L’état des personnes dans la monarchie des Francs



DE
L’ÉTAT DES PERSONNES
DANS LA MONARCHIE DES FRANCS.[1]

On observe dans les chartes et dans les autres documens des deux premières races quatre principales classes de personnes : les hommes libres, les colons, les lides et les serfs. L’homme perdait de plus en plus de sa liberté à mesure que de la première classe il descendait dans les trois autres. L’état du colon était meilleur que celui du lide, et l’état du lide meilleur que celui du serf. Ces trois états, qui finirent par se confondre, restaient séparés dans le principe par des barrières insurmontables. On se formera tout de suite une idée de chacun d’eux, si l’on se représente le colon comme astreint au service de la terre, le lide primitif ou lète, lœtus, au service des armes, et l’esclave à celui des personnes, c’est-à-dire que la servitude du premier était terrienne ; celle du second, militaire, et celle du troisième, personnelle.

DES HOMMES LIBRES

L’homme libre du moyen-âge est en quelque sorte défini par la formule ordinaire des actes d’affranchissement ; c’est l’homme qui jouit du droit d’aller où il veut sans pouvoir être légalement réclamé par aucun maître[2].

Il ne faut pas confondre, dans la classe des hommes libres, les ingénus avec les affranchis, c’est-à-dire les hommes libres de race avec les hommes libres par affranchissement. L’ingenuus était par conséquent d’une condition supérieure à celle du liber, à moins qu’il ne fût tombé dans la servitude, auquel cas le liber était au-dessus de lui.


On peut distinguer trois espèces d’hommes libres, suivant qu’ils ont : 1o  liberté, propriété et juridiction ; 2o  liberté et propriété sans juridiction ; 3o  liberté sans propriété ni juridiction.


I. — La première espèce se compose des hommes libres établis sur leurs propres terres, dont l’administration et, du moins en grande partie, la juridiction leur appartiennent. Les hommes nés de parens illustres, puissans ou riches, et les hommes investis ou sortis de charges considérables, composaient parmi eux ce qu’on peut appeler la noblesse. Tels étaient les sénateurs ou les nobles de Grégoire de Tours, de Fortunat, de Frédégaire, et la plupart des optimales, des primates, des proceres, des potentes, mentionnés dans un nombre infini de textes. Cette noblesse, soit de naissance, soit d’illustration, jouissait, entre autres priviléges, d’une composition plus forte, principalement chez les Saxons et chez les Frisons. Mais, dans un très grand nombre de cas, surtout du IXe au Xe siècle, le titre de nobilis désigne simplement un ingenuus[3] ou un liber. Ces deux derniers termes sont même indifféremment employés l’un pour l’autre, dès les premiers temps de la monarchie. D’autres fois le mot ingenuus semble avoir conservé sa vraie signification. Très souvent il désignait encore soit un affranchi, soit une personne exempte de la capitation, ou qui n’était pas inscrite dans les livres de cens. Enfin, on le donnait aux colons et en général à tout ce qui n’était pas servus.

Les propriétés des hommes libres portaient le nom d’alleux, et ces alleux ne doivent pas être confondus, comme on le verra plus tard, avec les terres saliques.

Le dénombrement des hommes libres de chaque comté devait être fait, sous la surveillance des commissaires généraux, par les comtes ou par les centeniers.

Au nombre des droits dont jouissaient les hommes libres, je citerai, outre ceux de propriété et de juridiction ou d’immunité et de seigneurie, celui de port d’armes et de guerre privée, c’est-à-dire le droit qu’ils eurent pendant long-temps de poursuivre et de venger à main armée les injures et les torts reçus par eux ou par leur famille. Les compositions auxquelles ils avaient droit étaient en général d’un taux plus élevé que les compositions assignées aux personnes d’une condition inférieure. De plus, ils étaient soumis à une pénalité différente. Quant aux charges qui leur étaient imposées, elles consistaient dans l’obligation d’aller à l’armée, d’assister aux assemblées publiques, de siéger dans les tribunaux, et de procéder, dans certains cas, à l’exécution des jugemens ; de concourir à la réparation des chemins, des ponts et des chaussées ; de faire le guet, de loger et d’entretenir les envoyés du prince, et de leur fournir des chevaux[4]. Ils pouvaient s’attacher à des seigneurs particuliers et s’engager dans le vasselage, sans perdre ordinairement, pour cela, leur liberté ni leur noblesse[5]. Mais ils n’avaient pas le droit, pour s’affranchir du service de guerre, de s’engager dans les ordres, ni d’abandonner leurs biens aux églises, sans l’autorisation du souverain. Toutefois, cette autorisation n’était pas exigée par la loi des Allemands.

Les hommes libres établis sur le même territoire formaient entre eux une espèce de société civile, et jouissaient en commun de certains usages, suivant la nature des lieux.


II. — Les hommes libres de la seconde espèce ne jouissaient d’aucune immunité ni juridiction, soit parce qu’ils n’habitaient pas sur leurs propres terres, soit parce qu’ils étaient soumis à la juridiction du propriétaire sur les biens duquel ils habitaient, ou du seigneur qu’ils s’étaient choisi. Un assez bon nombre d’entre eux demeuraient dans les domaines du roi. En général, ceux qui s’établissaient sur les terres des églises ou des abbayes sortaient de la juridiction ordinaire, et passaient sous celle des évêques ou des abbés. Ceux qui s’étaient engagés dans le vasselage vivaient sous la juridiction de leurs seigneurs, quoiqu’ils fussent tenus de jurer fidélité au roi.

Les hommes libres propriétaires, établis sur un fonds étranger, et vivant sous la juridiction des évêques ou des abbés, étaient soumis aux mêmes charges que les hommes libres de la première espèce ; seulement, ces charges tournaient au profit de leurs patrons ou seigneurs. Ainsi les hommes libres des terres de l’évêque de Paris, outre qu’ils étaient obligés de le suivre à l’armée, devaient faire et payer au profit de son église ce qu’ils faisaient et payaient jadis au profit de l’empereur.

Il faut observer, au sujet de ces juridictions particulières, dont jouissaient les évêques, les abbés et les hommes libres de la première espèce, qu’elles restaient placées sous l’inspection des officiers du roi, et que ceux-ci devaient non-seulement veiller à la poursuite et à la punition des crimes qui s’y commettaient, mais encore réserver certains cas à la justice de leur propre tribunal.


III. — Les hommes libres de la troisième espèce ne possédaient ni terres, ni juridiction ; c’étaient en général des hommes soumis à des cens. Ils avaient moins de droits et en même temps moins de charges que les autres hommes libres.

