L’Anglo-Catholicisme
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 69 (p. 170-198).
L'ANGLO-CATHOLICISME

Eiremcon, par M. le Dr Pasey ; Londres 1866.

La France souffre en ce moment d’une étrange maladie. Une paralysie d’une nature inconnue semble arrêter en elle l’essor des plus hautes facultés. On dirait que la vie du corps est son unique souci. Dans ce milieu délétère, que sont devenues les croyances religieuses ? Ceux qui auraient dû être les champions de la pensée et de ses droits se sont déclarés ses adversaires les plus acharnés. Défenseurs prétendus de la cause de Dieu, tous les jours ils attaquent Dieu lui-même dans la plus belle de ses œuvres, la liberté et la raison humaines. A côté du matérialisme des économistes, un mal plus mortel encore pour l’âme est venu nous affliger, l’ultramontanisme. Le catholicisme gallican, cette antique forme de l’église de France, serait-il menacé d’une inévitable ruine ?

Sous l’influence de causes toutes différentes, le protestantisme anglican semble, lui aussi, menacé d’une perte prochaine. L’état depuis deux siècles était son guide et son pilote, et voilà qu’aujourd’hui, le cœur plein de révolte, l’église d’Angleterre cherche à secouer cette autorité. Dans la détresse de leur foi, beaucoup de ses membres abandonnent les vieilles croyances des Cranmer et des Ridley ; ne sachant où se prendre, ils se laissent aller au double courant qui entraîne les peuples, les uns vers Rome, les autres vers le rationalisme et ses horizons inconnus. Et pourtant tous n’ont pas encore désespéré. Devant le flot qui monte, des hommes courageux ont essayé d’élever une forte digue. Ont-ils réussi ? A l’avenir seul il appartiendra de prononcer. Ce qui est certain, c’est que de leurs efforts est sortie une église tout entière : l’église anglo-catholique. Les pages qui vont suivre ont pour objet d’exposer les origines de cette église, ses premiers combats, ses progrès, la mission qu’elle s’est donnée. Dans la crise que subit en ce moment le christianisme par toute l’Europe, une semblable étude ne saurait trouver indifférens l’esprit qui pense ou l’âme qui croit.


I

Deux grands principes ; on le sait, forment les fondemens sur lesquels repose en Angleterre l’édifice entier de la réforme. Le premier proclame le droit inhérent à toute société chrétienne particulière de choisir sa propre forme de gouvernement religieux. Le second principe, source cachée du précédent, reconnaît à tout membre d’une société chrétienne le droit absolu de prêter à la parole de Dieu le sens que sa conscience lui suggère. Le protestantisme anglican n’affirme pas, il est vrai, l’égalité en perfections de toutes les formes politiques que peut revêtir une église ; il n’avance pas que le jugement d’un homme vaut celui d’un autre dans l’explication de l’Écriture, mais il a toujours admis l’indépendance réciproque, c’est-à-dire au fond l’autorité réciproque de l’association et de l’individu.

En vertu du premier principe, les gouvernemens successifs de l’Angleterre déclarèrent la hiérarchie épiscopale et sacerdotale appropriée au pays, et formulèrent dans les trente-neuf articles, les Homélies et le Prayer-book les croyances, le culte, la liturgie de l’église nouvelle. Ce fut l’établissement. Ce triomphe de l’autorité collective provoqua bientôt les résistances de l’autorité individuelle. L’interprétation privée réclama contre le dogmatisme de l’église, l’individu se posa en face de l’état. Alors on vit naître coup sur coup toutes ces sectes religieuses, si diverses de croyances et de discipline, mais toutes unies dans une même pensée, — la négation d’une église d’état. Les dissidens entrèrent en lutte. Étonné d’abord, bientôt irrité, l’établissement arma le pouvoir séculier, supprima les prêches, emprisonna les prédicans, déporta les sectaires. Tout le XVIIe siècle s’écoula dans ces tristes luttes.

Pendant que les cavaliers du roi Charles Ier dispersaient par la force les malheureux dissenters, une théologie nouvelle se faisait jour au sein même de l’anglicanisme. Comprenant que l’absolutisme de la liberté individuelle était la destruction radicale de la dogmatique ecclésiastique, plusieurs évêques tentèrent d’asseoir l’établissement sur de nouvelles bases. Ce fut alors que les Andrews, les Bramhall, les Laud, cherchèrent à constituer la toute-église (high-church)[1]. Ils ne disaient plus l’église anglicane fille du XVIe siècle et née du droit primordial qui appartient à toute société chrétienne, celui de se gouverner elle-même : ils proclamaient au contraire cette église partie inhérente de la grande église catholique visible, perpétuée jusqu’à eux par la succession apostolique. A leurs yeux, Rome était l’église-mère qui avait donné naissance à l’église d’Angleterre ; mais, vierge folle, Rome avait laissé éteindre la lampe sainte, et la nuit de l’erreur s’était étendue sur ses yeux, tandis que, vierge sage, l’église d’Angleterre continuait sa route dans la voie du Seigneur. Bientôt ces théologiens déclarèrent l’église anglicane en communion parfaite avec les églises grecque et latine ; ces trois églises formaient des branches s’élançant d’un même tronc, des membres au service d’un même corps, en un mot des parties indivisibles de la grande unité catholique. En même temps le rituel maudit par la réforme était remis en honneur et imposé à tout le peuple. Au grand scandale du vieux parti puritain, on vit reparaître dans la maison de Dieu « la livrée de la bête ; » la croix se montra au faîte des cathédrales, les stalles se remplirent de servans vêtus de surplis ; l’orgue fit entendre ses chants alternés de chœurs, tandis que devant l’autel s’agenouillait le clergyman vêtu de l’aube et de l’étole.

Politique autant que religieuse, la doctrine de Laud et de Bramhall frappait la réforme dans son principe même. Aussi, par haine des niveleurs, les Stuarts se firent-ils les défenseurs jurés de cette haute-église. Sous leur impulsion, elle fit de rapides progrès, il n’y eut plus de faveurs que pour elle : doyennés, archidiaconats, évêchés, tout fut à sa discrétion. Cependant la high-church ne tarda pas à rencontrer une résistance terrible, d’abord chez les dissidens, bientôt dans la low-church. Cette basse-église formait une fraction de l’établissement ; mais dans son protestantisme farouche elle éprouvait une violente aversion contre Rome et contre les Stuarts. Toutes ces théories de succession apostolique lui semblaient autant d’attentats à la liberté, et la liturgie de l’archevêque Laud une avance faite au papisme. Tout en restant dans l’observance des trente-neuf articles et du Prayer-book, conditions essentielles pour demeurer dans l’établissement, les membres de la low-church s’entendaient avec les non-conformistes pour repousser la théologie nouvelle ; eux aussi, ils se mirent à proscrire le symbolisme extérieur : plus de croix, plus d’autel, plus de parure mondaine ; une chaire pour la parole de Christ, une robe noire pour son ministre, le chant des psaumes, les oraisons du Prayer-book, tels devaient être, disaient-ils, les seuls ornemens du temple et l’unique pompe agréable au Seigneur. « Surplis, étole, camail, s’écriaient-ils aussi bien que les dissenters, toutes ces choses sont parures du diable. » Quelles furent les péripéties et les résultats de la lutte ? Chacun le sait. Tour à tour persécutante et persécutée, triomphante et abattue, élevant des échafauds et y montant elle-même, l’église-haute parut s’abîmer dans le naufrage qui par deux fois engloutit les Stuarts et leur fortune. La royauté avait cru trouver un appui dans cette église, et c’était cette église qui causait sa ruine.

Bien, qu’écrasée par la révolution de 1688, la high-church tenta de lutter quelque temps encore, et elle put le faire avec des succès divers. Vers la fin du XVIIe siècle, un de ses prélats, l’archevêque Wake, conçut une grande idée. Nourri dans la doctrine qui faisait de l’église anglicane une branche indivisible de l’unité catholique, il rêva une alliance avec l’église de France. Seule en effet dans la communion romaine, cette dernière avait toujours montré une singulière indépendance. Wake entra donc en relation avec l’un des plus illustres théologiens de la faculté de Paris, Élie du Pin ; mais les Stuarts n’étaient plus là pour comprendre et encourager une pareille tentative, et les principes ultramontains régnaient alors à la cour de France. Puritains d’une part, jésuites de l’autre, toutes les intolérances semblèrent s’unir pour faire avorter cette conception : elles y réussirent. Tel fut le dernier acte de la haute-église. Brisée par la lutte, frappée d’impuissance, abandonnée des siens, que pouvait-elle faire ? La désertion se mit parmi ses membres ; peu à peu ils passèrent à l’ennemi ou firent soumission. Plusieurs années s’écoulèrent, et la high-church sembla avoir disparu sans secousse et sans bruit. Son nom seul demeura comme souvenir d’un temps qui n’était plus et d’une doctrine à jamais condamnée.

