ces asiles ? C’est l’amour des lettres, c’est la charité, c’est la piété du public, inépuisable dans ses ressources, infatigable dans son activité. On a quelquefois comparé les dépenses publiques de la France et de l’Angleterre : l’inexactitude de la comparaison sauterait aux yeux, si elle se faisait ministère par ministère ; on serait tout surpris de trouver que trois ou quatre ministères français seraient des sinécures en Angleterre : c’est le public qui en est chargé.

Il ne faut donc pas s’étonner si, dans les services civils, nos dépenses se sont élevées d’année en année. On pourrait presque dire qu’il n’y a que deux espèces de budget en France, celui de chacun et celui de tous. Le budget des départemens et des communes fait partie du budget de l’état : ce qu’ils font, grace à notre comptabilité centralisée, c’est l’état qui semble le faire et qui semble le payer. Tous les progrès civils de la France depuis dix-huit ans sont représentés par un accroissement de dépenses de 110 à 120 millions[39]. Il y a quelques années, un honorable membre de la chambre des députés crut avoir découvert que depuis huit ans on avait créé plus de quarante mille fonctionnaires publics ; c’est le grand secret révélé, secret de ruine financière et de corruption électorale ! À 3,000 fr par fonctionnaire nouveau, c’était juste les 120 millions. Quels étaient donc ces sinécuristes dont le vote était payé grassement au budget ? La liste a été publiée : c’étaient principalement des facteurs ruraux et des douaniers.

Il serait fastidieux d’entrer dans le détail du chiffre d’accroissement que nous avons indique. Les dépenses des départemens et des communes en absorbent plus de la moitié ; le meilleur entretien des travaux anciens, l’entretien des travaux neufs, l’augmentation du nombre des ingénieurs proportionnelle à l’extension de tous des travaux, telles sont les causes d’un accroissement de dépenses de plus de 25 millions. Regardez de plus près encore : que trouvez-vous ? De gros traitemens, comme on avait coutume de le dire ? Non, mais les premières nécessités de la vie assurées dans les rangs inférieurs de la magistrature et du clergé. Que trouvez-vous encore ? Quelques nouvelles chaires et quelques nouveaux collèges, des encouragemens à l’instruction publique à l’agriculture, au commerce. Voilà tout, ou presque tout du moins, et si nous voulions justifier d’un seul mot toutes ces dépenses, nous dirions : Le gouvernement nouveau, qui a si vivement critiqué les prodigalités prétendues du dernier gouvernement, qui est voué à l’économie par ses critiques même, par sa situation financière et par son principe, n’a pu, dans le budget de 1850, qui doit rétablir l’équilibre financier, réduire que 6 millions sur les services civils de l’année la plus calamiteuse de la monarchie.

Mais qu’importe la légitimité des dépenses, si les ressources manquent pour les acquitter ? Or, n’est-il pas évident, dit-on, que la monarchie était à bout de voies, que son dernier budget présentait un déficit de 109 millions, déficit que les budgets suivans devaient reproduire et aggraver d’année en année ?

Rien n’est plus contraire à la raison et à l’équité que de choisir une année calamiteuse pour servir de base à l’appréciation d’une situation financière. Nous avons retracé plus haut les malheurs de cet exercice. Qu’on retranche de ce déficit toutes les dépenses imprévues qu’ont entraînées ces malheurs, et on le verra disparaître pièce à pièce. Pour juger des finances de la monarchie, nous avons suivi sans hésiter M. le ministre des finances sur le terrain qu’il avait choisi. Les années écoulées de 1840 à 1847 ont été les années les plus agitées et les plus dispendieuses du gouvernement de juillet ; sur ces huit années, ils ont supporté le poids d’une guerre imminente ou d’une paix armée, deux ont supporté le poids des inondations, d’une crise commerciale et de la famine. À quelle plus rude épreuve peuvent être mises les finances d’un pays ? Et cependant, ni son crédit, ni ses recettes n’ont failli ; il n’a contracté d’emprunt que pour ses grands travaux, et l’emprunt le plus favorable qui ait jamais été contracté en France date de cette époque[40]. Il n’a pas diminué d’un centime le fonds d’amortissement des rentes, dont le cours était inférieur au pair ; il n’a ni établi, ni aggravé aucun impôt, et, sauf ce reliquat de 13 millions, unique arriéré du dix-huit ans de règne, il lui a suffi, pour faire face à toutes ses charges, des réserves de l’amortissement, que l’affermissement de son crédit laissait disponibles entre ses mains. Si jamais les finances d’un pays n’ont subi une plus rude épreuve, jamais elles ne l’ont mieux supportée. Que ne devait-on pas attendre d’une année qui s’ouvrait sous de meilleurs auspices, lorsque le bienfait d’une abondante récolte soulageait déjà les misères privées, réduisait les dépenses publiques, et rendait aux divers emplois de l’activité commerciale les capitaux absorbés depuis dix-huit mois par les approvisionnemens d’urgence exigés par la disette !

Le gouvernement provisoire a pourtant condamné ces espérances ; les états de situation provisoire qu’il a publiés font ressortir, pour 1848, un découvert de 76 millions[41]. Nous pourrions accepter le chiffre sans le discuter, car la réserve de l’amortissement excédait de 6 millions ce découvert prétendu, et à ce prix, qu’on ne l’oublie pas, le service de l’emprunt de 1847 était assuré ; mais par quels tristes artifices ce découvert a été construit ! On ajoutait aux crédits primitifs du budget tous les crédits de toute nature dont la demande avait été faite ou pouvait être prévue, et on composait du total la dépense de l’exercice. On oubliait, dans ce calcul, que les crédits demandés ne sont jamais épuisés, qu’il n’y a pas un seul règlement d’exercice qui ne prononce des annulations de crédits pour 20 à 30 millions, que les situations définitives réduisent toujours les charges des situations provisoires et, pour emprunter un exemple au premier budget du nouveau gouvernement, le compte des finances pour 1848 annonce la réduction à 13 millions d’un découvert que M. le ministre des finances évaluait, il y a deux mois à peine, à 72 millions.