Lorsqu’un homme ne se sentait pas assez fort pour se maintenir par lui-même dans la jouissance de sa liberté et de sa propriété, il avait recours à quelque seigneur puissant et se rangeait sous son patronage. Il lui remettait les biens qu’il possédait, sous la condition d’en conserver la jouissance perpétuelle et héréditaire, moyennant un cens annuel et fixe. « En Suisse, dans le bourg de Wolen, près de Bremgarten, canton d’Argovie, habitait un homme puissant et riche, nommé Gontran, qui convoitait ardemment les biens de son voisinage. Des hommes libres du même bourg, jugeant qu’il serait bon et clément, lui offrirent leurs terres, à condition, d’une part, qu’ils lui en paieraient le cens légitime, et de l’autre, qu’ils en jouiraient paisiblement sous sa protection et tutelle. Gontran accepta leur offre avec joie ; mais il travailla sur-le-champ à leur oppression. Dans les commencemens, il leur demanda toutes sortes de choses à titre purement gratuit ; ensuite il voulut tout exiger d’eux avec autorité, enfin il prit le parti d’en user à leur égard comme envers ses propres serfs. Il leur commandait des corvées pour le labour de ses champs, pour la récolte de ses foins et pour la moisson de ses blés ; c’était de sa part une suite continuelle de vexations. Comme ils réclamaient et jetaient les hauts cris, il leur signifia, pour toute réponse, que rien de ce qu’ils possédaient ne sortirait de chez eux, s’ils refusaient de défricher ses terrains incultes, d’enlever les mauvaises herbes de ses champs, et de faire la coupe de ses bois. Il exigea de chacun de ceux qui habitaient en-deçà du torrent deux poulets de cens annuel pour leur droit d’usage dans la forêt, et un seul poulet, de ceux qui habitaient au-delà. Les malheureux habitans sans défense furent obligés de faire ce qu’on leur demandait. Cependant, le roi étant venu au château de Soleure, ils s’y transportèrent et se mirent à pousser des clameurs en implorant du secours contre l’oppression. Mais les propos inconsidérés de quelques-uns d’entre eux et la foule des courtisans empêchèrent leurs plaintes d’arriver jusqu’au roi, de sorte que, de malheureux qu’ils étaient venus, ils s’en retournèrent plus malheureux encore[6]. » — « Ce ne fut que long-temps après, en 1106, ajoute l’historiographe, dont nous avons reproduit fidèlement le récit, que les religieux de Muri achetèrent tous les biens possédés à Wolen par Rodolphe, successeur de Gontran, et que les habitans obtinrent un traitement plus équitable et plus doux. » — Cet exemple, quoique emprunté à des temps postérieurs à ceux qui nous occupent, nous a paru propre à faire voir combien la liberté sans la force était de difficile garde pendant le moyen-âge.

Les hommes libres qui payaient la capitation, c’est-à-dire un droit annuel fixé d’ordinaire à quatre deniers par tête, sont désignés dans les textes sous les noms de capitales, capitalitii, homines de capite, cavaticarii. D’autres étaient appelés mundiales ou munborati, parce qu’ils vivaient sous la tutelle, mundium, munboratio, d’un homme puissant, auquel ils payaient une redevance. Il ne paraît pas toutefois que beaucoup d’hommes libres aient été soumis à la capitation avant le milieu du IXe siècle ; du moins, la plupart des personnes qui la supportaient avant cette époque sont rangées par les documens au nombre des colons ou des serfs.

En général, les hommes libres et les affranchis placés sous la mainbourg ou tutelle des églises ou des monastères, et composant la classe nombreuse des tributaires ecclésiastiques, étaient obligés envers leurs patrons à certains services et tributs. Ils furent connus plus tard sous le nom de conditionales, et sont appelés dans nos anciennes coutumes conditionnés et gens de condition, parce qu’ils ne jouissaient que sous des conditions plus ou moins onéreuses de la liberté ou du patronage qu’ils avaient obtenu. Quelquefois ces conditions se réduisaient à de simples marques extérieures de respect ou de soumission. Ainsi, en 615, Bertramnus, évêque du Mans, après avoir donné par testament la liberté à plusieurs serfs, tant romains que barbares, et les avoir mis sous la protection de l’abbaye de Saint-Pierre-de-la-Couture, leur prescrit de se réunir tous les ans, le jour de sa mort, dans l’église de cette abbaye, et, pour tenir lieu d’offrandes de leur part, de raconter, au pied de l’autel, le présent de la liberté et les autres dons qu’il leur a faits ; puis, de remplir pendant ce jour l’ancien ministère dont chacun d’eux avait été chargé avant son affranchissement, et de prêter en même temps assistance à l’abbé. Le lendemain, celui-ci devait à son tour les convier à un repas, après lequel ils retourneraient chez eux, pour y vivre en paix sous la protection de l’église[7] : cérémonie pieuse et touchante, digne de la charité chrétienne, qui seule en pouvait inspirer l’idée, et dont le but était, non plus de témoigner orgueilleusement de l’inégalité des conditions sociales, mais de perpétuer avec le souvenir des bienfaits de l’ancien maître la reconnaissance de l’ancien esclave ! Elle unissait de cette manière le patron à l’affranchi, non pas avec des chaînes pesantes, mais avec les seuls liens du respect, de l’attachement et de la religion.

Enfin, on peut mettre au nombre des hommes libres sans juridiction ni propriété, ceux qui, n’ayant pas de quoi subsister, prenaient le parti, pour s’assurer la nourriture et le vêtement, de se recommander aux gens riches, en s’engageant pour la vie, envers eux, au service des ingénus.

Les serfs auxquels on donnait, avec la liberté, quelques biens en propre, devenant ainsi propriétaires, appartenaient à la seconde espèce d’hommes libres dont nous avons parlé ; il en était de même des hommes libres propriétaires qui se mettaient au service d’autrui, ou qui cultivaient, avec leurs propriétés, des terres étrangères. Mais on doit rapporter à la troisième espèce ceux qui n’avaient d’autres terres que celles qu’ils prenaient à bail, moyennant un cens et des services déterminés. Leur témoignage était reçu en justice dans toutes les questions, excepté dans celles de propriété. Le service de guerre n’était pas dû par celui qui ne possédait ni terres, ni serfs ; d’où il arrivait, comme on l’a vu, que l’homme libre renonçait à ses propriétés pour s’affranchir de ce service. Cependant celui qui, sans être propriétaire foncier, possédait un mobilier de la valeur de cinq solidi[8], s’adjoignait à cinq autres personnes placées dans la même position de fortune, pour fournir un homme à l’armée.

Les hommes libres établis sur un fonds étranger, et vivant sous le patronage d’autrui, étaient aliénés avec le fonds qu’ils habitaient et passaient dans le domaine du nouveau propriétaire. En 755, le roi Pépin fit à l’abbaye de Saint-Denis cession de la maison de Saint Mihiel et des biens qui en dépendaient, y compris les ecclésiastiques et les serfs. Long-temps après, en l’an 1000, un nommé Antelmus donna aux religieux de Cluni une terre avec deux hommes libres et leur patrimoine[9].

Il arrivait même que des hommes libres étaient vendus, donnés ou échangés isolément, c’est-à-dire sans le territoire occupé par eux. Ainsi, le roi Pépin céda au monastère de Saint-Gall plusieurs hommes libres du Brisgau, et au monastère de Morbach cinq hommes libres avec leur postérité. Mais je dois faire observer que ces concessions (confirmées, la première en 828, par les empereurs Louis-le-Débonnaire et Lothaire ; la seconde, par l’empereur Lothaire, en 840) comprenaient moins les personnes elles-mêmes, que les droits et les services auxquels elles étaient obligées envers le souverain.

