Kyra Kyralina/Avant-propos de l’auteur

Rieder (Les Récits d’Adrien Zograffi. Ip. 11-13).


Vous êtes d’avis, — ainsi que notre ami Romain Rolland, — que je devrais, en quelques lignes, expliquer le thème général que l’on retrouvera à travers tous mes livres.

Je n’ai jamais pensé que je devais, moi-même, expliquer quelque chose à ce sujet. Je ne suis pas un écrivain de métier, et je ne le serai jamais. Le hasard a voulu que je sois pêché à la ligne, dans les eaux profondes de l’océan social, par le pêcheur d’hommes de Villeneuve[1]. Je suis son œuvre. Pour que je puisse vivre ma seconde vie, j’avais besoin de son estime, et pour obtenir cette estime chaude, amicale, il me demandait d’écrire. « Je n’attends pas de vous des lettres exaltées, m’écrivait-il, j’attends de vous l’œuvre. Réalisez l’œuvre, plus essentielle que vous, plus durable que vous, dont vous êtes la gousse. »

Avec ce fouet sur les reins, — et aussi grâce à l’avoine que m’offrait généreusement l’ami Georges Jonesco, — je me suis mis à trotter avec élan. Les Récits d’Adrien Zograffi sont dus à nous trois. Livré à moi seul, je ne suis capable de faire autre chose que de la peinture en bâtiment, de la photo de plein air et autres œuvres communes, à la portée de tout le monde.

Adrien Zograffi n’est, pour le moment, qu’un jeune homme qui aime l’Orient. C’est un autodidacte qui trouve la Sorbonne où il peut. Il vit, il rêve, il désire bien des choses. Plus tard, il osera dire que bien des choses sont mal faites par les hommes et par le créateur. Je sais qu’il est très dangereux de contredire le créateur ainsi que les hommes qui ne font pas de peinture en bâtiment ou de photo camelote sur la « Promenade des Anglais » ; mais vous dites, en France, qu’on ne peut pas contenter tout le monde et son père. J’espère, toutefois, qu’on pardonnera cette audace à Adrien. Car, conservant toute sa liberté, il se permettra une autre audace, celle d’aimer, et d’être, toujours, dans tous les pays, l’ami de tous les hommes qui ont du cœur. Il y en a peu, mais Adrien ne pense pas que l’humanité soit si vaste qu’on le croit.

En attendant son histoire, il ne fait en ce moment qu’écouter les histoires des autres. Écoutons avec lui, si vous le voulez bien.


PANAÏT ISTRATI



  1. Romain Rolland.