La basse-église cependant, devenue la seule expression légale du culte anglican, s’était bien départie de sa rigueur première. Elle ne craignait plus alors de revêtir les pompes sataniques du surplis et de l’épitoge. La musique sacrée ne recevait plus ses anathèmes, et les grands oratorios de Haendel attiraient dans les nefs de Westminster et de Saint-Paul la foule turbulente des curieux. En même temps le souffle des idées philosophiques avait passé sur les âmes et desséché les croyances. Ce que les vieux puritains appelaient autrefois la grande folie, c’est-à-dire l’esprit d’incrédulité, s’était emparé de cette église. Ce n’était plus au nom du très-haut que prêchaient les évêques philosophes, c’était pour la liberté de conscience, et le Dieu de Juda avait fait place au Dieu universel. Nulle conviction chez les pasteurs de la low-church. De leurs écoles sortaient chaque jour des attaques contre la divinité du Christ. L’un soutenait qu’il était né dans le temps, l’autre affirmait qu’il n’était qu’un homme au-dessus de l’humanité ; pour un troisième, c’était le prophète précurseur de la philosophie morale. Les trente-neuf articles de foi ne s’appelaient plus que les articles de paix, et les prélats, pour les défendre, employaient d’étranges argumens. « Qu’importe, écrivait Hoadly, qu’on les croie, pourvu qu’on les signe ? » Un jour de l’année 1772, deux cent cinquante clergymen adressaient une bizarre pétition au parlement. « Qu’on nous relève, disaient-ils, de notre serment d’obéissance aux trente-neuf articles ; ils sont par trop contraires aux préceptes d’une saine philosophie. » Toute l’église basse, il faut le dire, ne poussait pas aussi loin l’indifférence pour ses propres intérêts. N’ayant plus à redouter sa rivale du XVIIIe siècle, elle poursuivait maintenant de ses colères ses anciens alliés les dissidens. Pour les atteindre, elle avait laissé en usage ou remis en vigueur les plus odieux édits promulgués par le fanatisme des Stuarts. Pendant ce temps, à la fois incrédule et intolérante, la basse-église disposait des évêchés, des canonicats, des doyennés, des archidiaconats, des vicariats et des cures, s’attribuait d’énormes et scandaleux bénéfices, percevait la dîme et habitait les palais. Jamais la terrible parole du quaker George Fox n’avait été plus vraie : la cloche de l’église était devenue la cloche du marché.

Une réaction était inévitable. Deux hommes de bien, Wesley et Withefield, essayèrent de faire rentrer l’église dans « la voie du Seigneur. » Ils s’érigèrent en défenseurs des vieux dogmes calvinistes de la prédestination absolue et de la réprobation particulière ; mais la low-church officielle les repoussa comme dissidens, et les évêques refusèrent l’ordination à leurs disciples. Alors ces hommes se mirent à prêcher en plein air, et chaque dimanche on put entendre Withefield, entouré d’un millier d’auditeurs, annoncer que les temps étaient proches. Son regard ardent, sa parole incisive, ses gestes passionnés, produisaient de terribles effets. Au dire des contemporains, les assistans tombaient du haut mal et avaient des visions miraculeuses. « C’est, disait le réformateur, la grâce qui opère. »

Pendant que le peuple se jetait avec enthousiasme dans les rudes sentiers du méthodisme, une réforme à peu près semblable s’opérait dans le sein de la low-church officielle. Plusieurs personnages éminens, en tête desquels était Wilberforce, s’efforçaient de rendre foi et charité à l’incrédule église du XVIIIe siècle. La révolution française y coopéra de son côté, et la déesse Raison ramena les hautes classes au culte de Jésus-Christ. Grâce à ce renouveau de la foi, de grands et saints efforts furent tentés ; la traite des noirs fut condamnée comme un crime, les prisonniers, qui se mouraient du « mal des prisons » dans d’infâmes geôles, se virent visités, secourus, consolés ; des hommes intrépides, nobles émules des missionnaires catholiques, se répandirent dans l’Inde et l’Australie. Noble et saint enthousiasme, mais qui, comme tous les enthousiasmes, hélas ! ne devait être que passager ! Vingt-cinq ans ne s’étaient pas écoulés que l’église-basse était retombée dans le marasme et l’insouciance du siècle précédent.

L’esprit d’abord si large de la nouvelle école évangélique ne tarda pas à se rétrécir. Les grands préceptes d’humanité et de dévouement donnés par les Wilberforce avaient fait place aux pratiques du plus sec judaïsme. La théorie calviniste de la justification et de la grâce se transforma en une véritable croyance au fatalisme, et toute règle religieuse se réduisit à la stricte observance du sabbat. L’ignorance du clergé égala bientôt son fanatisme. Dédaigneux de toute étude, le low-churchman vit dans sa Bible le livre unique et absolu, contenant toute science et toute philosophie. Pieusement groupée autour de la chaire, la foule des fidèles entendait chaque dimanche proclamer révélation divine les faits les plus condamnés par la morale, les théories les plus démenties par l’expérience. Tel jour, on lui proposait comme œuvre pie les criminels attentats d’une Judith ou d’une Jaël ; telle autre fois, elle devait assister à une longue dissertation sur la nature ruminante du lièvre. Et malheur à celui qui eût osé élever la voix !

Cet inintelligent gouvernement des âmes avait rapidement détaché de l’église plus d’un fidèle. Le scepticisme commençait à gagner le peuple, non pas ce scepticisme éclairé, fils de l’examen et de l’étude, mais cette brutale indifférence des masses pour une morale devenue insuffisante et pour des pratiques vieillies. « L’indifférence nous gagne, et l’athéisme nous dévore, s’écriait amèrement alors la Revue d’Edimbourg, le peuple rejette avec un insurmontable dégoût notre théologie puritaine. A ses yeux, l’Écriture n’est plus que mensonge, et la chaire est un tréteau de charlatan… Que la faute en retombe tout entière sur le fanatisme et l’ignorance de nos pasteurs ! »

Le christianisme subissait en ce moment par toute l’Europe une crise redoutable. La révolution de 1830 venait d’éclater, et ce grand mouvement social et politique s’était, on le sait, compliqué d’un travail de destruction des cultes et des dogmes. A l’école railleuse du XVIIIe siècle, qui niait tout faute de pouvoir rien expliquer, avait succédé une école doctrinale qui en apparence concédait tout, prétendant tout expliquer. Voltaire avait fait place à Strauss. La Vie de Jésus, qui venait de paraître, agitait profondément le public. A la lecture de ce livre, les écoles protestantes d’Allemagne s’étaient divisées, et tandis que les unes réprouvaient avec énergie la théologie nouvelle, les autres l’accueillaient, l’encourageaient, l’enseignaient. Dans l’un et l’autre camp se trouvaient donc des ministres et des pasteurs. L’agitation, à vrai dire, n’avait pas encore pénétré en Angleterre ; mais, grâce aux fréquentes relations des dissenters avec l’Allemagne, un longtemps ne devait pas s’écouler avant qu’elle ne franchît la Mer du Nord. En outre on parlait d’un mouvement tout semblable qui commençait à gagner l’Amérique ; on disait que le recteur Emerson préparait un livre plein de matérialisme et de doute, et, comme Strauss, Emerson était lui-même protestant et pasteur. Le premier bâtiment venu de New-York pouvait amener « cette peste » dans la Tamise. Déjà même, à en croire certaines rumeurs, plusieurs non-conformistes tenaient publiquement un langage au moins suspect, et cependant l’église anglicane continuait à dormir son sommeil, aussi indifférente aux menaces de l’ennemi qu’à la détresse des siens. Il devenait évident que l’heure du péril approchait ; la situation était menaçante, quand il se rencontra quelques hommes qui conçurent l’idée d’imprimer un mouvement rétrograde à l’anglicanisme, « attiré par la voix de l’abîme. »


II

Bien qu’ils fussent hommes d’un savoir distingué, les nouveaux apôtres étaient encore peu connus du pays. Tous ou presque tous pourtant étaient membres de l’église établie et appartenaient aux grandes universités anglaises : M. Keble, M. Newmann, M. Palmer, M. Froude à Oxford, M. H. Rose à Cambridge : derrière eux venaient de dévoués collaborateurs, MM. Perceval, Ward et Williams. Combattre la théorie extrême du libre examen, qui mène à la négation des dogmes, lui opposer le principe d’une autorité divine, tel était le but que se proposait leur zèle ; mais où trouver ce principe d’autorité ? Sur quelle base fonder leur système ? Ils résolurent de demander ce secret à l’histoire. Le grand succès de l’école historique française jetait le reste de l’Europe dans de semblables études : l’Allemagne s’était servie de l’histoire pour détruire ; à l’Angleterre il appartenait d’en user pour réédifîer. Ramener la foi par la science, tel fut le problème que se proposèrent ces ingénieux esprits. Abandonnant la vieille méthode protestante de l’exégèse de la Bible par la Bible, ils voulurent interroger les annales du christianisme naissant et demander aux IIIe et IVe siècles leurs croyances et leur théologie. Ils commencèrent cette œuvre par la lecture approfondie des pères de l’église et des actes des conciles, et bientôt, désireux de propager cette étude, plusieurs oxoniens firent paraître un recueil des Patres apostolici. Là se trouvaient en substance la plupart des dogmes et des institutions de l’église romaine, tels que la reconnaissance d’un épiscopat et d’un sacerdoce seuls dépositaires des sacremens, l’existence de ces sacremens, la dévotion à la Vierge et aux martyrs, etc. En même temps les fouilles archéologiques pratiquées dans les catacombes, mettant à jour peintures et inscriptions, montraient dès les époques les plus reculées l’usage des « insignes réprouvés, les cierges, l’étole, les vêtemens sacerdotaux. » C’étaient pour des esprits de bonne foi des faits de la plus haute gravité. Il en résultait fort clairement que le XVIe siècle, dans son œuvre de destruction, avait ignoré bien des choses, et que trop souvent l’enthousiasme ou la logique, lui avait tenu lieu de science. — Que fallait-il faire ? — Pleins d’ardeur, ils n’hésitèrent pas. « La réforme, s’écria le révérend Froude, n’est qu’un édifice mal construit, rasons-le. » — « Oui, dit le docteur Newmann, opérons la réforme de la réforme. » — Ils se mirent à l’œuvre. Bientôt chaque mois vit éclater une vive et docte polémique contre les excès des néo-protestans. Traités pour le temps (Tracts for the times) était le nom donné à cette publication en commun.