Les hommes libres placés sous la puissance d’autrui pouvaient d’ailleurs améliorer leur condition, en faisant faire à leurs frais, par d’autres personnes, les services de jour et de nuit, dont ils étaient chargés. Ils pouvaient aussi la détériorer en se chargeant eux-mêmes de nouveaux services de cette espèce ; ils s’engageaient en effet à servir de toutes les manières[10]. Un grand nombre d’entre eux exerçaient aussi des professions réservées ordinairement aux serfs : les uns étaient pêcheurs, d’autres laboureurs, d’autres palefreniers, etc.

Souvent les hommes libres, pressés par la misère, se mettaient en servitude, en vendant leur liberté pour une somme d’argent ; mais, dans ce cas, ils avaient la faculté de se racheter en remboursant leur prix de vente augmenté d’un cinquième. Souvent aussi, dans l’impossibilité d’acquitter leurs dettes ou d’autres obligations, ils s’engageaient par un acte, appelé obnoxiatio, à servir, soit à perpétuité, soit indéfiniment, jusqu’à ce qu’ils se fussent libérés, soit pour un temps fixé d’avance, après lequel ils redevenaient libres comme auparavant[11].

Il résulte de ce qui précède que l’état de liberté était loin d’offrir les mêmes droits et les mêmes avantages à tous ceux qui en jouissaient. Il paraît d’ailleurs constant qu’en général on était d’autant plus libre qu’on était plus fort, et que plus on avait de richesse ou de puissance, plus on était ménagé non seulement par le souverain et par le magistrat, mais encore par la loi. Dans tous les cas, la condition de la terre était indépendante de la condition de la personne qui l’occupait, et réciproquement[12], de sorte que les terres entièrement franches pouvaient être occupées par les personnes d’une condition plus ou moins servile, et les hommes libres pouvaient habiter et posséder les terres plus ou moins grevées de redevances et de services.

Le nombre des hommes libres en France, avant l’institution des communes, alla toujours en augmentant ou en diminuant, suivant l’idée qu’on attache à ce nom. Si l’on entend par liberté l’état des personnes qui n’étaient ni des vassaux, ni des colons, ni des serfs, les hommes libres, qui, dans ce cas, ne sont autres que les hommes indépendans, furent toujours de moins en moins nombreux, et finirent par disparaître à peu près entièrement au Xe siècle ; alors presque tout ce qui habitait en France était l’homme de quelqu’un, quoiqu’à des conditions fort différentes. Mais si l’on entend généralement par libres tous ceux qui n’étaient pas serfs, la classe des hommes libres se grossit continuellement[13] sous l’influence et sous la protection de la religion chrétienne, qui attaqua la servitude dans son principe, et qui, en la combattant sans relâche, finit par en délivrer la plus grande partie de l’Europe.


DES COLONS.

Le colon du moyen-âge prend sa place entre l’homme libre et le serf. Il descend du colon romain, et nous avons besoin, pour connaître sa condition sous les Francs, de remonter au colonat de l’empire, tel qu’il fut réglé par la législation romaine.

DU COLONAT SOUS LES EMPEREURS ROMAINS[14]

D’après les codes de Théodose et de Justinien, le colon est l’homme qui, inséparablement attaché à la culture d’un fonds étranger, en fait les fruits siens, moyennant une redevance fixe qu’il paie au propriétaire. Vivre et mourir sur le sol où il est né, c’est là son destin, comme celui de la plante. Mais, esclave par rapport à la terre, il est libre à l’égard des personnes ; et, quoique placé ainsi dans une condition intermédiaire entre la liberté et la servitude, il est en définitive mis au rang des hommes libres par le droit romain.

Les colons, tels qu’ils viennent d’être définis, apparaissent clairement, pour la première fois, en 332, dans une loi de Constantin ; mais comme dès-lors ils étaient répandus dans tout l’empire, on doit les croire plus anciens. On pourrait même constater leur existence au commencement du IIIe siècle de notre ère, par deux passages des jurisconsultes Marcien et Ulpien[15], qui florissaient vers cette époque, si l’interprétation de ces passages n’était pas sujette à controverse. Quant aux textes de César, de Varron et de Columelle, il n’est guère possible de voir autre chose que des fermiers libres dans les coloni qui s’y trouvent mentionnés. Mais ce que rapporte Salvien des hommes libres qui convertissaient leurs propriétés en emphytéoses (de même que plus tard on convertit les alleux en bénéfices) pour vivre sous la protection des grands auxquels ils abandonnaient leurs fonds ; ce qu’il raconte, en outre, des propriétaires qui renonçaient entièrement à leurs biens pour se faire colons des riches, tout cela remontait, sans aucun doute, à une date antérieure, probablement même avant Constantin, et semble être, sinon l’origine, au moins une des principales causes de l’accroissement du colonat[16]. La modification et l’amélioration de l’état des esclaves agricoles, ainsi que la transplantation des barbares dans l’empire pour la culture des terres laissées en friche[17], contribuèrent aussi beaucoup au progrès de cette institution[18].

On entrait dans le colonat de plusieurs manières :

Par la naissance, lorsqu’on avait pour mère une colone, colona[19] ;

Par contrat, lorsqu’on déclarait dans les formes exigées par la loi sa volonté d’être colon ;

Par le mariage, lorsqu’on épousait une colone, dont on s’engageait, devant le magistrat, à suivre la condition ;

Par la prescription, lorsqu’on avait passé trente années dans le colonat.

Le colonat étant un état mixte, composé moitié de liberté, moitié de servitude, nous indiquerons d’abord ce que le colon avait de commun avec l’homme libre, puis ce qu’il avait de commun avec l’esclave.

Ce qui l’assimilait à l’homme libre, c’est que les lois le qualifiaient d’ingenuus, et le mettaient en opposition avec l’esclave ; qu’il contractait un véritable mariage ; qu’il payait des impôts publics ; qu’il pouvait posséder à titre de propriétaire, quoiqu’il ne lui fût pas permis d’aliéner sa propriété.

Ce qui le rattachait à la condition de l’esclave, c’est que les lois le qualifiaient servus terræ et l’opposaient au liber ; qu’elles lui supposaient un maître, dominus ; qu’elles donnaient le nom de peculium à ce qu’il possédait en propre ; qu’il était vendu avec le fonds sur lequel il était établi ; qu’il était déclaré incapable de parvenir aux honneurs, d’entrer dans les charges municipales et de faire le service de guerre ; qu’il avait besoin du consentement de son maître pour s’engager dans la cléricature[20] ; qu’il était compris, avec l’esclave, dans la description des terres ; qu’il ne pouvait, sauf un petit nombre de cas, intenter d’action contre son maître[21] ; que le colon fugitif était réputé voleur de sa propre personne ; enfin, que le colon subissait des châtimens corporels.