Le même artifice qui a exagéré les dépenses a atténué les recettes. Les recettes prévues pour 1848 étaient fondées, suivant l’usage, sur les recettes réalisées en 1846, à quelques modifications près justifiées par des circonstances spéciales. Le progrès constant du revenu public dépassait toujours ces prévisions, et devait d’autant plus les dépasser, que deux ans d’intervalle séparaient l’évaluation de la réalisation. En règlement d’exercice les recettes ordinaires de 1845 ont dépassé les évaluations du budget de 45 millions, celles de 1846 ont dépassé les évaluations du budget de 36 millions[42]. Le règlement de l’exercice 1847 fait seul exception à cette progression soutenue ; les évaluations du budget ont été atteintes, mais elles n’ont pas été dépassées. Sauf les douanes cependant, toutes les parties du revenu indirect ont suivi leur marche ascendante ; mais le produit des douanes a rétrogradé de 17 millions, et cette seule diminution a absorbé toutes les augmentations. Il est facile de se rendre compte de cette exception bien passagère. L’extrême renchérissement des grains a donné lieu à une importation extraordinaire[43]. La plus grande partie de cette importation appartient à l’année 1847 ; beaucoup de capitaux beaucoup de navires y étaient employés. Tous les droits d’entrée étaient supprimés. Ce commerce si nécessaire, mais improductif pour la douane, prenait la place d’affaires fructueuses pour le trésor. Cette exception n’était, évidemment que temporaire ; les rédacteurs de la situation provisoire en firent l’application à l’exercice 1848, et tandis que tout présageait à cet exercice une plus-value considérable sur ses recettes, on lui supposa au contraire une insuffisance ; ce fut ainsi qu’on créa un découvert qui absorbait presque toute la réserve de l’amortissement, dont le règlement probable de l’exercice devait laisser une bonne part à la disposition des travaux extraordinaires.

Ces travaux ont été le texte de bien des attaques, et même, pour les multiplier, les adversaires du gouvernement ne se sont pas fait faute de se contredire. On disait que le réseau de canaux et de chemins de fer était un réseau de corruption électorale jeté sur la France, comme si la France était géographiquement divisée en deux grands camps politiques, et que le gouvernement pût diriger les lignes navigables et les voies ferrées vers le camp de ses amis et les détourner du camp de ses adversaires ! On disait que le gouvernement aurait dû exécuter une seule ligne de chemin de fer et ajourner tout le reste, comme si une seule ligne pouvait, desservir tous les intérêts généraux, et qu’il fût impossible de refuser toute satisfaction à plus de la moitié de la France, en la faisant concourir à la satisfaction exclusive de l’autre moitié ! On disait que le gouvernement aurait dû construire lui-même tous les chemins de fer, et affranchir ces nouvelles voies de circulation de la domination des compagnies, comme si les ressources de l’état pouvaient suffire à une telle entreprise, et que l’état eût quelque intérêt à construire des voies de communication que, de l’aveu de tous, il ne peut pas exploiter ! On disait en même temps que l’état aurait dû abandonner tous les chemins aux compagnies et exonérer le trésor de charges accablantes, comme si la comparaison des recettes et des dépenses ne démontrait pas avec évidence que, pour la plupart de nos grandes lignes, l’intérêt du capital employé à les construire ne pouvait pas être servi même par des péages perpétuels ! Vous n’avez pas assez de confiance dans les compagnies, disaient les uns : les déchéances encourues ont prouvé qu’elles ne pouvaient pas tout faire. Vous faites des conditions trop favorables aux compagnies, disaient les autres : même avant la révolution de février, le cours des actions avait répondu. On reprochait au gouvernement de donner les actions de chemins de fer en proie à l’agiotage, et l’agiotage, qui se nourrit de chances illimitées, prenait pour programme les discours des adversaires du gouvernement, et jetait à la crédulité publique leurs calculs, si cruellement démentis par l’expérience. On lui reprochait d’entreprendre des ouvrages improductifs, et l’un de ces ouvrages, le plus attaqué, le canal latéral à la Garonne, a eu, dès l’ouverture de sa première section, une circulation presque égale à celle de nos anciens, canaux les plus fréquentés [44] ! On lui reprochait d’éparpiller ses travaux, de tout entreprendre et de ne rien finir, et il a laissé 2,000 kilomètres de chemins de fer en exploitation, et 1,000 kilomètres à la veille d’être exploités ! Le gouvernement qui les inaugure ne se fait pas sans doute l’illusion qu’il les a construits : ce sont les travaux de la monarchie qui ont préparé les fêtes de la république.

Toutes ces objections, et bien d’autres encore, sont oubliées aujourd’hui ; une seule objection demeure et mérite d’être examinée. Le gouvernement n’avait-il pas trop entrepris, et les ressources ne lui auraient-elles pas fait défaut pour mener à fin une si grande entreprise Mesurons-en d’abord l’étendue. Il ne faudrait pas croire que tous les crédits ouverts dussent être employés. Le système des concessions avait fait de grands progrès, il avait allégé les charges de l’état, peut-être devait-il les alléger encore ; mais enfin, au 1er janvier 1848, la dépense des travaux qui étaient déjà exécutés, ou qui devaient s’exécuter dans les conditions financières de la loi du 11 juin 1842, s’élevait à 1,081,000,000 de francs. C’est un chiffre convenu ; il a été établi dans un document du dernier gouvernement et accepté dans un document du gouvernement nouveau[45]. C’étaient les projets d’un temps de paix conçus pour un temps de paix. L’état n’avait d’engagement qu’avec quelques compagnies concessionnaires. Si les circonstances avaient changé, il pouvait ajourner ou ralentir tous les travaux non concédés : tels étaient le prolongement du chemin de l’ouest et du double chemin du centre ; tels étaient encore les travaux de routes, de ports, de canaux et de rivières. Dans des circonstances difficiles, l’état restait libre de réduire ses projets ; dans des circonstances favorables, il pouvait les exécuter jusqu’au bout.

Déjà même cette vaste entreprise était presque au milieu de son cours. Sur 1 milliard 81 millions, nous avons vu qu’au 1er janvier 1848, 441 millions étaient dépensés et payés. Cette dépense, il est vrai, avait été en grande partie supportée provisoirement par la dette flottante ; mais nous avons vu aussi que les ressources étaient prêtes pour la dégager[46]. Il restait donc à pourvoir, dans une série de plusieurs années, à 640 millions de ressources.

