L'Art pendant la guerre 1914-1918/LEUR ART

LEUR ART


Quel est l’Art de ces gens-là ? Et qu’ont bien pu faire les artistes, signataires de l’Appel au monde civilisé, pour remplacer, dans le patrimoine esthétique des hommes, les merveilles qu’ils ont biffées du portail de Reims, — je veux dire les Behrens, les Klinger, les Stuck, les Trubner, les Hildebrand, sans parler de leurs aînés, signataires du même manifeste, les Hans Thoma, les Gebhardt, les Kaulbach, les Kalkreuth, les Liebermann, les Defregger ? Beaucoup de gens ne soupçonnaient pas leur existence ; ils viennent de la révéler par un procédé infaillible : celui de cette suffragette qui lacéra la Vénus au miroir, ou de ce vagabond qui déroba la Joconde. C’est de la notoriété, si ce n’est pas de la gloire, et l’on demeure ébahi de leur prestesse à l’acquérir. Il y a des ouvriers qui cherchent à se faire connaître par la production de quelque œuvre : le monde surpris n’a connu les noms de ceux-là que par la destruction d’un chef-d’œuvre.

Mais comme, après tout, il ne suffit pas de lacérer une toile ou de mutiler une statue pour être réputé « artiste », — ni de se solidariser avec ceux qui l’ont fait, — ces Vertreter deutscher Kunst, comme ils s’intitulent eux-mêmes, doivent quelque part, en un temps quelconque, avoir façonné quelque chose, des objets réputés « objets d’art » par eux et leurs amis. Ils ont dû modeler des figures, dont la place leur paraissait marquée au portail de Reims, à la place de la Reine de Saba, du Saint Remy, du Saint Thierry et de l’Ange de Saint-Nicaise. Ils ont dû peindre des panneaux pour reposer leurs yeux que fatiguaient nos verrières, réduites par leurs soins en poussière. Peut-être, avec ce goût de l’organisation préventive qui les distingue, quelques-uns d’entre eux étaient-ils, déjà, désignés pour retoucher nos imagiers du XIIIe siècle. Et, sûrement, il en est de chargés de reconstruire Louvain, selon un plan plus moderne et plus rationnel. Que sont donc ces artistes et que valent-ils ? On se pose, malgré soi, cette question.

Je vais tâcher d’y répondre. Cette réponse, — ai-je besoin de le dire ? — ne sera pas dictée par des faits étrangers à la cause. Si, durant quelque vingt-cinq ans, — c’est-à-dire depuis la réunion des Portraits de Lenbach, en 1888, au Palais de Cristal, de Munich, jusqu’à l’Exposition du Pavillon des Arts industriels allemands, à Bruxelles, en 1910, — il n’est guère de manifestation de l’Art allemand que je n’aie suivie et notée, et si, cependant, je n’en ai jamais parlé, ce n’étaient point les horreurs de Louvain ou de Senlis qui arrêtaient l’éloge : c’est qu’il n’y en avait point à faire. Le silence est une opinion, et cette opinion ne devait rien alors aux circonstances. L’expression ne leur devra rien, non plus, sinon l’occasion ou la justification de ces lignes.