Quoique la terre colonaire ne pût être vendue sans le colon, ni le colon sans elle, néanmoins, dans certaines circonstances, il fut permis, par une constitution de Valentinien III, que Justinien n’a pas admise dans son code, d’échanger un colon contre un autre colon. On avait aussi le droit de transférer des colons d’un fonds sur un autre, lorsque le premier fonds en avait surabondamment et que le second en manquait, pourvu toutefois que les deux fonds appartinssent au même propriétaire. Mais, dans aucun cas, l’époux ne devait être séparé de sa femme, ni le père ou la mère de leurs enfans. Ces dispositions bienveillantes de la loi restèrent sans force au milieu des invasions et des guerres des barbares dans l’empire d’Occident. Les calamités qu’elles produisirent retombèrent principalement sur les malheureux habitans des campagnes. Ce fut le colon qui resta le plus exposé aux violences des conquérans ; ce fut lui surtout qu’ils pillèrent et emmenèrent captif à la suite de leurs armées ; lorsque les Goths prirent la Haute-Italie, les terres étaient déjà dépeuplées de leurs colons[22].

L’imposition personnelle ou capitation, établie sur les colons, était acquittée par leurs maîtres, qui se la faisaient ensuite rembourser. Ces remboursemens devenaient souvent le sujet de coupables extorsions, et donnaient lieu à d’autant plus de difficultés, que l’impôt variait d’une indiction à l’autre, en augmentant toujours. Un tel mode de perception avait ainsi l’inconvénient de mettre en quelque sorte le colon à la discrétion du propriétaire.

Outre l’impôt payé à l’état, les colons acquittaient ordinairement en fruits, quelquefois en argent, une redevance annuelle fixe, canon, qui ne profitait qu’à leurs maîtres, et qui ne pouvait être augmentée.

Il y avait pour le colon plusieurs moyens de sortir du colonat. D’abord, comme on l’a déjà fait remarquer, le colon qui s’était enfui et qui avait vécu en homme libre pendant un espace de temps fixé par la loi, acquérait définitivement la liberté. Ce fut seulement après que l’empereur Justinien eut abrogé cette disposition, que la liberté du colon cessa de se prescrire. Un autre moyen pour lui de se dégager des liens de sa condition, c’était d’acquérir la propriété du fonds colonaire. Du moment, en effet, que le maître lui cédait ce fonds par donation, par vente, ou autrement, le colon, devenu aussitôt propriétaire, jouissait de tous les droits de l’homme libre. Enfin, je pencherais à croire, contre l’opinion commune des jurisconsultes et des historiens, que le maître avait la faculté de détacher le colon de la glèbe pour le gratifier de la liberté. Les deux principales objections que l’on fait à cela sont : la première, que, dans les codes, les lois sur l’affranchissement ne disent rien des colons ; la seconde, qu’une loi de Justinien semble exclure la possibilité de rompre le lien qui les attachait au sol[23]. Mais on peut répondre à la première qu’il n’était pas nécessaire, pour dégager du colonat, de recourir à la manumission proprement dite, attendu que le colon n’était l’esclave de personne ; et l’on peut supposer qu’on employait, pour le délivrer de la glèbe, une forme moins solennelle, qui ne se retrouve pas dans les livres du droit romain. Quant à la seconde objection, ne sait-on pas que trente ans d’absence pour le colon, et vingt ans seulement pour la colone, les mettaient hors du domaine de leur maître, quoique le fonds colonaire continuât d’y rester incorporé ? N’avons-nous pas vu aussi que les colons pouvaient être séparés des fonds sur lesquels ils étaient trop nombreux, pour être attachés à d’autres fonds qui manquaient de cultivateurs ? De plus, si la loi eût prohibé ce qu’on peut appeler l’affranchissement des colons, n’eût-il pas toujours été en la faculté du maître, désireux de se soustraire à cette disposition, de laisser prendre la fuite à ceux qu’il voulait rendre libres, en se proposant bien de ne jamais les revendiquer ? Enfin, puisqu’il avait le droit de réduire en esclavage le colon qui cherchait à fuir[24], ne pouvait-il pas s’entendre avec son colon, pour que celui-ci prît la fuite, et, après l’avoir réduit en servitude, le mettre en liberté suivant les formes propres à l’affranchissement des esclaves ? Bref, rien n’empêchait le colon de descendre à l’esclavage pour remonter à la liberté. Personne, en effet, ne supposera que le droit d’affranchir tout esclave ait été refusé à son maître. Un auteur de la seconde moitié du Ve siècle paraît d’ailleurs nous fournir une preuve directe de l’affranchissement des colons. « Le fils de votre nourrice, écrit Sidoine Apollinaire à Pudens, vient de ravir la fille de la mienne… Mais je pardonnerai volontiers à cet homme si, de son maître que vous êtes, vous consentez à devenir son patron, en le dégageant de l’inquilinat où il est né. La femme, à qui je viens de donner la liberté, paraîtra non plus avoir été trompée, mais avoir été prise en mariage, si notre coupable, pour lequel vous intercédez, devenu de tributaire client, sort de la condition des plébéiens pour entrer dans celle des colons… La liberté du mari procurera sa grace au ravisseur[25]. » De ce passage et des observations précédentes, on est, je pense, en droit de conclure que le colonat, aussi bien que l’esclavage, pouvait cesser par la volonté du maître.

DU COLONAT SOUS LA DOMINATION DES FRANCS

Le colonat, de même que la plupart des institutions romaines, s’altéra sous la domination des peuples barbares. En s’écartant de la liberté pour se rapprocher de l’esclavage, il dégénéra de jour en jour ; la servitude, au contraire, tempérée par la charité chrétienne, tendit, en devenant de plus en plus douce, à se confondre avec lui. Ce qui distingue surtout le colonat romain du colonat du moyen-âge, c’est que, sous les empereurs, le colon n’était soumis qu’à des redevances envers le maître, tandis que sous les rois des Francs et des autres peuples germains, le colon, qui descendit au rang des non-libres, fut en outre assujetti à des services corporels connus plus tard sous le nom de corvées.

Le mot colonus, pris absolument, n’en continua pas moins de désigner une personne appartenant par sa naissance, ou autrement, au colonat, et non simplement un homme attaché à la culture de la terre. On trouve même des colons qui ne paraissent pas avoir été de vrais cultivateurs. Ainsi, dans un document du Xe siècle, un colonus est qualifié faber, un autre sutor, un autre bubulcus ; et, dans le polyptyque de l’abbé Irminon, les fonctions ou professions de major, de decanus, de cellarius, de meunier, de messier, sont exercées par des colons. On ne doit donc pas oublier que le nom de colonus, comme ceux de lidus et de servus, emporte avec lui l’idée d’une condition forcée et permanente, et non celle d’une profession que l’on aurait pu prendre ou quitter à son gré.

Dans les textes rédigés après la chute de l’empire d’Occident, les colons sont aussi désignés tantôt sous le nom d’originarii, comme du temps des empereurs romains, tantôt sous les noms de liberi ecclesiarum ou ecclesiastici, de mancipia ecclesiarum, de servi ecclesiastici. Ils se divisent en plusieurs espèces, suivant qu’ils sont des colons ordinaires ou des colons libres, qu’ils appartiennent au roi ou à l’église, qu’ils font service de leur corps trois jours dans la semaine, auquel cas ils étaient appelés triduani, ou que le nombre de leurs jours de service est différent.

Ils sont, comme on l’a dit, opposés aux hommes libres, et souvent punis corporellement, de même que les serfs. Enfin, ils sont mis au nombre des mancipia[26].