Dans la bataille qu’audacieusement ces réformateurs livraient à la réforme, leurs efforts répétés s’étaient concentrés sur deux points, la reconstitution de l’autorité ecclésiastique et la défense absolue des dogmes. Plusieurs même allaient jusqu’à invoquer la tradition et à s’en constituer les avocats. « Si le témoignage des premiers écrivains chrétiens, disait M. Palmer, peut être rejeté, tous les témoignages antérieurs du christianisme seront rejetés également. L’authenticité de la tradition primitive et de l’Écriture, en un mot du christianisme, demeure debout ou s’écroule à la fois. La tradition n’est pas une doctrine particulière, c’est le christianisme tout entier[2]. » C’était déjà un grand point d’acquis ; malheureusement là l’entente s’arrêtait. De ces dogmes, quels étaient ceux pour lesquels il fallait combattre ? quelles étaient les erreurs à sacrifier ? Nos théologiens n’étaient pas d’accord à ce sujet : aucun plan précis, pas d’idées préconçues, liberté absolue dans la discussion, telle était leur tactique. « Nulle grande œuvre n’est sortie d’un système, disait un des premiers traités, tout système est sorti d’efforts individuels… » Aussi était-il aisé de s’apercevoir du défaut d’unité dans le mouvement et de tendances divergentes parmi les auteurs des Tracts. Les uns, comme M. Palmer, s’en tenaient à la théologie du XVIIe siècle, au Prayer-book et aux articles, les autres, comme M. Newmann, inclinaient visiblement vers le romanisme. Déjà même sous la plume de ce dernier se montrait en germe la théorie ultramontaine du développement continu et de la progression constante des doctrines catholiques. Il était donc à craindre que ces efforts isolés n’allassent se briser contre la résistance de tout le protestantisme alarmé ; l’association était menacée d’impuissance. Il lui fallait un chef. Ce chef se présenta enfin, ce fut le docteur Pusey.

Nul plus que M. Pusey ne commandait le respect par sa science et la pureté de sa vie. Professeur d’hébreu et chanoine de Christ-church, il passait pour l’une des lumières de l’université d’Oxford. « Devant lui, nous étions tous frappés d’admiration, dit M. Newmann ; nous ne l’appelions que le Grand. » C’était une importante acquisition. Autour de lui se rangèrent les membres du mouvement, les tractariens, comme les appelaient déjà leurs adversaires en forme d’injure. Le génie habile du docteur Pusey eut vite compris quelle était la cause de la faiblesse de ses amis. Puisque l’on tentait « une réforme de la réforme, » il fallait nettement savoir ce que l’on voulait. Avant de défendre les dogmes attaqués, on devait s’entendre sur l’existence même de ces dogmes. Le professeur de Christ-church se jeta hardiment alors dans la lutte. Durant plusieurs années, on l’entendit du haut de la chaire prendre la défense des sacremens et s’efforcer de réfuter les attaques séculaires du protestantisme. Ses premiers soins s’appliquèrent à réformer la pratique du baptême. « Gage de la régénération, disait-il avec les docteurs catholiques, le baptême nous imprime le caractère chrétien ; il nous fortifie, il nous fait à jamais enfans de Dieu. » Couronnée d’un plein succès, cette première tentative remit en honneur la doctrine oubliée de la régénération baptismale, et fut bientôt adoptée comme règle primordiale dans la petite église ; mais là ne se borna point le zèle de l’éminent professeur. S’attachant à celui des dogmes chrétiens le plus contesté par ses adversaires, la transsubstantiation, M. Pusey résolut, au nom des siens, de l’affirmer solennellement.

Au jour indiqué, alors qu’une cérémonie publique réunissait l’université d’Oxford à Christ-church, le savant docteur monta en chaire et prononça un sermon devenu fameux. Examinant la question des sacremens, l’auteur s’arrêtait sur le sacrifice eucharistique et le dogme de la transsubstantiation. Il déclarait que l’église chrétienne et catholique avait toujours reconnu à la transsubstantiation un caractère réel et objectif ; mais il s’efforçait de corriger par un tempérament l’absolu de cette doctrine. « Quand la réforme, disait-il, condamnait ce dogme comme erreur du moyen âge, la réforme se trompait, car on le retrouve dès la plus haute antiquité lié aux origines mêmes du christianisme. Ce qu’il fallait repousser comme idolâtrie, c’est l’idée de la transsubstantiation de la matière ou de l’accident[3] revêtu par Dieu ; mais il nous faut croire à la transsubstantiation de la Divinité et nous incliner devant ce magnifique mystère : le pain et le vin restent pain et vin, et pourtant ils sont Dieu lui-même ; leur matière demeure identique, leur substance est transformée. Telle est la doctrine apostolique et vraiment historique du sacrifice de l’eucharistie. »

Cette solennelle condamnation de la réforme par un professeur d’Oxford en présence des collèges réunis causa dans l’assemblée un profond étonnement ; puis, comme les membres de l’université se taisaient, on vit dans ce silence une approbation tacite des doctrines du prédicateur. Les murmures se firent entendre, et bientôt un véritable tumulte éclata dans la maison de Dieu. Ne pouvant imposer le silence, M. Pusey fut obligé de s’interrompre et de descendre de la chaire. Le lendemain, l’analyse de ce hardi sermon courait de bouche en bouche, et le bruit se répandait dans toute l’Angleterre qu’Oxford professait les doctrines du papisme le plus exalté. Les attaques dirigées contre les novateurs en prirent plus d’amertume ; mais ceux-ci, sans daigner répondre, n’en poursuivaient pas moins leur tâche, faisant comme le sage, « laissant le fou parler follement. »

Pendant que du haut de la chaire le maître accusait ainsi les écoles protestantes d’ignorance et d’erreur, les disciples avaient lancé dans leur publication un manifeste non moins important dont la rédaction avait été confiée au plus ardent des leurs, M. New-mann. C’est le fameux Tract XC[4]. L’auteur osait avancer que jamais l’église d’Angleterre n’avait rejeté un seul des dogmes catholiques essentiels à l’église, que par suite elle ne pouvait faire cause commune avec la réforme. A l’en croire, nul n’avait encore compris le sens des trente-neuf articles constitutifs de l’établissement. Il fallait y distinguer soigneusement le côté politique et le côté religieux. Plus de papisme avait voulu dire au XVIe siècle plus de domination romaine ! « Qu’importaient à Henri VIII les doctrines de la justification et du purgatoire ? La conscience d’Elisabeth se révoltait-elle contre la messe ? — Non, la suprématie du pape, voilà quel était l’unique objet de leur aversion. » Cette question une fois écartée, M. Newmann abordait la question dogmatique. Or dans les erreurs reprochées au papisme il voyait trois choses : l’enseignement catholique des premiers âges, les dogmes purement romains formulés dans les derniers conciles, celui de Trente en particulier, — les croyances populaires et les usages récens propres à l’Italie. L’enseignement des premiers âges avait, selon lui, été reconnu sans conteste, et les croyances populaires avaient été désavouées ; restaient donc les dogmes d’essence romaine. Sur ce seul point pouvait s’élever la controverse. D’abord le concile de Trente avait-il été rejeté d’une façon absolue par les articles ? Oui, au dire des théologiens protestans, non, au sens de l’auteur. Comment le concile de Trente eût-il pu être condamné par des articles antérieurs à la promulgation de ses décrets ? Et, sans s’arrêter à ce premier argument, ne trouvait-on pas dans les Homélies et dans le Prayer-book la plupart des dogmes du concile de Trente ? « La reconnaissance des doctrines des huit premiers siècles de l’église, la soumission aux six grands conciles, l’inspiration divine accordée non-seulement aux apôtres, mais aux pères ecclésiastiques, eux-mêmes, la perpétuité du sacrifice eucharistique sous la forme du pain et du vin, l’ordre, le baptême, le mariage proclamés sacremens. » De ces dogmes, les uns appartenaient à l’enseignement du catholicisme primitif, les autres au développement du catholicisme occidental. Le concile de Trente, il est vrai, ne distinguait pas ; mais les auteurs des articles distinguaient-ils davantage ? Comment alors oser dire, ainsi que le faisait la théologie protestante, que ces articles avaient soigneusement séparé « l’enseignement du Christ des erreurs volontaires fabriquées à Rome ? » — L’auteur continuait en prenant à partie anglicans et dissenters. Il leur montrait la nécessité d’une tradition et d’une autorité divine. « Nier la tradition, ses doctrines et ses règles, disait-il, c’est détruire l’édifice de l’ancien christianisme, assis sur la base même de l’Écriture. Prétendre que cette base n’eût jamais pu porter un aussi vaste édifice, c’est mettre en doute la solidité même de la base… Acceptons la tradition ou ne soyons pas chrétiens[5]. »

Une véritable tempête suivit l’apparition du Tract XC. De toutes parts les voix s’élevèrent pour accuser les universités de leur tendance « à l’idolâtrie. » — « Aller d’Oxford à Rome » devint une plaisanterie habituelle dans la bouche des non-conformistes ; bientôt même on reprocha à l’épiscopat d’être de connivence avec le mouvement tractarien. Quoique secrètement favorables à une doctrine qui cherchait à rehausser leur autorité, les évêques s’effrayèrent de ces clameurs, et résolurent d’examiner l’affaire. Sous les incitations de ses collègues, le lord prélat d’Oxford adressa une lettre au docteur Newmann, vicaire de Sainte-Marie, son subordonné ecclésiastique. Il lui suggérait une rétractation. Celui-ci s’y refusa avec hauteur. — « Gardez au moins le silence devant l’attaque, » lui fit dire l’évêque. — « Garder le silence devant l’attaque, répartit M. Newmann, c’est pis que me condamner moi-même. » L’évêque se vit contraint de le réprimander ; mais, loin de se soumettre, l’auteur du Tract XC entrant en lutte ouverte : « Je n’ai rien à regretter, écrivit-il au prélat, je n’ai qu’à me réjouir et à remercier Dieu. Je ne me suis jamais cru assez fort pour diriger un parti, et je n’ai pas combattu pour la gloire de combattre. J’ai agi parce que d’autres n’osaient point agir. Aujourd’hui la persécution et l’humiliation personnelle viennent me frapper, je serai assez fort pour les supporter. Que Dieu soit avec moi dans l’avenir, comme il l’a été dans le passé ! »