Il eût été imprudent de compter exclusivement sur les réserves de l’amortissement. C’eût été compromettre ou du moins retarder beaucoup la libération de l’état. L’expérience avait appris que, dans une série d’années très difficiles, ces réserves pouvaient être engagées aux découverts du trésor. Il ne fallait pas s’attendre aveuglément à une série d’années faciles qui les aurait complètement dégagées ; mais aussi c’eût été porter bien loin la prudence que de prendre les huit dernières années pour base des calculs sur l’avenir. Admettons cependant cette hypothèse : la liquidation de ces huit dernières années a demandé 402 millions aux réserves de l’amortissement, c’est-à-dire environ 61 millions par an. Admettons, contre toute vraisemblance, que les huit années à venir eussent exigé le même sacrifice. Les réserves de l’amortissement s’élevaient, en 1848, à 81 millions ; fixons-les irrévocablement à ce chiffre, en supposant, pour plus de simplicité, qu’on eût arrêté l’opération progressive des consolidations. C’était assurément une ressource disponible pour le trésor, car, pour que l’amortissement pût la lui reprendre, il eût fallu que le cours des rentes autres que le 3 pour 100 tombât au-dessous du pair, et cette éventualité n’était pas à prévoir, même comme un incident passager. Opérons sur cette réserve le prélèvement de 61 millions, dont, à titre d’hypothèse extrême, nous avons admis la probabilité : il reste 20 millions de rentes disponibles. L’état pouvait disposer encore de 17,602,000 francs de rentes rachetées, actuellement affectées à l’amortissement du 3 pour 100[47]. Le trésor possédait donc 37,600,000 francs de rentes qu’il pouvait aliéner à sa volonté, tout en restant dans la stricte exécution des lois constitutives de l’amortissement. Ainsi, sans encombrer le marché par des inscriptions nouvelles, sans imposer aucune charge nouvelle au budget, il pouvait réaliser, par des aliénations successives, un capital bien supérieur à celui qu’exigeait l’achèvement de son entreprise. Ajoutons enfin que la dette flottante, ramenée dans ses plus étroites limites par les versemens du dernier emprunt, permettait au gouvernement de régler ses aliénations de rentes en conciliant les convenances de son crédit avec les besoins de ses travaux. Tous les accroissemens de recettes pouvaient être réservés à l’amélioration des services ou au soulagement des contribuables ;

Ainsi, dans les circonstances les moins favorables qu’on puisse prévoir, la libération de l’état était largement assurée. La situation des finances suffisait également au service ordinaire et au service extraordinaire. Le service de la trésorerie n’était pas moins facile que celui des travaux publics et des budgets. Faut-il répondre, pour le prouver, aux accusations dirigées avec tant de violence contre l’exagération prétendue de la dette flottante du trésor ? Un gouvernement frappé de discrédit dès sa naissance s’est irrité de ne pouvoir manier les affaires du gouvernement qui avait gardé son crédit jusqu’à son dernier jour. Il a mieux aimé accuser l’imprévoyance d’autrui que d’avouer sa propre impuissance. Force de succomber, il a voulu succomber sous un poids irrésistible ; il a déclaré que le dernier gouvernement avait contracté une dette flottante d’un milliard, et que cette dette était incessamment exigible. L’écrit si concluant de M. Vitet nous dispenserait peut-être d’une réponse ; il nous permet du moins de l’abréger. Disons un mot du montant de la dette ; nous retrouverons plus tard la question de l’exigibilité.

La dette flottante du trésor remonte plus haut qu’on ne pense ordinairement. Son origine est antérieure à l’empire. Les divers déficits de cette dernière époque la portèrent à 87,437,000 francs. La restauration continua à l’accroître. Sa créance sur l’Espagne, qu’elle ne put jamais recouvrer et qu’elle se paya à elle-même, et les découverts de quelques uns de ses budgets élevèrent le chiffre de la dette flottante de 143 millions. De 1832 à 1840, le gouvernement de juillet a mis quelques découverts s’élevant à 25,301,000 francs à la charge de la dette flottante. Les trois sommes que nous venons d’énumérer dépassent 256 millions.

On se demande au premier abord pourquoi le trésor n’a jamais songé à consolider cette portion de la dette flottante, presque entièrement formée comme on vient de le voir, avant 1830. La raison en est simple : notre centralisation administrative et financière fait arriver au trésor des versemens importans ; il est le caissier des établissemens publics et des communes, des corps de troupes, de la caisse des dépôts et consignations et des caisses d’épargne ; il reçoit en outre de ses receveurs-généraux des avances considérables, qui sont comme un supplément de cautionnement pour leur gestion. Le montant de ces versemens s’élève ou s’abaisse, suivant que les dépositaires retirent plus qu’ils ne versent ou versent plus qu’ils ne retirent ; mais il n’est guère arrivé, depuis un assez grand nombre d’années, que ces versemens n’aient pas dépassé le chiffre de 256 millions, et dès-lors il a été raisonnable de ne pas consolider cette dette et de la couvrir d’année en année à l’aide de versemens qu’on ne pouvait pas refuser. Qu’eût fait le trésor de ces versemens, s’il ne leur eût donné cet emploi ?

Voilà donc, sur le prétendu milliard, 230 millions qui ne sont pas à la charge du dernier gouvernement : il a hérité de la dette de l’empire et de la restauration ; le reste est à sa charge. Au 1er janvier 1848, la dette flottante était de 630 millions[48]. La portion de cette dette contractée à cette époque par le dernier gouvernement était donc de 400 millions. Nous sommes bien loin du milliard. Veut-on savoir quelle était l’origine de cette dette ? Jusqu’à concurrence de 324 millions[49], elle supportait provisoirement la dépense des travaux publics ; le reste était consacré au service de la trésorerie : ce n’était donc en grande partie qu’une dette flottante passagère, car les versemens de l’emprunt affectés aux travaux publics allaient arriver pour l’éteindre.