On donnait le nom de pares ou de consortes aux colons d’une même terre, et le droit sous lequel ils vivaient était appelé la loi de la terre ou de la cour, en allemand hofrecht. Ils restaient, comme dans l’origine, attachés à perpétuité aux fonds qu’ils occupaient, et avec lesquels ils étaient légués, donnés ou vendus. Ceux qui prenaient la fuite devaient être restitués à leurs maîtres. Néanmoins il semble que le lien qui les retenait au sol n’était plus aussi fort qu’anciennement, et que leurs maîtres avaient une plus grande faculté de le relâcher ou de le rompre. Ainsi, dans le polyptyque d’Irminon, des colones étaient passées du fisc de Villemeux dans celui de Béconcelle, pour demeurer avec leurs maris, colons, à Villiers-le-Mahieux, et dans le même fisc, un colon de Gilly près de Nuits-sous-Beaune tenait un manse à Breuil, dans le diocèse de Chartres. Les mutations de cette espèce furent, comme nous l’avons dit, autorisées dans l’empire par le code de Justinien, pourvu qu’elles eussent lieu dans les biens du même propriétaire. Il paraît aussi que l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés établissait, dans les terres nouvellement acquises par elle, des colons aussi bien que des serfs, qu’elle déplaçait alors, puisqu’elle les tirait de ses autres domaines.

Mais le colon ne pouvait se soustraire lui-même à sa condition : quiconque avait été une fois engagé dans le colonat devait y rester attaché. Il n’y avait que deux moyens d’en sortir :

D’abord par la prescription. Lorsque le colon avait joui pendant trente ans, et la colone pendant vingt, de la liberté, sans être revendiqués par personne, ils restaient définitivement libres[27], si leur maître était un Romain ou un Lombard ; car si c’était un Franc ou un Allemand, la prescription n’avait pas lieu. Mais, d’après une loi de Louis-le-Débonnaire, celui qui se prétendait libre depuis trente ans, devait prouver qu’il était né d’un père ou d’une mère libre, ou justifier d’une charte d’affranchissement[28] ;

Ou par l’affranchissement. Le colon, comme le serf, était affranchi avant d’entrer dans les ordres. Il pouvait l’être également sans qu’il embrassât l’état ecclésiastique. Le maître disposait alors à son gré des serfs, du colon et du fonds colonaire[29].

La condition du colon était meilleure que celle du serf. D’après la loi salique, la composition pour le meurtre d’un Romain tributaire, la même, à ce qu’il me paraît, que pour le colon, était fixée à quarante-cinq sous, tandis que le meurtre d’un esclave se rachetait par trente-cinq sous de composition. D’après la loi des Allemands, le colon avait une composition égale à celle de l’Allemand lui-même. Néanmoins, lorsqu’un père ne laissait en mourant que deux filles, celle qui se mariait avec un colon n’avait aucune part à la terre paternelle, tandis que celle qui épousait son pareil la possédait entièrement. Quant aux autres objets de la succession, ils se partageaient entre les deux sœurs par portions égales[30].

Le droit des colons de poursuivre leurs actions en justice ne paraît pas avoir été plus restreint sous les rois des Francs que sous les empereurs. À la vérité, l’édit de Théodoric, plus sévère en cela que la loi romaine, défendait aux tribunaux d’accueillir les plaintes des colons contre leurs maîtres, soit en matière civile, soit en matière criminelle ; mais cette interdiction cessa bientôt d’être observée, ou même ne fut jamais en vigueur dans le royaume des Francs, surtout pour les causes dans lesquelles les colons avaient à défendre contre leurs maîtres leur état et leur loi. Ainsi, d’un côté, des colons se prétendant libres, défendent eux-mêmes leur cause au tribunal du comte ou du vicaire ; et, de l’autre, en 828, les colons d’Antoigné citent, par-devant le roi Pépin d’Aquitaine, l’abbé de Corméri leur maître, qu’ils accusent d’exiger d’eux plus qu’ils ne lui devaient ; et les colons de Mitri, en 861, s’étant rendus à Compiègne auprès du roi Charles-le-Chauve, proclament qu’ils sont par leur naissance des colons libres, comme les autres colons de Saint-Denis, et que c’est à tort que l’officier de ce monastère veut leur imposer de force des services onéreux qu’ils ne doivent pas.

Cependant les colons d’une église ou d’un monastère étaient ordinairement remplacés ou représentés en justice par l’avoué de cette église ou de ce monastère ; et cette coutume, qui s’observait à l’égard des ecclésiastiques aussi bien qu’à l’égard de leurs hommes, loin d’offrir rien d’humiliant pour eux, avait, au contraire, été instituée dans un but de protection et dans l’intérêt du clergé. Ce ne fut qu’en s’écartant du principe de leur institution que les avoués cessèrent d’être les défenseurs des églises et des abbayes, pour en devenir les tyrans et les déprédateurs. Les commissaires généraux ne devaient pas citer les colons pauvres à leur tribunal, au moins dans plusieurs cas, et particulièrement lorsque ceux-ci refusaient, dans les marchés, les deniers de bon aloi : c’étaient alors les avoués qu’on mettait en cause pour les délinquans, et qui, après avoir payé au roi l’amende ou ban des hommes libres, de 60 sous, faisaient battre les colons de verges[31].

D’autres fois c’étaient les maîtres eux-mêmes qui se présentaient en justice pour leurs colons. Ainsi un seigneur réclamait, devant le tribunal des commissaires royaux, le serf que son colon avait acheté. Si le colon dépendait d’un monastère, l’action en revendication était exercée par l’abbé ou par son avoué[32].

Les colons servaient de témoins dans les transactions, et remplissaient certains offices subalternes et d’économie rurale, tels que ceux de maire, de doyen, de messier. Enfin les colons et les serfs des fiscs royaux et des églises prêtaient serment de fidélité au roi, s’ils étaient honorés de quelques bénéfices ou de quelques emplois du genre de ceux dont nous venons de parler, ou s’ils remplissaient quelque charge dans la maison ou auprès de la personne de leur maître, et s’ils pouvaient avoir des chevaux et des armes, telles qu’un bouclier, une lance, une épée longue ou une épée courte[33].

De même que le colon jouissait de la liberté, mais d’une liberté imparfaite, de même il avait la jouissance du droit de propriété, mais d’un droit restreint et conditionnel : néanmoins il était capable de posséder et d’acquérir à titre perpétuel et héréditaire. Sa tenure étant devenue comme une espèce de fief infime, grevé de charges onéreuses et avilissantes, soumis en général à la loi des fiefs, il se trouva lui-même sur l’échelle féodale, à la vérité sur le plus bas échelon. Il pouvait aussi disposer à son gré de ce qui lui appartenait en propre. Un colon du comté de Brioude ayant laissé, en mourant, à l’église de Brioude les vignes et les autres biens qu’il avait acquis de ses propres deniers, Charles-le-Chauve confirma cette disposition, soit pour la rendre valable, soit plutôt pour empêcher qu’elle ne fût violée.

Quelquefois même les colons démembraient leurs tenures et vendaient les terres pour ne se réserver que les bâtimens. Un édit du même roi proscrivit cet abus. Déjà Charlemagne leur avait défendu de faire aucune vente ou donation à des personnes d’une seigneurie étrangère[34].