Bientôt cependant un fait plus grave encore amena une rupture solennelle entre les chefs du mouvement et ceux de l’église anglicane. Après le traité de 1840 qui constitua en Égypte un gouvernement héréditaire et rendit la Syrie au sultan, le gouvernement de la reine avait cru politique de s’entendre avec les cours protestantes d’Allemagne et de Prusse pour instituer à Jérusalem un évêque qui devait être en Orient le chef suprême des anglicans, des luthériens et des calvinistes. Sans contestation aucune, le parlement avait voté le bill, et le clergé conféré l’ordination. De là grand scandale à Oxford ; les docteurs tractariens s’élevèrent avec violence contre l’investiture nouvelle. En leur nom, M. Newmann envoya une solennelle protestation à l’archevêque primat de Cantorbéry. « S’il est vrai, disait-il, que l’église d’Angleterre a toujours été catholique, d’où vient qu’elle s’allie aux luthériens et aux calvinistes hérétiques, repoussés par l’Orient comme par l’Occident ? Quelle est cette investiture donnée au nom de la Prusse protestante à un évêque catholique ? Quelle est cette juridiction spirituelle qui lui est confiée sur les hérétiques ?… Prêtre de la sainte église d’Angleterre, je proteste contre une mesure qui répugne à ma conscience, et que doit désavouer l’église de mon pays. »

À cet audacieux appel, l’épiscopat tout entier parut s’émouvoir. La dernière série des Tracts, publiquement censurée par les évêques, fut prohibée par chacun d’eux dans son diocèse. Alors les novateurs, faisant un pas en avant, rompirent tous les liens qui les attachaient à l’anglicanisme protestant, et, suivant l’exemple déjà donné par M. Newmann, les plus hardis des membres du mouvement renoncèrent à leurs fonctions ecclésiastiques. En même temps l’évêque d’Oxford déclarait vouloir connaître des doctrines émises dans le sermon de la transsubstantiation et citait le docteur Pusey devant son autorité diocésaine ; mais l’université déclina cette compétence, et, affirmant ses franchises, évoqua spécialement l’affaire. Pour éviter un conflit, le docteur Pusey crut sage de quitter Christ-church, il se démit de ses fonctions et se réfugia dans la retraite.

Ainsi en quelques années le tractarianisme était arrivé à ces trois résultats : négation d’une partie de la théologie protestante, reconnaissance de la plupart des dogmes de l’église catholique, rejet de la liberté d’interprétation. Ces résultats au reste n’étaient encore que vagues et indécis : beaucoup d’attaques, aucun corps de doctrines, nul système général. Dans cette première phase de son existence, le mouvement s’était borné à une vive critique de la réforme, il allait entrer dans une tout autre voie. Sous la haute direction du docteur Pusey, une formule nouvelle devait sortir de cette œuvre à peine ébauchée. Il fallait absolument rassurer l’établissement alarmé, et lui prouver que, loin d’aller vers Rome, les nouveaux apôtres s’efforçaient d’élever une digue contre des empiétemens possibles. L’épiscopat leur était hostile, c’était dans l’épiscopat qu’à l’avenir ils voulaient chercher aide et protection. Alors se construisit pièce à pièce un édifice élevé sans aucun doute sur le plan jadis tracé par les théologiens du XVIIe siècle, mais complété par la science et par la raison modernes, l’anglo-catholicisme. Essayons en quelques mots d’exposer la doctrine de cette église.


III

S’appuyant à la fois sur la métaphysique et sur l’histoire, l’anglo-catholicisme veut arriver à deux résultats : établir en face de Rome la coégalité de toutes les églises épiscopales, et, malgré les dénégations des écoles protestantes, prouver l’autorité de l’église universelle, ainsi que sa propre autorité, appuyée sur la succession apostolique. Ses principaux argumens métaphysiques peuvent se résumer ainsi.

Christ, en venant sur la terre, a institué son église, c’est-à-dire la réunion des fidèles qui croient en lui. À cette église appartient l’autorité légale et le pouvoir exclusif de déclarer la vérité. Société visible et universelle, elle a l’unité pour essence. L’unité en effet est le don immédiat de Dieu et le résultat de l’amour mutuel des croyans, c’est l’identité spirituelle, œuvre même du Paraclet. Homme et Dieu à la fois, Jésus-Christ est un, et cette unité organique qui nous lie à lui descend du chef au corps[6]. Des liens indissolubles rattachent l’individu à la société, le fidèle à l’église : ce sont les sacremens. La garde de ces sacremens forme le privilège exclusif d’une corporation spéciale se perpétuant elle-même par une loi spéciale. Médiateurs nécessaires entre Christ et son peuple, les hommes de cette corporation se rattachent directement aux apôtres par une succession inviolable, grâce à l’ordination épiscopale et à l’imposition des mains : ce sont les évêques et les prêtres. Seuls ils ont le pouvoir de sacrifier, de juger et d’absoudre, seuls ils sont les régulateurs et les gouverneurs de l’église. Christ a investi ses apôtres et leurs disciples dans l’avenir d’un droit et d’un pouvoir égal d’évangéliser le monde. Ce droit a donné naissance à celui de fonder autant d’églises qu’il y a de nations diverses, suivant les besoins et les aspirations des peuples. Identiques et copotentielles, les diverses églises sont reliées entre elles par des dogmes communs, des sacremens communs, une tradition commune, ce sont parties intégrantes d’un même tout. Chaque église cependant est parfaite en elle-même, et dans son unité particulière forme un des élémens constitutifs de l’unité générale. Œuvre des apôtres, ces unités particulières sont égales entre elles comme l’étaient entre eux les apôtres ; elles n’ont au-dessus d’elles que la grande église visible, œuvre de Christ, comme les apôtres n’avaient au-dessus d’eux que Christ lui-même. Il en résulte qu’en elle-même chaque église possède les quatre qualités primordiales qui sont l’essence même de l’église universelle, l’unité, la catholicité, l’apostolicité, la sainteté.

Après la métaphysique vient l’histoire. La doctrine anglo-catholique nous montre dans les premiers siècles chrétiens toutes les églises égales en puissance, et dès cette époque la Bretagne brillant d’un vif éclat. Rome alors ne s’élevait pas au-dessus de ses sœurs en Jésus-Christ, mais déjà l’ambition avait mordu le cœur des pontifes de la ville éternelle. A la chute de l’empire d’Occident, ces évêques font alliance avec les barbares pour écraser les autres églises ; la Bretagne n’échappe point à la cruelle destinée de l’Occident. Bientôt aussi la lutte s’engage avec l’Orient, les légats du pape jettent le mot de schisme et déclarent à jamais divisée la société fondée par Christ. Ils se trompaient : l’unité, cette essence primordiale de l’église, n’avait pu être rompue, et la grande robe sans couture était demeurée intacte. Sur la souche commune, qui n’avait produit jusqu’alors qu’un rameau solitaire, un rejeton plus jeune se formait ; désormais le grand tout catholique allait comprendre pendant plusieurs siècles deux unités distinctes indissolublement liées à l’unité de Christ par les mêmes croyances et par le même culte, l’église-latine et l’église grecque.

L’anglo-catholicisme, continuant sa revue du passé, nous amène au XVe siècle, au moment où, dans l’enceinte de trois conciles, les Pierre d’Ailly, les Gerson et les Cusa proclament la supériorité du concile œcuménique sur le pape, et apprennent au serviteur des serviteurs de Dieu qu’il n’est pas Dieu lui-même. Profondément émue d’un tel spectacle, l’église d’Angleterre ne tarde pas à entrer, elle aussi, en lutte avec l’évêque de Rome. Sa convocation implore l’assistance d’Henri VIII, « son seigneur le plus cher après Dieu, autant que le permet la loi de. Jésus-Christ ; » mais Rome oppose un refus absolu à toute demande de compromis et de concordat ; le pontife de la ville fulmine l’excommunication, et l’église d’Angleterre en appelle au concile œcuménique. Alors le scandale du IXe siècle se renouvelle. Rome brise les liens qui l’unissaient à l’Angleterre, et l’église de Bretagne rentre dans ses droits, intègre et identique à elle-même. De ce jour, l’unité primordiale catholique se compose de trois unités particulières distinctes : l’église latine, l’église grecque, l’église anglaise.

Cependant le moment du triomphe devient celui des épreuves ; une lutte passionnée s’engage entre le roi Henri VIII et l’église de son royaume. Souverain temporel, le défenseur de la foi ose jeter les yeux sur le domaine spirituel ; il veut contraindre la convocation à déclarer que « toute juridiction séculière ou ecclésiastique a sa source dans la puissance royale, qu’un évêque n’est qu’un vicaire du roi. » Le parlement, constitué en assemblée laïque de l’église, usurpe les droits du concile national : l’antique entité de l’église d’Angleterre se transforme en une obligation à la non-entité (non-entily) : le pape du Vatican fait place au pape de Hampton-Court.