Nous n’avons pas compris dans la dette flottante les fonds des caisses d’épargne placés en effets publics. En leur donnant ce caractère, M. le ministre des finances vient de changer la règle adoptée de tout temps dans son ministère. Cette règle est cependant bien facile à justifier. Les caisses d’épargne versent leurs fonds au trésor par l’intermédiaire de la caisse des dépôts et consignations. Si ces versemens étaient restés dans ses caisses, ils y auraient accumulé, à l’époque qui nous occupe, 355 millions. Cette énorme accumulation eût été ruineuse pour le trésor, qui en servait l’intérêt à 4 pour cent, et fatale au commerce, qui eût été privé d’une portion si importante du numéraire circulant. Le trésor pouvait bien recevoir les fonds des caisses d’épargne, mais il devait les employer. Il les employa en effet presque en totalité, en vertu d’autorisations législatives, tantôt en achetant sur le marché des fonds publics, ou des actions de canaux garanties par l’état, tantôt dans des emprunts directement faits par l’état et qui ont porté le nom de consolidation des fonds des caisses d’épargne. Par cette opération bien simple, le trésor recevait en rentes ou en dividendes l’intérêt qu’il payait aux déposans, et il rendait à la circulation les capitaux que l’épargne en avait momentanément retirés. Les versemens non employés restaient en compte courant au trésor ; ils formaient le fonds de roulement des caisses d’épargne, tantôt diminué par des retraits, tantôt augmenté par des versemens nouveaux. Le trésor était seul débiteur de ce fonds, qui figure dans les 630 millions de la dette flottante au 1er janvier 1848 ; il en servait les intérêts, il aurait dû en rembourser le capital sur ses propres ressources. Quant aux fonds employés, il en était garant, si on veut ; mais M. le ministre des finances n’abuse-t-il pas évidemment des termes en représentant ce placement comme une dette directe, et personnelle, comme un emprunt à découvert, et le gouvernement provisoire n’abusait-il pas de la crédulité publique en racontant l’histoire de ces placemens ordonnés par la loi comme une déplorable histoire ?

Parvenu au terme d’un long examen, nous voudrions en résumer dans quelques lignes les principaux résultats. Le produit des contributions directes, presque uniquement accru par des impositions locales que des travaux utiles remboursaient en plus-value ; le produit des contributions indirectes prodigieusement accru par le progrès inoui de la richesse publique ; l’accroissement de la dette publique payé par de grands ouvrages qui représentent la valeur de cet accroissement ; les règles de l’amortissement religieusement observées, même au-delà des promesses faites aux créanciers de l’état ; la stabilité du crédit public rendant disponible une réserve considérable, réserve dont une partie suffisait pour assurer dans les circonstances les plus malheureuses, l’équilibre des budgets, et dont le reste était la dotation naturelle des travaux extraordinaires ; l’Algérie conquise et pacifiée ; une armée de terre et de mer nombreuse, vaillante, disciplinée ; tous les services civils améliorés ; le progrès moral recherché à l’égal du progrès matériel ; l’instruction primaire répandue, l’instruction supérieure agrandie, de nouvelles succursales à côté de nouvelles écoles ; l’activité du gouvernement présidant à l’activité du pays, de grands travaux, de grands projets, de grandes ressources, les recettes publiques s’élevant sans cesse, les économies de la paix employées à rendre cette paix féconde ; le passé réglé, le présent facile, l’avenir assuré : tel est le testament financier de la monarchie.

Nous croyons l’avoir dégagée de la responsabilité des nouveaux emprunts et des nouveaux impôts qu’annonce M. le ministre des finances. Faut-il maintenant indiquer l’origine de ces nécessités pénibles ? Cette origine n’est que trop évidente : si le passé est innocent, c’est le présent qui est responsable. Nous trouverons écrites à toutes les pages du budget les preuves de cette responsabilité. Indiquons-les rapidement, car il ne peut nous plaire de nous appesantir sur des fautes ou sur des malheurs.

La rupture de l’équilibre des budgets a trois causes principales : l’accroissement considérable de la dette publique, l’augmentation des dépenses, et la diminution des recettes ordinaires.

En quinze mois, la dette publique s’est accrue de 70 millions de rentes ; l’annulation de 8 millions de rentes appartenant aux caisses d’épargne a réduit ce chiffre à 62 millions. Sur ces 62 millions, M. le ministre des finances en met 36 à la charge du dernier gouvernement, parce qu’ils ont été employés à rembourser les versemens des caisses d’épargne qu’il avait reçus et les bons du trésor qu’il avait émis. Une première observation nous frappe : le passif des caisses d’épargne a été remboursé ; mais n’avaient-elles pas un actif ? Ne possédaient-elles pas, en rentes ou en actions sur les canaux, environ 11 millions et demi de revenus ? L’état n’en a-t-il pas disposé comme de valeurs à lui appartenant ? N’a-t-il pas annulé 8 millions de ces rentes 4 pour 100[50] et réduit par là l’importance de ses nouvelles émissions ? Les autres valeurs ne figurent-elles pas dans l’actif du trésor ? Tous ces faits sont incontestables ; comment donc se fait-il qu’en rappelant sans cesse comme une dette du dernier gouvernement le passif des caisses d’épargne, on oublie sans cesse de mettre en regard les valeurs qui, sauf le compte courant du trésor couvraient exactement ce passif ? Il eût été de la plus simple équité de retrancher des 21 millions de rentes environ qui ont été inscrites, pour rembourser les déposans des caisses d’épargne les 11,600,000 francs de rentes[51] ou de dividendes d’actions que l’état avait achetés pour employer leurs dépôts. Quand on liquide une succession qu’on dit obérée, on ne devrait pas aggraver la situation en prélevant tout l’actif au profit du liquidateur.

Nous ne pensons pas que cette rectification puisse être contestée ; mais elle est loin de suffire. La consolidation des fonds des caisses d’épargne a été une opération déplorable : son résultat net, comme on vient de le voir, a été de laisser 10 millions de rentes à la charge du trésor, et de le libérer d’un compte courant qui, au 24 février 1848, s’élevait à 65,703,000 fr.[52]. 10 millions de rentes pour un capital de 65 millions ! c’est un emprunt à plus de 15 pour cent.