Il y avait donc pour les colons, comme pour les hommes libres, différentes manières d’acquérir et de posséder, ainsi qu’on l’observe surtout dans le polyptyque d’Irminon. D’abord ils possédaient leurs fonds colonaires à titre de fermiers héréditaires et perpétuels ; ensuite plusieurs d’entre eux possédaient en même temps des biens en propre. Le colon Adricus, outre sa tenure, possédait avec ses fils neuf journaux en toute propriété. Le colon Gulfoinus tenait la propriété de son père, après l’avoir donnée à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Les colons possédaient en outre à titre de bénéfice, de cens et de loyer[35].

Les colons acquéraient ainsi pour leur compte, et disposaient de ce qui leur appartenait en propre[36] ; de plus ils héritaient de leurs parens, et transmettaient leurs biens à leurs descendans ou à leurs neveux. Mais ce qui mérite d’être remarqué, c’est qu’en général la propriété n’était pas franche entre les mains des colons, attendu que nous voyons, dans le polyptique d’Irminon, les colons de Saint-Germain grevés envers l’abbaye de redevances et de services, non seulement à raison de leurs tenures colonaires, mais encore à raison des biens qu’ils possédaient en propre. Si l’on voulait reconnaître dans ces charges imposées aux propriétés des colons quelques vestiges de l’ancienne capitation romaine, à laquelle les colons de l’empire étaient soumis, on devrait alors supposer que l’impôt avait été converti en cens et en corvées, et que la seigneurie avait été substituée à l’état ; mais il ne faut pas s’y tromper : on observe un grand nombre de cas où les redevances établies représentent des droits utiles et le prix de concessions avantageuses faites aux colons.

Les colons, quoique attachés à la glèbe, et jouissant ainsi d’une liberté fort incomplète, pouvaient néanmoins acheter et avoir eux-mêmes des serfs ; ce qui ne doit pas nous étonner, surtout lorsque nous verrons des serfs posséder eux-mêmes d’autres serfs.

Le droit du colon sur la terre qu’il habitait alla toujours croissant, et finit, vers le déclin du Xe siècle au plus tard, par devenir un véritable droit de propriété. Alors le colonat s’éteignit tout-à-fait, au moins en France, et le nom de colon ne servit plus à désigner qu’un homme livré à la culture de la terre.

Le fonds colonaire était en général composé d’un manse, rarement de deux, souvent d’un demi-manse, ou de moins encore. Il n’était pas extraordinaire qu’un seul manse fût tenu par deux, trois et quatre ménages de colons ; quelquefois ce nombre allait jusqu’à cinq et même au-dessus. D’un autre côté, il arrivait que plusieurs ménages de colons étaient établis dans la moitié ou dans le quart d’un manse.

Le manse moyen, ainsi que je l’ai établi ailleurs, peut être considéré comme composé de douze bonniers, qui représentaient chacun environ cent vingt-huit ares, au moins dans les terres de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et sous le règne de Charlemagne, de sorte que la contenance du manse moyen était d’environ quinze hectares.

Les colons occupaient aussi des hospitia et des portions de terrain sans dénomination particulière. Dans la plupart des cas, les manses ou parties de manse qu’ils cultivaient sont qualifiés d’ingénuiles ; néanmoins, on en trouve un grand nombre qui n’étaient que lidiles ou serviles. Toutes ces différentes espèces de biens et de tenures seront expliquées plus tard.

Les redevances payées par les colons étaient nombreuses et variées. Les principales dérivaient des contributions de guerre, du droit mis sur chaque tête de bétail abattue, du droit de faire de l’herbe, des droits d’usage et de paisson dans les bois, de la capitation et des produits des terres. Elles étaient acquittées en argent, en bétail, en volaille, en œufs, en blé, en houblon, en vin, en huile, en miel, en cire, en poix, en lin, en drap, en peaux, en bardeaux, en douves, en cercles, en filets de pêche, en armes, en instrumens et outils de différentes sortes. Elles variaient pour l’espèce et pour la quantité d’un domaine à l’autre, et quelquefois aussi dans le même domaine. Le total des redevances d’un manse occupé par un ou deux ménages de colons, dans le polyptique d’Irminon, peut être évalué d’une manière générale à une somme de 200 à 300 francs de notre monnaie.

Les services corporels imposés aux colons étaient, dans la règle, moins durs que ceux des serfs ; toutefois, ils étaient encore pénibles et nombreux. On peut les distinguer en services ordinaires et en services extraordinaires. Les premiers embrassaient tous les travaux nécessaires pour la culture des champs, pour les clôtures des propriétés, pour la fauchaison, la moisson et la vendange, pour la rentrée, la garde, le transport et la vente des fruits. Ces services étaient réguliers et fixes : pour s’en acquitter, les colons devaient à leurs maîtres quelquefois un, plus souvent deux, communément trois jours de leur temps par semaine, rarement davantage, sans recevoir aucun salaire. Les services de la seconde espèce étaient, pour ainsi dire, arbitraires, c’est-à-dire laissés à la discrétion des maîtres ils imposaient aux colons l’obligation de conduire ou d’escorter les convois tant par terre que par eau, de porter des ordres et de faire toutes sortes de commissions, le tout ordinairement gratis ; d’entretenir et de réparer les édifices, d’en construire de neufs, et par conséquent de fournir ou d’amener les pierres, la chaux et les bois nécessaires, de recueillir les abeilles dans les forêts, de veiller aux ruchers naturels ou artificiels, et de faire des ouvrages de toute nature. Mais il était assez rare, au moins dans les terres de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, que les colons fussent astreints à cultiver les vignes de l’abbé ou des moines ; cette tâche était ordinairement réservée aux serfs, et presque exclusivement aux tenanciers des manses serviles.

Le service de guerre, pour le roi, n’était imposé aux colons ni par les lois des nations barbares, ni par les ordonnances des Mérovingiens ; d’après les capitulaires de la seconde race, il n’était dû que par les hommes libres. En général, lorsque des hommes d’une condition servile figurent dans les armées des Francs, ce n’est pas comme guerriers, mais comme serviteurs ou valets. Les lides et les serfs de la loi salique qui vont à l’armée, y vont à la suite de leurs maîtres, pour les servir, et non pour faire eux-mêmes la guerre. Cette distinction explique la contradiction apparente de plusieurs textes. Si l’on trouve que des serfs ont été armés et s’ils paraissent avoir pris une part directe à des expéditions militaires générales, ou ces cas sont rares, exceptionnels, particuliers à une ou deux espèces de serfs, et contraires à l’usage commun[37], ou bien ils ne se présentent qu’après le démembrement de l’empire, dans un temps où les colons avaient usurpé la propriété de leurs tenures. Toutefois, en Allemagne, on observe de bonne heure que des hommes non libres étaient amenés à la guerre par les comtes. La lettre de Louis-le-Débonnaire à Baduradus, évêque de Paderborn, en est un des plus remarquables exemples. Au IXe siècle le service militaire était, suivant toute apparence, imposé, dans le même pays, aux lides et aux colons, puisqu’ils avaient besoin d’un diplôme royal pour en être exemptés[38].