Des orages plus redoutables encore viennent assaillir cette église : Edouard VI et son conseil veulent jeter le royaume dans le mouvement de la réforme. Alors le clergé de Bretagne se soulève tout entier ; en face de la royauté usurpant la suprématie, les prélats ont pu faiblir ; quand ils sentent la foi en péril, ils n’hésitent plus. Les derniers jours du règne d’Edouard, les premières années du règne d’Elisabeth voient formuler en ce sens les homélies, le Prayer-book et les trente-neuf articles. Pendant que les parlemens de la reine-vierge s’efforcent d’empêcher un retour du romanisrae, les évêques élèvent une barrière contre la propagande protestante. Le symbole des apôtres, le symbole d’Athanase et celui de Nicée, l’existence des sacremens majeurs et des sacremens mineurs, la présence réelle eucharistique, l’efficacité des œuvres, l’autorité de l’église et des six premiers conciles, sont solennellement reconnus et définis suivant la tradition séculaire. Répondant à des besoins du moment, chacun de ces manifestes peut offrir de graves lacunes ; pris dans leur ensemble, ils constituent à eux trois un exposé complet de propositions catholiques dirigées contre la réforme.

Telle est au XVIe siècle l’œuvre de l’église d’Angleterre. L’âge suivant voit ces principes couronnés d’un triomphe complet, et d’illustres évêques, les Andrews, les Laud, les Bramhall, les Barrow, les consacrent par leurs écrits. Un moment cependant, sous la république, on peut croire que le protestantisme va renverser le saint édifice ; mais la tempête ne fait que passer. L’épreuve toutefois est cruelle et la persécution féconde ; le nom du primat Laud vient s’ajouter à celui de tant d’illustres martyrs dont le sang atteste que l’église d’Angleterre existe en dépit des anathèmes de Rome et des nouveautés de la réforme.

Il subsiste encore aujourd’hui, cet édifice battu par tant d’orages. Affranchi de la sujétion romaine, le clergé qu’il abrite croit l’heure venue de repousser également la tutelle de l’état, et de montrer qu’en Dieu seul est sa force et son espoir. Aujourd’hui le cœtus fidelium, l’église visible de Dieu, le grand tout catholique comprend donc trois portions distinctes dans son unité : l’église romaine, l’église grecque, l’église anglaise, — et ces trois rameaux, sortis du même tronc couvrent de leur ombre les fidèles unis par la vérité et par l’amour.


IV

Fausses ou vraies, ces théories entraînaient de trop graves conséquences pour ne pas frapper tous les esprits. En elle-même, une pareille doctrine contenait la négation absolue du protestantisme anglican. Aussi la polémique soulevée autour des novateurs arriva-t-elle à un degré d’extrême violence. Les dissidens se montraient fort animés. « Produisez, disaient leurs pasteurs, la charte divine et spéciale qui institue un épiscopat et remet à ses membres la garde des sacremens. » Pour toute réponse, les tractariens montraient en Orient comme en Occident la suite continue des évêques, chaîne sans fin se déroulant depuis les apôtres.

Mais, par une réaction facile à comprendre, l’épiscopat, d’abord hostile au mouvement, se prit à considérer la théologie nouvelle d’un œil plus favorable. Ses prélats avaient craint un retour vers le romanisme, ils voyaient maintenant que la doctrine naguère condamnée pouvait préserver plus d’un fidèle. M. Pusey et les siens n’enseignaient-ils pas que le dogme catholique et la théorie ultramontaine sont d’essence différente, et qu’on peut être membre de l’église visible sans courber la tête devant le pape ? En guerre depuis longtemps déjà avec le radicalisme religieux, les évêques trouvaient un secours assez inattendu dans les principes nouveaux. Aux sectes multiples qui tous les jours attaquaient l’épiscopat anglais comme institution humaine, œuvre du parlement et des rois, les anglo-catholiques démontraient par l’histoire qu’il date des temps apostoliques. Le clergé inférieur lui-même ne pouvait échapper à la séduction d’une théologie qui, le distinguant des pasteurs « hérétiques, » le constitue médiateur nécessaire entre Dieu et le peuple. D’autres enfin, mus surtout par un sentiment de dignité personnelle, accueillaient ces doctrines comme un acheminement à l’indépendance de l’église dans l’état.

Depuis nombre d’années en effet, plusieurs prélats et autres dignitaires de l’établissement avaient engagé la lutte contre les ministres de la reine sur la question de suprématie. Maintes fois ils avaient protesté contre des décisions prises en matière de dogme ou de discipline par le parlement et les juridictions de la couronne. Ils demandaient le rétablissement de l’assemblée générale du clergé, de la convocation unique, statuant comme jadis d’une façon absolue en matière de foi ; mais à ces prélats mécontens le ministère avait constamment opposé la théorie protestante de la non-entity de l’église anglicane, se bornant à considérer les. convocations provinciales comme des assemblées purement consultatives. Les principes anglo-catholiques offraient donc un nouveau point d’appui à la résistance. Aussi un rapide mouvement entraîna-t-il une partie de l’église anglicane vers le tractarianisme. Ce furent d’abord des membres des universités, des chanoines, des doyens, bientôt enfin des évêques. Alors reparut au sein de l’établissement la scission du XVIIIesiècle ; la haute-église se reconstitua en face de la low-church.

Il y avait déjà quelque temps que l’église nouvelle, définitivement édifiée, voyait venir à elle les adeptes, quand un orage imprévu faillit amener sa ruine. Le 29 septembre 1850 parut tout à coup une bulle du pape qui jeta l’Angleterre dans le plus profond étonnement. Invoquant les progrès accomplis depuis plusieurs années par les idées catholiques, Pie IX affectait de confondre ces idées avec les doctrines romaines. Il y voyait, disait-il, un retour au centre de l’unité, et, dans l’espoir de seconder ce mouvement, il constituait « le très florissant royaume d’Angleterre en une province ecclésiastique composée d’un archevêque métropolitain et de douze suffragans ; » enfin il nommait directement les titulaires des nouveaux sièges. Un cri de réprobation s’éleva de toutes parts, et les sentimens le plus profondément enracinés dans le cœur humain firent explosion à la fois. Les uns, dans l’ardeur de leur patriotisme, repoussaient cette tentative comme une atteinte portée à la grandeur de leur pays et une menace pour ses libertés ; les autres redoutaient pour leurs familles les saintes séductions, les engagemens irréfléchis et les déchiremens inévitables. « Que les chaînes de Rome sont lourdes ! s’écriait amèrement un des journaux les plus accrédités ; jadis nos pères en ont trouvé le poids intolérable, et ils s’en sont affranchis. Quelle calamité nous menace, si nous, lâches enfans de ces généreux ancêtres, nous devons encore plier sous ce joug !… Qui n’a pas éprouvé la douleur de voir son fils ou sa fille devenir papiste n’a pas connu les douleurs humaines !… » Obéissant à l’impulsion générale, le parlement répliqua au manifeste ultramontain par le bill des Titres ecclésiastiques, et défendit de prendre ou donner sans le concours de l’autorité royale un titre ecclésiastique impliquant juridiction dans les trois royaumes. On vit même les chefs de deux illustres maisons, restées jusqu’à ce jour fidèles au catholicisme, abjurer publiquement le culte séculaire de leurs familles pour embrasser la foi de la patrie émue. « Ce noble pays, disait à la chambre haute lord Effingham, ne peut tolérer l’insolence romaine même pendant une heure ! »

Bientôt, se détournant de Rome, les colères protestantes se déchaînèrent sur l’église anglo-catholique et sur ses membres. C’étaient ces novateurs, c’étaient leurs avances à une odieuse domination qui avaient encouragé « l’agression papale. » Une voix formidable, partie de toutes les chapelles non-conformistes, criait à la trahison. Les pamphlets se multiplièrent. « Puséistes, disait un libelle répandu en tous lieux, ôtez vos masques et montrez-vous tels que vous êtes, les soldats d’avant-garde des jésuites ! » La presse périodique partageait ces fureurs. « O honte, crainte et colère, s’écriait la Revue d’Edimbourg, nous sommes livrés ! S’il est douloureux de voir le pape affirmer son odieuse domination sur cette terre libre, n’est-il pas plus irritant encore de découvrir qu’il est aiguillonné par d’incessans appels…. La garnison placée pour défendre la cité n’ose pas encore ouvrir les portes, mais elle abandonne les murailles. »

Après les injures des journaux commencèrent les attaques dirigées par les corps constitués et le gouvernement lui-même. Sous forme de lettre à l’évêque de Durham, lord John Russell publia un manifeste insultant pour les anglo-catholiques. « Les membres de notre clergé, disait-il, ont été les premiers à conduire leur troupeau sur les bords de l’abîme : le culte des saints, l’affirmation de l’autorité de l’église, la superstition du signe de la croix, la cantilène nasillarde de la liturgie, la confession auriculaire, toutes ces absurdes pratiques sont recommandées par nos prêtres et nos évêques. Fils indignes de l’Angleterre, ils ont été les premiers à souhaiter le pouvoir de l’étranger. » Dans les deux chambres, plusieurs interpellations furent adressées aux ministres. Accueilli par des hear répétés, lord Shafstesbury s’écria : « Que font donc nos évêques ? et comment n’ont-ils pas encore étouffé la trahison tractarienne ? Sans doute parce que, eux aussi, ils en sont complices… Eh bien ! que l’église-basse se réunisse, et qu’elle affirme de nouveau l’œuvre de la réforme ! »

Au milieu de cet universel déchaînement, la perplexité des anglo-catholiques était extrême. Bornées jusqu’à ce jour à de pures questions de théologie, leurs doctrines n’étaient pas encore arrêtées sur tous les points d’organisation politique. Quelques opinions isolées avaient été émises à ce sujet, mais la plupart d’entre elles étaient contradictoires. Aussi, effrayés des colères accumulées et inquiets de l’audace de Rome, plusieurs membres du mouvement sentirent faiblir leur courage. « On nous croit ennemis de l’état, répondirent-ils ; on se trompe. Catholique comme nous-mêmes, l’état n’est-il pas depuis trois siècles notre plus chère sauvegarde ? Acceptons les faits accomplis : suprématie dogmatique et disciplinaire de la royauté, participation du parlement dans les affaires de foi, caractère purement consultatif des convocations, admettons tout sans conteste ; dans l’obéissance à la couronne est le gage de l’unité. » Quelques-uns même, allant plus loin, osèrent renier une partie de leurs propres doctrines. Ils prétendirent qu’à la royauté avait de tout temps appartenu la suprématie, et qu’Henri VIII n’avait fait qu’invoquer le divin droit de ses prédécesseurs-. « Point de variété d’opinions, mais l’unité ; point de licence égale donnée au sage et au fou de choisir son guide, mais une harmonie ordonnée, en un mot une pensée suprême prescrivant une règle à l’ignorance, telle est la seule loi que les hommes raisonnables doivent désirer pour eux-mêmes et pour leur pays[7]. » Certes, dans ce bill d’indemnité accordé à l’usurpation d’Henri et d’Elisabeth, il y avait une honteuse rétractation ; bien plus, c’était pousser l’église d’Angleterre dans les tristes voies suivies jadis par l’église d’Orient.