Pour faire de telles opérations, il fallait y être bien forcé. La force majeure a-t-elle existé ? S’il est vrai que la révolution de février a été frappée d’un si énorme discrédit dans les classes populaires, que tous les déposans, par une défiance spontanée et unanime, ont voulu retirer leurs versemens, c’est un phénomène sans exemple dans l’histoire de notre crédit public, et nous nous contenterons de dire que la monarchie n’en avait pas même vu l’ombre. La crise de 1847, cette crise de la disette et de la misère, a laissé intact le crédit des caisses d’épargne, et le trésor de l’économie ne subit alors que les prélèvemens réclamés par le besoin. Peut-être même, après la révolution de février, le crédit des caisses d’épargne aurait pu être sauvé ; la loyauté aurait suffi : quelques remboursemens en espèces ou en valeurs au cours auraient subvenu aux premiers besoins et calmé les premières défiances ; mais on marchanda la stricte justice aux ouvriers des caisses d’épargne, Pendant qu’on prodiguait les trésors de l’état aux ouvriers des ateliers nationaux ; on leur offrit des bons du trésor ou des rentes dépréciées de plus de 30 pour cent, et tandis que les préambules des décrets plaçaient les caisses d’épargne sous la protection de la loyauté du gouvernement, les décrets même leur déclaraient la banqueroute[53].

Pour bien connaître la politique du gouvernement provisoire dans la question des caisses d’épargne, il faut lire en entier l’excellent rapport de M. Delessert ; les fautes ne pouvaient être exposées avec plus de mesure, les droits avec plus de force, les souffrances avec plus de sympathie. L’établissement des caisses d’épargne est peut-être la plus belle part du patrimoine d’honneur que Benjamin Delessert a laissé à sa famille ; elle a dignement accepté l’héritage. Nous voyons dans ce rapport que si, sur les premières demandes en remboursement. « on eût adopté la seule mesure qui eût été juste et convenable, de donner de la rente au pair, la difficulté du moment eût été probablement surmontée. » Il y a plus lorsque l’assemblée nationale eut réhabilité la foi publique en adoptant la rente au cours comme valeur de remboursement, satisfaits de ce gage de loyauté, les déposans, dit encore M. Delessert, « ne demandaient qu’à conserver leurs économies, en les laissant à la caisse d’épargne. » Mais on rendit général et obligatoire le remboursement en rentes, qui, pour la convenance de tous et pour l’intérêt de l’état, eût dû rester facultatif, et, « sans cette erreur bien regrettable, ajoute M. Delessert, on n’eût imposé à l’état des sacrifices comparativement de peu d’importance. » Nous n’avons pas à demander compte aux ministres de cette époque de ces injustes ou fausses mesures ; mais le ministre actuel aurait dû leur en laisser la responsabilité.

La consolidation des bons du trésor n’a pas eu l’urgence pour excuse. C’est par un décret du 16 mars 1848 que l’atermoiement a été prononcé, et cependant les échéances du mois de mars n’étaient pas considérables, les fortes échéances n’arrivaient qu’en avril. Pour y faire face, le dernier gouvernement avait organisé toutes les ressources de son service de trésorerie. Un encaisse de 200 millions était préparé ; à ses versemens réguliers, le contractant de l’emprunt offrait d’ajouter des anticipations ; la compagnie du chemin du Nord allait faire un remboursement de 20 millions ; la réduction de l’intérêt à 4 pour 100 n’avait pu arrêter l’affluence des preneurs de bons du trésor. Héritier de toutes ces ressources, pourquoi le gouvernement nouveau a-t-il ajourné si long-temps d’avance ses créanciers ? C’est parce que les unes ont été bientôt épuisées, et que les autres se sont taries. D’un côté, des services plus exigeans que le service des bons du trésor ont absorbé l’encaisse ; il a fallu solder les ateliers nationaux, organiser la garde mobile, ajouter en quelques jours un énorme supplément à l’effectif. De l’autre, les recettes ordinaires ont baissé avec la plus effrayante rapidité ; le contractant de l’emprunt, qui sollicitait des escomptes de la monarchie, s’est exposé à une amende de 25 millions pour résilier son marché avec la république, et le guichet d’émission des bons du trésor a été fermé par la défiance générale. D’où venaient ces dépenses énormes, cet épuisement de toutes les recettes et ce discrédit ? À qui faut-il imputer les consolidations, ruineuses qui en ont été la conséquence ? Est-ce à la révolution de février ? est-ce aux fautes de ceux qui l’ont gouvernée ? Qu’on choisisse ; mais M. le ministre des finances n’avait pas le droit de les mettre à la charge de la monarchie.

La dépense des services généraux a suivi le même accroissement que la dette publique : les chiffres parlent si haut, qu’il suffira de les citer. Nous ne chercherons pas un objet de comparaison dans un budget normal du dernier gouvernement. Nous prendrons pour point de départ son dernier exercice, celui qui s’est accompli dans les circonstances les plus difficiles, sous la double et sinistre influence des inondations et de la disette. En 1847, les dépenses ordinaires (nous n’en exceptons que les grands travaux publics) se sont élevées à 1,427 millions ; le premier budget de la république les a portées à 1,629 millions[54]. M. le ministre des finances nous fait craindre que, pour les mêmes dépenses, le second budget ne dépasse notablement 1,492 millions, et le troisième budget des dépenses ordinaires, le budget qu’il vient de présenter, serait déjà de 1,488 millions, indépendamment de toutes les charges imprévues, si le sacrifice absolu de l’amortissement ne le ramenait provisoirement à 1,409 millions. Le décroissement des recettes a formé un triste contraste avec l’accroissement des dépenses en 1848, les produits indirects ont diminué de 142 millions[55] ; nous manquons de base pour évaluer la diminution de 1849 ; dans les prévisions un peu optimistes de son budget des recettes pour 1850[56], M. le ministre des finances propose de compenser, par une ressource momentané de 65 millions, la réduction probable du produit des anciens impôts. Et c’est au milieu de cette décadence du revenu public que l’assemblée constituante a réduit l’impôt du sel et la taxe des lettres, supprimé l’impôt des boissons, et retranché volontairement 160 millions d’un budget des recettes déjà mis en déficit par la force majeure des événemens !