Quoique le colonat fût un état régulier, dont les obligations principales étaient à peu près fixes, les colons n’en restaient pas moins soumis à la loi commune du temps, c’est-à-dire à la loi du plus fort. Aussi étaient-ils souvent tourmentés et dépouillés par les hommes puissans, et surtout par les officiers des terres royales. Mais, dans la règle, la plupart jouissaient d’une certaine aisance, qui leur permettait non-seulement d’avoir des serfs pour leur propre service et de se donner des fêtes entre eux, mais encore d’obtenir un état prospère avec quelque considération.

De ce que la loi des Allemands définit le colon un homme libre de l’église, et de ce que les colons mentionnés dans les textes anciens appartiennent généralement à l’église ou au clergé, il ne faudrait pas conclure qu’il ne s’en trouvât pas aussi sur les terres des laïques. Outre que la loi des Allemands parle en même temps des colons du roi, il est question dans les actes du synode de Soissons, tenu en 853, de colons qui devaient être flagellés par les évêques ou par les officiers épiscopaux, quoiqu’ils fussent sous la dépendance d’autres seigneurs. Dans un autre titre, il est fait mention d’un colon appartenant aux terres du comté de Brioude. On trouve aussi désignés ailleurs des colons dont les maîtres ne paraissent pas avoir été des ecclésiastiques[39]. Toutefois on est obligé par les documens de reconnaître que c’était dans les domaines de l’église, ou, pour parler plus exactement, dans les terres dont les maîtres suivaient la loi romaine, que la plupart des colons étaient établis.

En résumé, la condition des colons chez les Francs n’était pas mauvaise. Si, d’un côté, comme on l’a dit en commençant, elle inclinait vers la servitude, de l’autre, la servitude s’élevait de plus en plus vers la liberté. La possession se convertit en propriété entre les mains des serfs cultivateurs, comme entre celles des bénéficiers ; le simple tenancier se rendit propriétaire de sa tenure, en même temps que les officiers du roi et les vassaux s’approprièrent leurs honneurs et leurs bénéfices. Il me semble donc, contre l’opinion émise, il y a quelques années, par l’un de nos plus savans historiens, que l’état des colons et des serfs cultivateurs ne fut pas plus aggravé que celui des grands feudataires, par la chute des institutions monarchiques sous les petits-fils de Charlemagne. L’état des premiers fut, au contraire, considérablement amélioré, de même que celui des seconds, ou plutôt les uns et les autres quittèrent leur condition en même temps pour passer dans une autre toute différente et bien supérieure ; car de simples possesseurs qu’ils étaient jadis, ils se trouvèrent au Xe siècle de véritables propriétaires. À partir de cette époque, les chartes et tous les autres documens témoignent d’une grande révolution dans les moindres comme dans les plus hautes sphères de la société. Ce sont d’autres institutions, d’autres droits, d’autres usages. Les colons et tous les hommes non libres sont confondus avec les serfs pour ne composer avec eux qu’une seule classe de personnes. Les redevances et les services apparaissent sous une forme nouvelle, et ne représentent plus, comme autrefois, le prix du fermage ni les charges de l’usufruit : ce sont des droits féodaux payés par des hommes de pôté à leurs seigneurs. Les seigneurs levaient sur les habitans de leurs fiefs ce que les propriétaires francs ou romains percevaient jadis de leurs colons : il s’agissait de droits seigneuriaux et non plus de fermages. La propriété de son champ n’était plus contestée au villain, qui l’avait définitivement conquise : s’il a désormais à combattre, ce n’est plus pour la propriété, mais pour la franchise et l’indépendance de sa terre.

À partir de la fin du IXe siècle, le colon et le lide deviennent de plus en plus rares dans les documens qui concernent la France, et ces deux classes de personnes ne tardent guère à disparaître. Elles sont en partie remplacées par celle des colliberti, qui n’a pas une longue existence. Le serf, à son tour, se montre moins fréquemment, et c’est le villanus, le rusticus, l’homo potestatis, qui lui succèdent. Enfin l’ancienne unité terrienne, le mansus même se retire peu à peu ; de sorte que, si l’on descend jusqu’au XIIIe siècle, on ne trouve dans les livres censiers de ce temps presque plus rien de la physionomie des anciens polyptiques, tant alors étaient changées la condition des personnes et la condition des terres.


B. Guérard.
  1. La Revue, dans son numéro du 15 avril 1838, contenait, sur l’état des personnes et des terres en France, un article qui sert d’introduction à celui que nous publions aujourd’hui, et qu’un travail analogue sur les lides et les serfs complètera plus tard. Nos lecteurs accueilleront sans doute avec faveur les recherches de M. Guérard sur un point important de notre histoire nationale. Les travaux antérieurs de M. Guérard à l’Institut et à l’École de Chartes le mettaient mieux que personne à même de porter la clarté en ces difficiles et obscures questions.
  2. Eam denique pergat partem, quamcunque volens canonice elegerit ; habensque portas apertas, etc. (Form. Lindenbr., 101.) — Cette formule rappelle ces vers de Plaute, dans Menæchm., v. 7, 39-40

    — Sic sine igitur, si tuum negas me esse, abire liberum.
    — Mea quidem hercle caussa liber esto, atque ito quo voles.