Ces lâchetés indignèrent la plupart des membres de l’église anglo-catholique. « Non, répliquèrent-ils à leur tour, nous ne marchons pas vers Rome, nous qui sommes nés d’une réaction contre elle ; mais, pas plus que nos prédécesseurs n’ont voulu de la suprématie étrangère, nous ne voulons d’une tyrannie intérieure. La tutelle de l’état, dites-vous, est chose acquise pour l’église d’Angleterre. Que peut la prescription contre des droits imprescriptibles ? Tout pouvoir qui émane de l’état a l’état pour maître. Une église qui veut rester catholique ne peut s’appuyer sur un élément séculier : les titres de l’église dérivent uniquement des cieux. »

Se tournant alors vers les membres de l’établissement qui réclamaient indépendance et suprématie, ces anglo-catholiques n’hésitèrent pas à s’allier à eux. Parmi leurs plus ardens auxiliaires, ils rencontrèrent l’évêque d’Exeter, — énergique vieillard, théologien consommé et encore plein de feu malgré son grand âge. Ce fut lui qui, à cette heure difficile, osa formuler le plus nettement les vœux et les aspirations communes. « Qu’est-ce qu’une église d’état, disait-il dans un de ses mandemens, dans quel passage de l’Écriture en trouve-t-on trace ? Seuls, l’évêque, son clergé et son peuple constituent à mes yeux une église complète, car seule cette église est l’œuvre de Dieu ! » Il proposait dans chaque diocèse un synode provincial qui, tous les ans, sous la présidence de l’évêque, réglerait les questions disciplinaires. Au-dessus de ce synode diocésain, il plaçait la convocation générale, seule compétente en matière de foi et de juridiction ecclésiastique, voulant d’ailleurs que cette assemblée fût, comme par le passé, divisée en chambre haute, où siégerait la prélature, et en chambre basse, comprenant le reste du clergé ou de ses délégués. Enfin il ne reconnaissait sur terre aucune autorité supérieure à ce concile national, hormis le concile œcuménique.

On était au milieu de ces importantes discussions, quand un fait imprévu vint placer les anglo-catholiques timorés entre la nécessité d’une rétractation complète de leur doctrine ou d’une séparation radicale d’avec l’état. Il n’était bruit depuis assez longtemps dans le monde religieux que des opinions hétérodoxes d’un certain M. Gorham. Bien qu’il appartînt à l’établissement, ce clergyman professait des principes maintes fois condamnés, principes contre lesquels M. Pusey et les siens s’étaient élevés avec une énergie particulière. Niant la nécessité du baptême, ce nouvel élève de Pelage affirmait que la foi et non l’eau sainte imprime à l’homme le sceau du chrétien. Or, au scandale de tous les fidèles, ce fut ce pasteur que les ministres de la reine osèrent proposer à un bénéfice devenu vacant dans le diocèse même de l’évêque d’Exeter. Le prélat refusa donc hardiment l’institution canonique ; mais le ministère, résolu à maintenir fermement les droits de la couronne, cita l’évêque réfractaire devant la cour des Arches.

Nommée par la reine sur la proposition du primat de Cantorbéry, la cour des Arches constitue une de ces nombreuses juridictions exceptionnelles, grâce auxquelles depuis longtemps le pouvoir civil en Angleterre est parvenu à asseoir sa suprématie religieuse. Par une étrange raillerie de ses propres principes, l’évêque d’Exeter se vit donc traduit devant un juge laïque décidant au nom de la reine. Il refusa de comparaître, et, convoquant en synode le clergé de son diocèse, déféra à la sainte assemblée les doctrines de l’homme qu’on cherchait à lui imposer. Saisi de cette affaire, le synode n’hésita pas à déclarer hérétique le protégé des ministres, et impies ses doctrines.

Ce débat engagé entre l’évêque et l’état préoccupait au plus haut point l’attention du pays. Les anglo-catholiques surtout se montraient anxieux. Ceux qui, dans une occasion récente, avaient admis comme dogme la suprématie de la couronne ne savaient à quoi se résoudre. L’évêque était rebelle, se disaient-ils dans leurs perplexités, mais l’état serait-il hérétique ? — L’état fut hérétique. La cour des Arches condamna formellement le prélat, et, par une interprétation canonique des trente-neuf articles, déclara bonnes et conformes les doctrines du pasteur Gorham.

A cette nouvelle, grande fut l’émotion dans toute l’église. Treize hauts dignitaires de l’établissement se réunirent spontanément pour se concerter sur le parti à prendre en si grave occurrence. Ils avaient appelé en conseil plusieurs docteurs des universités, entre autres M. Pusey. « Pouvons-nous rester, se demandèrent-ils avec angoisse, dans une église où le pouvoir séculier nous impose des décisions contraires à la foi catholique ? » Un débat orageux s’éleva sur cette question. « Rompons avec l’église d’Angleterre, s’écriait, et non pas seul, l’archidiacre Manning ; nous nous perdons à sa suite ! » — « Non, répondaient les autres, restons, coûte que coûte, unis à notre église ; mais traçons autour d’elle des limites que l’état ne puisse franchir. » M. Pusey soutenait avec chaleur ce dernier avis. Il comprenait bien en effet quel était le danger d’une formule trop absolue, et s’il s’effrayait des empiétemens de l’état, il redoutait bien plus encore ceux de la cour romaine. Après un long délibéré, on s’accorda enfin sur six propositions, qui, séance tenante, furent signées et bientôt publiées. On y protestait contre la décision récente du tribunal des Arches, et on déniait à l’état tout pouvoir en matière dogmatique. Répandus dans plusieurs diocèses, ces articles se couvrirent rapidement de nouvelles signatures. Alors, suivant l’impulsion donnée, une partie de l’établissement, restée jusqu’alors en arrière, fut entraînée dans le mouvement anglo-catholique.

On s’aperçut aisément de ces tendances dans les convocations provinciales qui, en 1854 et 1855, siégèrent à Cantorbéry et à York. La convocation de Cantorbéry fut extrêmement agitée, et on y put entendre des voix autorisées proclamer avec fermeté la doctrine de l’indépendance de l’église dans l’état. « C’est à vous, s’écria un archidiacre au milieu des applaudissemens, c’est à vous, membres de la convocation, qu’il appartient de protéger l’église contre la législation de l’état ! Qu’est-ce que le parlement sans le clergé ? » Loin de réprimer ces discours, le primat de Cantorbéry semblait les encourager. Une décision importante passa à une forte majorité. L’assemblée déclara l’église d’Angleterre essentiellement une, et condamna toute la législation protectrice de la suprématie royale. Plus de cour d’exception, plus de compétence du parlement ! A la convocation générale du clergé appartenait le droit exclusif de représenter l’église ! — Pendant que, sous l’impulsion ou par la connivence du primat, la convocation de Cantorbéry présentait un semblable spectacle, celle d’York était plus agitée encore. Là aussi le clergé des diocèses s’était réuni avec les mêmes espérances et invoquant les mêmes principes ; mais le président de la sainte réunion était peu favorable à ces désirs. Dans une des séances les plus orageuses, l’archevêque interrompit un orateur, et, comme les assistans protestaient hautement, le président, prononçant une ancienne formule, ordonna aux huissiers « de balayer comme poussière hors du chapitre les membres de la convocation et de fermer la porte sur eux. » De toutes parts des réclamations s’élevèrent, et une ardente polémique s’engagea entre le métropolitain, ses suffragans et son clergé[8].