C’est là le plus grand danger de notre situation financière. Les dépenses extraordinaires disparaissent avec les circonstances qui les ont créées, le produit des impôts se relève, avec la prospérité publique, une politique d’ordre et de paix répare peu à peu les ruines d’une politique agitatrice ; mais des sources du revenu public ne se rouvrent plus quand elles ont été long-temps fermées, et les impôts long-temps supprimés sont aussi difficiles à rétablir qu’à remplacer. Une croisade contre les impôts avait été entreprise sous la monarchie ; elle a été victorieuse sous la république. La guerre à l’impôt était déjà, dans des collèges électoraux peu nombreux, un lieu commun de corruption électorale ; c’est un lieu commun dont le suffrage universel n’a pas sans doute compromis le succès. Il est si populaire et si facile de faire la guerre à l’impôt ! Qui ne croit s’enrichir par la réduction des taxes ? Qui ne s’occupe de son revenu beaucoup plus que des recettes publiques ? Qui se souvient qu’un état qui perd ses recettes perd son crédit et sa puissance, et qu’une étroite alliance unit la prospérité de chacun à la prospérité de tous ? Hélas ! nous ressemblons tous un peu au sauvage dont parle Montesquieu, et, pur peu que la faim nous presse, nous voudrions couper l’arbre au pied et cueillir le fruit. Et plus quel est l’impôt qui n’a pas d’inconvéniens, qui ne gêne pas un peu soit la production, soit la circulation, soit la consommation des denrées ou des marchandises ? Quel est l’impôt irréprochable dans son assiette ou dans sa perception ? L’imperfection est le péché originel des institutions humaines ; c’est notre force de l’apercevoir, c’est notre faiblesse de ne pouvoir y porter remède. Ne voudrons-nous donc jamais nous résigner à des impôts imparfaits et à des lois imparfaites ?

La guerre à l’impôt a été une guerre, savante, pleine de surprises et de stratagèmes. On s’est bien gardé d’attaquer de front le revenu public ; on lui a dressé des embûches. On ne voulait pas, disait-on, diminuer les recettes de l’état, on voulait les mieux organiser et même les accroître. Cette taxe est trop élevée ; diminuez-la des deux tiers, et vous triplerez la consommation de la marchandise taxée. Telle autre taxe est juste au fond, mais elle est mal établie ; gardez le fond et changez la forme. On disait encore : Cet impôt est injuste, il frappe inégalement les contribuables ; sans doute l’état a besoin du produit, mais que lui importe l’impôt qui le lui donne ? Abolissons cet impôt, vous le remplacerez par un autre. On disait enfin : Les dépenses sont excessives, nul doute qu’on ne puisse les réduire ; escomptons la réduction future des dépenses par la diminution actuelle des impôts. Et au milieu de tous ces novateurs, les novateurs de la dernière heure, ceux qui savent que la question de propriété peut être habilement impliquée dans la question d’impôt, criaient bien haut : Réforme ! et disaient tout bas : Révolution !

Voilà les sophismes coalisés contre le revenu public. Quelques-uns ont déjà réussi. Quel a été le fruit de leur victoire ? Prenons la réduction de l’impôt du sel pour exemple. Que ne nous promettaient pas ceux qui ont cherché dans cette réduction une popularité fatale à nos finances ! Ils faisaient bon marché du dégrèvement du sel destiné à la consommation des hommes. Ce dégrèvement, insensible et limité, ne valait pas, même à leurs yeux, le sacrifice d’un de nos plus beaux revenus ; mais le sel, mis à la portée de l’agriculture, allait faire des prodiges, et le progrès de la consommation enrichirait le pays sans appauvrir le trésor. La réduction a été prononcée. Qu’avons-nous vu ? Les approvisionnemens retardés dans l’attente de cette réduction ont profité aux premiers mois de l’expérience et ont simulé un accroissement de consommation. On célébrait déjà le succès de cette réforme financière ; mais le temps, en marchant, a dissipé ces illusions : de mois en mois, le déficit s’est accru ; il s’est rapproché du chiffre correspondant à la réduction de la taxe[57]. M. le ministre des finances se résigne, et il n’évalue qu’à 27 millions pour 1850 le produit d’un impôt qui a donné 70 millions en 1847. Un sacrifice annuel de 43 millions a été consacré à une expérience manquée. — L’expérience n’est pas finie. Dira-t-on, attendez encore. — L’Angleterre attend depuis vingt-cinq ans, et personne n’y croit plus guère aux heureux effets agricoles de l’abolition de cet impôt. Je consultais un jour, à ce sujet, un homme d’état illustre qui consacre aux progrès de l’agriculture les intervalles de sa glorieuse administration. — Oh ! me répondit-il avec une spirituelle ironie, il n’y a pas l’ombre d’un doute pour les personnes engagées dans le commerce du sel.

Une déception pareille nous attend, selon toute apparence, dans nos autres essais, et le remaniement de nos impôts excitera plus de mur ures qu’il n’est destiné à en apaiser. Ce qui se supporte par l’habitude révolte par la nouveauté. Croit-on que les nouveaux droits d’enregistrement semblent plus légers que l’ancienne taxe des lettres, et que l’impôt sur le revenu, soit plus populaire que l’impôt du sel ? On cède aux clameurs du quelques-uns contre les rigueurs de l’exercice : que répondra-t-on aux plaintes de tous contre les enquêtes sur les fortunes ? Nous avons vu, dans des jours d’émeute, brûler quelques bureaux d’octroi : en 1816, le parlement d’Angleterre fit livrer aux flammes tous les papiers de l’income-tax. Ah ! si les choses étaient entières, la question du remplacement serait-elle même posée ? Et encore aujourd’hui, aujourd’hui si M. le ministre des finances employait à redemander les anciens impôts la science et le talent dont il prépare les ressources pour la défense des impôts nouveau, croit-on que cette question serait un moment douteuse, et que l’assemblée, d’accord avec les contribuables, ne repousserait pas tous ces changemens qui déplacent, sans les alléger, les charges publiques et n’en font que plus sentir le poids ? Devons-nous donc tout renouveler sans cesse, et, s’il se passait vingt-quatre heures sans un changement, l’esprit humain aurait-il perdu sa journée ? On disait autrefois aux amis les plus opiniâtres de la stabilité qu’ils auraient été conservateurs au temps du chaos : ceux qui leur ont fait ce reproche demanderaient le progrès en paradis. Mais enfin, si l’esprit de rénovation est l’esprit de notre temps, qu’on mette à la fois sous les yeux du public les prétendus abus qu’on lui dénonce et les réformes qu’on lui prépare, et qu’il ait la faculté de choisir. Si les réformes l’emportent, elles remplaceront ces abus sans intervalle, et par cela seul elles en vaudront mieux, car en toutes choses, dans les impôts comme dans le pouvoir, rien n’est pire que les interrègnes. Qui sait aussi ? peut-être le public aimera mieux le mal qu’il connaît que le remède qu’il ignore ; peut-être il aimera mieux se résigner à ces vieux impôts sous l’empire desquels tout a haussé, les salaires comme les profits et les fermages, que de poursuivre ces utopies nouvelles qui promettent la réduction de toutes les taxes, et qui jusqu’ici n’ont réduit que les revenus.