  3. Fecit te liberum non nobilem, quod impossibile est post libertatem. (Thegan., 44.)
  4. Sur tous ces droits et ces devoirs des hommes libres, voyez le savant ouvrage du professeur Eichhorn, Histoire du droit et de l’état des Germains, § 48, 75, 76 et 86 (en allemand).
  5. Montesquieu se trompe lorsqu’il reconnaît (Esprit des Lois, XXX, 17 et 25 ; XXXI, 24) sous les deux premières races l’existence d’une noblesse privilégiée, à laquelle seule aurait appartenu, jusqu’à Charles Martel, le droit de tenir des bénéfices.
  6. Acta fund. Murens. Monast., dans Herrgott, Genealog. Habsburg. tom. I, pag. 324.
  7. Testam. Bertramn. Episc. Cenom., dans Bréq. pag. 113.
  8. Environ 160 francs, parce qu’il s’agissait des nouveaux sous d’argent. — Voy. ma Dissertation sur le Système monétaire des Francs, tables VI et IX.
  9. Una colonia cum Francos duos (sic) Bernoardo et Leodegario atque eorum hæreditate ; servum vero, nomine Gotbertum, cum uxore sua, similiter ; item alium servum, etc. (Chart. Antelmi, à la Bibliothèque du roi, original.)
  10. Capitul., l. VII, c. 335. — Marculf., II, 27 ; et Append., 15.
  11. Carol. C. edict. Pist., an. 864, c. 34. — Greg. Turon., VII, 45. — Marculf., ii, 28 ; — Append., 16 et 58.
  12. Decret. Childeb. II, circa an. 595, cap. VIII. — Voy. Houard, Anciennes lois des François, tom. I, pag. 252.
  13. M. Jacques Grimm conjecture qu’au Xe siècle la moitié au moins de la population en Allemagne ne jouissait pas de la liberté. (Antiq. du Droit germanique, l. I, chap. IV, B. 9, p. g. 331, en allemand.)
  14. On peut consulter sur le colonat romain, après le Paratitlon et les commentaires de Jacques Godefroi dans le Code théodosien (liv. V, tit. IX), la dissertation allemande de M. de Savigny (dans son journal consacré à la science historique du droit, tom. VI, cahier III, pag. 273-320, et dans les Mémoires de l’Académie de Berlin, année 1825) ; l’analyse de cette dissertation, par M. Pellat (dans la Thémis, tom. IX, pag. 62-87) ; le Cours de M. Guizot, tom. IV, leçons 7 et 8, de l’année 1830, pag. 233-282. — Perreciot a consacré aux colons un article assez étendu dans son ouvrage intitulé : De l’État civil des Personnes (tom. I, pag. 98-100, in-4o) : mais il s’écarte des auteurs qui précèdent, en distinguant, avec plusieurs autres savans, les adscripticii des coloni.
  15. Si quis inquilinos sine prædiis, quibus adhærent, legaverit, inutile est legatum. (Digest., XXX, 1, 112.) — Si quis inquilinum vel colonum non fuerit professus, vinculis censualibus tenetur. (Ibid., L, XV, 4, § 8.) — L’inquilinus était de la même condition que le colon.
  16. Gubern. Dei, V, 8 et 9. — Il n’y a guère d’apparence que le colonat soit né ou de la conquête, ou d’une espèce d’affranchissement imparfait ou conditionnel, inconnu au droit romain. On le ferait dériver plus volontiers de l’esclavage germanique, surtout si l’on avait la preuve que, chez les Germains, l’esclave était inséparablement uni à la glèbe avec toute sa postérité.
  17. Voyez surtout la constitution des empereurs Honorius et Théodose de l’an 409, découverte par M. Amédée Peyron, et publiée dans les Mémoires de l’Académie royale de Turin, tom. XXVIII, Cod. Theod., fragm. inéd., pag. 120-121.
  18. Les colons étaient désignés de différentes manières. On les appelait coloni originales, originarii coloni, ou simplement originarii, parce que leur naissance les liait indissolublement au sol qu’ils occupaient. On les appelait aussi tributarii, censiti, censibus obnoxii, censibus adscripti, adscripticii ou adscripticiæ conditionis, parce qu’ils étaient soumis à l’impôt personnel ou capitation. Ils étaient de la même condition que les inquilini, auxquels ils sont assimilés par une loi des empereurs Arcadius et Honorius et par les Institutes de Justinien.
  19. Les enfans nés d’un colon et d’une femme libre étaient colons ; mais Justinien les déclara libres ; puis il les soumit de nouveau au colonat ; enfin ils furent rendus à la liberté avec certaines restrictions.
  20. Lorsque Justinien affranchit les colons de cette formalité, ce fut sous la condition qu’après avoir embrassé l’état ecclésiastique, ils continueraient de cultiver la terre, à laquelle ils restaient attachés, à moins qu’ils ne fussent élevés à l’épiscopat.
  21. Savoir : lorsqu’il s’agissait de son origine, de sa condition, ou de la propriété du fonds colonaire ; lorsqu’il subissait des surtaxes, et lorsque l’affaire était criminelle.
  22. Vita S. Epiphan. episc. Ticin., no 47.
  23. Quæ enim diffrentia inter servos et adscripticios intelligatur ; cum uterque in domini sui positus sit potestate, et possit servum cum peculio manumittere, et adscripticium cum terra dominio sue expellere ? (Cod., XI, 47, 21.)
  24. Cod. Th., v, 10, 1 — Nov. Valent., tit. IX. — Cod. Th. V, 9, 1.
  25. Sidon. Apoll. Epist. V, 19.
  26. Carol. C. capitul. Silvac., an. 853, c. 5 ; edict. Caris., an. 861 ; edict. Pist., an. 864, c. 20 et 22. — Edict. Theod., c. 97, 104 et 109. — L. Burg., XXXVIII, 7 et 10 ; XXXIX, 3. — Decret. Childeb. II, circa an. 595, § 13 ; etc. — Polypt. Irmin., XII, i, pag. 122 ; XII, XLI, pag. 128, etc.
  27. Capitul. adscriptum capitul. Wormat., an. 829, c. 3 ; dans Baluze, tom. I, col. 674. — Cette espèce de capitulaire, tiré du Code théodosien, a été aussi recueilli par Reginon, De Eccles. discipl., I, 22 ; et c’est une des raisons qui l’ont fait admettre par Baluze, et par M. Pertz.
  28. Carol. III, addit ad L. Longob., c. 8, dans Baluze, tom. I, pag. 348. — L. Longob. Lud. P., 58.
  29. Concil.  III, an. 538, c.  26. — Lud. P. capitul. Aquisgr., an. 817, c. 6, etc. — Testam. B. Remig., dans Bréq., pag. 31.
  30. L. Sal. Herold., XI, 2 ; XLIV, 7. — L. Alam., tit. 9 et 57.
  31. Carol. C. edict. Caris., an. 861.
  32. Marculf., Append. 3 et 6.
  33. Capitul. Pipp. reg. Ital., circa an. 793, c. 36, dans Baluze, tom. I, col. 541.
  34. Edict. Pist., an. 863, c. 30. — Capital. III, an. 803, c. 10.
  35. Les manses tenus par les colons sont appelés héritages. « Hereditates, id est, mansa quam (coloni) tenent. » (Edict. Pist., L. c.) Dans le polyptique d’lrminon, les mots deest hœres ont été écrits par une main ancienne, à la marge des § 39, 40, 41 et 42 du ch. XIV, sans doute parce que les colons qui tenaient les manses décrits dans ces paragraphes, étant venus à mourir sans postérité, avaient laissé leurs tenures vacantes. — Beaucoup de colons étaient hospites, et ceux-ci, qui se rapprochaient beaucoup des inquilini romains, étaient des espèces de locataires.
  36. Quatre colons ou colones de Saint-Germain, après avoir acheté une terre d’une seigneurie indépendante, libera potestas, en vendent une autre à un nommé Gerradus, d’une seigneurie étrangère. Cette vente était une contravention à la défense de Charlemagne dont nous avons parlé, en supposant que la défense fût antérieure à la vente.
  37. L. Sal. Herold., Epilog. 22 ; Baluz., XXVIII, 1. Voy. Annal. Bertin., an. 832, dans Pertz, tom. I, pag. 425.
  38. Homines ejusdem ecclesiae (I. E. Corbeiæ novæ) liti et coloni, et rectores ipsius monasterii in expeditionem, cum suis hominibus, ire non cogantur, sicut a nostris progenitoribus olim eis concessum fuisse constat. (Dipl. Lud. III, reg. Germ. IV id., oct. 900, dans Nic. Schaten, Annal. Paderb., ppag. 237.) — Si l’on s’en rapportait au moine de Saint-Gall (II, 5), les hommes de condition servile auraient été admis à combattre dans les rangs de l’armée dès le temps de Charlemagne.
  39. L. Alam., IX et XXIII, 1. — Synod. Suession., an. 853, c. 9, dans Baluz., tom. II, col. 56. — Dipl. Carol. C., an. 874, dans Bouq., tom. VIII, pag. 645-6. — Marculf. append., 6.