Le pays était à peine remis de ces vives émotions, lorsqu’un fait plus grave encore vint envenimer le débat. Vers le milieu de l’année 1861, l’on vit apparaître coup sur coup, sous le titre d’Essais et Revues, divers opuscules qui bientôt jetèrent le trouble dans plus d’une conscience. Par une bizarre analogie, ces pamphlets remettaient en mémoire ces fameux Tracts, jadis la cause de tant d’étonnement : même objet, même forme, même absence de plan général, même origine (plusieurs de ces écrits étaient signés par des professeurs d’Oxford), tout enfin donnait à cette œuvre une curieuse ressemblance avec celles de MM. Palmer et Newmann ; mais les tendances nouvelles étaient bien différentes. « La Bible, se demandaient les essayistes, est-elle dans son ensemble une œuvre sainte, le livre de Dieu ? — Non, répondaient-ils hardiment ; inspiration de l’Esprit-Saint alors qu’elle contient les choses nécessaires au salut commun, la Bible n’est trop souvent que le triste récit des méfaits d’un peuple barbare ou la légende d’une nation ignorante et crédule, » — et, partant de ce principe, les auteurs à l’aide de la méthode critique élevaient des doutes sur l’authenticité du livre de Job, du Cantique des Cantiques, des prophéties d’Isaïe, etc. À ce procédé scientifique si connu de l’Allemagne et de la France se joignait une dialectique plus conforme au génie de la nation anglaise. Théologiens, ces clergymen faisaient de la théologie. « Qu’est-ce que la justification par la foi ? disaient-ils. L’application à l’homme des mérites de Christ ? Non, la justification, c’est la paix donnée à l’homme de bien qui marche dans la voie du Seigneur… Tous, quelles que soient notre foi ou nos œuvres, nous devons être justifiés, car Dieu peut châtier son enfant infidèle, il ne le maudit pas. L’éternité des peines est donc un blasphème contre sa clémence, et le jour du jugement, loin d’être pour beaucoup le jour de damnation, doit être pour tous le jour du repos dans le cœur du père universel. »

Ces doctrines, qui rappelaient à l’esprit l’hérésie d’Origène, portaient la signature de sept pasteurs presque tous membres de l’église. Indiquaient-elles chez leurs auteurs une secrète tendance vers le rationalisme et la libre pensée ? Étaient-elles au contraire l’expression des croyances de cette intéressante église que l’Angleterre voit se constituer sous le nom de broad-church ? Question délicate, et qu’il n’est pas de notre sujet d’examiner ; mais ce qui est certain, c’est que, au nom de la liberté d’examen, droit imprescriptible de la réforme, l’anglicanisme eût dû se taire : il n’en fut rien cependant, et l’on put alors s’apercevoir que l’anglo-catholicisme s’était insensiblement rallié presque tout le haut clergé. Un cri d’universelle réprobation s’éleva donc dans l’établissement[9]. Les évêques condamnèrent les livres et censurèrent les personnes ; mais aucune peine afflictive ne pouvait être prononcée sans l’assentiment de l’état : à l’état il fallut avoir recours cette fois encore. Sur l’initiative de l’évêque de Salisbury, l’episcopal bench traduisit devant la cour des Arches MM. Williams et Wilson. Trente-deux charges d’hérésie pesaient sur eux ; « pauvres boucs émissaires, disait ironiquement un journal, ils portent sur leurs têtes les péchés d’Israël. »

Pour la seconde fois depuis dix ans, l’état avait ainsi à se prononcer en matière de dogme ; — pour la seconde fois, au sens des évêques, l’état se montra hérétique. Réduisant à cinq les trente-deux charges primordiales, la cour des Arches condamna les essayistes à une année de suspension. C’était peu après tant de bruit ; ceux-ci cependant en appelèrent au conseil privé de la reine. Tout le pays eut alors les yeux tournés vers cette cour suprême, d’où chacun dans sa foi attendait le salut de son église. Catholiques avec la high-church, les law-lords marqueraient-ils d’un stigmate les Essays ? Seraient-ils au contraire les champions du protestantisme et du libre examen ? « O église d’Angleterre ! s’écriait l’avocat des prévenus, toi la plus savante des églises, entends la voix de la science ; toi la plus libre, écoute le cri de la liberté ! » L’affaire dura près d’une année et ne se termina qu’en juillet 1863. Le jour où l’arrêt fut prononcé n’est pas de ceux qui s’oublient. Dans l’enceinte devenue trop étroite du conseil privé se pressait une foule inquiète de clergymen de toutes communions. Leur anxiété était extrême : on disait en effet que sur cinq charges deux avaient été écartées et les trente-deux griefs réduits à trois ; mais il y avait encore matière à une sévère et solennelle condamnation. Au milieu d’un silence profond, le lord chancelier prononça d’une voix lente, « mais dont le calme, dit un journal, cachait mal l’ironie, » l’arrêt du conseil privé. Cet arrêt longuement motivé écartait les trois dernières charges, et, invoquant le droit de libre examen, admettait la théorie des essayistes sur la justification et l’éternité des peines. « Le suprême pardon des méchans condamnés, ajoutait-il, peut concorder avec la volonté d’un Dieu tout-puissant. » Une salve d’applaudissemens partit des bancs où siégeaient les non-conformistes, tandis que les clergymen de la haute-église sentirent la douleur et la colère envahir leur âme. Il y a dix ans, s’écrièrent-ils, l’état s’est montré hérétique ; il fait pis aujourd’hui : l’antique couronne d’Angleterre devient rationaliste.

A peine le fait eut-il été rendu public, que M. Pusey lançait au nom des anglo-catholiques une protestation contre cet arrêt « misérable et mortel à l’âme. » En même temps un meeting de tous les professeurs d’Oxford se réunissait dans le Music-Hall pour rédiger une protestation contre la décision des law-lords ; quelques jours après, la docte assemblée frappant de censure un des essayistes, le professeur Jowet, le réduisait au traitement légal fixé, par Henri VIII, et l’engageait à se démettre de ses fonctions. La déclaration oxonienne fut envoyée aux évêques et prêtres de l’établissement. Plus de la moitié du clergé donna son adhésion à ce blâme infligé à la cour suprême.

Presque aussitôt la convocation de Cantorbéry se réunit, et, par une énergique, mais illégale résolution, osa citer devant elle les auteurs des Essais et Revues. Deux évêques seulement protestèrent contre cet acte, attentatoire, disaient-ils, aux droits de la couronne ; tous les autres affirmèrent qu’il y avait lieu de poursuivre l’hérésie en dépit du bill d’indemnité délivré par une cour séculière. Cités devant les deux chambres de la convocation, les auteurs des Essais ne comparurent pas ; mais leurs propositions y furent examinées et censurées. « Ces hommes ont déjà comparu devant la haute-cour, s’écria un des assistans, et la haute-cour les a absous, » — « Si tel est l’arrêt, répliqua une voix, c’est l’arrêt qu’il nous faut juger ici. » Comme on devait s’y attendre, livres, auteurs et cour suprême, tout fut condamné. « Jusqu’à ce jour, écrivait le primat de Cantorbéry dans une lettre pastorale, la couronne s’est arrogé le droit d’interpréter, la doctrine religieuse ; la couronne est aujourd’hui hérétique : que l’église se sépare donc de la couronne[10] ! » Importantes et solennelles déclarations ! Ainsi l’église d’Angleterre, cette œuvre savante et laborieuse de Henri VIII, d’Elisabeth et des Stuarts, repoussait la royauté, sa tutrice, et, comme tant d’autres, demandait à devenir libre dans un état libre.


V

Les anglo-catholiques et les membres de la haute-église ne forment donc plus à présent qu’un seul troupeau. Même désir d’entraver les progrès du rationalisme, même aspiration à l’indépendance politique, même répulsion contre Rome, la commune ennemie. Les tractariens ne peuvent pardonner la bulle papale de 1850 et l’audacieux envahissement tenté derrière eux et contre eux ; volontiers, de leur côté, les membres de l’établissement reconstitué, en high-church admettent la théologie nouvelle et s’inclinent devant les principes de l’église, tous enfin, à l’exemple des divines du XVIIe siècle, adoptent la formule : l’église d’Angleterre, portion indivise de l’unité catholique. Malheureusement, il faut le dire, une déplorable tendance à l’intolérance religieuse se fait voir au fond de cette commune pensée, et contribue aujourd’hui à refroidir bien des sympathies.

Les résultats de cette union intime de l’anglo-catholicisme et de la haute-église se sont montrés clairement dans le dernier ouvrage du docteur Pusey. Essentiellement catholique dans ses principes et ses doctrines, l’Eiremcon de l’éminent auteur demande à l’église romaine si une réunion dans la limite de la foi professée par les grands docteurs des premiers âges ne vaut pas mieux que le schisme perpétuel[11]. Il invoque les grands souvenirs du XVIIe siècle et l’alliance rêvée jadis entre l’archevêque Wake et la faculté de théologie de Paris ; mais en même temps il refuse de reconnaître, comme dogme catholique l’infaillibilité de l’évêque de Rome, et n’admet pas même sa suprématie absolue et universelle. Ce serait, dit-il, se tromper étrangement, que de penser qu’il travaille à replacer son pays sous des chaînes abhorrées. Que Rome, comme au Ve siècle, comme dans les ouvrages de Gerson et de Cusa, ait une primauté dans les conciles, que son évêque ait droit de la part des autres évêques à une déférence gracieuse en matière de foi, l’auteur accepte sans peine un principe aussi conforme à l’histoire ; mais il s’élève de toutes ses forces contre la prétention à la suprématie s’exerçant dans la définition des dogmes, la nomination et l’investiture des évêques. Il s’agit bien en effet aujourd’hui de favoriser l’ambition des pontifes de Rome ! La cause qui se débat est plus grande, plus sainte, plus chrétienne, c’est la cause même de Dieu. « Le rationalisme fait crouler chaque jour quelque partie de la muraille du temple… Unissons-nous pour résister… O Seigneur, ne tardez pas. »

Une intime union entre les filles de Jésus-Christ pour combattre un ennemi menaçant, tel est l’appel que l’église d’Angleterre semble adresser aujourd’hui à ses sœurs d’Orient et d’Occident. Il y a un an à peines les plus eminens prélats anglo-catholiques sont entrés en communion directe avec la grande église orientale. Certes ce fût un curieux spectacle que le meeting tenu à Londres le 25 novembre 1865. Le primat de Cantorbéry ainsi que dix évêques s’y étaient fait représenter, et quatre-vingts ; prélats ou membres de la high-church s’étaient réunis sous la présidence de l’évêque d’Oxford. A côté d’eux siégeaient de hauts dignitaires russes et un pope, légat du métropolitain de Moscou. « Nous prions tous les jours pour l’unification de la sainte église catholique, » s’écria le prêtre grec. — « Unis par la même foi, repartit un des évêques, que notre communion soit désormais parfaite ! Grecs catholiques, venez participer aux sacremens de notre église ; que la porte de vos temples s’ouvre aussi devant les anglo-catholiques, vos frères en Jésus-Christ ! » Une résolution fut unanimement prise. L’église d’Angleterre devait envoyer à Moscou plusieurs de ses membres pour se mettre en rapport avec les écoles d’Orient ; elle était prête à recevoir dans ses universités les Orientaux députés par le clergé ; puis, par un mouvement spontané, se levant à la fois, Grecs et Anglais se mirent en prière et, mêlant leurs vœux dans une même oraison, supplièrent « le père commun ; le Christ rédempteur, auteur de l’église une, » de rendre paix et concorde à ses enfans.