Mais je me laisse entraîner au-delà de mon sujet. Je m’arrête. Une provocation partie de haut m’a imposé le devoir de justifier un gouvernement tombé. À cette défense du passé, j’ai ajouté mon avis sur la situation présente ; Dieu me garde de me désintéresser, même dans la retraite, des affaires publiques ! Au milieu des révolutions dont, depuis soixante ans, se compose notre histoire, il nous est arrivé à tous de douter un jour de la constitution de notre pays. C’est un sentiment plein de découragement et de tristesse : ne le rendons pas plus amer par notre faute ; ne séparons jamais, même par la pensée, notre humble fortune des destinées de la patrie ; à défaut de services dévoués, offrons-lui de sincères conseils, et souhaitons-lui toujours le bien que nous avons voulu lui faire.

S. Dumon.
  1. Suspension de l’amortissement en 1848 et 1849 242,624,000 fr.
    Portion disponible de l’emprunt de 1841 (Compte des finances pour 1847, page 400 45,393,000
    Portion disponible sur les premiers versemens de l’emprunt de 1847 (Compte des finances pour 1847, page 401) 40,000,000
    Emprunt de 1848 177,886,000
    Emprunt aux actionnaires de la compagnie des chemins de fer de Lyon 54,148,000
    Remboursement des compagnies de chemins de fer débitrices de l’état 15,000,000
    Impôt de 45 centimes 191,260,000
    Retenues sur les traitemens 10,000,000
    Total des ressources extraordinaires 776,311,000 fr
    Les travaux extraordinaires sont prévus dans les budgets de 1848 et de 1849 pour 269,000,000 fr.
    Les ressources ci-dessus ont donc été affectées aux dépenses ordinaires jusqu’à concurrence de 507,311,000
    Et le découvert prévu par le ministre des finances s’applique en entier aux dépenses ordinaires, ci 256,000,000
    Total de l’excédant actuellement connu des dépenses ordinaires sur les recettes ordinaires pour 1848 et 1849 763,311,000 fr.
  2. L’exercice 1848 figure dans ce chiffre pour 72,000,000 ; mais le Compte des finances pour 1848, qui vient d’être publié, réduit ce découvert à 13,824,000. (Page 358.)
  3. Voyez la livraison du 15 septembre 1848.
  4. Exposé des motifs du budget de 1850, page 8.
  5. Exposé des motifs du projet de règlement de l’exercice 1847, page 13.
  6. Mémoire de M. Laplagne, 1848, page 77.
  7. Ibid., page 76.
  8. En 1828, les frais de poursuite étaient de 3 fr. pour 1,000 fr. de recouvremens ; en 1847, ils n’étaient plus que de 1 fr. 96 cent. ; ils sont remontés à 3 fr. 50 cent, en 1848.
    En 1828, le retard dans la rentrée des douzièmes échus au 31 décembre était de 1 douzième 25 centièmes ; en 1847, ce retard n’était plus que de 0 douzième 87 centimes ; il est remonté à 1 douzième 76 centièmes en 1848.
  9. Mémoire de M. Laplagne, page 86.
  10. De 1831 à 1847, les produits de l’enregistrement et du timbre se sont élevés de 146,414,000 fr. à 265,482,000 fr.
  11. De 1831 à 1847, les produits de la poste se sont élevés de 33,340,000 fr. à 53,287,000 fr.
  12. De 1831 à 1846, les produits des douanes se sont élevés de 97,076,000 fr. à 162,000,000 fr.
  13. De 1831 à 1847, le produit des droits des boissons s’est élevé de 63,441,900 fr. à 101,827,000 fr. ; celui des droits sur le sucre, de 35,757,000 fr. à 65,134-,000 fr. ; celui des droits sur le café, de 7,942,000 fr. à 15,353,000 fr.
  14. De 1831 à 1847, le produit des droits sur le sel s’est élevé de 63,317,000 fr. à 70, 408,000 fr.
  15. Compte des finances pour 1847, page 433.
  16. Ibid., page 473.
  17. (Compte des finances pour 1841, page 489.)
    Emprunt du 19 avril 1831, à 84 fr. 70 cent. pour 106 7,142,858 fr.
    Emprunt national au pair «  « 1,021,945
    Emprunt du 8 août 1832, à 98 fr.50 cent. pour 100 761 213.
    Consolidation des fonds de la caisse d’épargne, en 4. p. 100, 1837 4,092,647
    Emprunt du 18 octobre 1841, à 78 50 1/2, 3 pour 100. Emprunt du 9 décembre 1841, 84. 75 3 pour 100 12,810,245
    Consolidation des fonds de la caisse d’épargne, en 4 p 100, 1844 4,000,000
    Emprunt du 10 novembre 1847, 3 pour 100, 75 25 9,966,777
    TOTAL 46,648,683 fr.
  18. Compte des finances pour 187, pages 73-75.
  19. Le dernier emprunt de 250 millions, contracté le 10 novembre 1847, est compris dans ce chiffre.
  20. Compte des finances pour 1847, page 373.