Telle est la situation de l’église anglo-catholique, telle est la dernière expression de sa doctrine. Que de chemin parcouru par ses membres depuis 1833 ! Œuvre d’un petit groupe de théologiens, le mouvement embrasse aujourd’hui tout l’empire britannique. Persécutés d’abord par les évêques, les disciples de M. Pusey sont actuellement les champions avoués de l’épiscopat et ses plus utiles auxiliaires. Grâce à eux, haute-église et anglo-catholicisme sont devenus termes à peu près identiques. Une semblable réunion de forces présente un front redoutable aux envahissemens de l’ultramontanisme romain, mais en même temps elle constitue un sérieux danger pour le protestantisme officiel du pays. Aussi les dissenters et beaucoup de membres de la basse-église ont-ils l’âme remplie d’amertume. On les entend crier à la trahison. « Nous sommes livrés, s’écriait naguère encore une de leurs feuilles publiques, l’anglo-catholicisme est partout, ses membres remplissent les universités, les paroisses, les évêchés. La maladie nous consume, le protestantisme est ébranlé dans les affections et dans l’intelligence du clergé. Il est ouvertement répudié par beaucoup, et ceux qui ne l’ont pas encore expulsé de leurs cœurs éprouvent de la honte à le confesser. »

Vaines colères, plaintes inutiles ! L’anglo-catholicisme en effet a tout envahi. Soit mode, soit conviction, les hautes classes se jettent dans ce mouvement religieux. Elles abandonnent l’établissement d’Henri VIII aux tempêtes du siècle, comme un appui désormais incapable de les porter, elles et leur fortune. Tous les jours de nombreuses adhésions viennent réjouir le cœur des nouveaux fidèles, et le bruit a couru que d’augustes personnages, d’éminens ministres, d’illustres orateurs du parlement, s’étaient ralliés à l’église novatrice.

Dans les universités, plus d’un professeur enseigne hautement la théologie naguère encore réprouvée. Le jeune clergé adopte avec transport de semblables doctrines ; dans son ardeur de néophyte, il renonce volontairement au mariage et à la famille, et proclame le célibat la vie sainte par excellence. Il emprunte aux peintures des catacombes la coupe des vêtemens sacerdotaux, et recherche dans les pères la liturgie et le cérémonial. De toutes parts la croix a reparu au faîte des églises. Autel surmonté du tabernacle, cierge constamment allumé devant le saint des saints, image de la Vierge exposée à la vénération des fidèles, servans vêtus de surplis et remplissant le chœur de chants alternés avec l’orgue, prêtre laissant flotter la pourpre d’Oxford ou l’hermine de Cambridge, et s’agenouillant aux marches de l’autel, confession auriculaire, consécration des saintes espèces posées sur la prothésis, communion offerte aux fidèles d’après le rite catholique, tel est le spectacle que tous les jours le clergé anglo-catholique étale aux yeux de la foule empressée.

Autour de la paroisse de Sainte-Margaret se sont groupées des communautés religieuses d’hommes et de femmes. Saisis d’un enthousiasme tout nouveau, frères et sœurs font vœu de continence, de pauvreté, d’obéissance absolue, pour s’adonner aux soins des malades et à l’éducation des enfans. Ainsi se sont fondées les confréries anglaises de la maison de la Merci et de la société de l’enfant Jésus. Plusieurs hauts prélats dirigent le mouvement, et parmi eux les plus illustres chefs de l’épiscopat. Sur 18,000 clergymen membres de l’établissement, plus de la moitié ont adhéré au principe nouveau. Ce sont les journaux anglo-catholiques eux-mêmes, the Guardian et the Church Times, qui nous fournissent ces renseignemens. De son côté, la Revue d’Edimbourg, qui certes n’est pas suspecte de partialité pour la théologie nouvelle, évalue à plus de 7,000 le nombre des clergymen raliés à la haute-église ; sur ce nombre, plus de 2,000 seraient entièrement entrés dans le mouvement puséiste.

En résumé la théorie anglo-catholique répudie complètement le protestantisme et ses variations. A l’en croire, l’Angleterre et son clergé ont constamment été fidèles à la foi catholique : c’est là un point douteux peut-être, mais pour eux essentiel. Cette doctrine reproduit tous les dogmes admis au Ve siècle et formulés dans les trois principaux symboles. Ne reconnaissant au-dessus d’elle-même que la grande église catholique visible, œuvre de Christ, l’église anglo-catholique proclame que Rome est une sœur et non pas une souveraine ; le pape, aux yeux des évêques tractariens, n’est qu’un évêque comme eux, mais il emprunte à l’antiquité et à l’importance de sa métropole la primatie en Occident et la présidence du concile œcuménique. Laissant aux sectes protestantes les invectives et les colères, devenues ridicules, contre la femme empourprée, ils prêchent union et concorde, tout en affirmant hautement leur propre indépendance. « Soyons doux avec notre sœur de Rome est une expression qui revient souvent dans les ouvrages de la secte. « Que mes frères les évêques de la Bretagne, disait récemment dans une circonstance solennelle un illustre prélat, fassent appel à nos frères bien-aimés de Rome et de Constantinople pour que l’église universelle fixe à jamais la place qui doit revenir dans notre culte à la Vierge, mère de Dieu. »

Mais, en dépit de ces tendances amicales, l’anglo-catholicisme reste ferme contre l’ultramontanisme, qui incarne l’église tout entière en un seul homme. Sans doute l’église d’Angleterre reconnaît que l’unité est d’essence primordiale, mais pour elle cette unité existe dans l’union mystique qui fait un même corps et un grand tout des unités catholiques particulières ; de plus enfin cette unité n’a qu’une seule expression sur la terre, le concile général. En ce sens, l’enseignement de l’église d’Angleterre se rapproche beaucoup des anciennes théories gallicanes. Jamais pourtant, il faut le dire, le gallicanisme n’a été aussi loin.

De nombreux rapports, on l’a vu, existent entre la doctrine tractarienne et celle des savans théologiens du XVIIe siècle. Une différence capitale cependant les distingue l’une de l’autre. La haute-église des Stuarts s’appuyait sur l’état : c’était une forme nouvelle de l’anglicanisme. La haute-église du XIXe siècle répudie toute tutelle de l’état et proclame que la suprématie appartient au concile national ; une des premières, elle semble avoir formulé la devise devenue fameuse : l’église libre dans l’état libre.

Quel que soit le destin que la Providence lui réserve, cette église a confiance. Pleins d’une robuste foi dans l’avenir, ses ministres le disent et le répètent, Dieu n’abandonne jamais qui ose marcher vers la vérité. Pour nous, bien souvent en lisant leurs écrits, nous n’avons pu nous soustraire à une sympathique attraction. Nous aimions à voir en pensée ces docteurs dans leur laborieuse retraite d’Oxford s’efforcer de rendre puissance et vie à l’anglicanisme mourant ; nos souhaits les ont encore suivis alors que, se posant en face de l’état, ils revendiquaient pour l’église de Dieu les droits de Dieu ; mais le jour où, persécutés d’hier, ils sont devenus persécuteurs, nos vœux se sont détournés d’eux. Pourquoi donc faut-il que ceux qui, il y a vingt ans à peine, étaient dénoncés, censurés, suspendus, se croient le droit à présent de dénoncer, de censurer et de suspendre ? Hélas ! de tous les souvenirs humains, celui des souffrances passées serait-il encore le plus fugitif, ou bien l’intolérance serait-elle une conséquence fatale et d’abord inaperçue de la nouvelle doctrine ? — Que l’église anglo-catholique se le dise, ce n’est pas seulement l’Angleterre qui a les yeux sur elle, c’est la chrétienté tout entière. Elle a fait voir au protestantisme que l’autorité peut se prouver par la science ; — qu’elle fasse plus encore, qu’elle montre au monde moderne que la première loi du Christ est la liberté et la charité.


GILBERT THIERRY.

  1. Les expressions de haute et basse-église ne servirent à désigner officiellement les deux fractions rivales de l’établissement qu’après la révolution de 1688, à l’occasion de la résistance des non-jurors.
  2. Palmer, the Church, II.
  3. On appelle accident dans la langue théologique la forme qu’emprunte l’essence impalpable de Dieu pour se révéler aux sens de l’homme. Ainsi, quand Dieu veut parler à Moïse, il se révèle sous l’accident du buisson ardent ; l’esprit saint descend sur les apôtres sous l’accident de langues de feu ; dans le sacrement eucharistique, Jésus-Christ apparaît sous l’accident du pain et du vin. Tout le débat théologique engagé entre l’ultramontanisme d’une part et l’anglo-catholicisme de l’autre est donc de saisir si dans la transsubstantiation l’accident devient Dieu lui-même, ou bien si Dieu est simplement en substance sous l’accident. Les écoles protestantes, on le sait, rejettent formellement l’une et l’autre explication.
  4. Newmann, Tract XC, et Apolog. pro vit.
  5. Newmann, A l’évêque d’Oxford sur le Tract XC, p. 16.
  6. Pusey, Eirmicon.
  7. Froude, History of Henry VIII, I.
  8. Journal des Convocations (1855-1857).
  9. Quarterly Review (1861).
  10. The Guardian ; The Church Times (1863-1865).
  11. The Guardian ; The Church Times (1863-1865).