  21. Produit d’aliénation de bois de l’état 114,297,276 fr.
    Trésor d’Alger et ressources diverses 60,760,551
    Retenue sur les traitemens 9,848,750
    30 cent, additionnels sur le principal des contributions directes 46,442,590
    Emprunt national au pair 20,438,900
    Emprunt en rentes 270,000,014
    TOTAL. 521,788,081 fr.

  22. Budget annexe des travaux publics. Compte des finances de 1840, page 391 93,852,000 fr
    Budget extraordinaire des travaux publics. Compte des finances de 1843, page 369. 225,624,000
    Ressources ordinaires des budgets. Mémoire de M. Laplagne, page 122 328,135,000
    TOTAL 647,611,000 fr.
  23. Compte des finances pour 1847, page 371.
  24. Ibid., page 477.
  25. Loi du 10 juin 1833.
  26. Loi du 17 mai 1837.
  27. Compte des finances pour 1847, page 476.
  28. Ibid., pages 372-373.
  29. Ibid., page 477 :
    Exercice 1840 138,004,529 fr. 138,004,529 fr.
    Exercice 1841 132,044,665
    « 18,694,405 150,739,070
    Exercice 1842

    [

    108,612,172
    397,355,771 fr.
  30. De 661,891,645 fr., montant des revenus indirects de 1839, à 754,851,176 fr., montant des revenus indirects de 1842.
  31. Loi du 25 juin 1841.
  32. Travaux autorisés par la loi du 25 Juin 1841 :
    Travaux civils 220,769,000 fr.
    Travaux militaires 225,052,000
    Travaux maritimes 51,000,000
    496,821,000 fr.
  33. Loi du 11 juin 1842.
  34. Compte des finances pour 1847, pages 477 et 488.
  35. Compte des finances pour 1847, pages 372 et 373.
  36. Emprunt du 10 novembre 1847.
  37. Liquidation du découvert résultant des dépenses faites pour travaux extraordinaires :
    Découvert 441,000,000 fr.
    1° Ressources provenant d’une partie des travaux cédés à des compagnies.
    Chemin du Nord 93,592,000
    Chemin de Lyon 42,000,000
    Prix des terrains du chemin de Tours à Nantes, avancé par l’état et dû par la compagnie, évalué provisoirement et sauf règlement à 6,000,000
    Prix des terrains de l’hôtel des affaires étrangères, remplacé par le nouvel hôtel construit près du palais de l’assemblée, évalué provisoirement à 7,000,000 148,592,000
    2° Ressources provenant des remboursemens pour prêts faits à diverses compagnies (Compte des finances pour 1847, page 647) 56,268,000
    3° Ressources provenant de l’emprunt de 1847 :
    Versemens effectués et existant dans l’encaisse du trésor le 24 février 82,000,000
    Versemens à effectuer 168,000,000 250,000,000 454,860,000
    Excédant des ressources sur le découvert 13,860,000 fr.

  38. Travaux faits en dehors des lois de 1841 et de 1842. Voir l’état ci-dessus, page 900 647,000,000 fr
    Travaux exécutés en vertu de la loi du 25 juin 1841 450,000,000
    Travaux exécutés en vertu de la loi du 11 juin 1842 441,000,000
    TOTAL 1,538,000,000 fr
  39. L’augmentation a été plus grande en 1846 et en 1847 par des raisons déjà expliquées.
  40. Emprunt de 1848, contracté par M. Laplagne, en 3 pour 100, à 84 75.
  41. des motifs du budget rectifié de 1848. M. le ministre des finances dit, dans I exposé des motifs du budget de 1850, page 8, « qu’au moment où il fut voté, le budget de l’année 1848 admettait dans ses prévisions un découvert de 48 millions sur le service ordinaire. » C’est une erreur capitale. Le budget de 1848 a été voté avec un excédant de recettes de 9,296,340 francs pour le service ordinaire. Le chiffre de 4 8 millions donné par M. le ministre est celui du découvert résultant de tous les crédits supplémentaires et extraordinaires demandés ou prévus pour cet exercice. Ce découvert devait nécessairement être réduit par la liquidation des dépenses et par l’augmentation habituelle des recettes.
  42. Lois de règlement des 20 juillet et 8 décembre 1848.
  43. D’après les évaluations du ministère du commerce, l’importation extraordinaire (déduction faite de la moyenne des importations ordinaires) a été de 9,200,000 quintaux métriques de farines, froment et autres grains, et d’une valeur approximative de 276 millions de francs.
  44. En 1846, la circulation a été de 90,962 tonnes, parcourant toute la distance ; en 1847, elle a été de 147,179 tonnes.
  45. Exposé des motifs du 3 janvier 1848. — Rapport au gouvernement provisoire du 9 mars suivant.
  46. Voir plus haut, page 907, en note. (note 36)
  47. Composition du fonds d’amortissement au 1er janvier 1848 :
    Dotation du 5, du 4 1/2 et du 4 pour 100 33,103,472 fr.
    Rentes rachetées, appartenant au 5, au 4 ½ et au 4 pour 100 47,980,905
    Total des réserves de l’amortissement 81,084,377
    Dotation du 3 pour 100 15,783,193
    Rentes rachetées appartenant au 3 pour 100 17,603,172
    Total du fonds d’amortissement du 3 pour 100 33,386,365
    Total général du fonds d’amortissement 114,470,742 fr.

    (Compte des finances pour 1847, page 472.)

  48. Compte des finances pour 1847, pages 416 et 447.
  49. Ibid. 1847, page 388.
  50. Décret du 7 juillet 1848.
  51. Tableau de l’état des caisses d’épargne au 31 décembre 1847 annexé au rapport de M. Ducos du 14 avril 1849.
  52. Rapport de M. François Delessert, au nom des directeurs de la caisse d’épargne de Paris, 3 août 1849.
  53. Décrets des 8 et 10 mars 1849.
  54. Compte des finances pour 1848, page 98.
  55. Ibid., page 52.
  56. Exposé des motifs du budget de 1850, page 14.
  57. Tableau mois par mois de la diminution du produit de l’impôt du sel en 1849 comparativement à 1848 :
    Janvier Diminution 187,000 fr.
    Février « 1,877,000
    Mars « 1,493,000
    Avril « 1,497,000
    Mai « 3,171,000
    Juin « 3,161,000
    Juillet « 3,148,000